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Londres, le mardi quatorze mai 1895

Ma chère Marguerite,

Kalyani va bientôt se marier.
Je me répète cela en boucle depuis une semaine. Moi qui pensais qu'elle refusait le mariage comme moi, je me rends compte que j'avais mal compris sa façon de voir les choses.
Nous avons beaucoup discuté depuis qu'elle m'a annoncé ses fiançailles et j'ai découvert que les femmes en Inde sont loin d'être aussi libres que nous... 

Il faut que je commence par te raconter l'histoire de son père. Vrikodara est fils de Maharadjah et a vécu au palais de son père jusqu'au décès de celui-ci. Le royaume est revenu au fils aîné, avec des titres divers pour les autres enfants.
En 1877, la reine Victoria a été sacrée Impératrice des Indes et depuis, tous les Maharadjas d'Inde dépendent directement de la couronne. Vrikodara gérait les échanges commerciaux de leur territoire, mais il avait aussi envie de voir le monde... Il est venu plusieurs fois à Londres pour affaires et a décidé de s'établir ici. Évidemment, cela n'a d'abord pas plu à son frère qui s'y est opposé. Kalyani ne sait pas comment son père s'y est pris, mais il a fini par avoir l'accord fraternel pour amener sa famille jusqu'ici.
Vrikodara a continué à gérer depuis Londres les intérêts commerciaux de son royaume indien, en tant que frère de Maharadjah. Mais il ne lève jamais le quiproquo lorsque les européens pensent qu'il est lui-même le Maharadjah...

Pour ce qui est du mariage en Inde, comme je te disais, les femmes sont vraiment mal loties.
Certains contrats de mariage sont conclus dès la naissance, célébrés aux huit ans des enfants et la femme rejoint son mari à sa puberté. Ce ne fut pas le cas de Kalyani, autrement, je ne l'aurais même jamais rencontrée. Toutefois, la plupart des mariages là-bas sont des mariages arrangés et les hommes sont souvent polygames. Tu te rends compte, Marguerite ? D'ailleurs, si les parents de mon amie n'étaient pas tombés amoureux après leur mariage, Vrikodara aurait sûrement pris plusieurs épouses.
Donc Kalyani aurait dû être mariée à un homme choisi par ses parents il y a déjà quelques temps. Cela ne s'est heureusement pas fait pour deux raisons. La première, c'est la distance, qui ralentit grandement le processus pour conclure un contrat de mariage de ce genre. La seconde, c'est Sunder, qui s'est toujours opposé à ce que sa soeur retourne au pays. Il a d'ailleurs le soutien de leur mère, Ujali, qui a peur que sa fille n'ait pas autant de chance qu'elle a pu en avoir.
Finalement, ce n'est pas tant que Kalyani refusait le mariage comme je le croyais, c'est plutôt qu'elle le redoutait vu les conditions dans lesquelles elle aurait dû se marier si elle avait grandi en Inde, ou si elle y était retournée pour cela.

Et puis, elle a rencontré Hurley Petty-Fitzmaurice. L'oncle de celui-ci a été le vice-roi des Indes jusqu'à l'an passé et son père est un politicien.
Les deux familles n'étaient tout d'abord pas très enthousiastes à l'annonce de leur envie de se marier, mais j'ai cru comprendre que chacun y avait trouvé des intérêts financiers non négligeables.
Du côté de Kalyani, ses parents sont heureux de savoir que leur fille restera avec eux, en Angleterre. Son oncle, le Maharadjah, a eu plus de réticences, puisqu'il voulait marier sa nièce là-bas, en Inde, à un homme qu'il aurait choisi lui-même. Finalement, Vridokara a fait valoir qu'un mariage à l'anglaise éviterait de payer une dot faramineuse et qu'en plus de cela, l'influence de la famille Fitzmaurice est suffisament grande pour que cela ait des répercussions positives sur les affaires de son royaume.

Hurley, de son côté, a dû un peu plus batailler. Finalement, n'arrivant pas à convaincre ses parents par l'argument amoureux, il a souligné le fait que la famille de Kalyani était riche, ce qui est de moins en moins le cas de la sienne. Je ne sais pas comment il a présenté les choses, mais il a fait céder ses parents.

C'est une sacrée histoire d'amour, tu ne trouves pas ?
En tout cas, de mon côté, elle m'a faite beaucoup réfléchir. Oh, ne te fais pas d'idées trop rapidement, ma très chère Marguerite. Le mariage est toujours hors de propos pour moi à l'heure actuelle.
Simplement, je me suis rendue compte que mon refus complet de la question venait aussi de Grand-Mère, quand elle passait son temps à me chercher des prétendants. Tu sais comme je déteste me faire imposer les choses !
Maintenant que cela fait longtemps qu'elle n'est plus là, je me rends compte que je suis plus sereine aussi vis à vis de la noble institution du mariage. C'est un sentiment très étrange, de se rendre compte que l'on a changé d'avis sur quelque chose qui semblait inconcevable quelques années auparavant. J'ai l'impression d'avoir vieilli, en fait. J'en ai parlé avec Kalyani qui a ri de bon coeur, avant de me dire que, après tout, "vieillir, c'est être vivant !"

Ce en quoi elle a plutôt raison. Je termine donc ma lettre sur ces sages paroles et te dis à bientôt,
Louise

Note de fin de chapitre:

Je me suis basée sur Edmond George Petty-Fitzmaurice pour créer la belle-famille de Kalyani.
D'après les sites historiques que j'ai consultés, on ne lui connaît pas d'enfants.

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