Londres, le trente octobre 1887
Ma chère Marguerite,
Comme tu l'as deviné, ta lettre m'attendait dans ma nouvelle chambre avant même mon arrivée ! Il faut dire que nous avons pris notre temps pendant ce voyage.
Je suis bien arrivée, après trop de journées en diligence, des moments de découverte et une traversée de la Manche.
Comme tu le sais, nous sommes parties, Maman et moi, rejoindre Papa à Londres. Je flottais sur un nuage émotionnel intense... J'étais triste de te quitter et heureuse à l'idée de revoir Papa. Excitée de partir en voyage et morose de quitter Lyon. De vous quitter... Toi, Sophie, Ludivine, Marie. Ce trajet m'a semblé le plus interminable de tous ! J'avais envie de sortir et de pousser la diligence !
Tu me connais, quand je suis un peu excitée, je dois me dépenser. Je te laisse imaginer quelle torture ce fut que de rester assise une grande partie de la journée, à écouter les adultes discuter de choses sans intérêt, tandis que j'étais ballotée par les cahots de la route et que je ne pensais plus qu'à toi, à vous toutes...
Pour la première étape, nous nous sommes rendues à Vichy. Nous avons logé dans les établissements thermaux et même passé la journée du lendemain à profiter des thermes. J'ai pu me détendre un peu, principalement grâce aux installations de gymnastique et j'ai découvert un sport fabuleux !
Je suis allée voir les salles d'escrime des hommes, leurs combats sont impressionnants. Et à la fin de la journée, l'un des hommes n'avait plus d'adversaire, il m'a proposé de me montrer quelques passes d'arme, pour passer le temps.
Je me suis tellement amusée, Marguerite ! J'espère que je trouverai des gentlemen pour m'enseigner l'épée, ici...
Après quoi, nous avons rejoint Bourges pour un séjour de quatre jours. Tu t'en souviens peut-être, ma cousine Léopoldine y habite avec son mari, Alban et leur tout petit bébé, Émile. Nous sommes restées avec eux quelques jours. Maman a parlé chiffon et bébé avec Léopoldine... Moi, je dois bien dire que, même si Émile est adorablement mignon quand il dort, le reste du temps, il m'a plus déstabilisée qu'autre chose.
Maman et Léopoldine ont voulu que je le prenne dans les bras. Je crois qu'elles se disaient que je serai très mignonne avec mes propres enfants, dans quelques années. En vrai, je me suis sentie surtout très mal à l'aise.
Heureusement, mon cousin Alban est adorable. Je crois qu'il a compris que je ne suis pas faite pour avoir des enfants. Il a décrété qu'il allait m'enseigner les échecs pendant les tétées du petit monsieur. Maman passait son temps à s'extasier sur Émile et ses airs de glouton. Moi, pendant ce temps, j'ai bien progressé, Alban m'a expliqué plusieurs techniques que je ne connaissais pas. J'espère avoir maintenant une chance de te battre ! Pourvu que l'on ait vite une occasion de se revoir...
Il m'a aussi fait visiter la cathédrale... Quel monument impressionnant ! Je me demande encore comment les hommes ont réussi ce tour de force de construction !
Le reste du voyage jusqu'à Paris a été plus monotone. Nous nous sommes arrêtées deux jours chez ma grand-mère paternelle. Deux jours de trop, si tu veux mon avis ! Grand-mère n'a cessé de faire des reproches à Maman à propos de tout et de rien.
Dire que, si Maman n'avait pas été là, j'aurais été scolarisée chez elle ! Heureusement que Maman a su convaincre Papa de plutôt m'envoyer à Lyon, en pensionnat... Il faudra que je lui demande comment elle a réussi, un jour.
Après Paris... Peut-être est-ce grâce au séjour chez Grand-Mère, mais c'est à ce moment-là qu'un immense sentiment de liberté s'est emparé de moi ! Quand nous sommes arrivées à Béthunes, nous avons suivi la route inverse à celle de Milady de Winter, dans les trois Mousquetaires, lorsqu'elle revint en France sur les ordres du Cardinal... Cette idée m'a exaltée, j'ai parcouru le chemin avec l'impression que nous croiserions sous peu Athos, Porthos, Aramis ou même d'Artagnan.
Nous avons embarqué à Boulogne sur Mer et nous avons débarqué après une journée de traversée (heureusement calme) à Douvres. Dover, pour les Anglais.
De là, encore une journée de diligence a été nécessaire (France ou Angleterre, Maman n'aime toujours pas la nouveauté des trains)... Je n'ai pas vraiment regardé la campagne anglaise, tant j'ai été déboussolée par le fait que... Les anglais roulent à gauche ! On ne croirait pas, mais c'est tellement déstabilisant ! Ça fait vraiment bizarre de voir les voitures rouler en sens inverse de ce à quoi tu es habituée...
Le temps file...
Je te laisse, ma chère Marguerite, et j'espère te relire bientôt !
Ta dévouée,
Louise