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Saint Symphorien d'Ozon, ce lundi dix-huit août 1890

Ma très chère Louise,

Je profite pleinement de mes vacances d'été. Quel bien cela fait, ce rythme plus calme ! Cela me fait tout drôle, néanmoins, lorsque je songe que, cette fois, c'est pour de bon que le pensionnat est terminé. Une page qui se ferme, une autre qui s'ouvre, et d'une toute autre manière... Tout ce que j'espère, c'est que notre amitié restât la même.

Il faut que je te raconte la jolie surprise que mes parents m'ont faite, à l'occasion de mon dix-huitième anniversaire. Figure-toi, ma chère Louise, qu'il m'ont emmenée assister à un concert de musique ! Un vrai beau grand concert, à l'Opéra de Lyon ! Tu imagines ma joie et mon excitation à cette idée !

J'étais ravie, aussi, lorsque Maman m'a annoncé qu'il me fallait une nouvelle tenue, pour l'occasion. Une vraie tenue de jeune fille, penses-tu au plaisir que cette idée m'a fait ? Tellement loin de nos uniformes et tabliers de pensionnaires, à Sainte-Ursule. Tellement loin, aussi, des stricts habits et de la cornette de nos chères ursulines... Crois-tu que soeur Marie-Euphrosine me trouverait frivole ?

J'espère sincèrement ne pas l'être. Et je peux reconnaître sans fausse gloire que l'idée d'aller écouter cette belle musique me procurait bien davantage de plaisir que celle de cette nouvelle tenue.

Nous nous sommes donc rendus hier à l'Opéra de Lyon pour ce concert. Ce bâtiment est immense, et tellement fascinant ! Tout y est si élégant, si raffiné que c'en est un plaisir pour les yeux. Si l'on vivait encore durant la période antique, on le croirait certainement dédié aux muses ou bien à quelque déesse férue des arts, comme la grande Athéna grecque, déesse de la sagesse, des sciences et des arts. Crois-tu que ses temples étaient aussi beaux à cette époque lointaine ?

Bien évidemment, il a fallu se plier à des obligations mondaines, et saluer de nombreuses connaissances de mes parents. Une grande partie d'entre eux m'a semblé plutôt soporifique, je te l'avoue... Il y avait bien quelques jeunes gens dans le lot, je dois le reconnaître. Mais aucun d'entre eux ne m'a paru apte à converser davantage que superficiellement. Peut-être le lieu ne s'y prêtait-il point réellement ?

Toujours est-il que la partie la plus intéressante des lieux, celle pour laquelle nous avons fait le déplacement depuis les alentours de Lyon jusqu'à son coeur, la musique puisqu'il faut dire, ou plutôt écrire, le mot, cette partie, disais-je, ne m'a absolument pas déçue, quant à elle. Et fort heureusement, me diras-tu, ma chère Louise.

Les oeuvres qui étaient jouées faisaient partie de celles de monsieur Johannes Brahms qui, comme tu le sais certainement, est un compositeur germanique. J'ai entendu dire que d'aucuns le comparent au grand Ludwig von Beethoven, te rends-tu compte ? Nous avons notamment pu admirer une oeuvre qu'il a composée assez récemment, et qui est d'une grande originalité.

En effet, figure-toi, ma chère Louise, qu'il s'agit d'un concerto pour violon et violoncelle ! Oui, oui, les deux instruments à la fois, se répondant et dialoguant avec un orchestre. Malgré ma surprise au départ, je me suis vite aperçue que cela coulait encore mieux, même, qu'un concerto pour un seul instrument et orchestre. Monsieur Brahms est vraiment un grand compositeur !

J'ai été transportée de bonheur tout au long de ce concert. Quelles notes, que d'émotions passent à travers ces nombreux instruments qui se répondent de part en part ! Ah, si seulement j'étais capable de tirer de mon piano ne serait-ce qu'un tout petit peu de ce que j'ai ressenti, je crois que je serais la plus heureuse des femmes.

Ta Marguerite, encore dans l'euphorie de ce moment d'exception

PS : au cas où tu te poserais la question, ma robe était évidemment de couleur pâle, puisque je suis ce que l'on appelle une jeune fille à marier, mais surtout pas rose ! J'avais choisi un vert délicat, et simplement accepté, sur l'insistance de maman, de l'orner de quelques fleurs en soie afin, comme elle le prétendait, de « réhausser ma peau blanche ».
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