Saint Cyr au Mont d'Or, ce mardi six novembre 1888
Ma très chère Louise,
Je suis glacée d'horreur à la lecture de ta lettre. Mon Dieu ! Tu connais ma sensibilité. Je ne sais pas si les journaux en parlent, je ne les lis pas, du moins pas ce qui concerne les faits divers, qui me remuent bien trop. Pauvres femmes, c'est vraiment horrible, ce qui leur est arrivé... Et dire que toi, tu es à Londres, dans la même ville que ce fou furieux ?
Oh ma chérie, je t'en conjure, surtout, surtout, ne prends pas le moindre risque ! Ne vas pas essayer d'éprouver sur place les méthodes des détectives dont tu aimes tant la lecture. C'est très amusant d'en parler dans la sécurité de notre dortoir, au pensionnat, mais c'est une toute autre chose que d'aller prendre des risques insensés alors qu'un terrible assassin sévit.
Au fait, que signifie Jack the Ripper ? Je ne l'ai pas trouvé dans mon dictionnaire d'anglais à l'usage des jeunes filles de bonne famille, et je n'ose pas demander à soeur Marie-Brigitte, qui nous enseigne toujours cette matière.
Sinon, ta grand-mère désire déjà te marier ? Mais nous avons bien le temps ! De mon côté, je suis fermement décidée à attendre au moins mes vingt ans. D'ailleurs, j'ai fait promettre à mes parents de me laisser le choix de mon futur époux. Ma cousine est tellement malheureuse avec le sien... J'espère vivement que tu pourras échapper aux manigances de ton aïeule !
Mais dis-moi donc... Je dois avouer que tu as sacrément aiguisé ma curiosité ! Parle-moi davantage de ce jeune Hugh que tu as évoqué dans ta dernière lettre ! Est-ce qu'il t'intéresse en tant que personne, ou bien seulement à cause de sa profession, pour assouvir ton insatiable curiosité concernant cet affreux assassin dont tu m'as dépeint le portrait ?
Je te le répète, ma chère Louise, la prudence est de mise ! La curiosité est un vilain défaut, comme nous le rappellent régulièrement nos chères ursulines. Cela me rappelle un proverbe anglais dont tu m'as déjà parlé : « Curiosity kills the cat », c'est à dire « La curiosité tue le chat ». Oh Louise, tu sais à quel point je ne voudrais surtout pas que cela t'arrive !
Bien, tu vois à quel point cette histoire de meurtres me perturbe ? Je t'en conjure, protège-toi. Il y a tant de choses plus intéressantes dans la vie. Sans forcément, pour autant, suivre déjà les conseils de ta grand-mère. Un mari, oui, très bien, mais je ne crois pas que tu sois faite pour vivre en cage. Il te faudrait un homme à ta hauteur, capable de comprendre et de respecter tes besoins de liberté.
Un tel homme existe-t-il ailleurs que dans les livres ? Je t'avoue que je n'en suis point certaine. Ce n'est peut-être qu'un mythe, hélas... Sinon, tes derniers mots me laissent terriblement frustrée. Comment as-tu pu interrompre ta lettre sur de si passionnants aveux ? Ce jeune policier te plaît-il vraiment pour lui-même ? Que s'est-il passé par rapport aux gâteaux ?
Évidemment que je désire en savoir davantage ! La fin de ta lettre est une terrible torture ! Écris-moi vite pour tout me raconter ! Surtout pas concernant cet assassin et ses meurtres, évidemment, rassure-moi plutôt ta sécurité. Mais... ce jeune Hugh... qu'as-tu à me raconter de plus ? Je trépigne de curiosité !
Ta Marguerite qui se trouve sur des charbons ardents
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Notes d'auteur :
Cette lettre répond directement à celle de Louise sur le même sujet.
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