Saint Cyr au Mont d'Or, ce dimanche vingt-trois septembre 1888
Ma très chère Louise,
Comme ma vie me semble monotone et ennuyeuse depuis ton départ l'an dernier... Alors que la tienne est si riche et variée, depuis que tu es à Londres ! Que te raconter de beau, lorsque tu connais déjà tout ?
Il n'y a pas grande différence entre nos cours de l'an dernier et ceux de cette année. Et clairement, ce ne sont pas les moments les plus passionnants de mes journées. Mais bon, vu le peu de choses que j'ai à te raconter... Tiens, je vais te parler de la dernière fois où j'ai dû aller au tableau. Quelle passionnante péripétie, n'est-ce pas ?
Bref, j'en viens au fait. C'était donc durant le cours de mathématiques de soeur Marie-Céline. Tu sais, ma chère Louise, que cette matière n'a jamais été mon point fort, n'est-ce pas ? Bien, imagine donc, maintenant, avec quel enthousiasme je suis allée au tableau afin d'être interrogée sur le théorème de Pythagore. Je sais, je t'entends rire d'ici à cette idée.
Je vais t'épargner et ne pas te détailler dans cette lettre ce fort (ou point du tout) passionnant théorème... Certes, je le reconnais, comme tu le dirais toi-même, c'est aussi un moyen de m'épargner le déplaisir de devoir m'y replonger, tu me connais...
Imagine-moi donc debout devant la quinzaine de nos camarades du même niveau que nous. Toutes en train de me fixer de leurs grands yeux, toutes portant leurs grands tabliers de classe bleu ciel (ceux-là même que tu détestais tant devoir enfiler pour les cours). Une quinzaine de visages différents, une quinzaine de coiffures différentes (non, sur ce point, j'exagère, tu te moquais d'ailleurs de la monotonie de la coiffure de la plupart d'entre nous), une quinzaine de regards braqués sur ma pauvre personne.
Et moi, toute seule, dans la même tenue que nos camarades mais bien ennuyée d'être ainsi exposée, seule, devant ce grand tableau noir, une simple craie à la main. Bien sûr, en plus du regard de nos camarades, j'avais aussi sur moi celui de la soeur Marie-Céline, et il ne me semblait absolument pas indulgent. Je crains que mes faibles compétences en mathématiques aient plutôt tendance à la désespérer qu'autre chose.
Tu te figures le tableau ? Oh, je crois que je fais un trait d'esprit ! Ma chère Louise, te figures-tu le tableau de ta pauvre Marguerite en grande partie tétanisée devant le tableau noir de l'une de nos salles de classe ? Je t'accorde que c'était surtout un piteux tableau, au final. Malgré toute ma bonne volonté, j'ai eu l'impression de perdre tous mes moyens, devant ce terrible tableau noir...
Ah, si seulement cela avait été la soeur Marie-Eugénie qui m'avait interrogée lors d'un cours de français, ou bien la soeur Marie-Euphrosine en latin ! Combien cela aurait été plus facile pour moi, alors, de répondre à leurs questions, de réussir les exercices imposés ! Même au tableau, même devant toute la classe...
Ta Marguerite qui, parfois, a bien hâte de quitter à son tour le pensionnat...
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