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Saint Maximin La Sainte Baume, ce samedi seize décembre 1899

Ma très chère Louise,

Tu sais quelle joie c'est pour moi d'être mère, et combien je me suis réjouie de l'être à nouveau. J'aime tout autant mon petit Joseph tout neuf que mes deux grandes (pas si grandes, je te l'accorde) Faustine et Zélie. Et pourtant, pourtant... Oh Louise, ma chérie, j'ai le coeur bien gros, figure-toi. Tu ne vois sans doute pas pourquoi. Et moi-même, je te l'avoue, au début, je n'imaginais absolument pas que les choses puissent tourner de cette manière-là.

Tu sais que, depuis mon mariage avec Charles, il y a de cela déjà sept ans, j'ai toujours eu de très bonnes relations avec ma belle-mère, basées notamment sur une estime réciproque. Alors que je craignais, au départ, qu'elle ne m'aime pas parce que je venais de Lyon. Ce qui était idiot, finalement, puisqu'elle en vient elle aussi, en réalité.

Seulement voilà, depuis la naissance de mon petit Joseph... je crains de ne plus la comprendre. J'ai peine à exprimer ce qui se passe, à vrai dire. Est-ce moi qui me fais des idées ? Non, je ne crois pas... Du moins, je ne sais point, je ne sais plus...

Là, je sais, il faut que je parvienne à poser mes idées à l'écrit afin d'être plus claire pour toi. Afin d'y mieux voir, moi-même, au milieu de tout cela. Oh Louise, est-ce moi qui deviens folle ?

Comment exprimer les choses ? C'est tellement subtil... Pour autant... cela me semble tellement affreux, Louise d'écrire cela ! Mais je crois bien que ma belle-mère préfère mon petit Joseph à ses deux grandes soeurs. Te rends-tu compte ? En relisant mes mots, j'hésite à les barrer, j'hésite même à froisser cette lettre et à la jeter dans le feu.

Franchement, comment puis-je penser cela d'une grand-mère ? Crois-moi, Louise, j'ai bien honte de mes pensées, et encore plus de les avoir posées par écrit. Vais-je oser t'adresser cette lettre ? Je crois bien que tu vas me prendre pour une folle...

Tu te demandes certainement ce qui me fait penser cela de ma belle-mère. Comme je te le disais, c'est très subtil. Je ne suis même pas certaine que mes tourments à ce sujet soient réellement fondés. Comment t'expliquer cela ?

Joseph est encore tout petit, mais j'ai réellement l'impression que sa naissance a changé quelque chose, pour ma belle-mère. La première fois qu'elle l'a pris dans les bras, j'ai presque cru qu'elle n'allait pas me le rendre, tant elle semblait émerveillée et ne cessait de l'admirer. Pire encore... depuis, j'ai l'impression qu'elle s'intéresse beaucoup moins à Faustine et à Zélie qu'auparavant, qu'elle les néglige, presque !

Tu comprends, ma chère Louise, mes doutes et mes atermoiements. Et si j'avais tort ? Et si j'accusais des pires horreurs une grand-mère aimante et dévouée ? Saisis-tu le fond de mes tourments ?

Peut-être te demandes-tu pourquoi je doute, pourquoi je n'ai point de certitude en la matière. Et si c'était mon imagination qui me jouait des tours ? Après tout, peut-être ma belle-mère était-elle ainsi à la naissance de Zélie ? Cela fait deux ans et demi, cela semble très peu, et pourtant... si mes souvenirs s'étaient altérés ?

Tu t'en doutes peut-être, ma chère Louise, tu es la première avec qui j'ose évoquer mes doutes. Crois-tu que je devrais en parler avec Charles ? Mais comment ? Et si j'avais tort ?

Ta Marguerite qui ne sait comment sortir de ses tourments
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