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Saint Symphorien d'Ozon, ce lundi vingt-deux novembre 1897

Ma très chère Louise,

Comme tu peux le voir au frontispice de cette lettre, je t'écris depuis chez mes parents. En effet, Charles et moi sommes venus y passer quelques jours afin de leur permettre de profiter un peu de leurs deux seules petites-filles. Faustine papote toujours beaucoup et cherche à monopoliser l'attention de ses grands-parents. Il me semble qu'elle aime sa petite soeur Zélie, mais j'ai parfois l'impression qu'elle craint de se faire retirer sa place, de perdre certains privilèges.

Je n'ose demander à Maman si j'étais ainsi avec ma propre petite soeur. Je t'ai déjà parlé de Madeleine plus d'une fois, même si le sujet m'est toujours douloureux... Et pourtant, cela fait si longtemps qu'elle est morte que, parfois, j'ai l'impression que c'est à peine si je me souviens d'elle. Il me semble que j'avais six ou sept ans lorsque ma soeur est décédée...

Elle était vive et en pleine santé, jusque-là, mais nous sommes tombées malades toutes les deux et, alors que je me suis remise, après une longue convalescence, Madeleine, elle, a dépéri de plus en plus, jusqu'au jour fatidique... Ah Louise, je me souviendrais toute ma vie des sanglots déchirants de ma mère qui m'ont réveillée, ce matin-là, et d'avoir prié de toutes mes forces pour que ce ne soit qu'un mauvais rêve...

Tu vois, ma chère Louise, le monde est vraiment étrangement fait. Certes, je n'ai jamais réellement oublié Madeleine, même si j'ai dû grandir sans elle. Grandir avec la tristesse de Maman, aussi, qui ne s'en est jamais remise. Encore aujourd'hui, je ne sais comment en parler avec elle. Et maintenant que je suis mère à mon tour, ô comme je la comprends, si tu savais ! L'idée de perdre l'une de mes deux chères petites me serre le coeur !

Et le fait que Zélie comme Faustine soient en pleine santé ne me rassure pas tellement, au final. Comme pour ma pauvre Madeleine, une maladie est si vite arrivée... Toi qui n'as pas de soeur, tu m'as déjà dit, ma chère Louise, que j'étais comme une soeur pour toi. Et crois-moi, d'une certaine manière, c'est réellement réciproque. Néanmoins, tu n'as jamais remplacé Madeleine, et je te sais gré, d'ailleurs, de n'avoir jamais essayé de le faire.

Tu t'étonnes peut-être de lire de si tristes pensées sous ma plume. Je t'accorde que c'est tellement peu dans ma nature ! Et c'est vrai que, lorsque je me rends chez mes parents, habituellement, je pense beaucoup moins à tout cela. Seulement, cette fois-ci... c'est tellement différent. Tu sais que ma pauvre chère cousine Jeanne est décédée en juin dernier...

Tu sais aussi, ma chère Louise, que son décès m'a d'autant plus marquée qu'elle est morte en couches, alors que j'avais mis au monde ma petite Zélie seulement deux mois auparavant. Jeanne a laissé quatre malheureux orphelins, dont le plus jeune n'a pas eu le bonheur de connaître sa mère. Un tel drame n'est-il point horrible ? Ma question est rhétorique, je sais que tu partages mon avis là-dessus.

J'ai vu ces pauvres petits et leur père, qui souffre visiblement de son veuvage, chez mon oncle et ma tante. Le petit Louis fait vraiment pitié. Certes, il est plus jeune que ma petite Zélie, mais il paraît chétif, pâle et, surtout, a un air grave et triste, que l'on n'imagine absolument pas voir sur un bébé. À côté de ma toute petite qui babille, sourit, est vive et éveillée... quel contraste !

J'espère, néanmoins, qu'il va prendre des forces et gagner en santé. Ce serait un tel drame s'il décédait à son tour ! Peut-être que le climat ne lui convient pas ? Mon cher Charles y a certainement songé, puisqu'il a proposé au veuf de Jeanne de venir avec ses enfants passer quelques temps en Provence. Alfred doit y réfléchir, mais j'espère qu'il acceptera. Je ne puis plus rien faire pour ma pauvre Jeanne, mais j'aimerais à veiller un peu sur sa famille.

Quoi qu'il en soit, ma chère Louise, j'espère n'avoir point plombé ton humeur avec mes atermoiements. J'espère de tout coeur que nous nous reverrons très bientôt et t'embrasse affectueusement.

Ta Marguerite qui a le coeur bien gros
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