Saint Maximin La Sainte Baume, ce jeudi vingt-huit mars 1895
Ma très chère Louise,
Décidément, le temps passe à une vitesse folle ! Ma toute petite Faustine a déjà sept mois, te rends-tu compte ? Et comme ces premiers mois de mon bébé m'ont semblés longs et courts à la fois ! Je n'imaginais absolument ce que c'était réellement que d'avoir un bébé, avant sa naissance. Elle est si petite, et occupe pourtant tant de place !
Tu vois, Louise, en grande lectrice que je suis, j'ai lu plusieurs ouvrages de puériculture afin de m'informer sur le sujet. Tous écrits par d'éminents médecins, des pédiatres, c'est à dire, tu le sais, des spécialistes des bébés. D'ailleurs, quel mot utilisez-vous, en Grande-Bretagne, pour évoquer cette spécialité de la médecine ?
Toujours est-il que, pour une fois, mes lectures ne m'ont pas été bien utile, et m'ont plutôt laissée désemparée. Finalement, je réalise que j'ai appris bien davantage sur l'exercice de la maternité par l'intermédiaire de la sage-femme qui m'a accompagnée, mais aussi de ma belle-mère, de la cousine Berthe et des autres mères de mon entourage. Au point que je me suis parfois demandé si les auteurs de ces livres avaient déjà vu un vrai bébé de près, non un poupon...
Enfin, sans doute te diras-tu que je radote, ma chérie, puisque j'ai déjà évoqué quelques fois ces sujets-là avec toi. Mais, vois-tu, depuis que je suis mère, ma vie a radicalement changé. J'ai compris que ce qui est réellement important, c'est de faire passer les personnes avant les choses. Les choses matérielles, finalement, n'ont point tant d'importance que cela. Mais les personnes, surtout celles que l'on aime, sont importantes, elles.
Bien sûr, je ne dis pas que les choses ne sont pas à faire. Si la cuisinière ne prépare pas le repas, par exemple, il n'y aura rien à manger. Si je n'ai pas préparé les menus avec elle, si nous n'avons pas défini ensemble les courses qu'elle doit faire, nous ne pourrons dîner. Si je n'ai pas veillé à ce que la bonne à tout faire lave le linge, nous n'aurons plus de langes propres pour Faustine, qu'il faut encore changer plusieurs fois par jour.
Pour autant, si je ne regarde que le repas, les courses ou bien le linge, et non les personnes qui gèrent cette tâche, quel genre de maîtresse de maison suis-je donc ? Si je rudoie ma femme de chambre ou bien la bonne d'enfant, me seront-elles aussi fidèles, travailleront-elles aussi sérieusement que si je les traite comme des personnes, en étant sensible à leur vie et à leurs difficultés ?
Tu vois, ma chère Louise, j'avais déjà conscience de cela avant, mais je m'aperçois que la naissance de ma petite Faustine m'a réellement apporté une sensibilité supplémentaire, et notamment vis à vis des personnes. Un supplément d'âme, peut-être ? Quoi qu'il en soit, comme tu le sais, je chéris tendrement ta filleule, qui embellit de jour en jour.
D'ailleurs, Charles a promis de nous emmener chez le photographe très bientôt afin de faire réaliser un portrait de Faustine et moi, ainsi qu'un autre de nous trois. Je pourrai ainsi te l'envoyer, tu pourras l'encadrer à la place de son précédent portrait qui date déjà de quelques mois, et ranger celui-là dans un album.
Quant au portrait représentant notre petite famille, j'en enverrai un tirage à mes parents, je pense que cela leur fera bien plaisir, ainsi qu'à ma marraine. Bien sûr, nous en donnerons aussi un à mes beaux-parents, un à mon beau-frère François et un autre à ma belle-soeur Augustine.
Prends bien soin de toi, ma chère Louise !
Ta Marguerite qui aimerait tant te voir plus souvent
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