Saint Maximin La Sainte Baume, ce samedi vingt-cinq novembre 1893
Ma très chère Louise,
Comme tu peux le voir au frontispice de ma lettre, au moment où je t'écris, nous sommes à exactement un mois du jour de Noël. Cela sera notre second Noël en tant qu'époux, pour Charles et moi. Belle occasion de se réjouir, me diras-tu, n'est pas ? Oui. Certes. Non pas que je regrette ne serait-ce qu'un instant de l'avoir épousé, bien au contraire !
Charles et moi nous connaissons de mieux en mieux, et la petite routine que nous nous sommes construite nous convient parfaitement à tous les deux. Ou presque. En réalité, il manque quelque chose à notre bonheur. Quelque chose d'essentiel et... Oh, je suis tellement bouleversée par tout cela que je viens de verser une larme sur cette lettre !
Ne t'inquiète pas, ma chère Louise, ta pauvre Marguerite a toujours été bien moins forte que toi... Il n'y a rien de bien grave, en soi. Simplement... simplement, le temps ne fait pas son oeuvre. Pas comme il le devrait, en tout cas. Et je ne sais si j'espère en vain ou bien si je verrai un jour mes voeux enfin exaucés...
Tu te demandes probablement où je désire en venir, ma chère Louise. Et je t'accorde volontiers, après m'être relue, que je suis certainement bien obscure. Oui, mais... c'est délicat de parler de ces choses-là, en réalité. D'ailleurs, normalement, je ne devrais pas en parler avec une jeune fille qui n'est pas encore mariée.
Mais si je ne puis me confier à ma meilleure amie, à qui le puis-je, en réalité ? Et puis, après tout, tu as commencé des études de médecine. Tu en sais donc probablement bien davantage sur le corps humain que la grande majorité des jeunes filles à marier.
D'ailleurs, suis-je bête, tu vois probablement déjà où je désire en venir. Presque un an et demi de mariage, autant de temps de bonheur... Mais nous n'avons toujours pas la joie d'attendre un enfant, Charles et moi. Te rends-tu compte ? Oui, je sais bien que tu n'as aucun désir d'être mère, toi. Pour moi, au contraire, c'est tellement dans la continuité logique !
Le pauvre Charles en est tout marri pour moi et me console de son mieux. Il m'a promis que si, lors de notre prochain anniversaire de mariage, nous n'avions toujours pas de promesse d'enfant, alors nous irions ensemble, lui et moi, en pèlerinage à Cotignac. Oh mais j'y pense, tu ne connais probablement pas ce sanctuaire ! Laisse-moi te conter son histoire, tu comprendras ainsi bien mieux pourquoi Charles a promis de m'y emmener.
Il y a de cela fort longtemps, le roi Louis XIII et son épouse, la reine Anne d'Autriche, qui comme chacun sait était espagnole contrairement à ce que son nom laisse supposer, étaient mariés depuis de nombreuses années sans avoir jamais eu le moindre enfant. Un beau jour, un moine eut à Cotignac une révélation, lui demandant de faire dire trois neuvaines pour la naissance d'un héritier du trône.
La reine, dûment informée, s'y joignit de tout coeur, et c'est ainsi que naquit le futur Louis XIV. En action de grâces pour cette naissance miraculeuse, notre roi Louis XIII consacra la France à Notre Dame. Plus tard, le jeune roi Louis XIV se rendit à Cotignac avec sa mère, puis il fit apposer une plaque en mémoire de cet événement.
Tu vois, ma chère Louise, depuis que Charles m'a parlé de ce lieu, j'ai le désir d'y aller... mais j'aimerais tellement que ce soit avec un enfant, et non pour supplier le Ciel de bien vouloir m'en accorder enfin un !
Ta Marguerite qui lutte de toutes ses forces pour ne point désespérer
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