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Aix les Bains, ce mardi vingt-huit avril 1891

Ma très chère Louise,

Enfin, je retrouve la civilisation et, surtout, la possibilité de t'écrire ! Ma chérie, j'ai mille choses à te dire, si tu savais ! Ah, comme je regrette de ne plus t'avoir à mes côtés, de ne plus pouvoir me confier à toi facilement, en me penchant vers toi pour te glisser quelques mots à l'oreille... Figure-toi, ma chère Louise, que j'ai lu, il y a peu de temps, une phrase de monsieur Oscar Wilde qui m'a marquée, et que je ne comprends pourtant que maintenant.

Mais quelle est donc cette phrase, te demandes-tu certainement ? La voici, et je sais déjà que, de ma part, elle va certainement te surprendre : « Les folies sont les seules choses que l'on ne regrette jamais. ». N'est-elle point extraordinaire, cette simple phrase ? Oh, je sais, je te l'ai mise en français, mais peut-être la connais-tu déjà en anglais, toi qui vis à Londres et préfères lire les auteurs britanniques dans la langue de Shakespeare.

Ma chère Louise, je crois que je te sens trépigner, à mes mots. Comment moi, la si sage Marguerite, comme tu m'appelais parfois, en suis-je arrivée à considérer une telle phrase comme particulièrement intéressante, et tout à fait adaptée à ma situation ? Ah, ah ! Je vais te dévoiler ce mystère... Tu sais donc, Louise, que j'avais décidé d'accepter l'invitation de notre amie et ancienne camarade de pensionnat Sophie.

Aller escalader les Alpes, cela paraissait bien fou, n'est-ce pas ? Il nous fallait de grosses chaussures (bien inconfortables, hélas, mes pauvres pieds en souffrent encore), des tenues adaptées, de larges chapeaux, évidemment, afin de nous protéger de la morsure du soleil (pas question de risquer d'avoir le teint hâlé, n'est-ce pas ?) des bâtons de marche, de la corde, des provisions, et de multiples autres choses dans les sacs à dos que portaient nos guides.

Je savais que, en plus de Sophie, il y aurait ses parents ainsi que son frère André. Ce que j'ignorais, en revanche, c'est qu'il y aurait également l'oncle et la tante de Sophie et d'André... ainsi que leurs deux fils Charles et François. Il y avait aussi leur fille Albertine, qui est un peu plus jeune que nous de deux ans et qui est charmante. Néanmoins, si j'avais su la présence de ces jeunes gens, j'aurais certainement décliné l'invitation.

Elle m'aurait un peu fait l'impression d'un piège, tu l'imagines sans peine. Je me suis donc retrouvée avec la sensation d'avoir été piégée, lorsque nous les avons rejoints, dans une gare au coeur des Alpes. Pourquoi n'ont-ils pas voyagé depuis Lyon avec nous, me demanderas-tu certainement ? Figure-toi que c'est parce qu'ils n'habitent point du tout cette région-là. En effet, ils vivent au coeur de la Provence, et les mères des deux familles sont soeurs.

Je ne sais pas, ma chère Louise, si tu te demandes encore où je veux en venir, ou bien si tu l'as déjà compris... En effet, figure-toi que l'aîné des cousins de Sophie, Charles, est quelqu'un de tout à fait charmant... Sa conversation est tout à fait intéressante, c'est un jeune homme intelligent et cultivé. Et, ce qui ne gâche rien, c'est que, contrairement à une bonne partie des jeunes gens que j'ai rencontrés dans des bals, il ne semble à aucun moment me prendre pour une idiote sans cervelle !

Tu te demandes certainement à quoi il ressemble, ce charmant jeune homme... Figure-toi qu'il est grand et large d'épaule, on saisit tout de suite, en le voyant, que c'est quelqu'un de solide. Il a les cheveux blond foncé et les yeux verts, mais non point le vert de la pierre émeraude, un vert plus pâle. Il porte à merveille la barbe.

Et que fait-il dans la vie, me diras-tu ? Eh bien il travaille avec ses parents. En effet, ceux-ci ont des vignes, dans la campagne d'Aix en Provence. D'ailleurs, Charles m'a avoué que c'était exceptionnel qu'ils prennent ainsi des vacances en famille. Que j'ai eu de la chance qu'ils s'y décident ainsi ! Il m'a expliqué qu'ils produisent un vin rosé, et m'en a décrit toutes les étapes. C'est proprement fascinant !

Bref, Charles s'est montré tout à fait courtois tout du long, et absolument pas pressant ou charmeur. Pour autant, il m'a clairement laissé entendre qu'il serait ravi si mes parents voulaient bien l'autoriser à garder un lien avec moi. Te rends-tu compte ? Il va leur demander la permission de pouvoir m'écrire. Évidemment, tu t'en doutes, je vais tout faire pour qu'ils acceptent. Ils connaissent déjà Sophie et ses parents, cela aidera certainement.

Je ne sais que te mettre de plus, mais mon coeur éclate.

Ta Marguerite qui est bien contente d'avoir fait la folie d'aller randonner en montagne
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