Saint Cyr au Mont d'Or, ce jeudi vingt octobre 1887
Ma très chère Louise,
Je crains que cette lettre soit bien difficile à écrire pour moi, tant j'ai le coeur gros. Tu es partie hier soir seulement, et cela me paraît pourtant déjà si long ! Certes, tu étais déjà partie en vacances avec tes parents, depuis que nous nous connaissons. Mais cette fois-ci est tellement différente ! Te voilà donc en route vers Londres, et ma lettre devrait t'attendre dans ton futur logement.
Londres... Est-ce possible seulement d'habiter si loin ? Pourquoi donc tes parents ont-ils décidé d'aller s'y installer avec toi ? Oh, je le sais bien, en m'entendant dire cela, tu me regarderais avec ton air indulgent, comme face à un caprice. Je t'entends d'ici me rétorquer une fois de plus que ton père est diplomate, et qu'il est donc parfaitement normal qu'il soit envoyé au Royaume-Uni. Qu'il soit envoyé à Londres même, très exactement.
Mais Londres est si loin de Lyon ! Combien de jours de voyage nous sépareront désormais ? Bien trop ! Ah, que je regrette ces quatre années que tu viens de passer avec moi dans notre cher pensionnat Sainte-Ursule ! Les lieux vont me sembler bien vides, désormais, sans nos nombreuses discussions. Comment te raconter tous les menus petits événements de mes journées, dont nous riions ensemble auparavant ?
Certes, il reste encore nos camarades. Et notamment Ludivine, Marie et Sophie, qui me chargent d'ailleurs de t'envoyer leurs amitiés. Mais ce n'est pas pareil. Aucune d'entre elles ne m'a jamais comprise comme tu me comprends, aucune d'entre elles n'a jamais eu ton esprit et tes idées si différentes.
Nous reverrons-nous un jour, toi et moi ? Je l'espère de tout coeur. Après tout, nous n'avons que quinze ans. Il peut se passer tant de choses encore dans nos vies !
Crois-tu que mes parents accepteront de m'accompagner à Londres un jour, pour te voir ? Oh, que j'aimerais visiter cette ville avec toi ! Je suis sûre que tu serais une excellente guide, sachant raconter avec ton humour habituel tant de petites anecdotes sur ces différents lieux !
Ma chère Louise, je veux tout savoir de Londres dès que tu y arriveras. Je t'en prie, raconte-moi tout de cette ville si différente et si lointaine ! J'ai bien cherché à m'informer en la matière dans quelques livres, mais il y a si peu de choses. J'ai lu que le pays était dirigé par la reine Victoria. Quelle chance ont donc les Britanniques d'être sous un régime monarchique !
Oh Louise, parle-moi de la reine Victoria, parle-moi de sa famille, je t'en prie ! La verras-tu ? J'ai lu qu'elle habitait à Londres même, dans le palais de Buckingham. Quel nom étrange que le nom de ce palais, d'ailleurs. J'ai tant envie d'en savoir plus sur elle !
Parle-moi aussi du temps qu'il fait à Londres. Est-ce différent de celui que nous avons à Lyon ? Bref, en un mot comme en cent, ma chère amie, je veux tout savoir de la nouvelle ville où tu vas vivre désormais.
Décris-moi ta maison et son quartier, je t'en prie, décris-moi le lieu où tu vas poursuivre tes études ! D'ailleurs, sera-ce en français ou en anglais ? Je sais que tu as de solides notions de cette langue, puisque tu as déjà vécu enfant dans des pays anglophones, et que ta nourrice, ta nurse comme tu disais, parlait anglais. Mais recevoir un enseignement entièrement dans cette langue étrangère, comment cela peut-il bien se passer ?
Raconte-moi tout, ma chère Louise ! Puisque tu voyages et pas moi, sois mes yeux, je te prie, et fais-moi partager tes voyages.
Ta Marguerite qui se sent bien seule désormais.
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Notes d'auteur :
Vous trouverez les lettres de Louise de Bois-Héraud sur le profil de Steamboat Willie. Les lettres (qui ne se répondent pas forcément) sont publiées à raison d'une par jour, pour Marguerite comme pour Louise.
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