Un accroc dans la soie du ciel
Piquez vos aiguilles dans le lin, tendez vos fils de laine et brodez, brodez, brodez.
Comme une flèche brillant de mille feux, la comète traversa le ciel piqueté d'étoiles du joli mois de mai, éclairant brièvement mais comme en plein jour les pâturages et les rives de Normandie, et la lumière de la lune parut bien terne en comparaison.
Les hommes étaient habituées aux nuits noires, et peut-être y trouvaient-ils un réconfort, si effrayantes soient-elles. Le soleil éclaire jour après jours tant de vilenie qu'il devait être reposant au crépuscule de voir l'ignominie du monde se noyer d'ombres.
Piquez vos aiguilles dans le lin, tendez vos fils de laine et brodez, brodez, brodez.
La comète était un trouble dans la soie du ciel qu'on ne s'expliquait pas et ceux qui détournèrent les yeux de peur d'être frappés par quelque malédiction furent témoins d'un étrange événement. Tout au long des côtes de la Normandie les brumes qui caressaient les rivages et épousaient le ressac de l'eau sur le sable prit la forme de bateaux de guerre prêts à voguer vers la perfide Albion ; ils apparurent de plus en plus nettement sous les étincelles de la queue de la comète.
On distinguait les mâts, les voiles, les capitaines, les chevaliers en armure, les jeunes mousses aux visages couverts de tâches de rousseur ; et le son des cors et des gutturaux chants de guerres se mélaient à la mélopée irrégulière et infinie des vagues.
Piquez vos aiguilles dans le lin, tendez vos fils de laine et brodez, brodez, brodez. Racontez la comète, racontez ses fantômes et ses prophéties, racontez la trahison du roi Harold et sa défaite, racontez Guillaume le Conquérant, racontez la bataille de Hastings. On oubliera vos noms, vos visages et vos voix, le travail de vos mains restera.
Isti mirant stella