Du sang dans les vignes
Le 7 de trèfle était une gamine. Une môme de dix-sept ans avec ces grands yeux bleus qu'ont parfois les siciliennes ; elle était longiligne, sa peau portait le hâle intense des petites filles qui ont toujours vécu sous le soleil brûlant de la méditerranée ; ses cheveux, épais et dorés, étaient coupés à la garçonne, en boucle courtes qui donnaient l'impression que sa longue nuque était interminable.
Le 7 de trèfle avait été abattu d'une balle dans le crâne, a 7h51, le 12 Août 2017, alors qu'elle traversait en vélo les vignobles luxuriant à l'est de Palerme.
Pour les uns, c'était une victoire, l'extraction d'une épine dans le pied de plus en plus douloureuse et affûtée ; pour les autres, c'était le symbole amer de la toute puissance d'une organisation meurtrière que Hollywood avait rendue bien trop romantique.
Chacun savait que la jolie frimousse du 7 de trèfle ne serait jamais vengée, que ses assassins, impunis, continueraient à respirer, à rire, à chanter. C'étaient eux qui l'avaient affublée de ce sobriquet, le 7 de trèfle. Ils donnaient à leurs hommes de mains des cartes à jouer à l'effigie de leurs ennemis, pour qu'en jouant au poker leurs traits s'impriment dans la rétines des meurtriers ; elle était le 7 de trèfle. Elle l'avait su, avait porté le surnom avec fierté, et avait continué de les dénoncer, de les traquer, de se battre, sans relâche.
Sa mort ne leur avait rien coûté, alors ils n'avaient pas hésité, et les frissons de révolte qui avaient parcouru Palerme sous son impulsion s'étaient éteints dans un gémissement plaintif.
Mais à la nuit près de sa tombe, entre le thym et le romarin, des inconnus masqués d'ombre venaient posé sur le marbre des cartes à jouer, et lui promettre dans un murmure plus doux que les chant des grillons que le combat n'était pas terminé.