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Notes d'auteur :

Bonjooouuur mes Rudolph rennes au nez rouge !

Bon, je me suis dit qu'après le sommet de déprime d'hier, il fallait se calmer un peu. Donc je vous préviens, le texte d'aujourd'hui n'est pas triste. Rien d'explicite, mais je dois vous avouer que j'y vois un début de romance. D'une vraie belle romance sans meurtre et sans désespoir. Et vous savez quoi ? ça n'arrive pas souvent, mais je l'aime bien, ce texte. Moi qui n'aime jamais ce que je fais et qui n'aime que le sang et les larmes.

Comme quoi, tout peut arriver. C'est bientôt noël.

Ah oui, le thème est "Petite gare brumeuse", et le texte se passe de nos jours (forcément, on arrive à la fin !

Bonne lecture et à demain pour un peu d'anticipation !

 

 

 

C’était une petite gare brumeuse par une matinée d’automne. Les feuilles mortes se pressaient dans les interstices entre les rails, remplissant l’air de leur odeur légère de pourriture. Le sol, humide depuis la veille, luisait sous la clarté des lampadaires qui perdaient leur lumière pâle dans le ciel grisâtre de l’aube. Les passants, vêtus de leurs manteaux gris, regardaient leurs pieds et regardaient l’horloge. La plupart d’entre eux avait les yeux fixés sur un téléphone dernier cri, qui leur catapultait des informations provenant de l’autre bout du monde.

Comme toujours, ils se croisaient sans se voir. Ils se passaient sans jeter un regard les uns vers les autres. Cela arrangeait Ishtar, en fin de compte. Elle pouvait observer les passants à loisir, personne ne s’offusquait jamais de ses regards fixes et perdus. Ishtar était toujours là, le matin, à attendre son train sur le quai. Personne n’avait jamais remarqué qu’elle fixait ceux qu’elle croisait avec un regard d’une intensité surnaturelle.

 

C’était le jeu qu’elle jouait. Chaque jour, elle choisissait un autre travailleur en attente de son train. Elle détaillait ses traits, elle examinait ses vêtements. Elle prenait garde à sa mine, même si cela ne faisait pas grand sens. Dans les gares, les gens ont toujours l’air tristes et absorbés dans une mélancolie qui n’appartient qu’à eux. Dans les gares, tout le monde se ressemble, comme si l’attente unifiait les traits de chaque homme et de chaque femme. Mais Ishtar les fixait tout de même, et tentait d’embrasser en un seul regard la plus grande quantité de détails possibles.

Et alors, elle inventait leur vie. Elle l’inventait vraiment. Elle ne se contentait pas d’essayer de deviner s’ils étaient mariés et s’ils avaient des enfants. Elle ne se contentait pas de se demander s’ils avaient aimé jouer à chat lorsqu’ils étaient enfants, ou s’ils avaient passé le baccalauréat. Elle ne se demandait même pas s’ils avaient un jour perdu un être cher, et s’ils l’avaient pleuré.

Elle se saisissait de leur être, elle les prenait tout entiers, et elle les déplaçait, ailleurs, en un autre moment.

 

Le cadre changeait à chaque fois, et toujours, le passant qu’elle croisait par hasard sur le quai de la petite gare brumeuse se transformait en héros d’une histoire qui n’appartenait qu’à lui. Ou plutôt qui n’appartenait qu’à Ishtar, puisque tout cela se déroulait dans sa tête.

Les mondes étaient fictifs ou ils étaient anciens. Ils étaient futuristes ou ils étaient étranges. Mais dans tous les cas, le héros de la gare vivait une vie merveilleuse, qui accompagnait Ishtar tout au long de la journée.

Elle poursuivait ses histoires en mangeant – toujours seule – son repas de midi.

Elle les continuait encore, sur son trajet retour. Et le soir, avant de s’endormir, elle achevait toujours son récit sur la mort de son personnage.

Car il fallait bien cela, la disparition de l’un pour l’adoption d’un nouveau dès le lendemain matin.

 

Mais ce matin-là, Ishtar ne se doutait pas que son petit rituel allait changer. Elle avait jeté son dévolu sur une jeune femme enveloppée dans un veste d’une étonnante couleur rose. La jeune femme était appliquée à regarder le ciel, comportement hautement inhabituel.

Étonnamment encore, Ishtar ne trouva pas d’autre monde à offrir à ce nouveau personnage que celui dans lequel elle vivait déjà.

La jeune femme était un mystère. C’était un personnage unique en son genre, plein dans chaque seconde de son quotidien. Il n’y avait pas d’aventures qui lui convinssent mieux que ce regard rêveur qu’elle portait déjà sur le ciel, ce matin-là.

En se couchant, le soir venu, Ishtar ne parvint pas à conduire le récit jusqu’à la fin. Et le lendemain, elle ne parvint pas non plus à trouver de nouvelle victime.

Sous regard, toutefois, pour la première fois, en croisa un autre.

- Tiens, se dit Ishtar. Ce matin, elle ne regarde pas le ciel.

Sur le quai de la petite gare brumeuse, ce matin d’automne-là, c’était Ishtar, pourtant, qui eut l’impression d’avoir plongé les yeux dans le soleil.



 

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