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Notes :

Cette courte nouvelle je l'ai écrite dans le cadre d'un concours (hors HPF) cette année mais je ne l'ai finalement jamais envoyée alors je la partage ici.

Le thème du concours était : Le Train.

Tomber amoureux ne serait-ce pas comme monter dans un train ? Nous sommes là, sur un quai étendu à perte de vue, exactement comme s’étend notre immense planète densément peuplée. Au moment où les rails s’arrêtent de hurler, suite au freinage de la machine électrique, nous quittons la terre immobile pour un sol mouvant en quelques secondes à peine car le coup de sifflet retenti et indique le départ imminent. N’est-ce pas de la même façon qu’au bout de quelques secondes à peine, presque instinctivement, nous nous intéressons à un être parmi une foule d’autres, et avant même de se demander pourquoi, nous lui succombons ? Nous voilà lancés dans une relation toute tracée et pourtant si imprévisible, à la manière dont un train est programmé sur un itinéraire précis sans que quiconque puisse prévoir un éventuel accident de parcours. Tout voyageur est consentant lorsqu’il s’installe dans l’une des voitures du train, exactement comme toute personne s’engageant dans une relation amoureuse donne sa confiance à celui ou celle qui l’y entraîne. Néanmoins, chacun sait qu’un train ne roule pas éternellement.

Je n’ai jamais aimé les voyages en train. Je ne dis pas que je n’approuve pas l’invention du train, non, parce qu’il est vrai que c’est pratique, c’est rapide et écologique. Mais en tant qu’ancienne voyageuse régulière, je ne peux que détester le train. Le manque de confort, le fait d’être enfermée et contrainte de rester assise face à un individu possiblement bruyant ou dérangeant… C’est vraiment exaspérant. Sans oublier que le train sous-entend certes des retrouvailles joyeuses, mais il implique principalement des aux-revoirs larmoyants, voire des adieux déchirants, sur le bord d’un quai au beau milieu d’inconnus curieux. Tout cela à l’air d’un calvaire ? C’était le mien. Aujourd’hui je ne mets plus les pieds dans ces transports en commun depuis un an.

À l’ère du tout numérique, les gens sont devenus impatients. Le train a permis d’en satisfaire plus d’un grâce à des déplacements fluides et rapides sur des trajets de longue distance. Mais c’est Internet qui détient le record des mobilités. Internet est désormais l’outil indispensable par excellence, l’interface sans laquelle plus rien ne se fait sans difficulté, et grâce à laquelle on fait voyager des mots, des documents, des images et même de l’argent. C’est par le biais d’Internet d’ailleurs que j’ai fait l’acquisition de mon premier billet de train. Je dois avouer que j’ai bien profité de ce moyen de communication. En effet, quoiqu’on dise, même si les mentalités évoluent de jour en jour, la discrimination se rencontre à tous les coins de rue. C’est donc plus facile de vivre caché grâce à la toile du net.

En juin, j’ai franchi le pas, je me suis inscrite sur un site de rencontre assez prisé par les jeunes, et qui prône la tolérance. En visitant un grand nombre de profils plus ou moins bien présentés, je n’ai pas trouvé la perle rare. Les discussions en ligne avec un grand nombre d’internaute se résument très souvent à l’échange de banalités ennuyeuses et sans aucun intérêt. Quand cela arrive, c’est sans doute que nous ne partageons aucun point commun. Ou bien la personne que l’on croise vient simplement tuer le temps sur le web. Finalement, après de longues recherches étalées sur plusieurs jours (je sais que dit de cette façon on croirait que je faisais mon shopping, mais je vous assure qu’il se passe bien des choses naturelles via ces machines), c’est mon profil qui a attiré quelqu’un, une certaine Alexandra. Elle a engagé la conversation et sa capacité à me toucher à travers ses mots m’a tout de suite plu. Je crois me rappeler avoir pensé : « enfin quelqu’un d’intéressant qui sait aligner trois phrases fondées ». C’était bien plus que cela. Alexandra n’était pas là pour papoter, je l’ai vite ressenti. Elle cherchait du réconfort au sortir d’une relation douloureusement complexe, bien que courte. De mon côté, je n’étais pas encore tout à fait guérie de ma blessure amoureuse. Toutes deux victimes des rapports humains, nous avions décidé de nous confier au travers d’un ordinateur.

Essayez d’imaginer à quel point il peut être difficile de se montrer tel qu’on est au monde quand ce même monde à l’air de vous considérer tel quelqu’un de trop différent pour être normal. Je ne suis pas particulièrement pour le fait d’exposer ses penchants sexuels à la vue de tous, mais j’aimerai pouvoir être assez sûre de moi pour entamer une conversation personnelle sans avoir à redouter le mépris, le dégoût et le rejet de mon interlocuteur. Pourtant, même aujourd’hui, c’est avec méfiance que j’évoque ma vie privée afin d’éviter tout conflit de point de vue. Rendez-vous bien compte qu’en tant que salariée d’une entreprise, il est difficile de parler de petite-amie dans un climat intégralement hétérosexuel et homophobe. Ne voyez-vous pas à quel point Internet à été une chance pour moi ? Mais c’était sans compter sur le train.

Au bout d’un mois tout juste, Alexandra et moi avons noué des liens assez ambiguës sans jamais s’être physiquement vues. La distance importante qui nous séparait a été le moyen de se découvrir mutuellement par le biais des mots. Nous avons essayé les webcams interposées, l’une en Bretagne, l’autre en Île-de-France, mais il faut avouer que ce n’est pas quelque chose que nous aimions expérimenter. Le fait est, que nous sommes littéralement devenues obsédées l’une part l’autre à tel point qu’on ne rêvait plus que de se voir réellement. C’est ainsi que fonctionne une rencontre via internet. Ça ne ressemble pas au coup de foudre parce que tout est plutôt spirituel. La relation est d’abord régie par l’intellect et on se rassure en se disant que tomber amoureuse d’un esprit ne peut que créer une relation fondée sur une base solide. Internet a peut-être cassé le mythe du flash, fruit du hasard, mais Internet permet aux personnes comme moi de rencontrer quelqu’un sans risquer de se faire juger sur son orientation sexuelle. Ça n’empêche pas que le coup de foudre opère lors de la rencontre des corps ! Cette deuxième rencontre, il s’agissait justement de notre sujet de conversation privilégié durant ce long mois de juillet, et elle sous-entendait un voyage en train et elle ne pouvait se faire sans lui.

Nous n’échangions plus exclusivement sur la messagerie de ce site de rencontre qui n’est finalement qu’une plate-forme intermédiaire, exactement comme un quai de gare d’ailleurs. Après s’être échangé nos numéros de téléphone, nos pseudonymes Facebook, nous ne nous lâchions plus d’une semelle jusque tard le soir. Comme si nous nous connaissions depuis longtemps, Alexandra et moi nourrissions une conversation sans fin et sans limite. Tout cela avait pour but de combler le manque lié à la séparation géographique qui s’imposait à nous. Elle pesait sur nous comme un fardeau. Mais heureusement le train existe. Il est vrai qu’à cette période je bénissais l’existence du train dont le coût était déjà onéreux. En comptant sur ce bon vieux moyen de transport, Alexandra et moi avions convenue d’un rendez-vous au mois d’août. Paris serait le cadre de notre rencontre. J’avais une heure de transport à supporter tandis qu’elle en avait quasiment le triple. Mais à l’époque, nous ne nous soucions guère de ces pauvres heures sans signification comparées à l’attente que nous avions subit jusque là. De plus, la capitale était l’endroit idéal pour passer inaperçues dans la foule de monde qui se déplaçait sans cesse pour des raisons multiples et variées. J’avais imaginé une promenade sur les quais de Seine, une embrassade sur le Champ de Mars, de doux regards complices sous l’Arc de Triomphe, et une longue conversation dans un parc fleuri. Je n’aimais pas beaucoup Paris en temps normal, mais j’étais sûre de l’apprécier ce jour-là.

Dès le début du mois d’août, j’ai senti monter en moi l’excitation pendant que l’impatience jaillissait hors des messages d’Alexandra. Le moment de la rencontre approchant, la pression montait en même temps. Je me rappelle vaguement de quelques disputes idiotes chargées de doutes en suspend. Une charge de stress nous a opposé parfois l’une à l’autre, mais nous étions déterminées à l’idée de concrétiser deux mois de parfaite fusion. Je croyais en l’amour, et en une relation homosexuelle épanouie malgré ce sentiment d’insécurité et de mise à l’écart que cultives les intolérants. Le mariage pour tous ayant tout juste été accordé dans notre pays, nous ne pouvions que nourrir l’espoir d’un monde respectueux. C’est très naïf, je sais. Mais comme l’on dit souvent : « l’espoir faire vivre ». Alexandra était donc la personne à qui je m’accrochais pour qu’ensemble nous accédions au genre de vie dont tout le monde rêve, au bonheur auquel tout le monde a le droit. Nous partagions les mêmes valeurs à propos du couple, de la famille et de nombreux autres concepts de vie. Cela ne nous empêchait pas d’être en désaccord sur certains sujets. Cette ambivalence faisait de notre lien une relation entière, comme si nous nous complétions déjà.

Le jour de la rencontre arriva. Ce fut le 9 août, et nous n’avions rien prévu hormis de se retrouver à la gare Montparnasse, au sud de Paris, dès l’arrivée de son train. Alexandra pris le TGV à Rennes, sans se poser de question. Quand son train s’immobilisa au bord du quai, elle grimpa dans la voiture qu’on lui avait attribué et elle quitta la ville bretonne pour rejoindre une toute jeune connaissance. Ce voyage aventureux révélait à quel point elle était prête à tourner la page et à me voir. Pourtant tout ce qu’on nous dit sans arrêt à propos des sites internet et des forums est bien vrai. Oui, il existe réellement des tas de gens perturbés se faisant passer pour quelqu’un qu’ils ne sont pas et qui vous entraînent dangereusement dans leurs filets sans issue. Malgré cela, Alexandra avait confiance en moi, et j’avais tout autant confiance en elle. Nous avions totalement confiance en ce train lancé à pleine vitesse qui est réputé comme étant le moyen de transport le plus sûr.

Une fois embarquée dans cet espèce d’ascenseur horizontal géant, Alexandra me tenait au courant de tout son périple. D’après ses dires, le voyage était plutôt calme si l’on excluait le bruit crispant que faisait le micro du commandant de bord dès qu’il prenait la parole : « Bonjour mesdames et messieurs. Nous vous informons qu’il y a un bar situé en voiture quatre au milieu de la rame. Nous y servons des boissons chaudes, des boissons fraîches, des plats à emporter, des sandwichs et des confiseries. Sachez que vous pouvez également vous procurer des tickets de métro en rame afin d’éviter toute attente en gare de Paris Montparnasse. Toute l’équipe et moi-même vous souhaitons un bon voyage. » Tout le monde sait que les bars de la SNCF vendent des produits hors de prix et d’ailleurs je n’y ai jamais rien acheté. De mon côté, l’impatience bouillonnait dans mon corps à la manière d’un volcan sur le point d’exploser. Je peaufinais les détails jusque dans ma coiffure et dans mes vêtements. Le moment venu je partais pour prendre à mon tour le train régional. C’est un train agréable mais bien trop lent et inconfortable. J’avais néanmoins bien d’autres choses en tête que la piètre qualité des sièges.

À mon arrivée à Paris, je me rendais compte qu’Alexandra ne me répondait plus depuis déjà une bonne vingtaine de minutes. Je me persuadais qu’elle s’était endormie, même si j’aurai préféré qu’elle me rassure. Une légère boule au ventre, j’empruntais une autre sorte de train, une rame souterraine dans le métro. La puanteur et l’ambiance caverneuse de ces sous-sols parisiens n’ont rien d’attrayant mais il me fallait utiliser ce serpent géant pour retrouver Alexandra qui arriverait dans une demi-heure. Sous la terre, presque aucun téléphone portable ne fonctionne à cause de la couche épaisse bloquant les ondes des capteurs. Durant une autre série de vingt minutes, je dû me passer de cet objet électronique et m’en remettre à ma seule conscience. Ce dernier train était censé m’emmener au paradis, alors j’avais cessé de critiquer son manque de salubrité. J’eus cette troublante impression que mon coeur battait hors de ma poitrine, et ces booms qui tambourinaient dans mon buste me semblaient être très bruyants à tel point que je sentais les regards inquiets et curieux des autres passagers rivés sur moi.

Lorsque ce fut mon tour de sortir par les portes automatiques, je me précipitais pour regagner la lumière naturelle du soleil. Je marchais au moins cinq autres minutes avant de pouvoir atteindre la surface. Le panneau d’affichage géant fut le premier écran que mes yeux trouvèrent. Là, je cherchais à savoir si le TGV de Rennes était arrivé à Paris et si oui, sur quel quai. Cependant, j’eus beau lire, je ne trouvais pas cette information, comme si ce train n’avait pas existé. Je cru que mes yeux me jouaient des tours, incommodés par le stress grandissant. Je repris possession immédiatement de mon mobile pour guetter le moindre signe d’Alexandra, mais toujours rien ne s’affichait sur ce petit appareil.

Ce jour là je suis rentrée chez moi en larme après avoir fait le tour de la gare à la recherche de ma promise. Elle ne s’était pas montrée, et ma douleur m’avait rendue incapable de parler à qui que ce soit pour demander des explications. Je n’ai jamais vu Alexandra et je ne la verrai jamais car un imprévu m’en a privé. Avant même de la voir, le train m’avait volé un au-revoir tourmenté. J’étais tombée amoureuse de cette femme aussi vite qu’elle était montée dans ce TGV, et une heure trente plus tard elle a succombé à un accident mortel. Le chemin de fer, soumis à de trop fortes chaleurs en ce mois bouillonnant, avait cédé sous le poids du train qui a déraillé à une rapidité fatale.

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