LETTRE XXI
27 janvier 1873, Bath
A Rachel Cunningham
Ma chère cousine,
Je profite de votre arrêt momentané à Birmingham pour t’écrire quelques mots. J’ai bien reçu toutes vos lettres, que j’ai lues avec attention. Effrayée par le ton de vos dernières missives, je me suis permis de les montrer à Papa. Je ne l’avais jamais vu arborer une mine aussi grave. Je ne souhaite pas vous alarmer, mais voici ce qu’il m’en a dit. Je préfère vous prévenir plutôt que de vous voir accablées d’un sort funeste.
Vous savez toutes les trois que Papa possède de nombreuses compagnies dans le nord du pays. Il échange une correspondance régulière avec les responsables de ses sites pour s’assurer de leur bon fonctionnement et de leur stabilité financière. L’une d’elle se situe à Callerton, non loin de Wallbottle, un petit village de campagne qui a été secoué par une récente tragédie.
D’après ce que Papa m’a dit – et donc ce que son associé lui a raconté –, il semblerait qu’un petit garçon y soit décédé des suites d’une fièvre gastrique au début du mois. Rien de bien exceptionnel me diras-tu, mais le nom de Charles Edward Cotton a attiré son attention. Il n’est pas certain qu’il s’agisse exactement de la même personne, mais il affirme qu’il y a de fortes chances. La belle-mère a été accusée d’empoisonnement, autant sur ce pauvre garçon que son défunt mari, par plusieurs habitants et notamment un médecin qui s’y connaissait en la matière. Seulement, elle s’est enfuie avant d’avoir pu être appréhendée par la police ! Je tremble de savoir qu’il s’agit peut-être de cette femme qui voyage avec vous depuis presque le début, au sein même de votre compartiment !
Papa était si inquiet qu’il a décidé de contacter Scotland Yard. Je ne sais en combien de temps sa missive atteindra Londres, mais sache que je prierais pour vous chaque soir. En attendant, je vous en supplie, ne faites rien de stupide. Et cachez cette lettre, il serait plus que regrettable qu’elle tombe entre de mauvaises mains.
En espérant pouvoir bientôt vous serrer dans mes bras,
Abigail
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LETTRE XXII
28 janvier 1873, à bord du train
A Anna Cunningham
Traduction d’une lettre codée
Anna,
As-tu bien détruite la lettre d’Abigail après l’avoir lue ? Je ne sais où elle se trouve et je n’arrive pas à la retrouver. Mrs Cotton porte sur moi des regards de plus en plus suspicieux. J’ai si peur à l’idée de dormir à côté d’une meurtrière, et plus encore si elle sait toute la vérité qu’on nous a apprise sur elle ! Je t’en supplie, dis-moi que tu as déchiré la lettre.
Rachel
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LETTRE XXIII
28 janvier 1873, à bord du train
A Rachel Cunningham
Traduction d’une lettre codée
Rachel,
J’ai caché la lettre d’Abigail dans mon « Guide de la parfaite demoiselle » alors que je venais tout juste de finir de la lire. C’est tout simplement affreux ! Je voulais la transmettre à Megan avant d’en faire quoi que ce soit, mais elle avait disparu lorsque j’ai voulu la reprendre. Je prie de toutes mes forces pour que Miss Murray soit tombée dessus. J’hésite toutefois à lui en parler. Elle se mettrait dans un état impossible. Mais ne tombons pas dans la paranoïa. Je l’ai peut-être simplement égarée. Et si Scotland Yard a été prévenue, nous serons bientôt tranquillisées.
Anna
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LETTRE XXIV
29 janvier 1873, à bord du train
A Rachel Cunningham
Traduction d’une lettre codée
Rachel,
Je sais que toi et Abigail souhaitiez que nous fassions profil bas, mais j’avais désespérément besoin d’en avoir le cœur net. Il m’est impossible de dormir aux côtés de cette femme paisiblement alors qu’elle pourrait tout aussi bien décider de nous éradiquer avec autant de facilité que sa défunte famille.
J’ai donc fouillé son sac aujourd’hui, alors qu’elle avait quitté notre compartiment avec Miss Murray pour se dégourdir les jambes. J’y ai trouvé des missives de son amie Scarlett qu’elle rejoint à Bath. Je ne sais si cette femme est ignorante ou stupide, mais elle semble croire chacun des mots de Mrs Cotton, qui se proclame victime de toute cette affaire d’après ce que j’ai pu lire.
Je pense que nous devrions écrire à cette femme pour lui dévoiler la vérité. Je ne supporte pas d’attendre sans rien faire. Nous ne savons même pas si Scotland Yard nous prendra au sérieux.
Megan
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LETTRE XXV
30 janvier 1873, à bord du train
A Megan Cunningham
Traduction d’une lettre codée
Megan,
Je t’en supplie, ne fais rien de stupide ! Il était déjà suffisamment inconscient et dangereux de fouiller le sac d’une femme que nous pensons capable d’horribles crimes, il ne sert à rien de rajouter une cible sur notre dos. Si Mrs Cotton est capable d’empoisonner son mari et son beau-fils, que crois-tu qu’elle fera de nous si elle sait que nous la soupçonnons ? Que nous l’avons dénoncé ? Peut-être le sait-elle-même déjà si elle a intercepté la lettre d’Abigail.
Ecrire ceci me donne d’insupportables frissons. Je ne supporte pas d’être enfermée ici. Ce train commence à me donner la nausée. Je me sens emprisonnée, enfermée, sans porte de sortie, et je suis à deux doigts du malaise lorsque je suis dans la même pièce que cette femme. Je t’en supplie, n’alimente pas ses soupçons envers nous. Cela ne pourrait que nous porter préjudice.
Rachel
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LETTRE XXVI
1er février 1873, à bord du train
A Megan Cunningham
Traduction d’une lettre codée
Megan,
Rachel m’a fait part de ses craintes concernant Mrs Cotton. Ses terreurs nocturnes deviennent de plus en plus fréquentes et évidentes. Notre compagne de voyage ne va certainement pas être dupe très longtemps. Moi-même je ne vois que les regards terrifiés que Rachel lui lance. La pauvre se monte la tête d’une manière dangereuse. Miss Murray m’a demandé hier ce qui clochait et j’ai eu de la peine à lui mentir. Je pense que la pauvre femme dort aussi peu que nous, comme si elle aussi avait peur d’un coup de poignard dans le dos en plein milieu de la nuit.
Quoiqu’il en soit, Rachel m’avait parlé de tes intentions d’investiguer Mrs Cotton de plus près. Je pense que c’est une bonne décision. Je ne supporte plus de rester enfermée à ne rien faire, à penser aux possibles actions de cette femme sans que je n’agisse moi-même pour l’en empêcher. Peut-être que si nous trouvons des preuves, nous pourrons les présenter formellement à Scotland Yard lorsqu’ils seront face à nous.
Comment souhaites-tu procéder ?
Anna
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LETTRE XXVII
2 février 1873, Worcester
A Mr Douglas Cunningham
Mr. Cunningham,
C’est avec une peine et une douleur immenses que je prends la plume aujourd’hui pour vous annoncer une bien triste nouvelle. Je ne sais comment atténuer un choc qui fera l’effet d’un tremblement de terre. Notre bien-aimée Rachel, votre adorable aînée, si jeune, si fraîche, si innocente, a été retrouvée morte ce matin dans sa couchette. La cause du décès n’a pu encore être déterminée, mais elle semble s’être éteinte paisiblement dans son sommeil, sans souffrance aucune.
Nous faisons présentement halte à Worcester, où un médecin légiste examine le corps. Il devrait statuer d’ici quelques jours. Dites-moi si vous préférez venir ici-même vous occuper de la défunte ou si elle doit vous être envoyée à Edimbourg, je prendrais les dispositions nécessaires.
Vos filles étant sous ma responsabilité lors de ce pénible voyage, je comprendrais tout à fait que vous préféreriez me licencier. J’ai failli à mon devoir et jamais je ne me relèverais d’une telle honte.
Je vous présente mes plus sincères condoléances.
Miss Murray