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Notes d'auteur :

Et on remonte dans le temps, au tout début des évènements de cette histoire ! Cette fois-ci, les choses seront décrites du point de vue des soeurs Cunningham. En espérant que ça vous plaise ! :)

LETTRE XVI

10 janvier 1873, Edimbourg

A Abigail Quincy

Ma chère Abi,

Je ne puis te dire à quel point je suis heureuse à la perspective de te voir dans quelques jours seulement ! J’ai l’impression que nous ne nous sommes pas vues depuis une éternité. Je dois dire que l’hiver est bien morne ici, il ne se passe rien. L’ensemble de notre entourage et de la société bourgeoise s’est exilée dans le Sud de l’Angleterre et notre vie n’a jamais été aussi triste.

Je ne remercierais jamais assez tes parents pour avoir tant insisté auprès des miens pour nous faire venir avec vous à Bath ! Je n’ai qu’une hâte, c’est de te rejoindre et de pouvoir parler avec toi de ces mille et un détails que j’ai manqué. Plus que quelques jours et nous pourrons enfin prendre notre thé ensemble !

J’ai tant de choses à te raconter. La première et pas des moindres : j’ai récemment reçu non pas une mais deux propositions de mariage ! Ma mère en était folle de joie. Elle me voit mariée avant mes vingt ans. Je suis de mon côté plus sceptique, encore faudrait-il que je fasse un choix entre mes deux prétendants, et cela s’annonce difficile. Mais nous en discuterons plus en détail lors de mon arrivée !

Anna et Megan sont elles aussi très heureuses à l’idée de te revoir. Elles se joignent à moi pour t’embrasser et te dire à bientôt. Le train part dans quelques jours, nous serons à tes côtés bien vite, en compagnie de Miss Murray, notre nouvelle gouvernante. En attendant, prend bien soin de toi,

Ta cousine préférée,

Rachel

***

LETTRE XVII

14 janvier 1873, Durham

A Abigail Quincy

Ma chère cousine,

C’est à mon tour de prendre la plume pour te donner de nos nouvelles. Rachel dit que cela ne pourra que m’exercer à écrire comme une femme du monde. Je pense surtout qu’elle souhaite me distraire de mon ennui et s’occuper elle-même de Megan – son esprit libre enfermé plusieurs jours dans un train sombre et bruyant va finir par imploser et mener à une catastrophe.

Nous voilà arrêtées à Durham pour quelques jours à cause des tempêtes de neige qui sévissent dans la région. L’auberge est d’une telle vétusté que Miss Murray ne quitte plus sa grimace de dégoût. Cela semble amuser Megan, tu t’en doutes.

Venons-en maintenant au fait et au pourquoi de cette lettre. J’écris présentement dans le secret de notre chambre, un des rares endroits où nous pouvons être seules à présent. Car nous avons, depuis notre arrivée, une voyageuse qui s’est collée à nous plus férocement que la crasse sous nos semelles. Elle se nomme Mrs Mary Ann Cotton, et je n’ai jamais rencontré quelqu’un de plus insupportable !

Je sais bien qu’il n’est pas correct de parler ainsi et je te vois déjà t’offusquer, assise à ta coiffeuse, les sourcils froncés par la désapprobation. Mais je t’assure que cette Mrs Cotton est tout bonnement invivable. Elle s’est assise à notre table du dîner de la veille avec un sans-gêne rarement observé jusqu’ici, et depuis elle n’est que plaintes bruyantes à propos de sa triste vie. Certes, son mari et ses enfants sont décédés, mais a-t-elle besoin d’en faire autant à chaque fois qu’elle ouvre la bouche ? C’en devient obscène.

Ne t’embête pas à me réprimander par lettre, Rachel t’a déjà devancé. Mais sache que supporter cette Mrs Cotton est une torture du quotidien, et malgré sa politesse je sens qu’il en est de même pour Miss Murray. Heureusement, notre arrêt à Durham ne devrait pas durer plus de quelques jours, j’espère être vite débarrassée de cette importune.

A la réflexion, cette lettre n’est certainement pas celle d’une femme du monde.

Bien à toi,

Anna

***

LETTRE XVIII

20 janvier 1873, Leeds

A Abigail Quincy

Ma chère Abigail,

Il paraîtrait que je sois dissipée aujourd’hui, Miss Murray m’a donc sommée de te donner de nos nouvelles. Nous continuons doucement notre périple vers Bath et sommes de nouveau contraintes de nous arrêter à Leeds.

Nous sommes toutes assises dans la salle commune de l’auberge, Anna lit, Rachel boit son thé et moi je suis condamnée à écrire. Tu sais combien je déteste prendre la plume, j’espère donc que tu me pardonneras d’être plus directe que mes sœurs.

J’ai lu la dernière lettre d’Anna avant qu’elle ne te l’envoie et je suis au regret de te dire que ses prédictions ne se sont pas réalisées ! Mrs Cotton est toujours avec nous. Elle s’est installée dans notre compartiment, comme un chien errant qui ne comprend pas qu’on le roue de coups de pieds. Et durant ces derniers jours de voyage, elle n’a cessé de se lamenter avec force pleurnichements sur les malheurs qui parsèment sa vie. Je n’ai pu m’empêcher de « faire mon impertinente » pour la faire taire, comme le dit Rachel. Voilà pourquoi Miss Murray m’a fortement incitée à te rédiger une lettre.

Il n’empêche que malgré les dires de mes sœurs ou de notre gouvernante, je vois bien que nous sommes toutes quatre mal à l’aise face à la présence de cette femme. Mais la bienséance nous interdit de lui dire quoi que ce soit. Elle semble peiner à comprendre même les sous-entendus les moins subtils sur notre désir de rester entre nous pour ce voyage.

Et je dois dire que je suis de mon côté plutôt sceptique. Quelle femme voyage seule de nos jours ? Si son mari est décédé, pourquoi quitter aussi précipitamment son village ? Et d’après ses dires, son mari et ses fils ont été atteints de la même maladie, pourquoi n’a-t-elle pas été touchée ? Elle nous affirme avoir besoin de soutien et rejoindre une amie, mais je peine à croire qu’une telle roturière possède l’amitié d’une femme distinguée de Bath.

Je suis sûre que tu n’attends que notre arrivée pour nous réprimander sur notre conduite envers cette pauvre Mrs Cotton ! Tu comprendras certainement en la voyant.

A bientôt, chère cousine,

Megan

***

LETTRE XIX

23 janvier 1873, Sheffield

A Abigail Quincy

Ma chère Abi,

C’est à mon tour de reprendre la plume. Nous voilà à Sheffield pour la nuit, bloquées de nouveau par le verglas qui gèle sur les voies ferrées. Je ne vais pas mentir, je commence à trouver le temps long. Je sais qu’une dame – et qui plus est bientôt mariée ! – ne devrait pas manifester d’impatience, mais il me tarde de te retrouver.

Je ne sais pas si cela est dû au voyage qui s’éternise ou aux conditions météorologiques déplorables, mais l’ambiance se détériore au sein de notre compartiment. Moi qui ai toujours connue Miss Murray douce et agréable avec nous, je la sens très tendue ces derniers temps. Elle s’est emporté l’autre jour contre Anna lorsqu’elle l’a surprise avec un roman libertin. J’ai moi-même réprimandé ma sœur, mais tu sais aussi bien que moi que pour avoir lu « Les Liaisons dangereuses », ce livre ne nécessitait pas un tel emportement de la part de notre gouvernante.

Je pense que la raison pour laquelle Miss Murray est si à cran réside en deux mots : Mrs Cotton. Mes sœurs m’ont dit t’en avoir parlé. Moi qui refusais d’aborder le sujet avec elles ces derniers jours, je dois me rendre à l’évidence. Cette femme est étrange. Toxique. Elle me met mal à l’aise. Elle a une façon de nous regarder, de s’exprimer, de se conduire, qui me serre le ventre de peur. Je me sens ridicule à écrire ces mots, paranoïaque même, mais je ne saurais mieux exprimer le dégoût et la crainte qu’elle m’inspire. Anna partage mon sentiment. Quant à Megan, elle la déteste purement et simplement, avec sa passion d’adolescente.

Je prie pour que ce voyage ne s’éternise pas plus qu’il ne le faudrait. Il y a quelque chose chez Mrs Cotton qui me dérange, et plus loin elle sera de moi, mieux je me porterais.

Ne me juge pas trop sévèrement sur ces mots, je pourrais sûrement mieux t’expliquer mon ressenti lorsque nous nous verrons en face-à-face.

Avec toute mon amitié,

Rachel

***

LETTRE XX

25 janvier 1873, Birmingham

A Abigail Quincy

Ma chère cousine,

Un problème technique nous a contraints à nous arrêter à Birmingham pour quelques jours. Megan affirme avec humour que ce voyage semble maudit. Cela fait bien moins rire Rachel et Miss Murray, qui s’assombrissent de jour en jour. Je pense que la présence lugubre de Mrs Cotton n’y est pas étrangère.

Nous avons discuté de son cas entre nous, alors qu’elle était occupée à se lamenter auprès de notre gouvernante. Et nous sommes toutes trois d’accord. Il est évident que cette femme est chargée d’un lourd secret. Le genre de secret peu reluisant, ceux qui hérissent les poils des bras lorsqu’on les entend. Le mystère qui l’entoure donne envie de prendre ses jambes à son cou et chacune de nous craint de ce qu’elle pourrait faire. Elle a parfois des regards qui nous donnent froid dans le dos. Comme si elle savait tout le mal qu’on peut penser d’elle.

Plus tôt dans la journée, Megan a laissé échapper devant elle un détail dont nous avions discuté. Nous pensons que peut-être, la mort de son beau-fils Charles Edward dont elle ne cesse de nous rabattre les oreilles n’est pas entièrement naturelle contrairement à ce qu’elle s’évertue à dire. Une fois que l’idée a germé, difficile de nous la chasser de la tête. Et Megan, tête brûlée comme elle l’est, a sous-entendu devant Mrs Cotton ce que nous pensions tout bas : qu’elle est elle-même responsable du décès de ce pauvre garçon.

Je te laisse imaginer la réaction de la concernée. Je la trouve très mauvaise actrice. Elle a fait mine de s’évanouir, puis s’est insurgée du mieux qu’elle a pu, des larmes de crocodile dans les yeux. Miss Murray a réprimandé Megan, mais il est évident que cette idée lui a aussi traversé l’esprit. La possibilité, même infime, de voyager avec une meurtrière nous glace toutes d’effroi. Nous ne savons que faire, que dire, comment agir. Comme si au moindre faux pas, nous serons ses prochaines victimes.

Nous sommes peut-être bien trop paranoïaques, ce long voyage nous rend peut-être folles. Mais par précaution, nous n’échangerons plus entre nous que des messages codés. L’idée m’est venue l’autre jour, en lisant ce livre de Laclos pour lequel Miss Murray s’est emporté. Rachel l’a perfectionnée en mettant au point un système infaillible. Sans ce livre, impossible de savoir de quoi nous parlons. Nous nous sentons de ce fait plus à l’abri.

Tu peux te douter que nous attendons l’arrivée à Bath avec grande impatience. Nous avons hâte de laisser cette sombre femme et son horrible histoire derrière nous. Peut-être qu’avec un peu de chance, tout ceci n’est dû qu’à notre imagination et notre long voyage. Au moins cela constituera-t-il un souvenir amusant à se remémorer au coin du feu !

Bien à toi,

 

Anna

Note de fin de chapitre:

Alors, qu'avez-vous pensé de cette première approche des soeurs Cunningham ? Déforment-elles la réalité ou sont-elles dans le vrai ? Vous aurez des éléments de réponse dès le prochain chapitre ! ;)

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