LETTRE I
2 janvier 1873, Walbottle
A Scarlett O’Neill
Ma très chère amie,
Je suis navrée de devoir t’écrire en de telles circonstances. Je suis décidément une femme maudite par la vie. Tu es la mieux placée pour savoir que j’étais plongée dans un profond désespoir suite à la mort de Frederick. Ses enfants étaient les seules étincelles de vie qui me retenaient en ce bas monde. J’ai dû subir coup sur coup ces derniers mois les douloureuses pertes des deux aînés. Et à présent, Charles Edward s’est lui aussi éteint hier soir d’une fièvre gastrique.
Je ne sais plus que faire, mon amie. Je souffre et je ne sais pas si je serais capable de continuer. Me voilà veuve pour la quatrième fois et entièrement seule au monde. J’aimerais tant que tu sois présente à mes côtés, que tu me prennes dans tes bras et me murmure des mots de réconfort comme toi seule sait si bien le faire. Lorsque je ferme les yeux, j’arrive à imaginer la douceur de tes longs cheveux bruns fleurant bon la lavande contre mon visage.
Mais ce n’est qu’une illusion, douloureuse car irréalisable. Si seulement j’avais assez d’argent pour te rejoindre … Sache que si je pouvais m’offrir un aller simple, je serais déjà dans le train à l’heure qu’il est.
J’espère que mon malheur ne viendra pas entacher ton séjour à Bath. Je ne veux pas que tu t’apitoies sur mon sort. Dans ta prochaine lettre, ne me plains pas. Raconte-moi plutôt toutes ces fantastiques choses que tu as la chance de vivre !
Mes amitiés à ton mari et tes enfants,
Mary Ann
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LETTRE II
4 janvier 1873, Bath
A Mary Ann Cotton
Ma chère Mary,
Tu me voies désolée d’apprendre une telle nouvelle ! Charles Edward était un enfant adorable et charmant, sa perte m’attriste à un point que tu ne saurais concevoir. Je me sens particulièrement impuissante en pensant à tous ces kilomètres qui nous séparent. J’aurais voulu être près de toi pour te soutenir. L’idée de te savoir seule dans cette petite ville minière triste et déprimante me rend folle.
Malheureusement, Rhett refuse de me laisser partir seule. Il dit que cela n’est pas convenable pour une femme de voyager en solitaire, et je ne peux pas lui donner tort. Je puis encore moins les embarquer, les enfants et lui, jusqu’au nord de l’Angleterre. La santé de Richard est toujours instable, et le docteur affirme qu’il serait mauvais pour ses poumons de revenir à un climat trop humide. Si la vie calme de Bath a fait des merveilles, il suffirait d’un seul jour à Wallbottle pour le voir replonger.
J’ai néanmoins une bonne nouvelle pour toi. En voyant mon évident désespoir, Rhett a généreusement offert de te payer un billet de train pour que tu viennes jusqu’à nous. Ne sois pas embarrassée, tu sais que tu fais partie de la famille.
En espérant recevoir une réponse positive et te serrer bientôt dans mes bras,
Avec tout mon amour et mon soutien,
Scarlett
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LETTRE III
10 janvier 1873, Wallbottle
A Scarlett O’Neill
Ma chère amie,
Je suis navrée de te répondre aussi tardivement. Sache que tes mots m’ont redonné force et confiance et que j’ai pu aborder les derniers jours avec plus de paix et de sérénité. La maison me semble vide sans Frederick et ses enfants, mais tes lettres sont une véritable source de réconfort.
Je dois t’avouer qu’il a été difficile d’organiser l’enterrement de Charles Edward. J’ai à peine mis les pieds au cabinet d’assurance pour récupérer l’argent pour planifier ses obsèques que d’immondes rumeurs couraient sur mon compte ! Te souviens-tu de Thomas Riley ? Il m’a fait des avances avant que je ne rencontre Frederick, et il a toujours mal supporté d’être rejeté. Ce goujat a maintenant trouvé un parfait moyen de se venger !
Il crie haut et fort que je suis responsable de la mort de ce pauvre Charles Edward. Oui, tu as bien lu, tu te rends compte ? Être ainsi calomniée m’est insupportable. Peu de gens semblent prêter crédit à ses affirmations, mais j’ai l’impression que cela n’est qu’une question de temps. Tu sais comment sont les gens, ce sont tous des moutons, et il suffit que la graine de la suspicion soit plantée pour qu’elle se développe.
Je sens déjà des regards hostiles lorsque je vais faire mes courses sur la place du marché. Je me dis parfois que ce n’est que mon imagination. Ou en tout cas, c’est ce que je me disais jusqu’à ce que le boulanger refuse de me servir mon pain ce matin. Et la laitière m’a ensuite demandé froidement de sortir, avec un regard dégoûté sur mes habits de deuil.
Je dois avouer que je suis totalement démunie. Je suis outrée et choquée d’être accusée de la sorte, que des doutes naissent de telles affabulations et que je ne puisse me défendre sans passer pour la coupable. Ceci m’est d’autant plus douloureux que je viens de perdre tout ce que j’avais. J’ai en tout cas réalisé ce soir qu’il m’est impossible de vivre ici plus longtemps. Si je reste, je deviendrais folle et risque de m’accuser moi-même d’un crime que je n’ai pas commis, rien que pour faire taire les chuchotis sur mon passage. Je veux fuir ces regards accusateurs qui ne font qu’empirer mon sentiment de désespoir.
C’est pourquoi j’accepte avec joie et beaucoup de gratitude la proposition de ton mari. Vous rejoindre à Bath est une pensée qui m’emplit de joie et de sérénité, et j’ai bien l’impression qu’il s’agit pour moi de la seule alternative possible.
Je suis transportée de bonheur à la simple idée de savoir que je pourrais dans quelques jours te serrer dans mes bras.
Avec toute mon amitié,
Mary Ann
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LETTRE IV
11 janvier 1873, Bath
A Mary Ann Cotton
Mary Ann,
Tu ne peux savoir à quel point je suis choquée de lire ces mots. Qu’on puisse te penser coupable d’une telle atrocité me laisse sans voix. Et quelle ignominie de la part de ce Mr Riley ! Je ne pensais pas qu’il existait des personnes aussi viles.
Quoiqu’il en soit, je ne m’attarde pas. Je me contente d’un rapide mot, en me disant que dans quelques jours nous pourront parler de tout cela de vive voix. Je joins à ce courrier les vingt livres nécessaires à ton billet de train.
Rhett et les enfants se joignent à moi pour te souhaiter bon courage.
Sois forte mon amie. A bientôt,
Scarlett
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LETTRE V
13 janvier 1873, Wallbottle
A Scarlett O’Neill
Ma chère Scarlett,
Je ne saurais te dire à quel point je vous suis reconnaissante, à toi et à ton mari, pour votre générosité. Je t’écris ce mot depuis la gare de Wallbottle. J’ai acheté mon billet et j’attends le départ du train. Mon arrivée devrait suivre celle de cette lettre de quelques jours. Et je sens qu’il est temps pour moi de partir. L’hostilité qui m’entoure me rend particulièrement mal à l’aise.
Je quitte Wallbottle sans regrets. Plus rien ne me retient ici si ce n’est mes souvenirs. Des souvenirs qui me font mal à présent. Je ne puis penser à Frederick ou Charles Edward sans un horrible pincement au cœur. Partir apaisera sans aucun doute en partie mes souffrances.
Le train est là, je dois gagner mon compartiment. Enfin, dans quelques jours, je pourrais trouver le doux réconfort de ton sourire.
A très bientôt, et merci encore,
Mary Ann