Si la vie était un discours, celui d'Ellen prônerait avant tout l'égalité pour tous ! Dans son idéalisme profond, elle noie ses idées noires dans les fictions littéraires et cinématographiques, parce que ce qu'elle idéalise ne se réalise que dans ses rêves optimistes. Elle comble son désespoir par l'imaginaire qui lui rend bien service. Les histoires lui permettent de continuer à y croire. Mais depuis qu'elle a ouvert les yeux sur le monde, elle ne parvient plus à les fermer la nuit. Alors elle invente des fictions extraordinaires dans lesquelles le bien finit toujours vainqueur et établit à perpétuité une paix sans lacune. Bien que le retour à la réalité soit à chaque fois un coup de poignard dans son coeur pur, elle continue de se nicher dans ce monde irréel.
En ce soir de septembre, alors que tous les facteurs sources de malheur sont réunis, Ellen se couche dans son lit glacial en sachant pertinemment qu'à trop penser elle ne parviendra pas à dormir. La fatalité s'acharne sans arrêt sur les plus déterminés. Les yeux rivés sur le plafond à peine perceptible de sa chambre, son esprit commençait déjà à divaguer. Assez rapidement, elle voguait vers des eaux bien plus lucides et claires. Sortir de la nuit noire était la première étape de l'imagination. La lumière blanche au bout du tunnel n'était plus la mort dans ce cas là, mais bien la renaissance. Chaque nuit, Ellen quittait la caverne pour redécouvrir ce qu'on lui a toujours refusé.
Dans ce nouveau monde, il n'existe qu'un et unique peuple. Il est immense et dispersé sur toute la planète. Les gens vivent en communauté, et en harmonie. Rien que ça, c'est déjà un remède à la discrimination raciale, ethnique ou culturelle parce que ces gens viennent tous du même endroit et ne connaissent pas le mot « étranger ». A cette idée, Ellen sourit. Être un étranger c'est ne pas se sentir à sa place, être parfois rejeté par ceux qui se disent différents ou supérieurs. Mais dans ce monde imaginaire, il n'y a pas de place pour le malaise.
Plus la jeune femme avance, les pieds nus dans le sable quasiment blanc, plus le décor ressemble à un tableau de Thomas Cole. Le soleil se reflète sur chaque objet que ses rayons heurtent, notamment Ellen elle-même qui traverse son pays artificiel. Elle pouvait même ressentir cette chaleur douce mais intense qu'on ne pourrait connaître qu'au paradis. Ce qui la fait autant
sourire cependant, c'est de savoir que l'argent, ici, n'existe pas. Encore un vaccin contre les conflits guerriers, les querelles d'intérêt, la cupidité. Chaque homme a le droit de posséder ce qu'il veut dans la limite de la liberté d'autrui. Tous sont égaux entre eux et le respectent sans se poser de question. Les gens sont heureux, tous sans exception et là est la plus grosse différence entre le réel du monde et le souhait d'Ellen. Le contraste entre la nuit noire qui règne dans sa chambre et la clarté de son rêve rend bien compte de l'impossible réalisation des voeux d'Ellen. Elle sait pertinemment ce que lui diraient les
gens si elle en parlait ouvertement le jour : « Mais dans quel monde tu vis ? Tu crois que c'est en rêvassant que tu vas pouvoir tout changer ? Ma pauvre fille... ». C'est pourquoi elle n'en parlait jamais, hormis à son seul confident, Horus. L'adolescente qu'elle était quinze ans auparavant avait nommé son journal Horus en référence à un mythe égyptien qu'elle avait rencontré dans ses lectures. Il s'agirait pour certain d'un Dieu qui représente le silence, et ainsi le fait de garder des secrets. C'est tout ce dont elle avait justement besoin, même encore aujourd'hui.
Son environnement professionnel lui rappelait chaque seconde la misère du monde. Être banquière c'est profiter de la difficulté que les autres ont à vivre. Combien de fois lui était-il arrivé de refuser un prêt à des familles dans le besoin. Certes elles ne payaient plus leurs factures, ou leurs dettes. Cela n'empêche qu'Ellen agissait dans son intérêt, pour ne pas donner une mauvaise image à sa directrice ou pour éviter de se faire renvoyer. Tandis que sa supérieure hiérarchique,
Katherine, se fichait bien de la morale. Sa spécialité c'était de jouer avec la position de ses employés. Elle usait de la menace pour obtenir de meilleurs résultats. D'ailleurs, elle ne cachait nullement son comportement odieux puisque chacun de ses collègues se chuchotaient sa réputation de tyran au sein même de son établissement. Lorsqu'elle approchait du bureau étincelant et bien rangé d'Ellen, deux scenario pouvaient se produire. Soit Katherine s'apprêtait à
la féliciter et à l'inviter chez elle pour un repas des plus hypocrites qui ne consistait qu'à afficher sa propre richesse. Dans ce cas, ni elle, ni personne d'ailleurs, ne pouvait le lui refuser au risque de
perdre son poste. Mais un tel dîner, face à une femme aussi déstabilisante et à son mari si inintéressant, était un véritable supplice pour l'esprit. Soit Katherine allait froncer les sourcils et croiser les bras, et alors l'heure qui suivrait s'annonçait forcément insupportable. Les remontrances de cette puissante femme touchaient votre intime dignité jusqu'à vous faire détourner les yeux, d'après ce qu'Arthur, un collègue, avait raconté à Ellen. Tout ce monde de
finance sentait le faux à plein nez. On comprend aisément qu'Ellen ait besoin de se réfugier dans la fiction. Et dire qu'à 32 ans elle traînait encore sa solitude dans cette utopie qu'elle avait créée de toute pièces...
Vendredi 13 septembre. Voilà ce qu'Ellen lisait sur son radio réveil. Contrairement à l'heure qui aurait été le plus important pour n'importe qui, c'est la date qui sautait aux yeux de cette femme. Pour aujourd'hui, un de ces rendez-vous stressant était programmé et ce depuis une bonne semaine. Une semaine qu'Ellen avait trouvé longue et difficile à supporter. Ses ongles en avaient d'ailleurs payé le prix. Mais ce qui l'avait autant tracassé c'était ce treizième jour du mois, nombre maudit selon elle et tous ceux qu'on appelait les superstitieux. Pas de chance qui tienne, tous les
vendredi 13 de sa vie l'avaient marqué au fer rouge. Chaque cicatrice, qu'elles soient visibles ou non, physiques ou non, renvoyait à ces catastrophes qu'elle jugeait coupables d'avoir littéralement ruiné certaines journées de sa vie. Pourquoi ce jour ferait-il exception ? Il n'y avait aucune raison pour que tout ce passe comme prévu. Ellen avait tenté de faire déplacer ce fameux rendez-vous, c'est vrai, elle y avait mis du coeur, mais visiblement les circonstances demeuraient contre elle.
Cette fichue fatalité en avait toujours après elle sans qu'elle ne l'ait jamais mérité. C'est la mine sombre qu'Ellen daignait sortir de son lit pour ouvrir le volet roulant de sa chambre. A peine la lumière atteignait ses pupilles qu'elle en plissait les yeux de douleur. Cette clarté aveuglante lui rappelait son rêve et lui décrocha un sourire. Dans ce rêve, Ellen avait enfin pu mettre un nom sur la personne qui avait fait chavirer son coeur sur un coup de foudre. Évidemment, son réveil est intervenu au moment ou la conversation s'apprêtait réellement à commencer mais elle savait que la nuit prochaine elle verrait la suite. Ses rêves s’enchaînaient comme les épisodes d'une série télévisée. Personne ne semblait avoir la chance d'être maître de ses rêves mais au moins la nature avait fait ce don à Ellen qui en était de plus en plus reconnaissante. Elle fit un pas de côté et le ciel bleu de l'extérieur fut remplacé par son propre visage reflétant anormalement la fatigue. Habituellement Ellen choyait son miroir mais cette fois elle fit aussitôt
volte-face.
« Qu'est ce que je vais mettre... ? »
En temps normal, ce genre de question restait au placard. Seulement, un face à face avec Katherine Stiff imposait une tenue irréprochable. S'il existait un prix qui récompensait la personne la plus stricte, cette femme en serait certainement la gagnante, et même chaque année ! Alors le meilleur moyen de ne pas faire tâche dans son monde parfait était de se confondre avec celui-ci. Une robe ? Ce serait trop se mettre en avant d'après elle. Il valait mieux paraître transparente pour ne pas inviter à la concurrence, bien que cette fois son mari serait absent. Tandis que la directrice
avait l'habitude de donner ses rendez-vous le soir pour un dîner à trois, cette fois-ci elle avait pris Ellen au dépourvu en lui ordonnant de venir chez elle dès 10h00 du matin : « Je serai seule, c'est préférable », avait-elle précisé. Inutile de demander ce que cela voulait dire, Ellen n'en avait pas la moindre idée mais elle en était un peu plus soulagée. Manger chez sa supérieure aux côtés d'un homme aussi pénible et inutile que M. Stiff semblait plus insupportable que discuter autour d'un café avec sa supérieure, seule à seule. Néanmoins, le stresse ne disparaissait pas. La figure sévère de Katherine était légendaire, et Ellen détestait l'affronter du regard. Chaque fois que cela arrivait, le malaise la rendait quasiment muette et immobile.
C'est seulement une fois vêtue de la tête aux pieds qu'Ellen pensa à regarder l'heure. Lorsqu'on a un rendez-vous, la ponctualité fait partie des premières choses à respecter, c'est bien connu, surtout dans le monde du travail. Pourtant, pour la jeune femme, ce facteur était totalement passé à la trappe.
« Quoi ! 9H30, déjà ! Mon dieu... »
Elle détestait jurer et encore plus parler à son miroir, mais voilà que les redoutables pouvoirs du 13
commençaient à faire surface. La dernière fois, il lui avait fallut environ vingt minutes pour atteindre la demeure de Mrs Stiff en voiture. C'est donc à jeun qu'elle s'en allait rejoindre sa directrice, les cheveux tout juste coiffés, mais la tenue impeccable. La pensée qui persistait dans la tête d'Ellen c'était : « Que va-t-il m'arriver maintenant que j'ai évité la panne de réveil, le retard, la mauvaise dégaine ? » D'après elle, le sort ne cesserait de la poursuivre jusqu'à ce que minuit soit enfin passé. Une vraie malédiction ce 13. Alors que certains en profitaient pour jouer au loto, Ellen préférait se cacher du monde au risque de provoquer ou de subir des catastrophes toutes plus inattendues les unes que les autres. Cependant, jusqu'à la dernière ligne droite qui la séparait de la grande maison blanche de Katherine Stiff, rien d'anormal n'avait perturbé le trajet de la banquière anxieuse. Quand brusquement, la brume se mit à surplomber le soleil éblouissant qui avait régné
toute la matinée. Ellen dû ralentir car elle savait à quel point le brouillard pouvait obstruer la vue et gêner la conduite. A quarante miles à l'heure, elle se déplaçait les yeux rivés sur le morceau de route qu'elle pouvait encore apercevoir. Cette fois même la nature semblait se dresser contre elle. Si seulement elle avait le moyen de virer dans son monde parfait. Sans nul doute que dans ce pays de rêve le soleil continuerait de briller. Ce temps de dépression l'ennuyait déjà à mourir. Mais avant de penser à ce rendez-vous professionnel, il fallait absolument qu'elle se concentre sur la route. Il ne devait lui rester que cinq-cent mètres à parcourir, et là elle reconnaîtrait la cour aménagée de Mr et Mrs Stiff dans laquelle ceux-ci lui avait autorisé à garer sa petite citadine rouge. Alors pourquoi le chemin paraissait encore si long et interminable ? Rien de ce qu'elle
voyait ne lui permettait de se repérer dans cette périphérie campagnarde de Londres. Elle ne percevait les alentours qu'à cinq mètres devant elle. Le nuage brumeux était si épais qu'Ellen aurait pu se croire au sommet d'une montagne de quatre mille mètres d'altitude. Toujours pas de maison blanche, toujours pas de vie en fait, toujours pas de... Ellen enfonça subitement la pédale de frein et par peur de ne pas piler à temps, elle empoigna le frein à main pour stopper son véhicule. Les yeux écarquillés, elle restait immobile. Impossible de décrire ce qu'elle avait vu, mis à part le fait que cette chose avait faillit s'encastrer dans son pare-choc. Pourtant elle ne distinguait plus rien devant elle à présent. Le néant avait jaillit comme une prison hors de laquelle Ellen ne pouvait plus fuir. Il était temps de sortir le GPS. Après tout, si Ellen l'avait acheté, ce n'était pas pour le laisser moisir dans sa boite-à-gant. D'autant plus que le tableau de bord affichait déjà
9H50, le temps manquait. Une hallucination comme celle-ci, en pleine brume, cela pouvait arriver à n'importe qui. Après avoir déporté sa voiture sur le bas-côté pour être sûre de ne pas gêner la circulation, bien qu'elle n'ait encore vu personne depuis une bonne dizaine de minutes, Ellen mit en route sa carte électronique et entra l'adresse précise de Katherine Stiff. « OK, Ellen. Je procède à l'analyse de votre itinéraire. » Cette voix inhumaine l'avait presque faite sursauter. Toute cette nouveauté électronique n'avait jamais été de son monde. D'ailleurs elle préférerait vivre loin de tout ça, bien qu'aujourd'hui elle avait besoin de ce Tom pour sortir du pétrin. Son sang-froid figurait parmi son palmarès de qualités. Mais c'était ce 13 qui résonnait dans sa tête et lui donnait la force de relativiser. Pour Ellen il était inévitable que tout ce qui relèverait de l'étrange et de l'imprévu aujourd'hui, ce vendredi 13 en serait l'auteur.
BIP ! Le GPS venait de dessiner le chemin le plus court qui menait au 1 Widefield Way dans la campagne autour de la ville de Enfield, à dix miles de Londres. Le numéro 1 c'est parce que la demeure des Stiff est la seule sur plus de 3 miles à la ronde. Finalement, Ellen avait dû s'égarer parce que Tom lui indiquait encore dix minutes de trajet dans la direction opposée de celle qu'elle avait emprunté. Le brouillard l'avait embrouillé : retour à la case départ ou presque. Ellen repartait pour une dizaine de minutes de périple sur cette dangereuse chaussée alors qu'elle savait déjà
qu'elle serait en retard. Elle imaginait d'avance Katherine pointer son gros stylo rouge sur son calepin de note pour assigner un moins un à Ellen Broody. Être en retard était synonyme de handicap lors d'un rendez-vous pareil. Le gris du béton se confondait avec le gris de l'atmosphère pleine de fog. L'ennui rattrapait Ellen jusqu'à ce que Tom se manifeste à nouveau : « Vous arriverez dans trois cent miles.
- C'est pas trop tôt », marmonna Ellen d'un ton aigri qui ne lui ressemblait guère. Effectivement, elle semblait voir apparaître progressivement la silhouette de la maison Stiff. Quel soulagement c'était, enfin jusqu'à ce qu'Ellen regarde à nouveau l'heure qu'indiquait le cadrant : 10H13. Elle prit le temps de stationner sa voiture dans l'allée prévue à cet effet. Comment était-ce possible ? Un nouveau coup d’oeil vers le tableau de bord. Il affichait encore 10H13 comme si cet horaire restait figé. Pour Ellen aucune défaillance électronique ne tenait, tout était l’oeuvre de ce fichu jour maudit.
Les pieds dans les cailloux blancs, Ellen touchait enfin le but. La grande bâtisse lui faisait face avec orgueil. Traversant la petite cour beaucoup moins embrumée que la route, elle atteignit un petit escalier qui menait à l'entrée des Stiff. Toute de bois peint en blanc, cette maison avait fière allure. Elle était si haute qu'Ellen en était tout à coup presque découragée, sachant que la froide Katherine l'y attendait. Cependant il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour appuyer sur l'interrupteur de la sonnette. DING DONG. « Un peu en retard mais les circonstances sont contre
moi... », dit Ellen à voix basse en haussant les épaules. La curiosité la poussa à regarder à nouveau
l'heure qu'indiquait sa montre. Toujours 10H13. La porte s'ouvrit subitement puis lentement, jusqu'à ce qu'elle laisse place à une longue silhouette enveloppée dans une robe, le tout uniformément noir, comme une ombre. Ellen plissait les yeux comme pour tenter de déchiffrer ce visage qui lui faisait face mais l'image qui se présentait à elle n'en était que plus floue.
« Bon-bonjour, Madame Stiff »
Aucun retour. Mais ce n'était pas si anormal que ça pouvait en avoir l'air parce que Katherine avait toujours été froide avec ses employés, bien qu'elle sache se faire plus courtoise envers les femmes
généralement. La blonde longiligne se retourna totalement avant de s'enfoncer dans la deuxième salle de sa maison, celle qu'Ellen avait déjà eu l'opportunité de voir, la salle à manger. Dans le
silence régulièrement brisé par le son rythmique que produisaient les talons de Katherine sur le carrelage, l'hôte menait son invité dans une toute autre pièce. Il leur avait même fallut descendre un escalier de pierre qui paraissait aussi froid que de l'eau glacée. Aveuglément, Ellen suivait la maîtresse de maison tout en restant malgré tout sceptique, jusqu'à ce qu'elles s'arrêtent dans ce qui ressemblait étrangement à une cave. On aurait dit que Katherine faisait à nouveau face à Ellen, pourtant on ne pouvait rien distinguer, ni son visage, ni le relief de son physique, ni la couleur de ses vêtements. L'obscurité était telle qu'Ellen ne voyait même pas ses propres chaussures au sol. « Que faisons-nous ici... exactement ? » Ellen se racla la gorge comme pour se rassurer en ellemême.
Seulement tout ceci avait l'air d'une mise-en-scène. Katherine se décida à avancer très lentement vers Ellen, sans le moindre écart. Un robot ne se serait pas distingué d'elle. Et lorsqu'elle fut aussi près qu'elle le pouvait sans être en contact avec la petite Ellen pétrifiée, on pu alors découvrir son visage. Une affreuse peau fripée avait remplacé son teint parfait et sa peau lisse. Un nez trop long et crochu lui ruinait la figure. Des yeux tombant et grisâtres ne reflétaient plus que le vide. Les cheveux attachés n'étaient plus blonds mais blancs. Et alors... Ellen ouvrit les yeux.
Machinalement, Ellen levait ses yeux vifs vers le radio-réveil qui sonnait les 8H30. Il affichait, cette fois-ci réellement, vendredi 13 septembre 2013. Cela expliquait un tel cauchemar. Elle n'en faisait que rarement puisque d'ordinaire ses nuits étaient habitées par la fantaisie de ses songes idylliques. Seul le 13 était capable de détraquer son esprit au point d'inventer un tel faciès à sa directrice pourtant si faussement parfaite dans la réalité. Bien qu'elle aurait pu rester encore de longues minutes à discuter ce rêve horrible, il fallait qu'elle se prépare en espérant que rien d'aussi effrayant n'arriverait aujourd'hui. Son rendez-vous était bien prévu à 10H00 et heureusement pour elle, Katherine Stiff n'avait rien d'un vieux fantôme en décomposition. Ellen sortit donc de son lit bien chaud pour se préparer. Comme toujours, le miroir était son allier lorsqu'elle avait besoin de se motiver. Se rappelant ce qu'elle-même avait enfilé dans son affreux cauchemar, elle décida de revêtir la même tenue pensant que cette Ellen victime de la brume avait eu bon goût. Elle pensait réellement qu'une bonne tenue était propice à la réussite concernant ce
genre de rendez-vous professionnel. Aussi troublant que cela paraissait, Ellen ressemblait comme deux gouttes d'eau à Ellen. Seulement cette fois, sa montre indiquait 9H00. Le temps s'offrait à elle et lui permettait de boire un bon thé au citron pour être sûre d'être en forme. Ellen ne se refusait pas non plus quelques biscuits afin d'éviter tout risque de mal de ventre gênant qui pourrait se transformer en gargouillis bruyant. A 9H22, Ellen avait déjà sauté dans son véhicule mis en route quelques minutes auparavant pour faire chauffer le moteur. Tout semblait réglé comme une horloge. Pourtant, la jeune femme n'était pas tranquille. Sa superstition avait toujours fait d'elle une grande trouillarde. Éviter les chats noirs restait sa spécialité. Elle était si douée pour ça qu'elle était devenue une sorte de radar à chat. Le moindre poil animal activait chez elle une attention
surélevée. D'ailleurs, aucun de ses amis ne possédait un chat, et encore moins un chat noir. C'est comme si, dans son profond inconscient, elle avait choisit ses amis en fonction de ce facteur-ci. Bien sûr elle refusait de l'admettre car cela faisait d'elle une fréquentation artificielle, une fausse amie qui s'attache à vous par intérêt personnel. Néanmoins, en faisant le compte, il était clair qu'à moins d'une énorme coïncidence exceptionnelle, Ellen choisissait ses amis parmi ceux qui n'aimaient pas les chats, qui y étaient allergiques ou qui possédaient des chiens. Le tout faisait qu'en ce vendredi 13, elle sortait de Londres pour rejoindre sa supérieure hiérarchique dans la campagne.
Finalement la brume de son rêve était prémonitoire. A son réveil aucun rayon de soleil n'avait fait son apparition et à 9H30, le temps ne s'était pas amélioré. Mais en Angleterre, c'était un fait récurrent. La ville était vive, jusqu'à ce qu'Ellen franchisse la limite des banlieues de Londres. Dès lors, les champs prenaient les trois quart de l'espace qui s'offrait à elle. La route était soudainement moins bien entretenue. Par chance, le brouillard n'était pas aussi opaque que dans son cauchemar. Elle pouvait rouler assez vite pour être sûre d'arriver à l'heure. Le paysage défilait dans chacune des vitres qui constituaient son automobile, jusqu'à ce que les arbres remplacent les champs et donnent un air plus lugubre à cet endroit. Rouler vers le nord, c'était s'enfoncer dans les forêts humides, Ellen le savait pour avoir habité tout au nord du Royaume-Uni, en Écosse, durant
son enfance. La grande maison blanche des Stiff ne devrait plus tarder à apparaître car Ellen commençait à reconnaître les lieux. Cette fois, elle serait en avance. Quand l'allée de cailloux s'ouvrait à elle sur sa droite, Ellen ralentit et entra dans le domaine avec son véhicule pour le garer dans la cour. Les nuages de brume avaient l'air de s'estomper tandis que l'angoisse grandissait en Ellen. Le moment fatidique arrivait et son rêve cherchait à s'interposer sur la réalité.
DING DONG. Les mains liées derrière son dos, Ellen attendait sagement qu'on vienne lui ouvrir bien qu'elle aurait préféré fuir pendant qu'il était encore temps. Mais la lâcheté ne devait pas être la raison pour laquelle elle perdrait son travail. D'un mouvement de tête nerveux, Ellen observait les alentours. Pourtant ce qui lui faisait si peur ne pouvait venir que de l'intérieur de cet édifice. La porte s'ouvrit juste à ce moment précis. Progressivement, la lumière des lustres plafonniers éblouirent Ellen. Le visage souriant mais droit de Katherine était clairement perceptible. Son corps préservait d'ailleurs les yeux d'Ellen en projetant une ombre longiligne sur elle.
« Bonjour Madame la directrice, comment allez-vous ? »
Un temps de silence approfondit le malaise béant entre les deux femmes. Ellen pu lire l'heure actuelle sur une grande horloge du hall d'entré qui aurait pu appartenir à sa grand-mère. Il était 10H06.
« Bonjour Ellen, vous êtes bien à l'heure. Je n'en doutais pas vous concernant. » Katherine lui fit
signe de la suivre, mais cette fois, elle la guidait vers une salle inconnue et un peu plus intime que la salle à manger. Il s'agissait de la cuisine. La lumière y était telle qu'on aurait pu croire qu'à l'extérieur le temps se faisait radieux. Tout de noir et de rouge laqué, les meubles reflétaient la nouveauté et la modernité. Les Stiff avaient du goût en matière de décoration, c'était assez plaisant. De toute façon, qui n'aurait pas envié ces gens et leur milieu de vie ? Habiter la campagne n'était pas synonyme de pauvreté. Le fait est que les Stiff avaient les moyens de travailler en ville et de vivre à la campagne. Il est donc impossible de les classer dans une catégorie : ni ruraux, ni urbains, ils profitent des deux milieux sur le dos de ceux qui sont au chômage ou qui peinent à
acheter un bien immobilier. Les prêts et crédits des autres sont leur assurance vie. Et finalement, Ellen faisait parti de ce milieu financier. « Vous avez fait bonne route jusqu'ici ? Pas de complication par ce temps ? » La voix mesurée de Katherine tira Ellen de ses pensées. La façon dont elle avait posé cette question rappelait à Ellen les obstacles qui s'étaient dressés sur son chemin dans son rêve.
« Oui, très bien, merci de vous en soucier. Je me suis souvenu du chemin. Rappelez-vous, j'étais déjà venu ici l'an dernier. », précisa Ellen avec le sourire.
« Je n'ai pas oublié. », répliqua doucement Katherine de manière soupçonneuse. Un an et trois mois auparavant, Ellen avait dû se rendre ici, à Enfield, en pleine soirée. A l'aide d'une de ces cartes routières, elle avait pu se repérer mais par peur de se perdre, elle était partie avec une trentaine de minutes d'avance. La légende qui faisait de Katherine un poing serré sur les erreurs l'avait convaincu de ne surtout pas arriver en retard à ce premier dîner en tête-àtête
avec les Stiff. Les événements ont fait que ce soir là, Ellen était arrivée trop tôt. Quand elle avait sonné chez Katherine, c'est son mari qui lui avait ouvert, les sourcils froncés en lui disant qu'il était plus tôt que prévu et que sa femme était encore sous la douche. Finalement pour cette faute Ellen avait dû écoper d'un mauvais point sur son dossier. Le réel malaise s'était installé lorsqu'Ellen fut obligée de faire face au regard vide de Patrick Stiff qui au lieu de chercher à la distraire avait décidé de lire son livre sous ses yeux. Enfoncé dans sa chaise, à table et en face d'Ellen, il lisait, comme s'il était seul, un classique de la littérature anglaise qui s'intitulait Orgueil et préjugés. L'ironie était à son comble. Un mondain idiot qui lisait l’oeuvre d'une femme moquant
la fierté et l'hypocrisie de la haute société anglaise. D'un autre côté Ellen avait préféré cela à un questionnaire sans fin qui visait sa vie privée. Elle avait pensé en fait que Mr Stiff jouait un rôle dans ces dîners, qu'il cuisinait les employés de sa femme pour trouver leur point faible ou pour leur tirer les vers du nez. Mais visiblement, il était totalement inutile à ces repas, c'est ce qu'Ellen en avait conclu. D'ailleurs en ce vendredi 13, il n'était pas invité à partager ce café avec Katherine et Ellen.
Contrairement à ce qu'Ellen avait imaginé dans son rêve, Katherine ne portait pas de robe aujourd'hui et c'était finalement compréhensible vu le temps qu'il faisait dehors en ce moment. Et puis après tout, c'était presque l'hiver. Alors Mrs Stiff portait un jean slim bleu et un bon pull blanc cassé. Par contre, ses cheveux étaient bel et bien attachés, mais aussi loin qu'Ellen se souvienne, elle n'avait jamais vu Katherine coiffée autrement qu'avec un chignon serré.
« Voulez-vous un café Ellen ? demanda-t-elle avec une gentillesse qu'on ne lui connaissait pas.
- Euh, oui pourquoi pas, merci beaucoup. »
Ellen n'en avait pas tant envie que ça mais elle savait que refuser une proposition de sa directrice ça n'était pas la bonne technique pour la mettre dans sa poche. Après tout il était 10H... « Quelle heure est-il ? » pensa Ellen. Elle leva son poignet sous ses yeux pour lire la cadrant de sa montre et elle découvrit avec stupéfaction qu'il était 10H13.
« Déjà pressée de partir on dirait... » surgit la voix de Katherine un peu plus rude que précédemment.
« Non, non, je vérifiais simplement... le bon fonctionnement de ma montre. J'ai l'impression qu'elle
déconne ces temps-ci », répondit Ellen un peu hésitante. Chaque effort entrepris pour satisfaire les
attentes de Mrs Stiff pouvaient être réduit à néant dès le moindre faux pas. Mais le pire dans tout cela, c'est que l'heure s'était figée sur sa montre, exactement comme dans son cauchemar.
« Il est 10H15 maintenant, et tâchez de réparer cette montre si elle vous tient tant à coeur. » Ellen
avait presque faillit répondre « oui » comme une enfant l'aurait fait devant ses parents dans une pareille situation, mais se rabaisser n'était pas une vertu qu'aimait Katherine Stiff, Ellen en était quasiment certaine. Et puis, Ellen avait son propre caractère, bien qu'elle fasse en sorte de le maîtriser dès qu'elle se trouvait dans la même pièce que cette femme. Ce qui était positif dans tout ça, c'est que ça n'était qu'une défaillance de sa montre qui faisait que l’aiguille restait bloquée ainsi. Ellen souriait en pensant son problème résolu. Katherine laissait le café d'une cafetière dernier cri s'écouler dans deux jolies petites tasses en verre. La fumée qui se dégageait au même instant fit frissonner Ellen. Cela n'échappa en rien à l’oeil curieux et avisé de Katherine.
« Vous avez froid ? C'est vrai que ce temps miteux refroidit. Dites, savez-vous pourquoi je vous aies
faite venir ce matin ? » lança Katherine de son ton toujours assuré. Évidemment qu'Ellen n'en savait rien. Si elle avait été invité à un dîner elle aurait au moins pu être sûre qu'il ne s'agissait pas de lui adresser des remontrances mais dans ce cas, l'aspect inhabituel de ce rendez-vous rendait impossible tout pronostique.
« Non, mais j'imagine le découvrir assez tôt », blagua Ellen, intérieurement impatiente. Elle était pressée de rentrer chez elle et de se débarrasser de cette journée stressante. Katherine sourit en coin à cette réponse mais tout indiquait qu'elle n'avait pas envie de rire. Ce rendez-vous n'était que professionnel, et en même temps, pouvait-il en être autrement ? Non, Katherine ne se faisait aucun ami parmi ses employés. Sa confiance, elle la gardait bien au chaud dans son foyer, et
encore... Katherine attrapait les deux tasses pleines et fumantes, et tendait l'une d'elles vers Ellen qui la saisit sans la faire attendre.
« Je vais aller droit au but, je ne suis pas là pour vous faire perdre du temps. Asseyez-vous, je vous
en prie. ». Pour être polie, elle l'était. Peut-être trop ? Un mauvais pré-sentiment commençait à envahir la tête embuée d'Ellen. Quelque chose de mauvais pour elle s'annonçait, une rétrogradation, une baisse de paye, ou pire, un renvoi définitif. Sans crier gare Ellen se mit à engloutir sa tasse de café avec entrain. Le liquide encore bouillant lui brûla la gorge à tel point qu'elle ne sentait plus rien, ni même son filet de salive qu'elle avala dans la foulée. Les yeux grands ouverts, et figés par le goût quelque peu amère du café, elle faisait peur à voir.
« Voilà alors, j'ai bien réfléchis, et... Ellen ? ». Au moment de relever la tête, Katherine faisait face à
une femme en pleine crise d'angoisse. A peine s'était-elle levée pour lui venir en aide que la tête d'Ellen avait déjà heurté le plateau en verre de la table haute. Ses mains crispées ne bougeaient plus d'un millimètre. Sans un mot, la panique remplit aussitôt le corps de Katherine qui pourtant restait totalement calme en apparence. Elle se saisit de son téléphone portable pour composer le numéro des urgences au plus vite.
« Bonjour, au 1 Wildfield Way à Enfield, on à un cas de crise d'angoisse, une jeune femme de 30 ans. Oui à l'instant... Oui je vous attend, faites vite. ». Elle raccrochait et enfin s'accordait le droit
de lâcher un long soupire.
En savoir plus sur cette bannière |
Vendredi 13 par MelHp7
Notes :
C'est une des premières fiction au caractère fantastique que j'ai écrit pour le loisir et le plaisir. Je la publie entièrement d'un coup puisque je l'ai écrit il y a de ça un an à peu près.
Notes d'auteur :
Etant une nouvelle, ce premier chapitre rentre assez vite dans le coeur du sujet. J'espère vous embarquer dans ma fiction.
Note de fin de chapitre:
C'est peut-être un peu long mais c'est un texte que j'avais écrit en grand format.
Merci à ceux qui me donneront leur avis et qui iront voir la suite ;)
Merci à ceux qui me donneront leur avis et qui iront voir la suite ;)
Vous devez vous connecter (vous enregistrer) pour laisser un commentaire.