Anna et Iris ont grandi à distance. A quinze ans, elles se sont rencontrées, et Marc, et moi, on s’est réjouis de les voir ensemble.
-Elles vont très bien s’entendre, c’est forcé ! Prophétise mon ex-meilleur ami.
C’est forcé : Marc et moi étions des âmes sœurs. A leur âge, on passait le plus clair de notre temps ensemble. On allait à la piscine, au bowling. On n’avait aucun tabou. On parlait des filles, des garçons… De ce que les garçons font aux filles, et les filles aux garçons.
Quand j’ai divorcé du père d’Anna, Marc a été muté dans un hôpital de Carcassonne. Il a su pour le divorce. Il m’a téléphoné. Lui et sa femme m’ont invitée à dîner un weekend qu’Anna était chez son père.
C’est la première fois que j’ai vu Iris. Aussi blonde que ma fille est brune, les yeux doux, noisette, la peau claire et parfaite. La différence est frappante. C’est Anna à l’envers.
J’ai dit :
-Tu as le même âge que ma fille. Elle s’appelle Anna.
-Je sais. Papa m’a dit…
Et c’est à peu près les seules paroles qu’Iris m’a adressées. De toute la soirée ! Elle s’est volatilisée avant le dessert. J’ai trouvé ça intolérable, mais la femme de Marc n’a rien dit. Je la soupçonne même de s’en être attendrie. Si Anna s’était avisée de faire une chose pareille, je l’aurais sèchement reprise devant tout le monde. J’ai en horreur ce genre de caprices d’enfant incapable de s’ennuyer à table (ce n’est pas leur rendre service que de leur autoriser ce genre de spontanéités). Mais Anna n’aurait jamais fait ça. Elle est aussi à l’aise avec les adultes qu’avec les jeunes de son âge. Elle trouve d’instinct le biais par lequel aborder quelqu’un, comme une lionne approche sa proie. Elle devine le discours à tenir. Elle leur en fait oublier son acné récurent et l’air dur que lui donnent ses yeux noirs comme des olives et ses lèvres fines et pâles. Si bien que je ne compte plus les fois où on m’a dit que ma fille était mignonne, jolie, charmante, voire belle. Ce qu’elle n’est pas.
-On t’invitera avec Anna la prochaine fois ! A Lancé Marc au milieu du dîner.
-C’est vous qui viendrez ! Ai-je rétorqué en prenant à témoin la femme et la fille de Marc.
La promesse se concrétisa le mois suivant autour d’un tajine d’agneau. C’était un samedi d’avril… Je revois Anna en short et haut de maillot de bain au bord de la piscine. Je l’exhorte à mettre la table et elle ne bouge pas, ou à peine les pieds dans l’eau, persistant à ne rien faire, sourde à mes invectives de plus en plus exaspérées. Elle me rappelle son père. On sonne à la porte.
J’ai juste le temps d’aller accueillir mes invités, de les faire entrer, qu’Anna apporte déjà les derniers couverts sur la table.
-Bonjour ! Fait-elle en s’avançant : Anna, enchantée.
Marc lui sourit.
-Anna, enchantée. Répète-t-elle en embrassant la femme de Marc visiblement décontenancée par le savoir-vivre naturel de ma fille.
Et il me semble qu’Iris reste interdite, médusée, stupide, en voyant ce qu’elle voit: Anna. Elle la regarde, incapable d’un balbutiement.
-Salut, je suis Anna. Lui dit joyeusement ma fille.
-Salut… Peine à répondre Iris.
De cette soirée, il ne me reste que peu de choses précises. Ce que Marc et sa femme ont pu me raconter, je ne m’en souviens pas.
L’air était doux, Anna voulait se baigner.
Invitée à la rejoindre, Iris se met à rougir. Puis elle avance qu’elle n’a pas son maillot.
-Je peux t’en prêter un, si tu veux…
Et Anna jette un œil à la mère d’Iris comme pour s’assurer, d’adulte à adulte, qu’elle peut proposer ça à son enfant. Marc hausse les épaules, permissif et indifférent. Mais Iris reste à piétiner mollement sur le dallage éclaboussé par les ébats aquatiques d’Anna qui évolue avec bonheur dans l’eau turquoise.
-C’est pas grave… S’excuse enfin la timide Venus blanche que figure Iris, dans sa robe d’été.
Elle a de petits gestes mi effarouchés, mi amusés pour sécher les tâches d’eau qui rendent le tissu de sa robe transparent. Elle finit par s’assoir au bout d’un transat, surveillant tour à tour son père et sa mère. Et observant à la dérobée Anna ruisselante qui s’essore les cheveux dans une serviette éponge avant de la rejoindre.
Je me souviens de la voix chaude et enveloppante de ma fille dans la fraîcheur de la nuit qui tombe, nous obligeant à allumer quelques lampes de jardin. La douceur est exceptionnelle pour un mois d’avril. Au regard des mots chatoyants d’Anna accroupie devant le transat, les réponses d’Iris semblent des murmures fragiles et maladroits.
-Je peux inviter Iris, demain ? Me demande Anna, quelques semaines plus tard.
-Iris ? Iris qui ?
Anna a toujours beaucoup d’amis, garçons et filles, sans que moi et son père ayons la primeur de ces amitiés. A peine apprenons-nous le prénom de ces gamins que l’on n’a jamais l’occasion de voir qu’ils sont déjà comme morts pour elle. Et généralement, lorsqu’on en évoque un, qu’on a pu apercevoir au hasard, Anna cesse de le fréquenter, comme s’il venait d’attraper un virus contagieux… Inviter quelqu’un à la maison est donc une chose extraordinaire que rien n’a jamais semblé justifier aux yeux de ma fille… Il m’est ainsi impossible de cacher ma surprise, qui ressemble sûrement à de l’ahurissement, quand elle ajoute :
-Je voulais lui proposer de rester dormir.
Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à ces mots que je comprends qu’Anna parle d’Iris, la fille de Marc.
-Mais si tu ne veux pas…
-Si, bien sûr ! Très bonne idée !
Peut-être Anna va-t-elle enfin commencer à me présenter ses copines. On retournera faire des ballades et manger des glaces… Depuis le divorce, depuis que j’ai la garde d’Anna, sa distance naturelle est devenue une fracture nette entre nous, qu’aucun pont ne semble pouvoir enjamber.
Tout à coup elle ne semble plus très sûre de vouloir maintenir cette invitation mais contre toutes attentes, Iris arrive vers dix-huit heures avec un petit sac de plage où il n’y a de place que pour un maillot, des sous-vêtements propres, une brosse à dents et un tube de crème solaire.
-Je ne vois pas ce qui te dérange, Val… Iris apprécie beaucoup Anna. Nous aussi, d’ailleurs.
Je bois une gorgée de Martini en écoutant Marc.
-Tu sais, ça ne se voit pas, mais Iris n’a pas beaucoup d’amis.
J’ai envie de lui rire au nez et Marc ne semble pas s’en rendre compte. Il argue qu’Iris va mieux depuis qu’elle fréquente ma fille. Fréquenter ! C’est le mot qu’il emploie. Un bref instant, je m’imagine qu’il a peut-être senti quelque chose lui aussi, mais si c’était le cas, il n'utiliserait jamais ces termes :
-Ta fille fait du bien à la mienne !
Je vide d’un trait mon verre. L’alcool me pique le nez. Marc, ce parfait aveugle, les yeux grand ouverts, persuadé qu’aucune anguille ne se cache jamais sous aucune roche…
-…Et je crois que c’est réciproque. Achève-t-il.
Je ne sais pas où je trouve la force d’encaisser ça sans rien dire.
-C’est vrai, admet-le : Anna est plus…
Il cherche un adjectif.
Oui, j’ai vu Anna commencer à me piquer mon mascara, cacher ses boutons sous mon fond de teint. Elle a demandé à son père de lui payer du parfum pour son anniversaire et la dernière chose en date, c’est l’achat autonome d’un soutien-gorge que j’ai trouvé dans la panière de linge et pudiquement rangé dans son tiroir sans lui faire de remarque.
-Ho bien sûr, ça, ça n’a pas échappé à ta subtilité de mâle ! Rétorqué-je.
-Elles se pomponnent. Bon. C’est de leur âge, non ?
Marc passe la main dans sa chevelure fournie pour cacher son inconfort. A cet instant il a l’air d’un imbécile.
-Je regrette, mais non : Je ne me maquillais pas à seize ans !
-C’était une autre époque… Mais de toute façon je ne te parle pas de ça : je trouve Anna plus apaisée, épanouie.
-Ma fille n’a pas besoin de la tienne pour s’épanouir.
Marc reçoit l’information, blessante, comme il l’a toujours fait avec moi. Il hausse les épaules :
-C’est vrai, Iris a sûrement plus besoin d’elle que l’inverse. Mais je crois que ça fait plaisir à Anna.
Plaisir
C’est ce que j’avais cru lire aussi, sur le visage de ma fille.
Ce soir-là. Ce soir où Iris, cette jolie petite fleur amidonnée, est venue parader sous notre toit. Son sac de plage à peine posé sur le parquet du salon, elle accepte l’invitation d’Anna à aller se baigner. Il fait lourd et je reste mollement dans l’ombre fraîche des volets baissés à mi-hauteur. Du jardin me parviennent la vibration brûlante du soleil et celle, joyeuse, de l’eau dans laquelle les filles remuent. Il y a des rires timides. Je reconnais celui d’Iris, vain, tandis que rien ne se peut deviner de ce que lui raconte Anna, et qui provoque cette hilarité chronique. Je replonge dans ma lecture empesée et l’irritante voix d’Iris me sort en sursaut de ma concentration contrainte, un sursaut irrité. J’ai à peine le temps de me retenir pour ne pas crier « moins de bruit ! ». Elles rentrent bientôt en se passant la serviette de plage, l’une s’en essuyant les cheveux, l’autre y plongeant son visage sans retenue.
Mouillés, les cheveux d’Anna lui descendent dans le cou. Elle se plaint de leur longueur à peine trois semaines après être allée les faire couper (trop courts à mon sens). Cette insupportable coiffeuse prétent que ça lui va bien, comme si ma fille était laide avec les cheveux longs. J’ai beau avancé que ça lui adoucit les traits, qu’elle fait plus vieille, Anna se moque totalement de ce que je pense, et elle persiste à tailler dans le vif de ses mèches brunes, à durcir encore son visage, à ressembler à un jeune garçon.
Iris, elle, doit se pencher en avant et c’est tout juste si sa crinière dorée ne balaye pas le sol ! La nuque découverte, elle presse la serviette de ma fille autour de sa tête, se frictionnant avec science et sans y prêter attention. Anna lui sourit. Elles ne me voient plus, je crois…
-Tu veux que je te fasse une tresse… ? Propose Anna.
Iris démêle aux doigts ses cheveux rassemblés sur son épaules droite, les yeux brillants :
-Oui ! S’exclame-t-elle. Oui, oui, je veux bien !
Et elle rit presque à présent. Et ses yeux noisette rient aussi.
Assise au bord d’une chaise, cette fille offre sa blondeur aux mains presque noires d’Anna, sans réserve. Sans discussion de convenance, sans avoir besoin de rajouter quelque justification. Les paupières d’Iris sont prêtes à se baisser. Elle sourit d’un air distrait et ravi. Elle pourrait soupirer d’aise, elle rayonne de tranquillité. Et Anna ne se soucie que des brassées de lumière blonde qu’elle dirige d’une main à l’autre. Elle tresse les cheveux et les mèches filent contre les jointures de ses doigts. Elle s’approche. Son ventre sert d’appui aux épaules d’Iris. Anna ne sourit pas vraiment. Pourtant, elle prend exagérément son temps. Elle fait glisser dans ses paumes les lianes dorées, avec des caresses frugales mais allongées. Lentes. Suspendues. Renaissantes. Répétées. C’est interminable. Comment croire qu’elle n’en éprouve pas de plaisir ?
-Et c’est tout ?! Fait mon amie quand je le lui raconte.
Je ne sais pas quoi répondre. Isabelle se met à rire :
-Non mais, qu’est-ce que tu vas t’imaginer ? Je faisais des tresses à ma petite sœur ! Je lui en fait même encore, ça ne veut rien dire !
Cette amie si proche, cette fois, ne me comprend pas.
-Ça n'a rien à voir! C’est ta sœur ! Coupé-je.
Isabelle ne se départit pas de son sourire amusé. Je suis dingue ! Et complètement paranoïaque.
-Tu ne les as pas vues comme je les ai vues ! Moi, je te dis que…
-Mais quoi ?! Et je vais te dire, moi : même si elles s’étaient embrassées, tu vois ? Moi j’ai embrassé ma meilleure amie à seize ans. Tu parles d’une histoire !
Isabelle rit et secoue la tête. Je n’ose pas insister. Je n’ose pas lui dire que j’aurais préféré, je crois, les voir s’embrasser et rire de concert en se disant que comme ça, avec Untel, elles sauraient comment s’y prendre ! J’aurais préféré ça à leur intimité à laquelle il n’y a rien de méchant, et à leurs regards, qui se croisent, tout le temps.
Parce qu’Anna est partie en vacances avec son père, parce que Marc a inscrit Iris dans le lycée privée le plus côté qu’il a pu trouver, loin de celui de ma fille, j’ai arrêté d’y pensé.
Iris ira en fac de médecine, après son bac S pour lequel s’inquiéter serait une minauderie… dont elle ne se prive pas !
Anna et moi marchons cet après-midi jusqu’à la terrasse de son glacier préféré. Au début elle refuse, mais devant la machine qui ne cesse de dérouler ces crémeux tourbillons à l’italienne, elle se laisse convaincre. Je cherche la monnaie pendant qu’elle commande. Devant mon billet de vingt, je décide de proposer ma carte bleue. Le jeune homme sort le lecteur. C’est à ce moment-là que la voix feutrée d’Anna, différente de sa voix habituelle, me parvient, sans que je comprenne bien ce qu’elle raconte et à qui :
-Tu es toute seule ?
-Ça fait longtemps ! Non, je suis là-bas, avec des copines ! On révise… Enfin on révise…
Et ce petit rire contraint. Je reconnais Iris. Elle a traversé la place (en trottinant, j’en suis sûre ! En effleurant à peine le sol) pour venir nous saluer. Sa robe est plus courte, plus étroite, et une ceinture de fils de cuir tressées serre sa taille. Anna n’a pas l’air d’envier sa beauté :
-J’allais te proposer de venir avec nous, mais si tu es avec tes amies… Dit-elle.
Le jeune homme qui prépare nos glaces machinalement n’a plus d’yeux que pour la ravissante blonde qui vient d’arriver et affiche toujours le même sourire indolent en parlant à ma fille.
-Bonjour Madame… Me dit-elle enfin.
Madame… Je ne m’y ferai jamais.
Je tends son cornet à Anna qui le récupère tout en acceptant l’invitation de Vénus à se joindre à son groupe de copines. Anna s’assure que ça ne me dérange pas. Je les regarde partir vers la fontaine où la colonie de petites grues jacasse et ricane comme moi à leur âge.
Comme prévu, Iris obtient son bac avec des notes proprement hallucinantes. J’appréhende jusqu’au coup de téléphone d’Anna qui doit me répéter trois fois « Bien », « mention Bien », pour que je puisse comprendre qu’elle a réussi l’examen. Oui, c’est d’elle qu’elle parle. Je passe trois jours sans toucher terre ! Mention bien, ma fille ! C’est aussi elle qui me fait redescendre :
-Ce serait génial que tu me laisses y aller !
Il est question de train. Je sors non sans effort de mes pensées pour tâcher d’y comprendre quelque chose. Anna m’adresse un grand sourire. Elle doit avoir besoin d’argent pour aller je ne sais où, parce qu’il y a longtemps qu’elle ne me demande plus aucune permission. Mon hypothèse est pourtant aussitôt démentie :
-Huit euros, ça va, je peux me le payer. Mais il faut que je dorme là-bas, sur place. Marc est d’accord, lui. Précise-t-elle.
Je cherche un sens à ce discours quand Anna décide de reprendre depuis le début : Elle fête son bac avec ses copines. Enfin, ce sont les copines d’Iris… Elle me parle de La Berre, Narbonne. Une maison sur de La Berre.
-Ton père, il a dit quoi ?
Son père n’a rien dit, pourquoi ? Qu’est-ce que ça fait, ce qu’il a dit, son père ? C’est à moi qu’elle pose la question ! Elle ne voit pas ce qui me pose un problème.
-J’en sais rien, Anna !
Elle soupire et je finis par accepter, sans plus de discussion. D’accord pour La Berre. Mais pas de folie, je lui fais confiance… Une petite fête, pas de raison de s’inquiéter. Je ne vais pas faire ma vieille !
Anna s’éloigne en rigolant de bon cœur, de sa bonne vanne, et de joie, d’anticipation de son plaisir. Un rire gourmand.
Il y a eu de nombreux voyages en train, de nombreux weekend que j’ai passé seule. Et de nombreuses nuits où Anna était loin de la maison, ou bien Iris était sous notre toit, dans la chambre en sous-pentes de ma fille.
Je ne comprends pas ces parents qui répètent qu’ils n’ont rien vu venir ! Moi, j’ai vu.
Une nuit comme une autre, ma foi, après la petite sauterie de La Berre, Iris passe à l’improviste à la maison, demande si Anna est là... Elles disparaissent dans la chambre d’où me parvienne la rumeur de leur conversation, leurs rires partagés où prédominent toujours les éclats suraigus d’Iris. Il y a longtemps que ça ne m’arrache plus un sourire… Je suis en train de feuilleter les annonces de maisons à vendre. Soudain, je n’entends plus rien. Les rires et les paroles se sont arrêtés. Le disque-dur externe d’Anna traîne sur un fauteuil : elles ne regardent pas un film. D’ailleurs, je n’entends pas non plus de bande son, de musique… Je n’entends plus rien. La porte du couloir est étrangement tirée, celle de la chambre d’Anna est tout à fait close…
Depuis le jardin, je découvre que ses volets sont en tuile.
Je passe un moment, là dans l’ombre, près de la piscine, avec l’image de ma fille mangeant une glace à l’italienne, Iris qui la dévore de ses regards innocents.
Le silence donne une impression d’éternité. Combien de temps faut-il pour que l’une d’elle (je ne sais pas laquelle) ouvre la porte et entre dans la salle de bain… ? L’eau qu’il faut pour une douche déferle de l’autre côté de la cloison. Je me demande un instant, en croyant entendre une voix, si elles ne sont pas tout bêtement toutes les deux dans la baignoire…
Anna et Iris ne se sont plus quittées, et Marc, et moi, il a fallu qu’on en parle, de cette nuit…
Pas celle-là ! L’autre, il y a dix-huit ans. D’après mes calculs, c’était impossible. Evidemment, on ne se fie pas autant à mes calculs qu’à ceux de Marc, mais je sais quand même compter jusqu’à neuf ! J’ai même égrené sur mes doigts les quarante semaines, calendrier à l’appui… De toute façon Anna ressemble incroyablement à son père et Iris ne lui ressemble pas du tout.
-Non, pas du tout ! Confirme Marc comme s’il y avait de quoi en être particulièrement fier.
On est obligé de reconnaître qu’Iris est une déesse de beauté. Le temps qui passe ne fait que vérifier cette évidence.
Je ne commente pas. Marc non plus.
Elles auraient pu s’aimer comme des sœurs. Mais Marc et moi, on a toujours été d’accord sur le fait qu’Iris et Anna étaient dans leur bon droit, dans leur parfaite liberté, de s’aimer comme elles le font. On n’était pas persuadé que ça durerait. Mais les années passent…
Ma fille ne semble pas se rendre compte de la beauté d’Iris. Elle ne semble pas faire de lien entre cette magnificence qui fige les regards et fait s’ouvrir les bouches, et le plaisir qu’elle trouve à la posséder.
Anna la retient par la taille quand elle passe à sa portée. Elle surgit derrière elle dans le miroir, s’amuse de leur reflet et l’embrasse dans le cou avec appétit. Pendant les vacances, au feu d’artifice, sous le ciel multicolore, elles se serrent dans les bras l’une de l’autre. Elles dansent. Elles finissent à minuit par se jeter dans le bain salé de la Méditerranée. Iris laisse sa robe, translucide, se plaquer contre son corps nu. Les cheveux longs coulant sur ses seins comme dans La naissance de Vénus…
Ma fille n’est peut-être pas la plus belle, mais je m’en moque, je suis bien vengée, parce que la plus belle, elle, est à ma fille.
Souvent je l’observe. Iris se regarde naïvement dans le miroir qui ne quitte jamais son sac. Elle semble constamment rester stupide devant le constat que tant d’autres voudraient faire, le constat permanent de sa beauté inaltérable…
Je lui souris et elle me le rend, gratuitement. Je me demande si elle a la moindre idée de ce que je pense. Quand surgit entre nous la peau tannée de soleil d’Anna, j’en viens à me demander quel enfant donnerai le mélange de leur patrimoine, l’alliance si spontanée de deux contraires si évidents.
-Maman… M’interpelle Anna.
Je sursaute, plus à cause de ce mot, ressuscité après une adolescence qui se refusait corps et âme à le prononcer… Je me lève : Marc vient de nous rejoindre à la table du restaurant, comme il nous arrive souvent de nous en payer. On s’embrasse, on se rassoit en face de nos filles qui s’amusent de nous voir réunis.
Anna et Iris vivent ensemble, dans une ville voisine. Et Marc, et moi, aurions-nous été capables de tant d’amour ?
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Notes :
C'est ma première fiction sur le site. J'espère qu'elle vous fera passer un moment agréable. Bonne lecture...
Note de fin de chapitre:
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