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Freddy ouvrit les yeux mais ne vit rien. Péniblement, il porta la main à son visage pour en enlever le liquide poisseux et presque tiède. Où était-il ? Depuis combien de temps ? Alors qu’il reprenait lentement ses esprits, il sentit son corps se réveiller et ne put retenir un long râle quand une douleur intense le transperça de part en part. Il avait l’impression d’être broyé. Dans la semi-pénombre il finit par apercevoir les entraves qui lui brûlaient les chevilles. En voulant les retirer, il s’aperçut que ses poignets subissaient le même traitement, lui permettant tout juste d’atteindre son visage toujours inondé par ce qu’il finit par identifier comme du sang… son sang qui s’écoulait abondamment depuis son crâne. Il comprima la plaie avec un bout de tissu qui se trouvait à sa portée. C’était sa chemise. Il baissa alors les yeux vers sa poitrine : elle était lacérée et maculée de petites tâches circulaires.

Tout lui revint d’un coup : le baiser à ses enfants encore endormis, le signe de la main à sa femme en peignoir alors que son pick-up tournait au coin de la rue, deux heures de conduite sur l’autoroute déserte, un dernier texto à sa famille alors que son portable captait encore, une longue marche à pied, lesté par dix kilos d’équipement, l’installation de son camp de base puis la longue attente… Une douleur violente à la tête, la morsure des orties, le goût de la terre dans sa bouche puis la ceinture, les cigarettes, le cutter… Il sentit son estomac se retourner. Terrifié, épuisé, il resta un long moment immobile gisant dans son vomi.

Soudain, des pas se firent entendre. C’étaient eux, ils revenaient !

Instantanément, Freddy se mit à suer à grosses gouttes. Il retenait son souffle. Son calvaire allait recommencer. Pourquoi lui ? Que lui voulaient-ils ? Le chaos régnait dans son esprit. Tous les petits délits et méfaits qu’il avait accomplis inondaient sa mémoire. Il est vrai qu’il avait eu une adolescence assez perturbée. Aujourd’hui encore, il n’était pas un homme parfait. Mais de là à mériter un tel châtiment… Quelqu’un sifflotait un air. Il reconnut « Le lundi au soleil » de Claude François. Quelle ironie. S’il n’avait pas été en si piteux état, il en aurait presque souri.

« J’en peux plus, ça fait des plombes qu’on marche avec tout ce matos. Et il fait super chaud» « C’est bon, on est bientôt arrivés. On s’installe et à nous les bières bien fraîches. »

Il tendit davantage l’oreille. Il ne s’agissait pas des voix de ses tortionnaires. Une vague d’espoir le submergea. Et s’il s’agissait comme lui de membres du club de pêche venus à leur tour utiliser l’étang ? Ce système de location qui l’avait toujours agacé allait peut-être lui sauver la vie.

Il fallait impérativement qu’il signale sa présence. Bâillonné, il lui était impossible de crier. Il rassembla le peu de force qui lui restait et réussit à faire basculer le lit de camp sur lequel il gisait, ravivant du même coup toutes les douleurs de son corps meurtri. Le fracas ainsi engendré suffirait-il à alerter les autres pêcheurs ? Plus un bruit. Il n’entendait que son coeur qui battait à tout rompre. Le bruit de pas reprit ainsi que le sifflotement mais ils s’estompèrent bien vite. Ils étaient partis.

Non, non, il fallait qu’ils reviennent. C’était son seul espoir. Il voulut hurler « attendez, revenez, aidez-moi » mais son bâillon lui permit seulement d’émettre un vague grognement. Il tenta encore et encore de se débattre. Epuisé, il finit par s’immobiliser totalement. Des larmes de rage et de désespoir roulèrent sur ses joues. Une sorte de léthargie le saisit lui faisant perdre la notion du temps. Quand il reprit quelque peu ses esprits, il se demanda combien de temps s’était écoulé : des minutes, des heures, des jours peut-être ? Il mourrait littéralement de soif. Etait-ce ainsi qu’il allait finir ? Il en vint à espérer le retour de ses tortionnaires. Mais sans doute était-ce là leur ultime supplice : le laisser se dessécher, pourrir, abandonné de tous.

Mais non ! Quelqu’un viendrait forcément ! Sa femme avait dû prévenir les secours. On allait le retrouver. Il fallait tenir bon. Il crut devenir fou, son esprit oscillant inlassablement entre profonde résignation et espoir démesuré. Des bruits de pas à nouveau. La porte qui s’ouvre. La police ? Ses bourreaux ?

« - Mais, mais qu’est-ce qui s’est passé ici ?

- Merde, regarde au fond ! »

Il reconnut les deux voix précédemment entendues. Un instant plus tard, quelqu’un était auprès de lui.

« Viens m’aider, bordel ! ».

Les deux hommes redressèrent le lit de camp sur lequel il était immobilisé.

« La gourde, vite ».

On lui enlevait son bâillon. Il ne put articuler le moindre mot tant il avait la gorge sèche.

« - Allez mon gars, bois. Doucement. Tu vas t’étouffer.

- Putain, y’a du sang partout. Regarde dans quel état il est !

- Et on n’a pas de pansements ni de désinfectant ! ».

- On fait quoi maintenant, putain on fait quoi ? »

Il était grièvement blessé dans un lieu isolé où le téléphone ne passait pas.

Mais il n’était plus seul. Il était persuadé que ça ne pouvait pas finir ainsi. Il sentit une énergie venue d’ailleurs l’envahir. D’une voix qu’il eut de la peine à reconnaître comme la sienne, il dit :

« - Merci… détachez-moi.

- T’en fais pas mon gars, on va te retaper. On ne va pas te laisser crever. Ce ne serait pas juste.

- Ca va piquer ».

Il sentit l’odeur du Whisky puis le contact du liquide sur sa peau à vif. L’éventualité d’un dénouement heureux rendait la souffrance supportable.Tout en lui prodiguant ce soin, un des deux hommes reprit :

« Et pis tu sais on n’est pas les derniers. Si tu clamses quand c’est notre tour, on va se faire engueuler et en plus faudra tout nettoyer. C’est la règle du Club. »

Alors qu’il ouvrait la bouche d’incompréhension, l’autre homme lui remit son bâillon.

« La prochaine fois, faudra s’assurer qu’on a la marchandise en premier, quitte à mettre plus cher. Je les préfère frais comme des gardons. »

Ce n’était donc que le commencement. Freddy ferma les yeux.
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