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Cela peut paraître complètement évident, mais Paradise City est l'endroit idéal pour exercer le métier de tueur à gage. Les contrats ne cessent de pleuvoir. Et pour peu que l'on connaisse les bonnes personnes, on ne reste jamais sans travail plus de deux semaines. Ce qui est plutôt tentant Surtout quand le salaire versé pour un seul gros contrat permet de vivre un an, dans un niveau de vie extrêmement confortable. Et cela en fait rêver plus d'un. Même si personnellement, je me contente du minimum vital, pour ne pas me faire griller trop vite. Mais tuer est une tâche difficile sans apprentissage. Alors quand on a appris à tirer et à assassiner depuis l'enfance, ce qui est mon cas, c'est tout de suite plus facile.

Le premier adjoint du maire est sous très haute protection comme il fallait s'y attendre. Il est en train de dîner avec des types louches, dans un restaurant très huppé. Marzotti, le parrain local et un type de la Bradva, la pègre russe. Il y a des policiers placés sur les toits alentours. Et pas un seul flic ne bougerait le petit doigt pour arrêter ces enflures.

Pour autant, ce n'est pas une raison pour les tuer. Les condés qui étaient sur mon chemin, font donc une bonne sieste, grâce au pistolet à fléchettes tranquillisantes que j'ai acheté récemment. Le toit de la bibliothèque était moins bien gardé et l'angle de tir est idéal, même si la distance entre ma cible et ma balle est plus longue.

Le vent vient de l'est, je décale donc ma mire vers la gauche, puis je bloque ma respiration avant de poser mon doigt sur la gâchette et d'actionner le verrou. Je n'ai plus qu'à tirer. Je fais feu et la balle est éjectée dans un bruit étouffé, grâce à mon silencieux fait maison La balle atteint l'adjoint en plein cœur, et traverse son corps et finit dans la jambe d'une serveuse … Bon, elle survivra.

Le plus vite possible, je démonte mon arme et la range. Alors que je m'apprête à partir, la porte menant à l'escalier s'ouvre sur un flic. Je sors mon pistolet et tire sans attendre. Là aussi, j'ai posé un silencieux sur cette arme.

La balle atteint la tête et le flic tombe sur ses donuts déjà écrasés sur le sol. Un nouveau dommage collatéral que je souhaitais éviter, mais c'est toujours mieux que de se rendre docilement.

Je suis sorti de la zone de recherche mise en place par la police, plutôt facilement finalement, pas un contrôle ni de fouille. C'est l'avantage de ressembler à monsieur tout le monde. Je suis arrivé dans le quartier de Derringer. C'est probablement le quartier le plus pourri de la ville, le lieu de regroupement de beaucoup de junkies et de catins. Sans oublier aussi que beaucoup de gangs afro-américains contrôlent la zone. Derringer est situé à deux pas des zones résidentielles, là où vivent les gentilles petites familles tout à fait normales, du moins en théorie.

Je suis arrivé à Paradise City, il y a dix ans et si il y a bien une chose que j'ai remarqué, c'est que personne n'est totalement innocent ou parfaitement normal dans cette petite ville. Il s'y passe même des choses qui ont mis à mal mon coté rationnel, à quelques reprises. Le genre d'événements que l'on pourrait catégoriser dans le surnaturel, même si j'essaye de les voir d'une façon rationnelle. Cela peut aller des morts étranges aux disparitions tout aussi bizarres, en passant par des comportements anormaux. Mais ce qui me me met la puce à l'oreille, c'est cette atmosphère poisseuse et lourde que l'on ne retrouve pas ailleurs. Cette atmosphère qui disparaît quand on quitte la ville.

Je croise soudain l'être humain le moins susceptible de traîner dans Derringer. Une fillette blanche d'environ douze ans n'est pas sensée tenir plus de quelques heures dans un quartier pareil. La qualité de sa robe et son profil laisse entrevoir un visage innocent encore enfantin. Ce qui me laisse penser qu'elle vient d'un coin plus tranquille. Les gosses des coupes-gorges comme Derringer ont l'air d'avoir vécu le double de leur âge. Et ils sont évidemment moins bien sapés.

Elle essaye visiblement de récupérer son chat, qui est perché sur un arbre, en hauteur. Je peux peut-être lui faciliter les choses. Elle n'est pas encore tombé sur une ordure qui en voudrait à ses jolies petites couettes d'un blond vénitien. Mais ça ne saurait tarder si elle reste trop longtemps dans Derringer. J'espère simplement qu'elle ne prendra pas peur.

- Je peux peut-être t'aider, petite ?

J'ai essayé de l'approcher tranquillement, et ça a marché. Elle se tourne vers moi et je me retrouve face à d'étranges et obsédants yeux bleus. Et je ressens de nouveau cette sensation. Je dois sans doute délirer, mais cette petite a une particularité comme quelques habitants de cette ville, que j'ai déjà croisés. Elle aurait pu crier, comme notre ami le chat miaule, à s'en casser la voix. (Si les chats peuvent se casser la voix, j'en sais rien à vrai dire.)

Mais elle me fait au contraire un grand sourire.

- Oui, s'il vous plaît, ce serait gentil.

Ouais, c'est ce que je pensais. Soi elle est très naïve, soi elle sait d'avance que je n'ai aucune mauvaises attention la concernant. La question est de savoir comment elle fait, si c'est le deuxième cas.

Bon, occupons-nous du félin récalcitrant. Il est tout gris, avec des yeux jaunes, un chat plutôt basique. Mais la petite semble y tenir réellement.

- Tiens mon étui à guitare, s'il te plaît. Et fais attention, il est lourd.

- Pas de soucis, répond-t-elle.

Je prend un peu d'élan et grimpe facilement le grand arbre. Ce stupide chat s'est perché vraiment très haut. Mais ce n'est pas un problème. Les arbres de mon pays natal sont bien plus hauts et dangereux que ce petite chêne. Il s'agit seulement de trouver très vite les bonnes prises. Je récupère finalement le chat par le cou, dans un concert de miaulements. Désolé mon garçon, mais je ne pouvais t'attraper autrement.

Je rends ensuite l'animal à sa jeune propriétaire, qui semble vraiment ravie.

- Tu devrais te dépêcher de rentrer. Derringer n'est pas le quartier le plus sûr qui soit, la nuit. Surtout pour une gamine dans ton genre.

- Oh, il m'a fait courir super loin de chez moi, en fait.

D'accord, ça n'a pas l'air de t'inquiéter plus que ça, on dirait. Drôle de fille. Je devrais peut-être lui faire un peu la morale... Ouais bon, un tueur à gages qui a une morale, très bonne blague, n'est-ce pas ? Autant se trouver un boulot normal, dans ce cas.

Je vais être son garde du corps pour quelques minutes, tant pis si je ne suis pas payé. Mais c'est le minimum à faire pour qu'on ne retrouve pas son corps inanimé, demain matin.

- Tu crèches où ?

- À St-Thomas, en face du parc.

- Bon, ça va. Je te raccompagne, par sécurité.

- D'accord.

Trop influençable, ça doit lui jouer des tours. Mais c'est très bien pour cette fois. Elle se met alors à marcher d'un pas léger, son chat gris sur les épaules. Ce dernier ne semble pas déranger par les secousses. Décidément, ce petit duo est plutôt sympathique. Peu ordinaire, cependant.

- Comment vous avez fait pour grimper aux arbres aussi facilement ?

- Je fais ça depuis que je suis enfant. J'ai grandi en Afrique, tu vois, et avec mes frères, on avait besoin de trouver des passe-temps de ce genre pour ne pas s'ennuyer.

Mais les arbres de là-bas, tout comme mes frères, me semblent venir d'un passé très lointain. Par contre, je me souviens encore très bien des bruits des kalachnikovs et des cris de douleur et de panique. Et je revois aussi les lunettes noires et le sourire blanc plein de sadisme de mon colonel. C'est le genre de chose que l'on oublie difficilement quand on a été la machine à tuer d'un chef de guerre fou. J'aurais pu choisir de faire autre chose. Mais il faut regarder les choses en face, j'ai été conditionné pour ça et je suis doué pour ça. On ne me surnomme pas Ice pour rien.

La gamine semble détecter la tristesse dans mon regard, elle paraît forte pour ça. Je change alors de sujet.

-Au fait, je m'appelle Wesley Moimbe, et toi ?

- Sarah Doherty !

Le chat se désintéresse soudain complètement de nous.

- Et ton chat ?

- Willy.

- Plutôt standard comme nom.

- Je n'avais pas trop d'idées, et au début il s'appelait Patapouf. Mais il avait l'air de ne pas aimer, alors j'ai changé.

- Pas étonnant.

Je fais encore un pâté de maison en sa compagnie. Et estimant qu'elle est en sécurité, je l'arrête en lui touchant le bras.

- Nos chemins se séparent ici, Sarah Doherty. Tu ne crains plus grand chose à partir d'ici.

- Oui je vois ma maison.

Elle me tend alors sa petite main pâle. Elle paraît encore plus minuscule quand je la prend pour la serrer.

- Au revoir, monsieur Moimbe, j'espère que l'on se reverra.

- Sans doute. Je te souhaite une bonne nuit.

Ce genre de petites rencontres de rien du tout vous remuent un peu, mine de rien, .Je me suis pris en pleine face, toute l'innocence et la gentillesse de cette petite fille. Je la vois s'éloigner avec son chat étalé sur ses épaules, et la seule chose à laquelle je pense pour l'instant, c'est à prendre quelques vacances. Je peux bien m'arrêter de prendre des vies, un mois ou deux. Quitter Paradise City quelques semaines me fera du bien. J'irais bien en France, tiens. Je n'ai jamais eu l'occasion d'y aller. J'ai juste à récupérer la somme promise par le client.

En attendant, j'ai besoin d'un bon verre. Bref, d'un peu de temps pour moi.
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