FRANÇOIS Ravaillac
Catherine HENRIETTE de Balzac d’Entragues, marquise de Verneuil
HENRIETTE, pressée - Le duc n’est point là ?
FRANÇOIS, sur le ton de l’évidence - Il est au couronnement.
HENRIETTE, furieuse - Le couronnement, évidemment.
FRANÇOIS - Vous n’aimez vraiment pas la reine, n’est-ce pas, Madame ?
HENRIETTE - Si je l’aime ? Je la hais du plus profond de mon être, cette Florentine ! Marie de Médicis, voilà un bien joli nom pour une pareille voleuse !
FRANÇOIS - Mais que vous a-t-elle volé ?
HENRIETTE - Rien de moins que notre bon roi Henri IV, Monsieur Ravaillac. Le roi qui m’avait promis deux fois de m’épouser, et qui a finalement préféré la grosse banquière.
FRANÇOIS, surpris - Vous épouser ?
HENRIETTE - Mais oui ! Il y a déjà onze ans de cela ! Son premier mariage n’avait même pas encore été annulé ! Mais non, il a choisi la royauté, et l’argent surtout. Il n’a eu que faire de sa favorite qui venait de perdre leur enfant… Peste soit de l’argent, des banquiers et de la reine couronnée !
FRANÇOIS, incertain - Mais si vous êtes sa favorite, pourquoi vouloir le tuer ?
HENRIETTE, jetant des regards de tous côtés - Chut ! Ne dites pas cela !
FRANÇOIS - Dites-moi pourquoi ou je ne le fais pas.
HENRIETTE, impérieuse - Vous le ferez ou c’est vous que je fais assassiner.
FRANÇOIS, inflexible - Dites-moi pourquoi.
HENRIETTE - Elle m’a tout pris. Mon mariage, mon mari, ma couronne, mes héritiers au trône. Même les faveurs du roi ! Oui, je ne suis même plus la favorite du roi. Depuis quelques mois, il y a cette Charlotte et si je suis acceptée à la Cour, je sais bien que ce n’est que parce que j’ai porté deux enfants légitimés du roi.
FRANÇOIS - Ainsi vous voulez lui prendre le roi en retour.
HENRIETTE - C’est cela même. Elle est couronnée aujourd’hui, demain elle sera veuve. Faussement triste, Pauvre petite Henriette qui ne se souviendra pas de son papa… Furieuse, Et ils ont osé lui donner mon prénom !
FRANÇOIS - Comment devrai-je procéder ?
HENRIETTE - Demain, le roi va se rendre à l’Arsenal, pour rendre visite à Sully. Elle sort un feuillet de son corsage. Voilà son itinéraire. Elle indique un point du parcours. Ici, il y a une auberge, « Au coeur couronné transpercé d’une flèche ». Vous vous tiendrez à proximité, avec le couteau. Le duc sera avec lui dans le carrosse, il l’aura incité à lever les rideaux auparavant. Vous n’aurez qu’à atteindre la voiture et à frapper.
FRANÇOIS - Il n’y aura pas de gardes ? De valets ?
HENRIETTE - Moins qu’à Pâques où vous n’avez pu l’approcher. L’Arsenal est tout proche, le roi ne se fera pas escorter par la Garde. Quelques officiers comme le duc, et quelques fantassins tout au plus.
FRANÇOIS - Comment être certain que le convoi ralentira à cet endroit ?
HENRIETTE - C’est tout arrangé. Il y a un peu plus loin sur le trajet une autre auberge, dont le tenancier a accepté contre quelque ristourne de faire livrer vin et foin à la même heure, vers seize heures. Malheureusement, l’arrière-cour ne peut recevoir deux voitures en même temps, l’une d’elles devra stationner dans la rue en attendant que la première soit déchargée. Mais la rue est étroite à cet endroit. Cela nous assurera un ralentissement pour plusieurs dizaines de minutes.
FRANÇOIS - Et après ? Comment vais-je m’en sortir ?
HENRIETTE - Le duc sera là. Il fera le nécessaire pour que vous ne soyez pas lynché sur place. Ensuite…
FRANÇOIS, pressant - Ensuite ?
HENRIETTE, faussement assurée - Ensuite, il vous fera disparaître avant votre emprisonnement et vous n’aurez plus qu’à rentrer à Angoulême.
FRANÇOIS, rassuré - C’est tout ? C’est simple de tuer un roi.
HENRIETTE - Je compte sur vous pour ne pas rater votre coup, vous n’aurez pas de seconde chance.
FRANÇOIS - Et pour vous ?
HENRIETTE - Comment, pour moi ?
FRANÇOIS - Et bien… Qu’allez-vous faire après ?
HENRIETTE - Mon fils et ma fille, les enfants du roi, sont encore petits. Je rentrerai à Verneuil pour les élever loin de la Cour. Ils n’ont pas besoin de fréquenter ceux qui leur ont volé leur père.
FRANÇOIS - Personne ne s’en étonnera ?
HENRIETTE - Je n’ai aucune raison de rester. Même si j’étais encore la favorite du roi, lui mort, la grosse banquière reine régente, je ne serai plus la bienvenue à la Cour. Mes enfants, peut-être, mais ils ne les sépareront pas de moi.
FRANÇOIS - Bien. Ma récompense ?
HENRIETTE - Cinq mille écus, comme convenu. Vous les trouverez sur la route d’Angoulême, à Chastres. Demandez le tavernier à la première auberge sur la grand-route. Vous vous présenterez sous le nom de l’abbé Roissac, de la part du consul de Basse Saintonge. Il saura ce qu’il a à faire. Retenez bien. L’abbé Roissac, de la part du consul de Basse Saintonge.
FRANÇOIS - Parfait. Tout est dit, alors ?
HENRIETTE - Tout est dit. Adieu, Monsieur Ravaillac.
HENRIETTE, restée seule - Quel benêt. Croire qu’il pourra commettre un régicide et s’en sortir aussi aisément. Il faudra que je rappelle au duc l’importance de sa condamnation, que ses dires ne puissent jamais inquiéter nos réputations.