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Notes :
Merci à ma bêta Nighty (The Night Circus)
Notes d'auteur :
Défi 1

Nom de l'épreuve : Et bien dansez, maintenant !

Résumé de l'épreuve : Peu importe où, quand, comment, et avec qui votre histoire se déroule. Vos personnages (ou votre personnage, il peut être seul), dansent, c'est tout. Ils peuvent être un, deux, trois, quatre… Peu importe. Votre récit doit simplement s'ancrer pendant une danse.

Contraintes : Votre texte devra comporter 500 mots minimum. Vous décrirez les émotions d'un de vos personnages à un moment de l'histoire. Vous ferez également une description de l'environnement dans lequel il se trouve. Délai de réponse : Vous avez jusqu’au 18 février 23h59 pour poster votre texte.
Les murs étaient de guingois, l'endroit presque insalubre. Les toiles d’araignées pendaient du plafond à la française et des boules de suies tombaient régulièrement dans l'âtre de la cheminée centenaire. Pourtant, pour rien au monde les danseurs ne seraient allés ailleurs pour leur répétition. Ça faisait plus de soixante-dix ans et quatre générations que le groupe se réunissait et partageait ce qui les unissait: les coutumes, les costumes, les musiques et les danses. Cette maison n'était pas n'importe quelle maison. Les murs jaunes faisaient ressortir les photos qui les recouvraient, les reflets des vitraux dansaient sur les tomettes rouges du sol et le vieux bar en bois embaumait la cire fraîche. Tel était le Fougau, le foyer qui réchauffe les corps des danseurs en plein hiver et leurs cœurs en été.


Tous étaient présents, aussi bien les garçons que les filles et ils tentaient de suivre le rythme imposé par leur professeur. A l'âge de soixante ans, Claudine levait encore la jambe tendue à plus de quatre-vingt dix degrés, les pieds parfaitement pointés. Elle tapait dans les mains au rythme d'un quatre temps et ses yeux perçants décelaient les moindres failles de ces protégés.
Eleonore était un peu en décalé, bien moins que Séraphin, mais tout de même assez pour qu'on puisse le remarquer. De honte, elle s'immobilisa et devint toute rouge avant de se faire percuter par un autre danseur, Daniel, qui ne regardait jamais où il mettait les pieds.

-Bon, c'est bon ! On arrête, tous. Écoutez-moi ! intervint Claudine. Eleonore, il ne te manque pas grand chose pour que tu sois en rythme, écoute la musique. Romain, tends tes pointes par pitié, pareil pour Basile et Séraphin, la famille portemanteau ça va bien cinq minutes, faut faire un effort !

-Si je peux rajouter quelque chose, coupa Célia, qui secondait Claudine, pour les batteries, si vous n'êtes pas en rythme, ça se voit direct. Les garçons, pensez, surtout, le mot d'ordre : plié, tendu, pas bouger, quand vous atterrissez. Là on dirait des éléphants ! Les filles, pour faire le tombé, il faut sauter avant de pouvoir justement « tomber» et ne cherchez pas à vous déplacer de trop, ce n'est pas un frappé qu'on vous demande, pas besoin d'aller bien loin !

La tête d’Eleonore s'affaissa un peu : elle n'aimait pas rater un enchaînement, et ça lui arrivait encore trop souvent à son goût.

Séraphin, lui, regardait dans le vague. Personne ne pouvait dire ce qu'il pensait, il évoluait dans un autre monde, un monde où les proportions et les distances n'étaient pas tout à fait les mêmes que dans le nôtre, pas plus que les volumes ou le temps. Sa réalité était différente de celle des gens normaux. Comment pouvoir expliquer ce qu'un dysphasique peut ressentir en dansant ? Et encore plus lorsqu'il s'agit aussi d'un dyslexique doublé de dyspraxie ? S'habiller était pour lui un combat de tous les jours, alors danser, se souvenir des mouvements, des positionnements, tout en anticipant le suivant, devait être exténuant. D'ailleurs, comme à chaque fois qu'un enchaînement de pas était interrompu, il alla s'accouder au bar à côté de la grosse table en bois. Il savait que l'heure de l'apéro n'avait pas encore sonné, mais lorsqu'une danse ou une succession de pas se terminait, l'adolescent avait besoin de repères, d'un point fixe. Alors, pour se rassurer, il s'accoudait au bar, buvait un sirop de citron très fort, s'épongeait le front avec un sopalin, respirait un peu, puis, une fois le rituel terminé, il retournait à sa place dans les lignes de danseurs.

Quand à Eleonore, elle ruminait toujours dans son coin. Elle pouvait se monter très dissipée par moments, mais ça n'était pas vraiment de sa faute. La jeune fille cachait un grand manque de confiance en elle par une extravagance incroyable qui pouvait vite énerver. Elle était aussi très sensible, ne comprenait pas bien le second degré, enfin, pas toujours, et son côté enfantin, assez rafraîchissant du reste, lui jouait parfois des tours.
L'ancienne professeure avait d'ailleurs vite abandonné l'idée de tenter de lui inculquer quoi que ce soit à cause de son manque de concentration, tout comme pour Séraphin, trop « différent » et même Marianne, trop grosse.

Depuis que Claudine et Célia avaient reprit en main le groupe, tous les trois avaient pu bénéficier de temps de répétitions beaucoup plus conséquents. En fait, pour dire toute la vérité, ils avaient enfin pu passer dans le groupe des « Grands ». Ceux qui faisaient les sorties, qui dansaient ou défilaient tous les week-end, qui partaient en voyage, qui revêtaient les costumes d'époque et dont on racontait encore les âneries des années plus tard. Les générations passaient, les bêtises restaient, et on se les racontait en faisant griller des châtaignes dans la cheminée.


-Bon, allez, maintenant que vous avez tous bu un peu d'eau on y retourne et pensez à ce qu'on vous a dit, prévint Claudine. Faites cinq lignes de quatre, on reprend ligne par ligne. Vous me faites le premier enchaînement du Pas Grec.

-Et on sourit ! rajouta Célia. Si vous le faites en répé, vous le ferez aussi en sortie !

Brunhilde, Eleonore, Clarence et Romain se mirent en place en traînant plus où moins des pieds.

-Anne et Valmont ! Vous pouvez jouer ?

Les deux musiciens prirent leurs galoubets, une longue flûte en bois qui ne se jouait que d'une main, et leurs tambourins pour marquer le rythme. Ils se regardèrent, inspirèrent un bon coup, tapèrent deux coup sur le cercle du tambourin puis, au moment où la musique commençait, les danseurs s'élancèrent.
Comme toujours, Clarence était très carré et précise dans ces déplacements ; sa sœur Brunhilde, qui n'habitait plus en France et ne répétait de ce fait plus si souvent, avait tout de même de très beaux restes bien que cette danse ne soit pas sa préférée. Romain, comme à son habitude, avait les pieds flex au possible alors que l'on pouvait voir qu'il suait sang et eau pour pour ramener la pointe de ses orteils vers le sol. Eleonore, elle, n'assembla pas correctement à la fin du premier coupé et poussa un cri de frustration.

-Chuis nulle ! Je sers à rien, j'y arrive pas !

Les autres danseurs sursautèrent et interrompirent leurs efforts. Clarence se réfugia aussitôt près de la cheminée éteinte pour observer le reste de la scène. La cheminée était son point d'ancrage, son port d'attache. En cas de doute, d’accalmie ou de tempête, toujours se réfugier vers la cheminée. Romain se figea, mal à l'aise, et Brunhilde s'exclama en chœur avec d'autres filles :

-Mais non, tu n'es pas nulle Eleonore !

-Mais si, j'arrive même pas à assembler, répliqua-t-elle.

-Tu sais, pour cette danse avec tous les assemblés bâtards qu'il y a, j'ai aussi eu du mal et des fois je me trompe encore, murmura Clarence d'une voix timide.

Eleonore se remit en place et réessaya, fit un frappé au lieu d'un coupé et se mit à sauter sur place en donnant de la voix tant elle était en colère contre elle-même.

-Eleonore arrête, ça ne sert à rien de crier et de t’énerver comme ça... tenta de la calmer Anne.

-Mais j'y arrive pas, je suis nulle, répéta-t-elle, butée.

-Regarde plutôt ton évolution, intervint Célia. Depuis qu'on est arrivées tu as appris pleins de danses !

Eleonore s'immobilisa et se tut, surprise.

-C'est vrai, tu te souviens qu'avec Séraphin et Marianne vous ne dansiez quasiment pas avec l'Autre, continua Anne.

-Quasiment pas ? Tu veux dire jamais oui ! grommela Brunhilde.

-Tu préfères retourner à cette époque? Ou rester comme maintenant en te trompant parfois, mais en dansant tout les week-end ?

Eleonore était immobile, ne disait plus rien : à leur manière ses amis lui faisait des... des compliments. De nature, dans ce coin-là de la France, le proverbe « qui aime bien châtie bien » était érigé au rang d'art de vivre. Par conséquent, lorsqu'on s'aimait on se criait plus souvent que ce qu'on se disait des mots doux et qu'on se faisait des gâtés. Et c'était d'autant plus vrai lorsqu'on s'appelait Eleonore ! Ses yeux devenaient rouge peu à peu.

-Allez Eleonore ! C'est pas grave, regarde tous les progrès que tu as accompli en aussi peu de temps ! En plus, je pense que tu réfléchis peut-être un peu trop, te mets pas tant de pression et ça va aller tout seul.

-C'est vrai, approuva Marianne. En plus toi, tu as de bonne impulsions avec le volley donc tu peux vraiment faire des pas amples quand tu danses, tu n'as pas besoin de trop forcer pour ça.

-Et puis, pour ton ouverture et ta souplesse ça se travaille, ça viendra avec le temps, mais quand tu veux, tes pointes sont vraiment belles, dit Célia en prenant Eleonore dans ces bras.

-Allez, quoi Eleonore, pleures pas, tu ferras les Bouffets avec nous au carnaval cette année, lança Basile de sa voix grave.

Eleonore était l'une des rares filles à avoir pu s'immiscer dans cette danse traditionnellement réservée aux hommes, et elle en raffolait. La jeune fille, qui pleurait à chaudes larmes, éclata de rire et s'étouffa bruyamment. Basil lui envoya une grande claque dans le dos.


Elle était heureuse, Eleonore.


Les filles la cajolaient, les garçons se moquaient.


Typique.
Note de fin de chapitre:
à bientôt pour un nouveau défi !
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