Camille n’a pas dormi de la nuit, bien trop excité de voir si le Père Noël est passé. Il appréhende un peu car la veille, en voulant monter sur un tas de bois enneigé, il a déchiré la couture de son pantalon de laine. D’un autre côté, Camille est persuadé que le Père Noël aussi a été un petit garçon de sept ans un jour, et que lui aussi a dû faire des bêtises alors ça le rassure, un peu.
Le garçonnet tourne et retourne dans son lit en fer forgé. Il tend l’oreille, observe le fin espace entre le parquet et le bas de la porte et attend le signe qui indiquera qu’il aura le droit de se lever.
Enfin, les choses semblent évoluer.
De l’autre côté du mur, il entend le réveil de ses parents sonner, puis leur lit qui grince et tout de suite après, le parquet qui craque. Pas de grasse matinée quand on est fermier. Pas plus le matin de Noël mais aujourd’hui, Camille s’en moque. Au contraire, il a hâte de descendre à son tour dans la cuisine et de voir si le Père Noël lui a tenu rigueur ou non de son imprudence de la veille.
La porte de la chambre parentale s’ouvre, laissant passer un rayon de lumière sous la porte. Son père et sa mère chuchotent en passant et descendent les escaliers.
Camille sourit de toutes ses dents.
Bientôt une douce odeur de suie sortant du poêle va monter jusqu’à sa chambre.
Bientôt, celle du chocolat chaud s’ajoutera à l’ambiance de ce matin de Noël.
Le petit garçon remonte son édredon sous son menton et arrête un instant de respirer pour mieux écouter ce qui se passe en bas.
Il connait ce moment par coeur et l’attend chaque année avec impatience.
Il imagine sa mère qui, après avoir mis la casserole contenant le lait sur le feu, ouvre le grand buffet de la cuisine, pointe du doigt les étagères en fredonnant et en retire le 45 tours qu’elle cherchait avec un air victorieux.
Il visualise la manière avec laquelle elle enlève le disque de la pochette puis le place dans le l’électrophone et vient placer la virole au-dessus.
Ensuite, Tino Rossi se met à chanter.
Les sons de « Petit Papa Noël » résonnent jusqu’à sa chambre et Camille se laisse porter par les paroles qu’il connait sur le bout des doigts.
La Neige étend son manteau blanc
Et les yeux tournés vers le ciel
A genoux les petits enfants…
La porte de sa chambre s’ouvre et aussitôt, Camille s’assoit dans son lit et regarde sa mère avec un sourire plein de malice.
- Il est passé ?! il demande pour se rassurer.
Pour toute réponse, sa mère recule d’un pas pour l’inviter à descendre.
Le petit arrive dans la cuisine.
Sous le sapin, un paquet énorme se trouve à côté de ses galoches usées. De la forme, Camille distingue immédiatement le vélo qui se trouve sous le papier.
C’est sans aucun doute le plus beau jour de sa vie !
A lui les allers-retours à l’école quand la neige aura fondu, les courses avec ses cousins le dimanche après la messe et le tour de France, même, peut-être, quand il sera plus grand…
- Allez Papy, qu’est-ce que tu m’as offert toi ?!
Camille sort de ses pensées et hésite un instant à remettre la gamine de dix ans à sa place. On n’a pas honte de ramener son grand-père dans le présent aussi brusquement. Elle a un nombre incalculable de paquet devant elle qu’elle déballe sans même prendre le temps d’apprécier le cadeau.
Camille a quatre-vingt-sept ans, désormais. Finie la magie de Noël et des plaisirs simples. Ces souvenirs sont des fantômes qui bercent ses songes. Il ne comprend pas grand-chose à cette société de consommation et à cet instant précis, si le vieux monsieur en rouge existant vraiment, Camille souhaiterait plus que tout retrouver ses sept ans et les Noël d’antan.