- Debout marmotte !
Quel charmant réveil. Signé Ariane, ma cousine qui ouvre rarement le bec. En ma présence, en tout cas, j’ai cru comprendre en la voyant avec ses amis qu’elle est bavarde comme une pie.
Hum…je resterais bien plus longtemps au lit, moi. Il faut dire à ma décharge que la soirée d’hier n’a pas été de tout repos. Grand-père est venu. Nous avons un peu discuté – je commence même à l’apprécier, avant qu’Ariane ne me lamine aux échecs. Qu’importe, un jour, j’aurais sa peau. Enfin, pas vraiment. Aux échecs, toujours. Je la vaincrais. Vous avez compris.
- Debout ! Le soleil brille, les oiseaux chantent, et tu dois être à neuf heures au Palais du Conseil !
Merci pour l’encouragement. Ça me donne vraiment envie de me lever.
Franchement, j’aurais apprécié qu’Ariane se passe de me rappeler le charmant programme de la journée. J’étais à peu près tranquille, voilà maintenant que je stresse comme avant un examen.
Remarquez, on peut appeler cela un examen…
Je m’explique : j’ai quinze ans, l’âge où les magiciens reçoivent leur magie. Presque la cour des grands.
Ici, comme a eu la gentillesse de m’expliquer Grand-père, il n’est point question de choisir son métier. Tous nécessitent des compétences différentes. Les goûts personnels, à côté de cela, comptent pour du beurre.
Une fois par an, le Conseil Général reçoit les enfants en âge de recevoir une attribution. Enfin, une formation, plutôt. Par une opération fastidieuse à laquelle je n’ai rien compris, quelqu’un mesure – devant le Conseil, qui doit être ravi de ce spectacle – l’ampleur des pouvoirs du candidat. Le Conseil lui attribue alors un métier en adéquation avec ses pouvoirs, et passe au candidat suivant.
Ce que je dis est affreusement brouillon. Désolée, vraiment. Mais le fait est que je n’ai absolument rien compris. Grand-père ne s’est pas attardé sur les explications. Pour lui, la procédure est logique, bien qu’affreusement ennuyeuse. Il faut dire à sa décharge que de voir, durant une journée entière, défiler une bande de gamins intimidés n’a rien de très réjouissant ou folichon.
Sauf que cette année…je passe, moi aussi. De cela il ne m’a rien dit, mais je crois aisément deviner que ma présence va apporter un petit peu d’intérêt, comme celle d’Ariane l’an dernier.
En parlant d’Ariane, si elle retourne vraiment le matelas comme elle a menacé de le faire, je hurle !
Et elle ne pourra pas dire qu’elle ne pouvait pas le prévoir. C’est affreusement logique, et sa formation de voyante doit bien servir à quelque chose.
- GAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARGH !
Cri d’assaut breveté à 100% Sarah Elis en colère. Elle a osé ! ELLE A OSE ! J’ai l’air maline, moi, maintenant. Le sol est dur, en plus. Ça va chauffer !
Il y a du bon, en fait, à retomber en enfance. Je peux me permettre les actes les plus puérils, personne ne peut y trouver grand-chose à redire.
C’est pour cette raison que je me permets de faire ce que jadis ma mère m’interdisait à cause de ma fragile constitution : un assaut direct sur l’ennemi personnifié par ma cousine, avec pour seule arme…mon oreiller.
Ariane paraît quelque peut décontenancée par cette attaque. Je suis pleine de surprises, elle l’ignorait ? J’ai beau ne pas encore savoir faire de magie, je suis loin d’être sans défenses. Jamais encore je n’avais tant béni le vacarme quotidien auquel se livraient mes frères, dans les temps lointains de notre enfance. J’en ai pris de la graine.
Mais manifestement, je ne suis pas la seule à avoir pareille expérience. Non seulement Ariane riposte avec dextérité, mais ma tante apparaît, pour couronner le tout, dans l’encadrement de la porte.
Je m’immobilise aussitôt, suivie en cela par ma cousine. Honnêtement, je ne sais que penser. Ma tante est très gentille, je l’aime bien, mais je ne sais jamais, quand elle dit quelque chose, si elle plaisante ou pas.
En l’occurrence…Purée, c’est pas gagné !
- J’ai deux déclarations à faire, déclare-t-elle en conservant l’impassibilité d’un masque de théâtre Nô. La première, Sarah, est que tu ferais bien de te dépêcher si tu ne veux pas arriver en retard. Je ne crois pas que ton grand-père soit ravi que tu te fasses remarquer de cette manière. La deuxième, pour vous deux les filles, c’est qu’il vaut mieux attaquer dans les jambes : ça déstabilise l’adversaire.
C’est sur ces paroles hautement philosophiques qu’elle quitte la chambre, nous laissant méditer dessus.
Ariane ouvre des yeux ronds dignes d’un poisson rouge, tandis que je lutte pour ne pas éclater de rire.
Si on m’avait dit, la première fois que j’ai rencontré ma tante, qu’elle se montrerait fine stratège en matière de bataille d’oreillers, je n’en aurais sans doute pas cru un mot. Il faut que je revoie mon jugement. L’Hendiadyn est, en fait, assez intéressant. Tout se fonde sur les apparences, certes, mais il suffit de gratter un peu le vernis pour avoir de sacrées surprises.
Bon, cela, ce n’est pas tout, mais je manque d’être en retard. Ma tante a raison, Grand-père serait furax si je me faisais remarquer d’une aussi mauvaise manière.
En plus, je n’ai pas de chance. La présentation au Conseil se fait dans l’ordre alphabétique. Si j’avais été dans les P ou R, j’aurais peut-être pu faire la grasse matinée. Etant une Elis…pas la peine de rêver.
Mon petit déjeuner occupe toute mon attention, lorsque ma tante entre en coup de vent, un écrin fauve à la main. Je manque de renverser mon café et retient de justesse un juron des plus inélégants. Ça m’échappe un peu trop, en ce moment, et Marvolo a adoré me railler sur le sujet. Il ferait bien de faire attention. Un jour viendra où j’aurais déteint sur lui, et je peux lui garantir qu’à ce moment là je ne lui ferais aucun cadeau.
Ma tante hésite un instant. Quoi, elle est encombrée par cet objet ? Mais qu’elle le pose ! Après tout, elle n’avait qu’à ne pas aller le chercher.
J’admire son manque de logique en cet instant précis. Il faut bien qu’elle se décide : elle a besoin de ce machin oui ou non ?
Manifestement, la question mérite le rassemblement d’un comité de sages. Veut-elle que je pose la question au Conseil en son nom ?
Inspiration, expiration…ah, elle me semble avoir pris sa décision maintenant. Rapide. Ça n’a pris que…quatre minutes selon ma montre.
- Damian me l’avait confié la dernière fois que je l’ai vu, dit-elle en poussant l’écrin vers moi. Il voulait que je te la donne. Je pense que le moment est venu.
Qu’est-ce donc, un harmonica ? Ne me demandez pas pourquoi j’ai dit un harmonica, c’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit. J’aurais aussi bien pu parler de tutu rose ou de lampe de poche.
C’est avec une curiosité non feinte que j’ouvre la boîte. Je peux paraître étrange, mais je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle peut contenir. En même temps, j’ai à ma décharge que je ne vis en Hendiadyn (ils auraient pu l’appeler le pays de Candy, l’image véhiculée aurait été réaliste au moins. Je ne remets pas en question mon premier avis : l’image, ici, est celle d’un conte) que depuis une semaine. Je n’en ai presque rien vu. Ma tante me fait visiter la ville quand elle le peut, mais ses temps libres sont rares. Marvolo la relaie parfois, mais son travail de brigadier l’occupe énormément, et il n’y songe pas toujours. Seule pourrait demeurer Ariane, mais je peux dire sans me tromper qu’elle n’a pour moi qu’une amitié limitée. Ses amis lui paraissent autrement plus intéressants.
J’avale ma salive.
Dans ce petit écrin fauve, sur un lit de velours cramoisi, repose une baguette magique.
Je dois paraître bien insouciante, mais la franchise m’oblige à avouer que je n’ai jusqu’alors pas trop réfléchi à la magie en elle-même. Certes, elle m’entoure. Certes, elle m’imprègne. Mais je n’ai jusqu’alors vu la pratique que comme une obligation lointaine.
Ce beau temps est fini.
Il ne me faut pas une intelligence digne d’Einstein pour comprendre ce que ma tante a voulu dire : Papa avait fait le choix de vivre sans magie. A ce titre, il n’avait plus besoin de sa baguette. Il me l’a donc laissée.
Ce petit morceau de teck est mon seul héritage, son cadeau d’adieu. Il me reconnaît comme magicienne, accepte que j’entre dans ce monde qu’il a fui, mais m’intime ainsi de ne pas oublier mes racines.
Ne t’inquiètes pas, Papa…tu fais partie de moi.
Lentement, ralentie par je ne sais quelle force obscure, j’approche la main de la baguette. Lorsque j’ose enfin la toucher, je sens une onde fulgurante me traverser, et l’espace d’un instant ma vision se trouve supprimée.
Je sens…je sens mes veines se dilater. Un courant étrange parcourt tout mon corps, mettant mes sens en éveil et faisant se dresser mes cheveux sur ma tête.
Puis c’est une douce chaleur qui prend sa place. Elle ne me quitte pas, explore les moindres parcelles de mes entrailles, pour enfin se nicher au creux de ma poitrine et, lentement, diminuer.
Le courant suivant est tel que, si j’avais été debout, je serais tombée. Celui-là n’est ni chaud ni agréable. C’est un feu brûlant qui me saisit. Je sens les veines battre sur mes tempes, tandis que quelque chose d’indescriptible tambourine dans mon crâne plus efficacement qu’un percussionniste. La douleur ne cesse pas tandis qu’elle électrise mes membres. Je suis paralysée, à la merci de ce courant magique qui parcourt mes membres, pour enfin venir s’éteindre, à son tour, au creux de ma poitrine.
C’est ce que j’appelle un bad trip.
- Sarah ? Ça va ?
Hum, manifestement je n’ai pas eu un sourire radieux durant tout le temps où j’étais soumise à des sensations aussi fortes que contradictoires. Remarquez, il y avait de quoi. J’ai encore dans la bouche un petit goût âcre, qui n’a rien à voir avec celui du café.
Mais qu’est ce que c’était, nom d’un rat des champs ?
- Damian m’avait dit…mais je ne penserais pas que ça te ferait cet effet-là.
Papa lui avait dit…dit quoi ? Je n’ai aucun problème d’oreille, c’est donc elle qui n’a pas terminé sa phrase. Charmant. Je ne suis pas plus renseignée. Oh, ce n’est pas que je mets une fois encore en œuvre mon extraordinaire curiosité, mais j’aimerais tout de même savoir ce qui m’a été fait. Surtout qu’apparemment…elle était au courant…la salive doit être pour elle un bien précieux. Si tel n’avait pas été le cas, ma tante en aurait sans doute gaspillé un peu plus à m’expliquer avant de quoi il en retourne.
- On aurait dit que tu étouffais, fait judicieusement remarquer une Ariane peu préoccupée par mon sort.
Ariane Destoc, vous êtes le maillon faible, au revoir.
- Qu’est ce qui s’est passé ? je demande en reposant prudemment la baguette.
- Un processus inhabituel…il faut être bon magicien pour le mettre en œuvre. Bon magicien, et surtout très déterminé. Lorsque ton père m’a remis cette baguette, c’était pour que tu en hérites. Mais il avait également un autre but, dont il m’a informée. Vois-tu…Damian ne voulait pas retourner en Hendiadyn, quel que soit le motif pour cela. Il a donc voulu éloigner de lui la plus grande des tentations, à savoir sa magie. Sa plus grande crainte était de se trahir alors qu’il était chez les humains. Sa vie s’en serait trouvée radicalement changée, ainsi que la vôtre. Il a donc voulu vous protéger, en quelque sorte. Le moyen le plus sûr d’arriver à ses fins était de se séparer de ses pouvoirs. C’est ce qu’il a fait, les emprisonnant dans cette baguette. J’ignore pourquoi, mais il voulait que tu en hérites. Damian a gardé juste ce qu’il fallait pour être encore considéré comme magicien, et pour que le Bureau des Magiciens Décentrés ait connaissance de sa présence.
Donc…si je suis bien…je dispose à présent de deux pouvoirs, le mien et celui de mon père. Une puissance doublée.
Sans vouloir le vexer…je crois que j’aurais pu m’en passer. Je ne cherche pas à me hisser dans les plus hautes sphères. Mon but n’est pas de commander, être une tête pensante, une élite. Je veux simplement quelque chose qui me corresponde, où je pourrais réellement comprendre ce qu’est ce pays d’où viennent mes ancêtres.
Ma tante me remet également un étui doré (non, d’or, comme le précise Ariane entre deux tartines), semblable à celui que chaque magicien porte à la ceinture. Les magiciens aisés, du moins. J’en ai vu certains qui se contentent de cuir.
- Il est d’usage que pour ses quinze ans un magicien reçoive une baguette et un étui, déclare ma tante comme s’il s’agissait d’une vérité universelle. Celui-ci était celui de ta grand-mère, Elizabeth Elis-Rocré, à laquelle tu ressembles beaucoup. Grand-père a insisté pour que tu le portes.
Il m’achète avec des cadeaux de prix, peut-être ?
Oups. Huit heures trente au carillon. J’ai intérêt à faire vite.
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Notes d'auteur :
bonjour bonjour, merci de me lire!
voilà donc le chapitre 8. n'hésitez pas à aller voir sur gadgetauchapeau.skyrock.com, j'ai mis en ligne le début du chapitre 9.
biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
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biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
Note de fin de chapitre:
un petit com pour m'encourager? ^^
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