Je dors du sommeil du juste…
Quoique peut-on vraiment parler de sommeil ? Lorsque je suis entrée à l’école de voyance, on m’a mille et mille fois rabâché que jamais ma vie ne serait celle du commun des mortels.
Il est dans la nature de chacun de dormir pour se reposer. Même les vampires, même les Elfes, même les plus terrifiants des monstres, ont besoin de dormir. Nous devons reprendre de l’énergie, pour que la vie puisse continuer à suivre son cours.
Attention, prenez garde : je ne dis pas que les voyants cessent de suivre le cours naturel des choses au profit de leur seule fonction. Seulement, nous ne sommes pas ordinaires.
Les visions peuvent nous visiter à chaque instant. Pour ce métier, point d’horaires ni de retraites. Quand bien même nous tenterions de toutes nos forces d’y échapper, la magie des événements nous rattraperait. Notre aura est si…parfaite qu’elle ne peut que s’accrocher à nous. Suffisamment de magie pour que nous puissions voir, mais point trop non plus. Un voyant trop puissant risquerait d’entrer dans ce qu’il voit, et demeurer à jamais prisonnier de ses rêves…ça c’est déjà vu.
Nous savons provoquer les visions, nous pouvons tenter de les éviter, mais parfois notre vigilance ne suffit pas. Chaque vision est unique. Elle peut nous toucher n’importe quand, lorsqu’elle arrive, et de n’importe quelle manière.
La boule de cristal ? Ce n’est qu’un instrument… Elle favorise la venue des visions, les attire, mais son usage n’est pas indispensable.
J’ai déjà lu dans le feu, la glace, l’eau, l’air. J’ai vu l’avenir et le passé dans les rondins d’un arbre. J’ai déjà scruté les nuages. Mais jamais de rêves.
Enfin, jusqu’à aujourd’hui.
Je me doutais qu’à force de chercher un complément à la rune mystérieuse que j’ai entrevue – et dont moi seule connaît encore l’existence – je finirais par aboutir. Ma vision était trop…incomplète. Je devais savoir. Si cette prédiction m’avait trouvée moi et moi seule, c’est bien qu’elle était spéciale. Importante, peut-être. Mais avant de communiquer ce que j’ai vu, je dois creuser le problème.
Révéler le contenu de ma vision alors qu’il est encore incertain m’exposerait aux railleries. Je suis jeune encore. Mes dix-sept ans viennent de passer, et je ne suis qu’élève. Ce n’est rien auprès des centaines d’années d’expérience des vénérables débris du Conseil.
En plus, Grand-père a toujours fait si peu de cas de moi que je ne serais pas surprise qu’il réfute mes théories uniquement parce que je suis moi. Non, je dois avoir du solide, du concret.
Quand je serais prête, ils reconnaîtront que je ne suis pas aussi insignifiante qu’il y paraît. Je ne suis pas que le pâle reflet de mon ancêtre, que diable ! J’ai une place en Hendiadyn, et je peux déjà dire qu’elle sera grande.
Moi, ambitieuse ? Et après ? Je dois bien me distinguer. Je suis fille de la noblesse, et pourtant personne ne prête plus d’attention à moi que si j’étais en carton. Elle est mignonne la petite Destoc ! Sois bien gentille et reste là pendant qu’on discute entre grands. Va-t-en, Ariane, tu me gênes dans mon travail.
Au moins, ce n’est pas une chose que ma pimbêche de cousine risque de connaître. Les médecins sont si facilement reconnus…Ils sauvent des vies…Ce sont les moteurs de l’avenir.
Les voyants, eux, sont de pauvres gens à moitié tarés. C’est bien connu. Ils voient ce que personne d’autre ne voit, donc ce sont des menteurs. Il est si facile de ne pas croire ce qu’on ne peut vérifier…
Cela fait des années que je mâche ma rancœur. Mais ça va bientôt prendre fin. L’année prochaine, je serais majeure. Je pourrais voler de mes propres ailes. Oh, pas pour faire le mal, non. Papa – le seul qui m’accordait de l’importance – servait l’Hendiadyn, et j’ai bien l’intention de suivre son exemple. Mais je sauverais le monde par mes visions.
Les autres seront bien dépités en voyant ce qui leur a glissé entre les doigts.
Mais passons. Je ne suis pas là pour râler, bien que ce soit mon sport favori.
Je dors…alors que j’erre dans le merveilleux pays des rêves, tout repos cesse soudain. Je n’ouvre pas les yeux. Mon état n’est ni l’éveil ni le sommeil, mais je suis en situation d’approche. La vision est près de moi. Elle hésite. Doit-elle venir ? Doit-elle renoncer, malgré tous mes appels ?
Elle vient, finalement. Elle s’empare de moi, et je vois enfin ce que j’attendais.
Hein ? Mais…Il fait quoi, là ? Hey, dégage, je ne t’ai pas demandé d’entraver mes visions !
Oh Seigneur…je crains que ce ne soit pas une intrusion parasite. Il est là, et bien là. J’ignore pourquoi je le vois, mais il est là.
Marvolo…mon frère.
Oh non ! Tout pour sortir d’ici sur-le-champ ! Je ne veux plus voir une seule seconde de cet avenir affreux. Mon frère…mort…sur un champ de ruines…la ville en ruines. Misère de misère, cela signifie donc que je vais le perdre ?
Et dire que je ne peux même pas le prévenir…il ne me croirait pas…Nom d’un chien, que faire ?
Non ! Je me trompais ! Il se relève. Dieu soit loué, tout espoir n’est donc pas perdu.
Mais…c’est bizarre…il a quelque chose sur le front. Qu’est-ce encore ? Je n’ai jamais vu ça.
Pff, encore une rune. Décidément, ça ne s’arrêtera jamais. Et ancienne, en plus. Bien sûr, tout aurait été trop facile. Puisque je prends les pires des calamités, il faut que je voie les seules runes que personne ne m’a appris à déchiffrer. Pratique comme tout.
Que ne faut-il pas faire pour un peu de reconnaissance ! Je crois que la bibliothèque du Palais du Conseil recevra prochainement ma visite. Ha, je sais. Quand je révélerai ma vision, je ne leur donnerai pas la traduction, na. Ils n’auront qu’à chercher tous seuls, ça les occupera.
En attendant, je ne sais toujours pas si cette vision a un lien avec la précédente.
Je retire. Revoilà X avec le cylindre aux deux queues. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais moi, oui. Si vous voulez mon avis – après tout, il ne peut être que de la première importance – c’est ridicule au plus haut point.
En plus, je ne comprends pas ce qu’est ce rond bizarre. Un seau ? Un bol ? Un chapeau ? Une couronne ? Je pencherai plutôt pour la dernière solution. A défaut d’avoir la réponse, c’est ce que je vais dire désormais. Une couronne. Vu tous les cailloux qu’il y a sur sa robe, je suis prête à parier qu’Anonyme n’est pas pauvre.
Anonyme…Splendide. Je ne vois toujours pas si c’est un garçon ou une fille. Peut-être qu’il me faudrait des lunettes. Oui, je devrais le demander. Peut-être que Maman daignera lever le nez de ses plans, alors, et m’emmener chez l’ophtalmo.
Tiens, le film continue…
Hé, mais que fait mon frère à côté d’Inconnu ? Hey, pas touche ! Ne lui fais rien, d’accord ?
Mais qu’est ce qu’ils font sur un balcon ? Il y a un feu d’artifice prévu au programme ? Hey, Marvolo, sors de là tout de suite ! Evite de fréquenter les gens pas net !
Hé, ho ! Je veux rester là, moi ! Je veux savoir ce qui se passe après ! Mon frère est concerné, j’ai tout de même le droit de savoir, non ?
Désespérant. Le film est arrivé à terme. Je m’éveille, en sueur bien évidement, et avec la mémoire parfaitement fraîche.
Oui, les visions ne sont pas de tout repos…je suis aussi épuisée que si j’avais fait la bringue trois jours et trois nuits. Vraiment, je donnerai cher pour avoir une autre fonction. Tout, n’importe quoi, sauf lessiveuse. J’appartiens à la crème de la société, je ne veux pas déchoir.
Mais je suis voyante…une dingue en perpétuelle ébullition… Charmant, vraiment.
Qu’est ce que je disais, déjà, avant d’être éveillée ? Ah oui. Marvolo. Le risque. Dois-je le lui dire ? J’hésite…d’un côté, il a le droit de savoir…
Toutefois…si on considère le caractère hautement aléatoire que peuvent avoir ces visions, il y a de fortes chances pour qu’il ne soit pas réellement en danger de mort. Son…décès, que j’ai entrevu, peut avoir une valeur purement symbolique. Oui. C’est sûrement ça. Rien n’est absolu dans les visions. Ce qui est vu peut cacher autre chose. Il faut tout décrypter…
Un vrai travail de duelliste. Mais bien sûr, ces prétentieux ne veuillent pas user de leur précieux temps à s’abîmer le dos sur nos productions. Ils seraient bien placés, pourtant, et leur existence se justifierait.
Mais non, vous pensez, ils sont trop importants pour s’abaisser à une chose de ce genre. C’est donc pour cette raison qu’existent les analystes.
Et si j’en consultais un ? Sont-ils liés au secret professionnel ? Quoique non, mauvaise idée. Je n’ai aucune confiance en ceux qui travaillent pour l’école de voyance. De petits jeunots sans expérience ! Evidement, personne n’aurait l’idée de penser qu’il peut ici se faire des visions de la plus grande importance.
Je suis un cas à part, alors. Désolée mes petits, mais je crois que ce que je vois est cent fois trop important pour vous. Les rêves de mort sont rarement anodins.
Si je demande à un analyste privé…il risquerait de se garder toute la gloire. Ma gloire ! Ce serait lui qui recevrait la médaille, lui qui serait porté aux nues ! Et moi ? Oubliée, comme d’habitude…
Non, je crois que le mieux, c’est de décrypter ça moi-même.
Nom d’un chien, il faut que je fasse vite. Ce serait grave si, par ma négligence, je mettais Marvolo en danger. Je me le reprocherais longtemps, et Maman me renierait à jamais. Non, vraiment, ce serait la dernière des bêtises à faire.
En attendant, mon cher frère, tout ce que je puis faire est de t’exhorter à la prudence. Je n’ai pas eu d’indicateur temporel, j’ignore donc de combien de temps je dispose, mais par pitié, fais attention ! Et n’utilise pas ton métier comme excuse, hein. Sois prudent. Vraiment.
Donc évite d’approcher Sarah. Elle a un petit côté bizarre. J’ai vu, elle a un tatouage. Comme si ça pouvait l’aider à s’intégrer…n’importe quoi. Personne de normalement constitué n’acceptera jamais une fille humaine à moitié. Elle n’aurait jamais dû avoir sa magie.
Mais cela je l’ai déjà dit. Sarah a donc un tatouage. Enfin, deux plutôt. Ils sont affreusement mal placés, et ridiculement petits. Des triangles derrières les oreilles ! Hideux au possible.
Elle n’a que ça à faire pendant ses congés ? Décidément, c’est bien humain, aussi. Au lieu de travailler, elle s’amuse. Elle dépense le peu d’argent de poche que lui donne Maman (bien que ledit argent irait cent fois mieux dans mon porte-monnaie) en des tatouages stupides qu’elle s’évertue à cacher.
Evidemment, elle les cache mal. On ne pouvait guère s’attendre à mieux venant de la part d’une fille qui aurait mieux fait de rester là où elle est née ! Et puis franchement, ça sert à quoi de se faire tatouer si c’est ensuite pour ne pas le montrer ?
En plus, ce n’est pas comme si elle était brillante. Je suis allée fouiller dans ses affaires, un jour où elle était sortie – peut-être pour se faire faire de nouvelles décorations à dissimuler soigneusement. J’ai vu son bulletin. Purée ! La moindre des choses qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas une flèche en pratique.
Ça confirme donc une nouvelle fois ma théorie. Cette petite crétine – suffisamment stupide pour se faire mordre par n’importe quoi – n’a réussi à voler qu’il y a moins d’un mois. Et encore, je suis prête à parier que nécessité faisait loi.
J’ai donc une nouvelle fois raison. La magie n’a rien à faire dans le corps d’un humain. Enfin, d’accord, presque humain, mais pour moi humain quand même. Sa mère l’est bien, et ses frères aussi…
Bon, ça suffit. Je ne dois pas faire de fixation sur cette bécasse. Elle ne le mérite pas. Je me demande ce que dirait Grand-père s’il savait qu’elle a un tatouage. Oui, ce serait un truc à caser dans une conversation. Oh, je ne me fais pas d’illusion. Ce ne sera pas avant six mois au moins, je vois si peu le vénérable ancêtre… Mais je suis sûre qu’il sera ravi. Je lui dirai en face, et en présence de Sarah. Je veux voir leur tête à tous les deux…
Ce sera splendide.
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Notes d'auteur :
désolée, j'avais fait une erreur de manipulation. ce chapitre était celui d'une de mes fanfictions. en tout cas, celui-ci est le bon! j'ai mis la suite sur gadgetauchapeau.skyrock.com, si vous voulez. biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiz!
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