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Merci mon Dieu, cet affreux examen est terminé ! J’ai bien cru que j’allais y mourir.

Imaginez un peu la tête des profs ! Je suis arrivée avec un jour d’avance, la cheville en sang, à moitié déshydratée, et plus fatiguée qu’un vampire à jeun.

Si mes souvenirs sont bons, je me suis lamentablement écrabouillée sur le sol devant toute ma promotion. Cassandre a rigolé, imitée par ses sbires. Lise a hurlé et a commencé à proférer les pires des insanités.

Je n’en connaissais même pas la moitié. Il faut qu’elle me les apprenne.

Enfin, je n’en étais pas moins satisfaite. Certes, ma note était bien peu digne d’éloges, certes, mon atterrissage demandait révision, mais j’avais volé. C’était mon premier vol, et à la réflexion, je le trouve tout à fait correct. A la réflexion, parce que sur l’instant, j’étais plutôt occupée à rendre tripes et boyaux sur les chaussures de la vénérée duelliste membre du Conseil.

Je crois que je suis fichée… Et alors ? Je n’ai aucune gêne devant ce qui s’est passé. C’était mon premier vol, point à la ligne. Il n’est guère étonnant que mon corps proteste avec véhémence. Tant pis si c’est une huile qui en fait les frais. C’est même plutôt mieux. Il est temps que les grands de ce monde comprennent que leurs pouvoirs ne les rendent pas divins, et qu’ils sont comme les autres soumis aux aléas de la vie quotidienne.

Grand-père dans le tas, bien sûr. Lui plus que tout autre, peut-être, quoique le roi soit pas mal non plus. Je parie que ni l’un ni l’autre ne connaît la tête d’une facture. Et si je leur en envoyais un paquet, rien que pour voir leur tête ? Non, mauvaise idée. Ce monde est si excessif parfois que je pourrais être considérée comme la plus grande des criminelles suite à cela, toute Elis que je puisse être.

Revenons-en au vol. Je sais que ma tante jugerait ma performance à peine acceptable, et Marvolo encore moins. Enfin, lui, c’est un cas à part. Je l’ai déjà vu voler, et la moindre des choses à dire est qu’il ne fait pas cela comme tout le monde.

Quand il est dans les airs, on le croirait dans son élément. Il s’élève, plonge, virevolte, comme s’il avait fait cela toute sa vie. Les nuages ne lui sont pas une barrière, quelle que soit sa hauteur il parvient à exécuter les figures les plus impressionnantes et dangereuses.

Quel frimeur.

En plus, c’est un horrible gamin. Il a tout de même vingt ans, et se comporte face à…zut, comment il s’appelle déjà ? Face à…Erwan, trouvé ! Comme s’il avait encore quinze ans de moins. Remarque, l’autre non plus est pas mal dans le genre.

Je me demande ce qui s’est passé entre eux pour qu’ils se cherchent toujours des noises. L’Hendiadyn est assez grand pour que chacun ait son territoire, non ?

Enfin, passons. Je ne suis tout de même pas responsable de ces deux abrutis.

Heureusement que Lise ne m’entend pas, elle m’en voudrait à mort de ne pas considérer son frère comme un dieu vivant.

Mais je la crois bien loin de ces considérations. Tous les examens sont passés. J’ai eu la plus mauvaise note de pratique, évidement, et Cassandre a bien ri. Un de ces jours, je vais la transformer en chair à pâté, comme cela j’aurais des vacances.

Hum, désolée. Nous avons à présent deux semaines de vacances. Du pur repos. J’en ai bien besoin. La magie m’épuise. Il semble paraître que ma nature à moitié humaine, non contente de retenir la magie autant qu’elle le pouvait, ait également décidé de me rendre aussi endurante qu’un ver de terre. Non pas que je me fatigue facilement, non. Mais je suis dans état d’épuisement continuel.

Peut-être que Cassandre en est un peu la cause. Elle gravite constamment autour de moi, pour des raisons qui me sont jusqu’alors inconnues. Je n’échappe pas à ses habituelles railleries sur mon infériorité, mais si seulement il n’y avait que cela ! Non, le pire, c’est que sa présence me donne une migraine affreuse. C’est à croire qu’elle me jette des sorts en catimini.

Remarquez, venant de sa part, ce ne serait pas très étonnant.

Enfin…j’aurais deux semaines de répit. Lise ne sera pas loin, et Cassandre…au diable. J’espère, du moins. Personne ne sait où habite cette charmante personne, et je ne suis pas pressée de le savoir – une fois n’est pas coutume.

En parlant de migraine – même s’il n’y a presque aucun rapport – j’ai toujours ces marques derrières les oreilles. Bien malin qui trouvera comment elles sont arrivées là. Ce n’est pas de la crasse, j’ai vérifié. Pourtant, on s’y croirait presque.

J’ai observé des petites boursouflures par un savant jeu de miroirs. Elles sont bien anodines. Qu’est-ce donc, mis à part deux petits triangles noirs ? Ils ne me font pas mal, et mes cheveux les cachent sans peine.

Rien dans les livres d’Insvrack ne m’a renseignée dessus, et j’ai bien regardé autour de moi (même si je me suis ainsi une nouvelle fois fait passer pour une dingue). Je suis la seule à en avoir. Aucun de mes professeurs n’arbore de si charmants stigmates. Evidement, aucun n’est aussi tarte que moi. Sur le plan de la pratique magique, en tout cas, parce que pour le reste…

Je ne dirai rien, mes propos pourraient être mal interprétés. Enfin…tout de même… J’ai matière à penser.

Zut, j’ai dit que je me taisais.

Passons à autre chose. Ces vacances tombent pour moi à point nommé. Je ne crois pas vous l’avoir dit – après tout, je ne vais pas vous raconter ma vie par le menu – mais j’ai vu durant mon petit séjour forestier bien plus que l’affreuse boule de poils qui m’a mordue.

Je crois…je crois que c’était le deuxième jour. J’avais suffisamment marché pour être au cœur de la forêt. Je ne savais plus où était Insvrack, j’avais perdu tout repère.

Au hasard de mes pérégrinations, je suis tombée sur une clairière ma foi fort intéressante. C’est peut-être même la seule chose qui ait rendu mon excursion digne d’être faite – ma victoire sur la magie mise à part, cela s’entend.

J’avais déjà remarqué le jour de mon arrivée – le même où j’ai appris que Cassandre pue des pieds – plusieurs petites trouées dans la forêt. Il n’y avait rien d’extraordinaire à cela. Après tout, pareil phénomène n’est pas anodin. Seulement, j’espère que vous m’accorderez qu’il est plus rare que ces clairières…aient été habitées.

Je n’y ai croisé personne. Encore heureux, d’ailleurs, sinon j’aurais pris mes jambes à mon cou dans un total manque de bravoure. Non, ce que j’ai vu, ce sont des ruines.

De petites ruines, à peine de la taille d’un pavillon de banlieue américaine. Je ne sais presque rien de l’architecture, qu’elle soit magique ou humaine. Mon arrivée en Hendiadyn n’est même pas vieille de six mois, et les premiers bâtiments dignes d’observation aux Etats-Unis datent de l’époque coloniale. Mais je me souviens avoir voyagé, une fois…en Angleterre.

Je ne dirais pas que cet événement fut le point central de ma vie d’humaine, mais j’y ai appris suffisamment de choses pour avoir un point de comparaison quant à ces ruines.

Ce que j’ai vu m’a fait penser à un de ces vieux châteaux qu’on peut admirer en haut d’une colline. Bâtis avec d’immenses blocs de pierre, ils traversent les siècles, tandis que nos bâtiments actuels s’effondrent après le premier souffle de vent. Mais je ne suis pas là pour discourir d’un sujet que je maîtrise mal. Lise pourrait tourner en rond pendant deux heures et cependant réussir à faire croire que la chose n’a plus de secrets pour elle, mais je suis loin d’avoir son aisance.

Enfin, pour l’instant, je n’ai pas trouvé un seul sujet qu’elle ne connaisse pas sur le bout des doigts…

Hum, passons. Vous savez déjà que mon amie est un dictionnaire vivant.

Les ruines avaient clairement la forme d’une tour ronde. Sans doutes avait-elle été haute, mais il n’en subsistait qu’un vague étage. L’Hendiadyn vivait déjà à l’époque où les scientifiques mettent la naissance de la Terre, ce ne serait guère étonnant que le seul responsable de la destruction de ce bâtiment soit le temps.

Oui, Lise a tenté de combler mes lacunes.

J’ai passé la nuit dans le rez-de-chaussée de cette tour, à l’abri de toute bestiole malfaisante. Le chauffage laissait à désirer, je grelottais. Bien sûr, les vénérés professeurs n’ont pas saisi l’utilité d’une couverture. Ç’aurait été trop beau.

Comment, je critique encore ? Désolée. Vraiment, ça m’échappe. Il n’empêche, si ça ne tenait qu’à moi, il y aurait longtemps que j’aurais réformé ce haut lieu de torture qu’est Insvrack…alors que je n’y suis entrée qu’il y a trois mois.

Enfin, j’ai donc passé la nuit dans ces ruines. Au petit matin, rien ne s’était écroulé sur ma tête, et j’ai pu admirer – façon de parler – le charme – toujours à prendre au deuxième degré – de l’endroit.

J’aurais dû lever la tête plus tôt. Tel était mon devoir. Mais bon, entre obligation et exécution, il y a tout un monde.

Je crois que dans un autre contexte, cette phrase serait magnifique pour faire de l’humour. Hum, désolée.

Sur le plafond était peint un signe presque cabalistique. Tout simple, d’un noir reluisant malgré les ans, et sans doute ensorcelé.

Rien qu’à le voir, je tremblais d’effroi. Je voyais danser les flammes. Un mage en robe noire admirait un bûcher, et riait de toutes ses dents, tandis que de ses mains partait le feu tuant des centaines d’innocents. D’étranges créatures, aux nez et oreilles pointues, s’inclinaient devant la toute puissance du maître. La terreur régnait parmi les magiciens, tandis que les conquérants étaient en liesse devant la destruction.

Ce n’était pas une vision. Enfin, je l’espère. Je crois plutôt – grâce à mon cours sur la protection magique par anticipation – qu’il s’agissait là d’une menace. Le magicien entrant ici savait qu’il devait obéir, quoi qu’il se passe, aux maîtres de la tour. S’il refusait, il risquait de subir le même sort que les personnes imaginaires entrevues. Faire peur en montrant le pire…tel était le principe.

Le signe était une rune. Je ne suis qu’une novice, mais je la connaissais. Sa présence ici aurait pu paraître déplacée, mais après ce que je venais de voir, plus rien ne m’étonnait.

La rune de Blakar.

Pourquoi était-elle là ? Tout le mystère réside en ce point. Lise pourrait probablement me répondre, elle connaît l’Histoire de l’Hendiadyn mieux que tous les livres du monde. Cependant, je ne lui ai rien dit de cela. Elle se serait inquiétée, et je crois lui avoir déjà fourni sa dose de sensations fortes pour le moment.

De plus, il est hors de question que, parce que je ressens quelques difficultés, je me laisse materner, même par une amie. Maintenant que je peux agir et être en adéquation avec mon âge, je tiens à être responsable de ce que je fais. Ma maturité superflue ne m’a pas abandonnée tandis que je retombais presque en enfance.

Moi, embêtante et râleuse au possible ? Fort probable, en effet. Et après ?

Ma mission est donc, si je l’accepte, de découvrir le pourquoi du comment de ce bâtiment.


- Hey ! Debout les morts ! On arrive. Tu vas réussir à atterrir ?


Oh mais j’atterris déjà…dans le monde réel en tout cas. J’étais si perdue dans mes pensées que je voyais à peine défiler la terre en dessous de nous. Comment ai-je fait pour ne pas dévier de ma course ? Nouveau mystère au compteur. J’étais si pensive que je n’aurais rien remarqué…même si j’étais partie en Alaska.

Tout de même, la question de Lise n’est pas bête. Je ne peux toujours pas marcher, la bestiole a très bien fait son travail. Je suis contrainte de me déplacer d’un point à un autre en volant, même sous la douche ou aux toilettes. Ça fait très paresseux, mais je respecte à la lettre les indications du médecin : ne pas poser le pied au sol avant un mois.

Mais il faut voir le côté positif des choses : Cassandre ne peut plus dire que je ne sais pas voler…

En attendant, je ne sais pas qui va m’attendre à la gare volante, ni comment je vais faire pour me poser sur un pied sans m’écrabouiller lamentablement.


- Je m’appuierai sur toi, je déclare avec un grand sourire.


Lise se renfrogne, et j’éclate de rire. Elle est si petite que je l’écraserai, et je doute que se transformer en compote fasse partie de ses ambitions. J’en profite pour enlever le bandage que m’avait imposé le médecin à la main droite.

Il faut savoir, tout de même, que je suis incapable de jeter un sort de feu. Pourtant, allez savoir pourquoi, j’ai réussi à récolter une jolie petite brûlure sur la main – uniquement la droite. Grand mystère de l’humanité : comment ai-je fait pour obtenir cette charmante blessure ?

Toute trace a disparu à présent. Inutile d’inquiéter davantage ma tante avec ça.

Silence.


- Je crois…dit soudain Lise en fixant le sol, que tu n’auras pas cette peine.


Je regarde à mon tour. En effet…mais je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer.

Comment Marvolo a-t-il fait pour savoir que je suis dans un état physique lamentable ? Parce que là, franchement, il y a de quoi se poser des questions. Mon cher cousin monte vers le groupe, sans pour une fois daigner faire une démonstration de pirouettes ou autres choses du même acabit.

Il est contrarié d’être ici…et moi de le voir. Mes camarades – Cassandre en tête – seraient fichus de croire qu’il est chargé de me chaperonner. Pff…gaminerie de chez gaminerie.

Qu’on vienne me chercher, encore, je comprends. Mais qu’il monte jusqu’ici…pas de doute, les magazines seront ravis. Je vais encore avoir le rôle de la sale gamine, et Marvolo celui du baby-sitter.

Franchement…puisque ni lui ni moi ne voulons de cela (du moins je l’espère sinon je l’étrangle à mains nues)…que fait-il ici ?

Il aurait tout de même pu m’attendre au sol…


- Tu fais quoi ?


Bon, je vous l’accorde, c’est assez abrupt et mal léché. Ça tombe bien, je suis l’un et l’autre. Mais s’il voulait que je me montre digne du plus cérémonieux des protocoles, il n’avait qu’à pas pointer le bout de son nez dans mes nuages.


- Bonjour à toi aussi.


Et d’un salto, un ! Je me disais, aussi, que devant un public aussi indulgent, il ne résisterait pas longtemps à l’envie de frimer.

Il a tenu une minute et deux secondes.


- Oh mille pardons, cousin vénéré, je réplique en tentant maladroitement de faire une révérence (ce qui est pratiquement impossible dans les airs). Je réitère ma question : quelle est la raison de ta présence ?

- Un ordre ancestral. Grand-père m’a chargé de te conduire chez un médecin.


Pardon ? Je ne rêve pas ? Pincez-moi ?

Il faut croire que non.

Alors ça c’est le bouquet ! Grand-père n’a pas daigné se préoccuper de moi une seule fois depuis mon entrée à l’école, et même avant ! Il se contrefiche de mon existence. Je suis même prête à parier que si je ne ressemblais pas tant à Grand-mère, il ignorerait royalement mon cas comme il le fait pour Ariane. Je suis trop petite encore pour être à son service, alors en quoi puis-je lui être utile mis à part…en rien ?

Et il exige que je voie un médecin… Mon Dieu, je crois qu’il a perdu la boule.

Si seulement il s’était déplacé lui-même ! Mais non ! Même pas ! Ce serait lui coûter un trop grand effort, probablement ! Il doit mourir de honte rien qu’à l’idée d’être vu une seule seconde en compagnie d’une fille…à moitié humaine.

Pitié, ne me dites pas que lui aussi croit ces stupidités à propos de l’ascendance ! Je parie qu’il a pris ses renseignements. En tant que tête pensante du pays, il doit savoir tout ce qui est digne de faire couler de l’encre.

La réalité de l’infériorité des magiciens à moitié humains se révèle en moi… Il a dû l’apprendre… Seigneur, je donnerai cher pour savoir ce que les journaux ont raconté pendant mon absence.

Je parie que je nuis à sa si importante réputation. Quoi, les sondages le font baisser dans l’estime de la population magique ? Oh, mais qu’il se tranquillise, je n’ai pas la moindre intention de saper sa carrière. Qu’il aille au diable ! Je n’ai pas besoin de lui pour vivre. Papa a bien pu, je l’ai moi-même fait pendant trente années humaines, je ne vois pas pourquoi la tendance s’inverserait maintenant.

Non, c’est décidé, je ne suivrais pas mon crétin de cousin.
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