Magnifique. Vraiment Magnifique. Insvrack, haut lieu du sadisme professoral.
Que les cours soient durs, je comprends. Que personne ne nous fasse de cadeau, je comprends. Qu’on nous oblige à dormir sous des tentes froides, je comprends.
Mais là…c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Merci, Papa, vraiment ! Merci du cadeau ! Sauf ton respect, j’aurais pu m’en passer. Un petit poste dans une brigade m’aurait amplement suffit. Même la médecine, ma couverture, aurait été parfaite ! Mais pourquoi m’infliger ça ? Tu aurais pu te le garder, ton pouvoir !
Vous ne connaissez pas encore la nouvelle lubie des enseignants. Enfin, elle n’est pas vraiment nouvelle, puisqu’il paraît que c’est une tradition chez eux. Merci Cassandre de m’avoir renseignée, avant de souligner si gentiment que je suis un cancre.
Une semaine seule dans la nature ! Agréable perspective, n’est-il pas ? Cela fait deux mois que je suis ici. Bientôt, tous les élèves seront renvoyés chez eux pour les vacances de la fête nationale. Nous ne savons encore presque rien.
Mais pourtant…un examen ! Survivre dans la forêt, ils appellent cela un examen ! En plus, ce n’est pas comme si les bois étaient exempts de tout danger. Il y traîne d’étranges créatures, certaines avides de chair fraîche. Je connais, en théorie, quelques sorts pour m’en prémunir.
En théorie. Car comme dans tous les bons romans…il y a un mais. Sauf que ce n’est pas un roman. C’est ma vie qui est en jeu ! C’est moi qui risque ma peau !
Sont-ils vraiment tous inconscients, ici ? J’ai beau avoir deux pouvoirs au lieu d’un, je n’en demeure pas moins un cancre. J’ignore si cela est dû ou pas à mon origine humaine, mais il n’empêche que je suis la reine des quiches.
Au bout de deux mois, normalement, les élèves doivent être en mesure de lancer les premiers sorts de protection personnelle mineure. Eloigner les bestioles, se protéger du froid, trouver de la nourriture, et autres choses du même acabit.
Sans oublier le vol, évidement. C’est la première compétence enseignée aux élèves. Celle qui nous servira toute notre vie. Le moyen de déplacement le plus sûr. Plus rapide que la marche. Peu fatiguant.
Vraiment, voler, c’est le rêve…quand on y arrive. Je suis la seule de ma promotion à ne pas encore y parvenir. Cassandre ne me ménage pas ses quolibets à ce sujet. Sa théorie s’en retrouve confirmée : je suis à moitié humaine, donc inférieure. Lise ne peut même pas me défendre, car les arguments de cette pimbêche sont malheureusement parfaitement vérifiés.
Magnifique. En attendant, je suis dans les ennuis jusqu’au cou. Si je ne parviens pas à voler d’ici mon retour, je suis bonne pour rester là-bas pendant les vacances. Deux semaines toute seule…j’aimerai autant que ça ne m’arrive pas.
Le pire, c’est que je sens la magie. Elle bouillonne, assez fortement, même, appelle à sortir, mais je n’ai toujours pas réussi à ouvrir les vannes. Malgré ma baguette, malgré tous mes efforts, je la sens demeurer encore et toujours nichée au creux de ma poitrine.
Ma plus grande réussite a été, jusqu’ici, un sort anti-cafard. Le pire, c’est que j’ai été punie pour l’avoir lancé. Ce n’est pourtant pas de ma faute si c’est la seule formule qui m’est revenue lorsque Cassandre s’est encore attaquée à moi.
Et dire que le jeu n’en valait même pas la chandelle. Les effets ont été pratiquement nuls. Il est vrai que Cassandre est loin de faire la même taille qu’un cafard. Qu’importe, j’ai été punie tout de même. « Si les duellistes ne sont pas unis, la brèche est ouverte pour le mal », disent mes professeurs. Mais comment peuvent-ils parler d’union avec pareille peste ? Elle ne fait aucun effort. D’accord, moi non plus, mais c’est bien pour lui rendre la pareille.
Nous avons été punies en même temps. Heureusement que elle aussi a reçu une retenue, sinon je ne me serais pas privée de hurler à l’injustice. Mais j’aurais autant apprécié qu’elle ne soit pas comme moi astreinte au rangement de la bibliothèque.
C’est à ce moment là que j’ai commencé à considérer les livres comme d’excellentes armes offensives.
Mais voyons le bon côté des choses. C’est cela, il faut positiver. En rangeant les bouquins, j’ai remarqué une version complète de la Légende des Magistraux. Vous savez, ce livre que j’ai consulté le jour de mon affectation. Cette version-là est écrite en runes, et j’ai eu du mal à déchiffrer le titre. Mais enfin, elle est là. C’est toujours bon à savoir.
Désolée, je vous ai infligé mes ruminations perpétuelles. Mais je m’ennuie. Cinq jours que je suis dans cette forêt. Cinq !
Heureusement qu’il n’est pas prévu au programme que je reste plus longtemps, sinon j’aurais de bonnes raisons de craindre pour ma santé.
Certes, je suis en mesure de trouver de quoi me nourrir. Les sortilèges de détection alimentaire sont si basiques que même moi je parviens à les manier. Mais enfin, ces compétences ne vont tout de même pas bien loin.
J’emploie l’essentiel de mes journées à m’entraîner, lorsque je ne voyage pas.
Quoi ? Il fallait bien que ce séjour forestier ait un but. Je vous l’accorde, celui-ci n’est peut-être pas des plus captivants, mais un apprenti duelliste d’un trimestre ne peut pas faire le poids face à un magicien accompli, quelle que soit sa fonction. Moi à plus forte raison.
Les professeurs ont donc inventé un parcours. Les apprentis disposent de cinq jours pour traverser la forêt, selon un axe si compliqué que je préfère ne pas vous l’exposer. C’est un trajet parfaitement anodin pour quiconque sait voler, mais je suis bien évidement hors du commun, et cela pas dans le bon sens vous pouvez me croire.
En plus, je maîtrise à peine le sortilège de boussole. Trois fois sur quatre, le Nord devient l’Est. Je suis obligée de me repérer aux étoiles, et mine de rien, ce n’est pas facile.
Le ciel est assez couvert. Certes, c’est la saison qui le veut, mais ça n’arrange pas mes affaires. Je ne vois rien la nuit, et à plus forte raison pendant la journée. Splendide. Avec cela, je ne serais guère étonnée si dans deux jours je me trouve à l’opposé de mon point d’arrivée.
Ira-t-on me rechercher ? Je l’ignore. Je sais que les professeurs surveillent les progrès des élèves au moyen de visualisations. Mais savoir s’ils s’inquiètent de leur sort, c’est une autre histoire. Nous avons les cartes en main pour survivre, après tout. A nous de nous débrouiller.
Peut-être qu’ils feront une exception pour Grand-père… quoique. Quoique. J’ai de quoi me poser la question.
C’est vrai, quoi, jamais la description de Marvolo ne s’est trouvée plus vérifiée qu’en ce trimestre. Pas une nouvelle. Rien. Nada. J’écris rarement à ma tante, ce que je vis n’est pas pour ses oreilles. J’ai essayé de correspondre avec Grand-père, mais j’aurais été chanceuse s’il m’avait envoyé ne serais-ce qu’un billet de quelques lignes.
C’est quoi cet ancêtre de pacotille ? Un jour il me dit qu’il aimait mon père, un autre il se montre aussi froid et distant que si j’étais une tache de boue sur ses chaussures. Duelliste est pourtant loin d’être un métier déshonorant.
Il doit m’en vouloir. Je l’ai bien senti lors de ma comparution au Conseil, Grand-père n’apprécie pas mon affectation. Il aurait voulu que je suive ses traces, peut-être. A moins – ce qui serait tout aussi plausible – qu’il ne craigne que les duellistes ne se retournent contre les autorités politiques.
C’est en effet le risque. J’ai longtemps réfléchi au pourquoi du comment de cette caste, et il m’est apparu que pour peu que leur chef soit épris de pouvoir, les duellistes seraient parfaitement en mesure de mettre l’Hendiadyn à feu et à sang. Certes, il demeure l’incarnation du Royaume en la personne du roi, mais quel danger peut bien représenter un magicien non formé ?
Je suis prête à parier mes cigarettes que Sir Elis s’est fait la même réflexion. Il se montre distant avec moi, de crainte que je ne l’espionne pour le compte d’une obscure tractation, probablement. Seigneur, s’il savait ! Personne dans ce métier ne me prête plus d’attention qu’on en donnerait à une chaise. Certes, je suis une Elis, mais je demeure avant tout l’apprentie la moins douée que l’Hendiadyn ait jamais porté.
Saleté de préjugés. Certes, ma condition à demi humaine peut rendre ma maîtrise de la magie plus difficile, mais personne dans le clan des anti-humains ne se donne la peine de voir au-delà des apparences. Personne ne voit que si la pratique me fait défaut, je suis une championne en théorie. Je suis la meilleure de ma classe de runes, et je peux me repérer par les étoiles sans me tromper.
Ha. Les étoiles. Justement. Nous y revoilà. Il faut que je me bouge un peu. Cela fait bien cinq minutes que j’entends des grondements sourds, et je ne suis pas sûre qu’ils me plaisent.
Bon, allez, fini la dépression. Refaisons un petit essai. Qui ne tente rien n’a rien. Tel était le dicton favori de Maman lorsqu’elle me forçait à consulter cinq médecins à la suite afin de guérir ce qui était alors ma maladie.
Maman…non, il ne faut pas que j’y songe. Pas maintenant. Dans deux jours, je pourrais pleurer. Mais l’heure n’est pas à cela.
Je ferme les yeux et essaie de me détendre. Je parviens sans aucun mal à saisir le feu qui me brûle le cœur. L’extirper est moins facile. Il résiste, le bougre ! Alors écoute-moi bien, mon coco, si tu ne te bouges pas, si tu ne m’obéis pas, il est fort probable que je meurs. Je sais, tu n’en as rien à faire de moi, mais si je disparais toi aussi. Alors tu vas me faire le plaisir de m’obéir une bonne fois pour toute, ou sinon nous allons y laisser tous les deux notre peau.
Magnifique. Je crois avoir un grain. Qui d’autre se parlerait à soi-même ? Heureusement que je n’ai pas parlé à vois haute, sinon je serais bonne pour l’hôpital. Malgré ma couverture de médecin, je pourrais vous assurer que je n’aurais pas la place derrière le billard.
- Brùjula este, je murmure sans grande conviction.
Je n’ai jamais cru au miracle. S’ils existaient, il y aurait longtemps que Cassandre aurait disparu de la surface du globe. Pourtant, ici, force est pour moi de revoir mes certitudes.
Alors que je n’ai jamais réussi qu’à produire un maigre petit jet anti-cafards, ou bien à détecter de maigres racines, je sens le feu qui parcourt les entrailles. Il me brûle, certes, mais pas autant qu’au jour où j’ai saisi cette baguette pour la première fois.
La magie se soumet. Aussi bizarre que cela puisse être, je la crois douée d’une volonté propre. Jusqu’alors, elle s’était contentée de me considérer comme une résidence de passage, plus que comme une détentrice. Ma part humaine ne faisait rien pour l’encourager à m’obéir, et le don que j’ai reçu de mon père ne voyait en moi qu’une voleuse, une usurpatrice, et appuyait de tout son poids pour m’empêcher de la contrôler.
Mais je crois l’avoir rappelée à la dure réalité. Elle avait besoin d’être matée, comme une adolescente. Nos deux sorts sont liés, qu’elle le veuille ou non. Me laisser dans l’abandon, c’est courir à sa propre perte.
La magie a beau rivaliser d’entêtement avec moi, elle n’en est pas moins raisonnable. Le suicide ne me paraît pas être à son goût. Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Si je doute qu’elle ne tentera pas encore de me mettre des bâtons dans les roues – et puis, qui sait, mon origine humaine peut si ça se trouve réellement être à l’origine d’une aussi mauvaise maîtrise – au moins suis-je assurée de ne pas mourir à cause de sa trop mauvaise volonté.
Tout mon être se tourne sans que je ne le lui ait demandé dans une direction encore non explorée. Bon, au moins une bonne chose de faite. Les instructions professorales ont été claires : pour me retrouver, je dois toujours aller à l’est. Je crois que j’ai sacrément dévié de ma route. Je ne serais guère étonnée si je ne récoltais qu’une piètre note.
Il n’empêche, j’espère que ces dignes professeurs ont vu ça. Ce serait dommage qu’ils aient manqué pareille scène. Pour une fois que je fais honneur à mon nom, j’espère que leur avis à mon égard en a été changé. Je suis capable de maîtriser la magie, et il serait temps que ces immondes crétins comprennent que je ne suis pas une Elis pour rien.
Si quelque chose est en mesure de me résister, alors je ne l’ai pas encore rencontrée.
Les grondements continuent. Nom d’une pipe, ça en devient inquiétant. Quel genre de bête peut me considérer comme un déjeuner potentiel ? Quoique pas si potentiel, je le crains.
Hey ! Je n’ai pas envie de me retrouver dans le ventre de je ne sais trop quelle créature ! Je suis jeune, j’ai encore de quoi vivre ! Ma magie vient juste de m’obéir, et il faudrait que je périsse dans le ventre de je ne sais quelle boule de poils ? Ile ne faut pas rêver ! Désolée, ma chère Cassandre, mais je ne crois pas que ma fin soit aussi proche.
Honnêtement, malgré toute ma curiosité, je n’ai pas la moindre envie de savoir quelle bestiole veut me déguster en guise de dessert. Ce n’est peut-être pas très courageux – je suis caractérielle, têtue, mais pas héroïque – mais j’estime que c’est le moment ou jamais de prendre la fuite.
Si seulement je savais voler… Mais bon, malgré mon petit coup d’il y a vingt secondes, je ne crois pas que l’heure soit à cela. La priorité, pour l’instant, est que je me sauve la peau.
Je commence à courir en direction de l’est. Tout compte fait, je comprends pourquoi un de nos professeurs prenait un malin plaisir à regarder – assis – le footing du matin. Six tours de terrain. Croyez-moi, c’est épuisant. Personne n’en a jusque là vu l’utilité, surtout que pour tous, le vol remplace facilement la course.
Maintenant, je n’irai pas jusqu’à sanctifier le sadique intersidéral qui nous sert de professeur de sport, mais je comprends ses raisons. Le footing m’a rendu plus endurante, bien que je ne sois guère une flèche.
Hum…endurante, endurante…la bestiole l’est aussi, apparemment. En plus, elle est rapide, et sans doute docteur ès chasse à l’Homme.
Elle va me croquer…si je n’accélère pas, elle va me croquer…
Coup d’œil derrière moi.
Je ne connais pas cette créature, et je dois avouer que c’est bien mon dernier souci en cet instant. Ce que je voudrais, moi, c’est lui faire comprendre une bonne fois pour toute que JE NE SUIS PAS UN DEJEUNER !
Oui, bon, manifestement cette bestiole est insensible à la détresse humaine.
Dommage.
Tiens, une rivière…je me demande, est-ce qu’elle craint l’eau ? Peut-être que oui, peut-être que non. De plus, rien ne me dit qu’il ne se trouve pas dans cette eau un péril bien plus grand que le…truc qui me poursuit.
Un crocodile, peut-être ?
Hum…si l’eau est froide, je suis bonne pour un rhume.
Au moins, il n’y aura pas de crocodiles.
Des piranhas, alors.
Non, c’est aussi frileux qu’un croco.
Bon, fin des palabres. Il faut que je me décide. La rivière est trop large pour être traversée par un saut, je ne sais pas voler, et le monstre claque de plus en plus souvent des mâchoires.
Vous croyez que si je lui parle de Sir Elis, il renoncera ?
Question idiote, ce n’est qu’une boule de poils sans cervelle.
Attention…un, deux, tro…
OUILLE ! Nom d’un crétin des Alpes-tchouk tchouk nougat-marchand de tapis-boit sans soif-volatile mal plumé !
AÏE ! Je crois que je suis dans une très mauvaise situation.
Pour information, si vous n’avez pas compris, je n’ai pas réussi à plonger. La bestiole m’a fortement mordu la cheville, et s’applique à présent à me traîner loin de cette rivière qui a failli lui ravir son déjeuner.
Saleté de futur gibier. Bien entendu, je ne connais aucun sortilège capable de l’en éloigner, et quand bien même je connaîtrais la formule, rien ne me dit que la magie condescendrait à m’obéir.
Quelle capricieuse.
Si seulement j’avais un moyen de me défendre ! Mais rien, vraiment rien. Toute branche est hors de ma portée. De surcroît, la bestiole me tire si vite, elle me tient si fort, que je n’ai guère d’espoir de pouvoir m’échapper.
Vous qui me lisez, sachez que mes fleurs préférées sont les lys, et que je voudrais en avoir chaque semaine un bouquet sur ma tombe. Je veux être enterrée aux côtés de mon père, auprès de la seule personne qui m’ait un peu comprise.
Ouch…ça fait mal. Contrairement à toute attente, la magie bouillonne en moi. Mon esprit refuse de réagir à pareille torture, alors elle prend sa place.
Cela compris, le pourquoi du comment m’échappe totalement. Je suis dans la totale incapacité de dire par quel miracle cette branche a atterri dans ma main, ni d’où me vient cette hargne avec laquelle je fracasse la tête de cette pauvre bestiole.
Oh, je ne la tue pas. Je n’aime pas tuer les animaux. Celui-ci, après tout, ne suivait que son instinct, même s’il m’était fort désagréable.
Il n’empêche que la boule de poils est fortement sonnée. Elle a l’ai si hagard que je me demande si je ne lui ai pas enlevé deux ou trois paquets de neurones.
Tant pis. Elle l’a voulu. Quand on cherche Sarah Elis, on la trouve. Ce n’est pas parce que ma magie est plus têtue que tous les ânes du monde que je demeure sans défense.
Il n’empêche, toute médaille à son revers. La magie m’a bien défendue, certes, mais j’ai maintenant un mal de tête tel qu’il me semble qu’une armée de tambours joue avec entrain dans mon crâne. Mais qu’ils aillent faire leur concert ailleurs ! Ce n’est pas moi qui vais les applaudir.
C’est donc avec peine que je dégage ma cheville ensanglantée et me relève. Magnifique. Dire que je suis censée faire des études de médecine. Malheureusement, le travail sur la couverture n’est pas censé être approfondi avant un mois pour le moins. Je ne connais que quelques sortilèges mineurs, comme la guérison d’égratignures.
Bien loin de mon cas, donc. Si la bête n’a pas touché l’os, elle n’en a pas moins fortement entaillé mes muscles.
Le léger essai que je fais pour m’appuyer sur mon pied n’est que peu concluant. La douleur qui me prend est telle que je manque d’en hurler, et retombe sur le sol.
Magnifique. Vraiment…super. Merveilleux. Extraordinaire. Je ne peux plus marcher, et le vol n’est pas à placer sur la liste de mes capacités. Je sens un zéro qui se pointe…
La douleur de ma tête ne s’est pas calmée, loin de là. Enfin, vu sous un certain angle, si. Ce n’est plus ma tête qui me maltraite, mais mes tempes. Le derrière de mes oreilles, en vérité. Là – j’ignore pour quelle raison – me prend une incroyable brûlure. Pour peu, je croirais que ma chair se consume. Je ne sais quel est ce phénomène, mais le mal se vrille dans mon crâne et atteint mon cerveau avec plus de force qu’une perceuse. Super Mario fait du bricolage, on dirait.
Mais que vient-il faire ici ? Vous pouvez m’expliquer ? Pourquoi je parle de ce nain en salopette ? Lui et moi n’avons jamais été intimes, pourtant. Ça ne paraît pas le repousser, et il s’invite dans mon crâne sans que je ne l’ai mandé.
Je crois que je divague un peu…
Instinctivement – comme si ça pouvait diminuer la douleur – je porte la main à mes oreilles. Sous mes doigts se révèle deux légères boursouflures – en symétrie parfaite – qui ne manque pas de m’alarmer. On dirait un de ces affreux films de science-fiction, où les méchants soumettent les gentils en leur implantant je-ne-sais-quoi dans la cervelle.
Si quiconque connaît un film de ce genre, j’en suis navrée. La SF n’a jamais été mon truc, je m’en moque sans jamais avoir vu ne serais-ce qu’une seconde de ces navets.
Il n’empêche, j’ai bien l’impression que je viens d’atterrir dans un autre monde.
Hahaha. Reprend-toi, Sarah, voilà que tu fais de l’humour sans t’en rendre compte. Tu es dans un autre monde. Cachotterie-land, tu te souviens ? Là où chaque information doit être dûment gagnée. Le pays des fous, les dingues de pouvoir, les rois du silence. Et tu es un des leurs.
Bon, ces marques sont bien intéressantes, mais j’espère n’offenser aucun grand médecin quel qu’il soit en cessant de leur prêter l’attention particulière qu’elles méritent. La bestiole s’est réveillée, hélas. Si elle ne comprend pas encore où elle est, ça ne va pas tarder.
Et je ne peux pas marcher.
Je crois qu’il ne me reste qu’une seule solution…
Magie, si tu m’abandonnes, je t’enferme dans un scarabée.
Tiens, mais d’ailleurs, c’est à ça que ressemble la bestiole…un énorme scarabée avec des dents pointues comme des crocs de fauve…
Un rêve d’amateur d’insectes.
Quoique…il bave de partout, ce n’est pas très ragoûtant. Peut-être que la cause en est seulement le fait qu’il est assommé, mais ce n’est pas pour autant que je vais vouloir lancer une nouvelle mode avec cet immonde chose que la bestiole me met dessus.
Oui, bon, je sais, je dois partir. La créature se réveille de plus en plus, et je suis sûre que son petit séjour au pays des rêves lui a ouvert l’appétit. Malheureusement pour moi, je suis le seul morceau de viande – ou en tout cas le plus savoureux – à des kilomètres à la ronde.
C’est le moment ou jamais de réussir ce que j’ai toujours échoué à faire. Sinon, je meurs.
- Vuelo.
Tel est le mot qui sort de ma gorge tandis que j’appelle une nouvelle fois ma magie. J’ai un petit espoir de réussir, mais bien léger cependant. Le sortilège de boussole paraît être du petit-lait en comparaison du vol.
Pourtant – à croire qu’aujourd’hui est la journée de tous les miracles – je sens mon corps s’élever, doucement mais sûrement, comme s’il devenait plus léger qu’une plume.
Non, je ne serais tout de même pas en train de…réussir ? Je peux voler maintenant ? Je rattrape mon retard ? Pff, ma magie est une vraie trouillarde. S’il suffit de la menacer, alors j’ai trouvé le truc.
Je n’irai pas jusqu’à dire fastoche – après tout, cette magie me paraît être des plus récalcitrantes – mais ce serait légitime.
Bon, ce n’est pas tout, mais il faut que je rentre. Note ou pas, timing ou pas, ma cheville est en sang, et je ne voudrais pas avoir échappé d’aussi peu à la mort pour périr ensuite d’une obscure infection à cause de la bave de la créature. Non, je pars pour Insvrack.
Il n’empêche…je suis un génie. Je vole. J’ai lancé un sort. Cassandre n’a qu’à bien se tenir !
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