Le jardin des supplices by Saam
Summary:


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Texte participant au concours Les vacances d'HPF 2014

Pour voter, vous devez choisir vos trois textes préférés et leur attribuer en fonction de votre classement : 3 points, 2 points et 1 point, en laissant une review sur les textes en question. Vous devez donc laisser un minimum de trois reviews mais les auteurs que vous n’avez pas choisi apprécieront néanmoins que vous preniez un moment pour commenter leurs textes.

Vous avez jusqu’au 17 août au soir minuit pour voter.

Le texte recevant le plus de point à la sortie remportera la concours.

Le comité du concours se réserve le droit de ne pas tenir compte d’éventuels votes suspects – multicomptes, spams, etc.
Categories: Concours, Contemporain Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Concours Vacances 2014
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 2187 Read: 2047 Published: 03/08/2014 Updated: 03/08/2014

1. Chapitre 1 by Saam

Chapitre 1 by Saam
Emma claqua la porte de sa twingo et vérifia deux fois qu'elle était bien fermée. Elle hissa son lourd sac de voyage sur son épaule et poussa d'un coup de fesse habitué le portail en bambou. Elle plissa les yeux. A travers les taillis et les arbres mal taillés, la façade rouge de la maison familiale apparaissait.


Elle s'engagea dans l'allée. La lanière de son sac lui cisaillait l'épaule. Elle commença à regretter les vingt kilos de vêtements et dossiers qu'elle s'était sentie obligée d'amener avec elle. Pour la centième fois depuis son départ précipité de la capitale, elle jura. Soudain, son père surgit devant elle, casquette vissée sur le crâne, short de bain et tee-shirt tâché de peinture sèche. Il faisait tourner un sécateur autour de son pouce.


« Salut mon bébé ! T'as fait bon voyage ?
- Ouais, super papa. »


Il prit d'autorité le sac et la jeune femme en profita pour rajuster sa queue de cheval. Elle avança derrière son père et découvrit, en s'enfonçant dans le jardin, le cauchemar qu'elle avait fui des années auparavant.


La maison était entourée de broussailles, d'arbres, de plantes en pot, de taillis, de jardinières et de fontaines. A ses yeux, il n'y avait aucune logique apparente. La verdure s'épanouissait dans un chaos de racines et de branches. Des plantes exotiques et des fougères se côtoyaient dans le même bac. Au sol, dans le mélange de sable, de graviers, de pavés et de carrelages, il y avait des sculptures miniatures en argile cuite. Son père appelait ces personnages des Lilliputiens. Ils étaient censés être des petits Dieux de la nature, au physique monstrueux et fantastique. Emma quitta des yeux un couple de créatures et posa son regard sur la corde à linge. Son père avait réussi à faire prendre un rosier montant autour de le fil. Des fleurs pendouillaient tout du long, la tige parfois accrochée à une autre par des pinces à linge en plastique rose. Vincent regardait son œuvre avec fierté.

« Il y a du changement, hein, depuis la dernière fois. J'ai aussi fait un bassin naturel. Tiens, regarde ! »


Il posa son sac dans l'herbe grasse et la conduisit à l'ombre d'un arbre. Il écarta quelques feuilles et lui désigna la mare. Emma jeta un bref coup d’œil. A ses yeux ce n'était qu'une grande flaque d'eau vaguement verdâtre.

« Regarde, des têtards ! »

Elle grimaça et se redressa en évitant les branches.

« J'aimerai aller poser mes affaires dans ma chambre, maintenant papa.
- Oui bien sûr ma chérie, on y va. »

L'air dans la maison était délicieusement frais. Ils longèrent le couloir et Emma poussa la porte de sa chambre. A son grand soulagement, rien n'avait changé. Son père laissa son sac de voyage sur le tapis à l'entrée puis posa sur la chambre un regard nostalgique.

« Je me souviens de l'époque où tu vivais encore avec nous.
- C'était il y a un moment déjà.
- Mon bébé a quitté le nid... Heureusement que tu viens nous visiter pendant les vacances ! »

Emma hocha la tête.

« Je vais te laisser !
- D'acc. Attend ! Où est maman ?
- Elle est en ville, elle travaille.
- En ville ? »


Emma esquissa un léger sourire sarcastique lorsque son père quitta la chambre. Le centre-ville se résumait à une rue commerçante avec une boulangerie et une pharmacie. Au moins, il y avait un tabac, songea la jeune femme en déballant ses premières affaires. Avec soin elle rangea ses robes préférées dans la penderie. Elle caressa l'étoffe de l'une d'entre elles en se demandant si elle aurait l'occasion de la porter ici. Elle devrait être à Marrakech avec ses copines mais elle n'avait plus un sous de côté. Son compte bancaire frôlait le zéro. Elle n'arrivait pas à croire à ce qui lui était arrivé. Se faire arnaquer par son petit copain, c'était un scénario digne d'un film. Mais ce n'était pas censé arriver dans la vraie vie ! On n'était pas supposée rencontrer l'homme de sa vie, lui faire aveuglement confiance puis se retrouver, un soir, seule dans l'appartement à lire et relire un long mail de sa banquière. On ne pouvait pas décemment, avoir un bon travail, un joli petit appartement et se retrouver du jour au lendemain, en découvert, avec tous ses comptes vidés !


Elle se prit la tête entre les mains et pinça les lèvres pour éviter de pleurer. Elle s'était promis de garder la face chez ses parents. Elle refusait d'entendre sa mère lui lancer le fameux « je te l'avais bien dit, tu es trop naïve ! ». Si seulement elle avait pu rester à Paris et continuer à travailler... Elle aurait au moins pu sauver les apparences. Mais son patron avait été clair : il n'avait pas besoin d'elle pendant la période creuse. Voilà comment elle se retrouvait chez ses parents, à la campagne, entourée de bêtes sauvages et de mauvaises herbes le temps de dix jours de « vacances ». Elle jeta un coup d’œil à son iphone. Et le réseau semblait mauvais.

***


Emma traînait difficilement la chaise longue d'une main, ses huiles solaires dans l'autre. Par la grande baie vitrée sa mère lui lança :

« Tu ne devrais pas t'exposer au soleil à cette heure ! Tu vas brûler ! »

Pour toute réponse Emma agita ses tubes de crème et leva les yeux au ciel. Elle tira plus fort la chaise pliante et buta contre une racine. Excédée elle lâcha tout. Il n'avait pas un seul coin où se mettre au soleil. Il y avait trop d'arbres, trop de branches, de racines, de buttes. Il n'y avait qu'à côté de la marre que le sol était égal mais ça pullulait de moustiques au-dessus de l'eau. La jeune femme jura.

« Il n'y a pas un seul endroit où se mettre dans ce jardin ? Merde à la fin ! Fait chier ! Putain de jardin de merde ! » hurla-t-elle, hystérique.

A quelques mètres, sa mère posa brutalement son fer à repasser sur la table.

« Emma ! Change de vocabulaire ! Et ne dis pas ça ! Si ton père t'entendait il serait très blessé !
- Je m'en fiche ! Qu'il se vexe ! Il faut bien que quelqu'un lui dise qu'il perd son temps avec ce tas d'herbes moches ! Au moins quand il peignait il était reconnu, il gagnait sa vie et il faisait quelque chose de beau mais là... »


Elle désigna les alentours d'un geste de la main et eut un petit rire sarcastique. Sa mère mit les mains sur les hanches et s'exclama :

« Tout ne se rapporte pas à la notoriété et à l'argent ! Et sache que ton père est bien plus connu avec son jardin artistique qu'avec ses toiles !
- Son jardin artistique ?
- Tout à fait ! Et des tas de gens payent pour venir le voir !
- Des gens payent ? Pour ça ?
- Oui ! Est-ce que tu sais à quel point il faut être doué pour faire pousser dans le même bac, une plante tropicale et une plante grasse de la région ?
- Non et je m'en fiche ! » cria Emma.

Elle passa en coup de vent près de sa mère et courut s'enfermer dans sa chambre. Elle sentait le souffle lui manquer. Son ventre était si serré qu'elle suffoquait. Elle déglutit difficilement et se laissa tomber sur le lit. Ses bras se serrèrent autour de sa poitrine et elle laissa échapper un gémissement. C'était catastrophique. Ce n'était pas des vacances, c'était une torture. Elle était si fatiguée, si désabusée, qu'elle était en colère contre le monde entier, en particulier contre ses parents et ce fichu jardin. Elle aurait dû supplier son patron. Il aurait fini par céder et elle, elle ne serait pas coincée dans le jardin des supplices. Elle pinça les lèvres et regarda sa valise : il était temps qu'elle reparte. Si elle restait, sa mauvaise humeur allait tailler en pièces ce qui restait de l'harmonie familiale.


Elle était en plein rangement lorsque son père frappa et entra dans sa chambre. Elle leva les yeux et découvrit son visage décomposé. Il tenta un bref sourire et ferma la porte dans son dos avant de s'asseoir sur le lit.

« Ma chérie, ta mère et moi avons parlé et...
- Te fatigue pas papa, je rentre à Paris.
- Tu détestes à ce point être ici ? Demanda-t-il d'une voix brisée.
- Non... Non ! Je pensais juste que vous me mettiez dehors à cause de... tu sais... J'ai été odieuse avec vous.
- Tu étais bien pire à l'adolescence et on t'a quand même gardée ! » Répondit l'homme en pouffant.


Son visage s’allégea puis se durcit. Il fronça les sourcils.

« Mais c'est vrai que depuis que tu es arrivée, tu es odieuse avec nous. »

Elle affronta son regard blessé et baissa les yeux.

« Je suis désolée.
- Qu'est-ce qui ne va pas Emma ?
- Rien ! Tout va bien !
- Ne te moque pas de moi ! Je te connais ma fille, et je sais que quelque chose te tracasse ! »

Elle soutint son regard fièrement un long moment. Sa lèvre tremblait. Elle gardait les poings serrés dans l'idée de ne pas pleurer et de rester calme et sereine. Mais la douceur sur le visage paternel lui faisait perdre tous ses moyens. Après une longue seconde où elle se sentit imploser, elle éclata en sanglots.

Épuisée, après avoir raconté son histoire, elle se moucha bruyamment.

« Mais ma chérie ! Tu aurais pu nous le dire! On t'aurait aidé ! Avec l'argent, avec les avocats...
- J'avais tellement honte ! »

Elle se laissa enlacer et posa la tête sur l'épaule de son père. Il la berça un moment puis l'écarta doucement.

« Tu peux rester ici le temps que tu voudras ! Le temps que ça s'arrange ou pour toujours! Ou...
- C'est gentil, mais, je rentre à Paris. Je dois me reprendre en main maintenant. »

Il acquiesça.

« Comme tu veux mon chaton. »

Elle sourit et prit une gorgée d'eau pour chasser le drôle de goût que les larmes avaient laissé dans sa bouche.

« Mais alors c'est vrai, tu n'aimes pas le jardin ?
- Non pas trop, avoua-t-elle. »

Il haussa tristement les épaules.

« Tu sais quand j'ai planté ma première plante ? »

Elle secoua la tête. Elle l'ignorait.

« C'était avec toi. Tu avais cinq ans, c'était pour un projet de ta classe de maternelle. On a fait ça tous les deux. Quand tu étais petite, tu adorais jardiner avec moi. Je pensais que ça te plairait encore. Mais j'oublie que tu as grandi »


Emma se sentit désolée. Elle détestait faire de la peine à son père.

« Ce n'est pas que je ne l'aime pas, ton jardin. C'est juste que je ne sais pas l'apprécier.
- C'est gentil de me dire ça.
- Non, c'est vrai ! Mais peut-être... elle hésita puis sourit franchement, peut-être que tu pourrais me préparer une jardinière, je l'accrocherai à mon balcon !
- Oui, ce serait bien !

Ils échangèrent un sourire complice.

« Tu devrais aller parler à ta mère. Elle pense que tu te drogues.
- Ah oui ? Imagine la tête qu'elle va faire quand je vais lui dire que tu vas même me faire pousser un plan pour que je l’emmène avec moi ! » fit Emma en riant.

Son père se figea et prit un air pensif.

« Bonne idée ! Ca pourrait être original, un plan ou deux au pied des géraniums. Ce serait plutôt unique. »

Emma écarquilla les yeux et le dévisagea. Il était résolument sérieux. Elle sentit un fou rire irrésistible monter en elle. Quelques secondes plus tard elle était écroulée de rire, des larmes plein les yeux. Elle riait tant qu'elle suffoquait. Elle ne s'était pas sentie aussi légère depuis l'épisode de l'ex-maléfique, toute la tension accumulée s'échappait. Elle chassa des mèches de cheveux de son visage et couva son père d'un regard tendre. Il fallait vraiment qu'elle vienne plus souvent pour les vacances, la folie familiale avait des vertus inattendues.
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