Summary: Une étudiante en architecture découvre, dans un manoir à vendre, un portrait qui la fascine puisqu'il lui ressemble trait pour trait. Aurait-elle une jumelle qui vivait dans le passé ? Une chute au fond de l'étang va la projeter dans un monde qu'elle ne soupçonnait pas.
Categories: Jeunesse,
Fantastique Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Aucun
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges: Series: Aucun
Chapters: 1
Completed: Oui
Word count: 10608
Read: 2312
Published: 08/06/2014
Updated: 09/06/2014
Story Notes:
L'histoire a été écrite dans le but de pouvoir être comprise par un jeune public.
1. Chapitre 1 by Persis
A vendre ! L'écriteau pendait à la grille en fer forgé entrouverte, avec le nom et le numéro de téléphone du notaire. Amandine franchit l'entrée et s'avança sur le sentier en gravier. Les mauvaises herbes poussaient un peu partout et penchaient la tête sur son passage. Les buissons n'avaient plus été taillés depuis bien longtemps. Le parc était à l'abandon. C'est charmant et romantique, pensait la jeune fille. Elle arriva au pied du manoir qui se tenait devant elle. La peinture des châssis, des volets s'écaillait. Les marches du seuil étaient fendues et de la verdure poussaient dans les interstices de la pierre.
Une fois sur le perron, Amandine déchiffra ce qui était écrit sur un papier affiché sur la porte, délavé par les intempéries. On pouvait à peine lire ce qu'il y était écrit : Visites de 13h à 18h. Elle poussa le battant et se retrouva dans le hall d'entrée. Cette pièce était très haute et percée de grandes fenêtres. La lumière pénétrant de partout débusquait la poussière qui voletait dans l'air et se posait sur le sol et les appuis de fenêtre.
Un grand escalier de marbre montait aux étages, mais la jeune fille préféra commencer par visiter le rez-de-chaussée. Quelques pièces d'un mobilier vieillot traînaient encore dans l'enfilade des nombreux salons : un fauteuil éventré, une table bancale, une armoire à laquelle il manquait un panneau. Les tableaux qu'on avait retirés des murs avaient laissé la marque de leur ancienne place sur le papier peint aux couleurs mangées par le soleil.
La dernière pièce était toute petite. Amandine y trouva deux fauteuils encore en bon état et une table basse. Un tableau pendait au mur ; il représentait une jeune fille, vêtue d'une robe jaune d'une autre époque. Il devait dater de la fin du XIXe siècle. La demoiselle était peinte à côté d'un grand bouquet de fleurs posé sur un guéridon. Amandine resta figée sur place. La jeune fille qui lui faisait face dans le tableau lui ressemblait trait pour trait.
Elle resta un long moment à la fixer et à la dévisager. Elle était si étonnée. Avait-elle une jumelle qui avait vécu à une autre époque ? Ou bien allait-elle faire un voyage temporel et revenir plus d'un siècle en arrière.
— Vous attendez quelqu'un, mademoiselle, fit une voix masculine, derrière elle.
Amandine sursauta. Elle était tellement absorbée dans ses pensées qu'elle n'avait pas entendu la personne entrer dans la pièce. C'était un petit homme grisonnant et dégarni qui portait une serviette en cuir sous le bras.
— Je passais par là, bredouilla-t-elle. Et comme la grille était ouverte, je me suis dit que je pouvais venir faire un tour.
— Les visites se font sur rendez-vous, répondit l'homme. Permettez-moi de me présenter : Achille Dubail, notaire.
— Enchantée ! Amandine Lejeune. Je suis étudiante en architecture et je suis intéressée par les vieilles demeures.
— Mon client vient de sortir, je peux vous faire visiter, si vous voulez.
— Je ne voudrais pas abuser de votre temps.
— J'ai justement eu un désistement et puis, peut-être connaissez-vous des personnes qui seraient intéressées, s'exclama Maître Dubail.
— Connaissez-vous l'ancien propriétaire ? demanda Amandine.
— C'était un vieux monsieur très âgé qui est mort sans enfants. Ses seuls héritiers sont de lointains cousins. Ils vivent à l'étranger et ils veulent vendre.
— Alors vous ne savez pas qui est la jeune fille du tableau ?
Le notaire réajusta ses lunettes et fronça les sourcils. Il se pencha sur la toile et déclara :
— Aucune idée !
— C'est étrange, n'est-ce pas ?
— Quoi donc ?
— Eh bien ... vous ne trouvez pas qu'elle me ressemble !
— Si vous le dites, répondit le notaire en haussant les épaules.
Il ne semblait pas convaincu.
— Ce manoir a été construit en 1822 par le comte de Sambricourt, déclama-t-il. Le bien est estimé à 530 000 euros. Il y a soixante-sept pièces, deux garages, trois remises, une grange et deux hectares et demi de terrain ... Bien sûr, il y a beaucoup de travaux à faire. La toiture est en mauvais état. C'est par ici ...
D'un large geste de la main, il l'invita à le suivre tout en récitant le reste de son boniment. Cinq cent mille euros ! pensa Amandine, il faudrait que j'économise pendant deux ou trois vies pour pouvoir me le payer.
***
Amandine se tournait et se retournait sous la couette sans pouvoir s'endormir. Dès qu'elle fermait les yeux, elle revoyait la jeune fille du tableau. C'est décidé, se dit-elle. Demain, j'irai à la bibliothèque et je ferai des recherches sur le comte de Sambricourt et son manoir. Et c'est ce qu'elle fit.
Elle finit par découvrir que le comte de Sambricourt était un militaire. Après la défaite de Napoléon, il avait abandonné le métier des armes pour devenir horbereau. Il s'était marié et avait fait construire le manoir qu'elle avait visité. Il n'avait qu'un seul fils, Rodolphe, qui était resté toute sa vie chez ses parents. Mais quel était le rapport avec le dernier occupant, un certain Agénor Lacassette ? Elle n'en savait pas davantage. Rodolphe de Sambricourt avait-il eu une fille ou une petite fille qui avait épousé un monsieur Lacassette ?
Pendant un mois et demi, Amandine avait visité une demi-douzaine de bibliothèque, consulté des registres, fait des recherches sur Internet mais elle n'était pas parvenue à savoir le fin mot de l'histoire. Elle n'avait pas que ça à faire non plus, elle devait passer ses études avant tout. Elle avait bien essayé de prendre rendez-vous avec Maître Dubail, mais celui-ci était fort occupé et ne pouvait pas la recevoir avant un mois. Et puis, sa secrétaire lui avait fait comprendre que le notaire n'avait pas de temps à consacrer à des gens qui ne désiraient pas acheter le manoir.
Amandine décida d'aller y refaire un tour et de prendre des photos. Elle pourrait toujours, par la suite, poser ses questions sur un forum de généalogie. Par chance, elle trouva, cette fois encore, la grille entrouverte. Elle ne vit personne et se dirigea droit vers le manoir. Une fois à l'intérieur, elle se rendit vers la petite pièce qui était toujours dans le même état. Le tableau était là où elle l'avait vu la première fois. La jeune fille en jaune semblait lui sourire. C'était comme si Amandine se regardait dans un miroir.
Tout à coup, elle entendit des voix et des pas approcher. Maître Dubail faisait visiter l'endroit à plusieurs clients. Il n'y avait plus de temps à perdre. Elle sortit son appareil et prit des clichés du tableau et de la pièce.
— Tiens, tiens, Mlle Lejeune, gronda Maître Dubail, en débarquant, une vieille connaissance ! Je vous avais dit de prendre rendez-vous, pour les visites.
— Bonjour Maître Dubail, madame, messieurs. Je voulais juste prendre quelques photos, s'excusa Amandine. Ne vous dérangez pas pour moi.
— Comptez sur moi, je ne vais pas me déranger pour vous, répliqua le notaire. Je vous prie instamment de quitter cet endroit. Si vous voulez acheter, prenez un rendez-vous.
— Combien, le tableau ? interrogea Amandine.
— Comment ça ?
— Ce tableau, combien le vendez-vous ?
— Mais je ne vends pas le tableau, s'exclama le notaire, mécontent. Je vends le manoir, avec tout ce qu'il y a dedans. Si vous voulez le tableau, achetez tout.
Amandine le regarda, tout étonnée.
— Vous achetez ou vous partez ! dit-il, énervé.
— C'est bon ! C'est bon ! Je m'en vais, répondit Amandine, déçue.
Elle prit le chemin de la sortie en regardant derrière elle de temps en temps. Mais le notaire et ses clients étaient sur ses pas et le vieux bonhomme lui lançait des regards furieux. La jeune fille pressa le pas et descendit le perron presque en courant. Mais une fois arrivée sur l'allée de gravier, elle profita d'un détour du chemin pour se cacher derrière un buisson. Elle retint son souffle et attendit. Elle n'entendait plus personne.
Amandine passa prudemment la tête. Pas de notaire ni de clients en vue. Elle se dirigea sur la pointe des pieds vers un petit sentier qui débouchait sur l'allée, presque en face d'elle. Il fallait se frayer un chemin entre les buissons qui n'avaient plus vu de taille-haie depuis pas mal de temps. Elle arriva près d'un étang qu'elle avait vu de loin, par l'une des fenêtres, lors de sa première visite.
Elle profita de ce nouvel angle de vue pour prendre d'autres photos. Après tout, quoi de plus normal pour une étudiante en architecture que de prendre des clichés d'une vieille bâtisse. Elle dirigea l'objectif de l'appareil sur les parties du bâtiment qu'elle trouvait particulièrement intéressantes. Clic ! Clac ! . Elle s'aventura sur un petit pont en bois qui enjambait l'étang pour prendre de nouveaux clichés. Elle s’avançait prudemment sur les planches verdies et glissantes, s'accroupissait ou s'agenouillait en cherchant la meilleure position pour prendre ses photos.
— Oh non ! cria une voix bien connue. Encore vous ! Fichez-moi le camp d'ici ou j'appelle la police.
De l'autre côté de l'étang, le notaire pointait un doigt accusateur vers la jeune étudiante. Amandine se redressa brusquement. Son pied glissa, elle perdit l'équilibre et tomba dans l'eau. Elle essaya bien de se rattraper au bord du pont mais elle perdit prise. Oh zut ! pensa-t-elle, mon appareil photo ! Trop tard, elle se trouvait déjà la tête sous l'eau. Elle plongea à pic. L'étang était plus profond qu'elle ne l'imaginait. Elle sentit que son pied touchait le fond et donna un bon coup pour remonter à la surface. Une fois la tête hors de l'eau, elle se mit à nager.
Elle eut l'étrange impression que quelque chose avait changé. Il faisait plus clair, plus lumineux. L'herbe était bien taillée, les arbres paraissaient plus petit et le pont avait l'air neuf, bien entretenu, comme si on l'avait repeint durant sa chute au fond de l'eau.
— Dieu du ciel ! Ursule ! Que vous est-il arrivé ?
Ça, ce n'était pas la voix du notaire. Amandine était parvenue à se hisser sur la berge et elle regardait autour d'elle tout étonnée. C'était bien la même maison, mais elle aussi était neuve et rafraîchie. Un homme d'une bonne trentaine d'années se précipita vers Amandine. Elle ne le reconnut pas. Il ne ressemblait ni au notaire, ni à l'un de ses clients. Il était étrangement habillé, on aurait dit un acteur qui tournait un film historique.
— Ursule ! Que vous est-il arrivé ? Et que faites-vous dans cet accoutrement ? dit-il en ôtant sa veste et en la lui posant sur les épaules.
— Accoutrement ? s'écria Amandine. Dites donc, vous pouvez parler ! Vous vous êtes vu ? Et puis arrêter de m'appeler Ursule. Je m'appelle Amandine. Je ne porte pas un prénom aussi ridi ...
Elle s'arrêta net. Une jeune fille venait la rejoindre.
— Mais Eustache ! Qu'avez-vous ? criait-elle. Je suis ici. Et qui est cette jeune pers...
Les deux jeunes filles se regardèrent aussi étonné l'une que l'autre. Amandine se trouvait face à la jeune fille du tableau. C'est un cauchemar, pensa-t-elle, je vais me réveiller.
***
Assise au bord du lit, Amandine grelottait. Elle n'avait qu'une seule envie : prendre une douche et se changer. Au lieu de cela, elle devait se contenter du broc d'eau tiède et de la cuvette avec deux grands draps de coton que la servante venait de lui apporter. Comment s'y était-elle prise pour se retrouver plus de cent vingt ans en arrière ? Et pas question de remettre ses vêtements verdis par l'eau boueuse de l'étang. Elle devait passer un pantalon de toile fendu, garni d'un volant de dentelle aux genoux et une chemisette brodée. On lui avait même apporté un corset.
— Je ne vais quand même pas mettre cette horreur, murmura Amandine.
On frappa à la porte.
— Entrez ! dit-elle.
La jeune fille du tableau et une femme habillée de noir, entrèrent dans la pièce
— Je vous ai apporté l'une de mes robes, puisque nous avons la même taille, dit la jeune fille. Oh comme vous êtes habillée ! . Qu'avez-vous fait ? Ma pauvre, vous devez être certainement toute bousculée, avec ce qui vient de vous arriver !
— Ce n'est rien de le dire.
— Je vais vous donner un petit coup de main, dit la femme en noir.
Elle réajusta la chemisette et lui passa le corset. Amandine fit un effort surhumain pour rentrer le ventre et se laisser faire. C'est qu'on était serré, là-dedans. Ça coupait le souffle.
— Alors vous vous appelez Amandine ? demanda la jeune fille.
— Oui, Amandine Lejeune. Et vous, c'est Ursule.
— Ursule de Mirement. Et voici, Mlle Lavertu, ma gouvernante.
— Tiens ! Je pensais que le manoir appartenait au comte de Sambricourt.
— Non, pas du tout. Les Mirement occupent cette maison depuis soixante-huit ans.
— ... On m'a mal renseigné, alors, murmura Amandine.
— Je vais demander des ordres à l'office pour que l'on prépare un remède à cette jeune personne, déclara Mlle Lavertu.
Je suis en train de devenir folle, pensa Amandine.
— Quel jour sommes-nous ? demanda-t-elle.
— Vendredi, répondit Ursule en lui passant la robe.
— Vendredi, 16 mai 2014 ?
Ursule éclata de rire.
— Mais qu'allez-vous inventer ? s'écria-t-elle. Le 16 mai, oui, mais en 1890 !
— Vous me croiriez si je vous disais que je viens du futur ?
— Allons, disons que j'y crois, répondit Ursule. Racontez-moi à quoi ressemble cette année 2014 ?
— Eh bien, toutes les familles ou presque ont une auto.
— Une auto ?
— Une auto, une voiture, qui roule à l'essence.
— Tout le monde a une voiture automobile ? Mais ça coûte un prix fou !
— Plus autant qu'avant ; certaines familles en ont même deux. Et puis on voyage aussi en avion.
— En avion ? Vous voulez dire par l'aviation, sans doute ?
— Oui, c'est cela. On vole dans de grands aéroplanes. Ce sont de grandes nacelles où l'on met plein de gens, avec des ailes, propulsées par des moteurs. Et puis nous avons des téléphones portables, tout petits, qu'on peut mettre en poche.
— Et pour les fils de raccordement ? Comment faites-vous ?
— On n'en a plus besoin. Les téléphones communiquent par les ondes.
— Ma pauvre Amandine, savez-vous ce que je crois ? Votre chute dans l'eau et la lecture de Jules Verne vous a secoué le cerveau. Il vous faut une bonne tisane bien chaude et du repos.
Bon, ce n'est pas gagné, se dit Amandine. Il va falloir que je m'invente une histoire plus crédible. Disons que je suis une étudiante en ... Ah mais oui ... à cette époque, la plupart des femmes ne font pas d'études. Mm ... je dirai que je suis artiste et que je venais faire des croquis du manoir.
Ursule emmena Amandine dans l'un des nombreux salons de la maison. La jeune étudiante reconnaissait les murs et certaines pièces de mobilier mais tout se trouvait en bon état, tout neuf. On lui servit une bonne tisane de tilleul pour la réchauffer. Eustache et Mlle Lavertu vinrent rejoindre les demoiselles pour leur faire la conversation. Quand on lui posait des questions embarrassantes, Amandine répondait que sa mémoire était encore confuse à cause du choc. Ainsi, elle ne se souvenait plus de l'endroit où elle habitait, ni de la manière dont elle était arrivée au manoir, ni pourquoi elle était si courtement vêtue.
Les parents d'Ursule étaient absents mais ils allaient rentrer d'une minute à l'autre. La bonne préparait la chambre d'ami pour qu'Amandine puisse y passer la nuit. On aviserait le lendemain. Eustache pria ces demoiselles de l'excuser, il avait des obligations, on l'attendait ailleurs. Mlle Lavertu le raccompagna jusqu'à la porte. Amandine en profita pour poser quelques questions à Ursule et lui demander s'il était un membre de sa famille.
— Non, c'est mon fiancé, répondit-elle en affichant un grand sourire.
— Votre fiancé ! s'étonna Amandine. Mais il est bien plus âgé que vous !
— Oui, c'est vrai. Eustache a le double de mon âge, admit-elle. Mais qu'est-ce que ça fait ? C'est un homme charmant, raffiné et il a une très bonne situation. Il possède trois fabriques de lampes à pétrole. C'est un très bon parti.
— Et vous l'aimez ?
— Bien sûr. C'est un très bon ami.
— Un ami ? Vous n'êtes pas plus amoureuse que ça ?
— Amoureuse ? Mais quelle idée ! Seriez-vous de ces écervelées qui ont perdu la tête en lisant des romans ? Mademoiselle Lavertu dit que c'est très dangereux !
Ursule lui raconta que ses parents, le comte et la comtesse de Mirement avait eu des revers de fortune. Son père avait perdu de l'argent en jouant en bourse. Il lui avait présenté Eustache Bonvoisin, un industriel pour qui la dot de la jeune fille n'avait pas d'importance. Cet homme lui faisait une bonne impression et ça lui suffisait pour l'épouser. Elle ne croyait pas au sentiment amoureux. Pour elle, c'était une illusion qui faisait perdre la tête et le bon sens. Il suffisait de garder sa place, d'être une bonne épouse et de bien tenir sa maison pour être heureuse, disait-elle. Elle ne connaissait Eustache que depuis deux mois et elle allait l'épouser dans trois semaines.
Amandine faillit s'étrangler en entendant cela. Il fallait à tout prix empêcher ce mariage, pensa-t-elle, mais comment ? Ursule était persuadée qu'épouser Eustache était ce qui était de mieux pour elle.
Sur ces entrefaites, Mlle Lavertu revint avec les parents de la jeune fille qui venaient de rentrer à la maison et elle leur présenta Amandine.
— Vous m'aviez caché qu'Ursule avait une sœur jumelle, dit le comte, en riant, à sa femme.
— C'est vrai qu'elles se ressemblent très fort, répondit la comtesse.
— Qu'allons-nous faire de cette jeune fille ? demanda Mirement.
— Nous allons l'héberger pour cette nuit. Peut-être aura-t-elle retrouvé la mémoire demain matin ? suggéra Ursule.
— C'est une excellente idée ! s'exclama le comte.
La fin de l'après-midi et lui parut interminable. Il fallait jouer aux cartes et à des jeux de sociétés sous la surveillance de Mlle Lavertu. Cela ne lui permettait pas de parler du mariage avec Ursule. Ce fut pareil après le repas, mais on alla coucher tôt. Le lit était haut et le sommier grinçait. Le matelas dur et défoncé par endroit. Mais Amandine était très fatiguée. Elle s'endormit rapidement.
***
Quand elle se réveilla, le lendemain matin, elle n'osa pas ouvrir tout de suite les yeux. Elle espérait se retrouver dans son lit, dans sa chambre, à son époque. Hélas, elle se retrouva au même endroit que la veille. Elle se leva toute courbaturée à cause du lit inconfortable. Encore une journée à passer au XIXe siècle, à porter ce maudit corset et à jouer les amnésiques ! Peut-être que le destin l'avait envoyée là pour persuader Ursule de ne pas épouser Eustache.
En guise de petit déjeuner, elle dut avaler une soupe bien épaisse. Ensuite, elle assista aux exercices de piano d'Ursule. La musique classique, ce n'était pas la tasse de thé d'Amandine, mais il fallait bien faire semblant d'aimer ça, pour ne paraître impoli. Heureusement, une fois la répétition terminée, les jeunes filles purent aller se promener dans le parc.
— Dites-moi, avant de connaître votre fiancé, vous n'avez jamais rien ressenti pour un autre garçon ?
— Un autre garçon ? Quelle idée ? J'ai bien rencontré quelques jeunes gens, bien agréables, mais ils ne m'ont jamais fait la cour et d'ailleurs, ils sont bien trop jeunes pour se marier.
— Plus jeunes que vous ?
— Mais non, de mon âge. Seulement, ils n'ont pas encore de situation.
— Et vous, vous ne vous trouvez pas trop jeune pour vous marier ?
— Non, pas du tout ! Je ne suis plus une petite fille. Eustache a demandé ma main, il n'y a aucune raison que je le fasse attendre. Et puis, dans ma situation, je ne vais pas faire la fine bouche. Je vous ai expliqué que M. Bonvoisin. Je ne comprends pas pourquoi vous poser toutes ces questions.
— J'ai un peu peur qu'il ne vous rende pas heureuse.
— Quelle idée ! Pourquoi donc ? Vous l'avez rencontré, vous vous êtes bien rendu compte que cet homme charmant.
— Oui, mais vous n'en êtes pas vraiment amoureuse. Qu'arrivera-t-il si vous rencontrez plus tard quelqu'un pour qui vous aurez des sentiments plus forts ?
— Il ne faut pas se laisser aller à ses passions. C'est malsain, répondit sèchement Ursule.
— On dit cela, mais quand le cœur parle plus fort que la raison ... Je ne sais pas si le divorce existe déjà ...
— Le divorce ? ! Mais vous êtes folle ! C'est une infamie ! Un scandale ! Vous me prenez donc pour une actrice ou une femme de mauvaise vie ? Sachez que ...
— Toutes mes excuses ! répondit doucement Amandine, je ne voulais pas vous offenser. A mon époque c'est admis par tout le monde. Quand on ne s'aime plus, on se sépare
— Oh ! Mais quelle horreur ! Et la famille ? Et les enfants ? Elle est bien étrange votre époque. Je remercie le Ciel de ne pas être née un siècle plus tard ! Parlons d'autre chose.
— Mais votre fiancé ... ?
— Ça suffit ! Changeons de conversation, coupa-t-elle.
Ursule avait l'air fâchée ; Amandine se dit qu'il valait mieux se taire. Mais tout de même, épouser un homme qui aurait pu être son père en le connaissant si peu, elle trouvait ça injuste. Elle aurait préféré pouvoir revenir en 2014. Un petit bruit dans les buissons lui fit tourner la tête.
— Parlez-moi plutôt de ces engins qui volent. C'est plus amusant.
— Les avions ? Si vous voulez ! Comme vais-je vous expliquer ? C'est comme un cigare géant, en métal, avec une porte et des hublots. La cabine de pilotage est à l'avant et il y a des petites roues en dessous pour l'atterrissage. Et puis, il y a des ailes, en métal, également, et en dessous des ailes, des moteurs à hélice qui font décoller l'engin et voler dans le ciel.
— ... Mon Dieu ! Quelle imagination ! soupira Ursule. Il faut sans doute être ingénieur pour piloter de pareils machines.
— Pas du tout ! Il faut juste être pilote. Vous savez, dans le futur, les femmes font des études et elles exercent des métiers qui étaient avant réservés aux hommes. En 2014, il y a des femmes pilotes et même chefs d'entreprise, industrielles comme vous dites.
Un petit bruit dans les buissons lui fit tourner la tête. Mlle Lavertu rejoignait précipitamment le manoir. Avait-elle entendu ce qu'elle venait de dire ? Amandine en avait bien peur.
— J'espère ne pas avoir choqué Mlle Lavertu, murmura-t-elle.
— Oh ! Ne vous en faites pas pour ça. Mlle Lavertu devra bientôt trouver une autre place. Ça la contrarie que je me marie. Alors, vous, vous trouvez que je suis trop jeune ; elle, elle pense qu'Eustache n'en veut qu'au trésor des Mirement.
— Un trésor ?
— Une légende ! On raconte que Henri-Claude de Mirement, notre ancêtre a enterré toute sa fortune avant de partir en exil lors de la révolution. Mais personne ne l'a jamais retrouvé.
— Il l'a sans doute déterré en revenant d'exil.
— Non, il est mort en Angleterre. Ce sont sa veuve et ses enfants qui sont rentrés en France sous Napoléon.
— Votre ancêtre leur avait sans doute dit où il l'avait caché.
— Eh bien, selon la légende, il n'a laissé derrière lui qu'une énigme. Le trésor serait au plus futé de ses enfants qui aurait pu la déchiffrer. Peu importe. Tout cela sont des histoires tout aussi singulières que les vôtres.
— Singulières ?
— Oui, singulières, étranges, bizarres ... ! Tout comme ce quatrain de vers faux sans queue ni tête :
L'empire des morts
Retient de ses longs doigts
Mes biens et mes trésors
Et par-dessus il croît.
De toute façon Eustache est plus fortuné que nous. Ce n'est pas nos biens hypothétiques qui intéressent.
Amandine n'accordait qu'une oreille distraite à cette histoire de trésor. L'attitude de Mlle Lavertu la préoccupait plus que des vers de mirliton. Ses craintes se confirmèrent pendant le repas de midi où la conversation était un peu tendue. Le comte lui demandait si elle se souvenait de quelque chose, pourquoi elle était venue faire des croquis de la maison, où était passé son carnet, et ce genre de choses. Amandine répondit que toutes ses affaires avaient dû couler au fond de l'étang et que pour le reste, tout était confus dans sa tête.
— Est-il vrai que vous avez l'impression de venir d'une autre époque ? demanda la comtesse en pelant une poire.
— J'ai rêvé de cela cette nuit, répondit Amandine en devenant rouge pivoine.
— Et cette histoire de cigare ailé ? interrogea le comte.
— Ça doit être une idée de Jules Verne, dit Amandine, un peu gênée.
— Tiens ! Dans lequel de ses livres en parle-t-il, demanda la comtesse.
— Il n'est pas encore écrit, répondit Amandine, très mal à l'aise. J'ai peut-être lu ça dans un journal.
— Comment ! Vous lisez les journaux ? s'offusqua la comtesse.
— On a dû me le raconter. Mes souvenirs ne sont vraiment pas très clairs.
— Je pense que vous devriez voir un médecin, répondit le comte, sur un ton sévère. En tout cas, sachez que vous êtes ici dans une famille respectable et nous ne tolérons pas qu'on parle sous notre toit de choses aussi inconvenantes que de passion amoureuse et de divorce.
— Comme vous voudrez, monsieur.
— Et sachez que monsieur Eustache Bonvoisin est lui aussi une personne respectable, charmante et que ...
— ... et que vous lui avez vendu votre fille ! persiffla Amandine.
— Oh, ça suffit ! cria Ursule, en tapant du poing sur la table. J'épouse qui je veux, est-ce bien clair ? Vous n'êtes qu'une jalouse et une intrigante ! D'ailleurs, qui me dit que vous ne voulez pas profiter de notre ressemblance pour l'épouser à ma place ?
— Mais gardez-le, votre Eustache ! Je n'en veux pas !
— Et puis, elle s'intéresse aussi à notre trésor ! poursuivit Ursule, hors d'elle.
— Ts ts, gronda la comtesse. Du calme ! Pas devant les domestiques. Ne la contrariez pas, Ursule ! Ne la contrariez pas ! chuchota-t-elle à sa fille. Cela peut être dangereux.
— Quand je pense que nous avons eu la bonté de vous héberger et de vous nourrir au lieu de ... grognait le comte, entre ses dents. Mais ...
— ... Mais ... patientons un peu, mon ami, fit la comtesse en ouvrant de grands yeux, comme si elle voulait lui faire comprendre quelque chose, patientons. Nous voyons bien que vous êtes fort perturbée, mademoiselle. Vous avez sans doute contracté une fièvre lente, au fond de cet étang. Ces lieux-là sont plein de miasmes, cela vous fait déraisonner. Le médecin ne va plus tarder, vous devriez aller vous reposer, en l'attendant. Le Dr Dubail est quelqu'un de très compétent, vous verrez.
— Comme vous voudrez, madame, répondit sèchement Amandine en quittant la table.
Elle monta dans sa chambre et se mit à farfouiller dans les armoires pour voir si elle retrouvait les vêtements qu'elle portait avant de tomber dans l'étang. Mais les tiroirs de la commode, comme la penderie, ne contenait que du linge de l'époque. En jetant un coup d’œil par la fenêtre, elle aperçut un petit homme grisonnant portant un haut de forme. Il ressemblait très fort au notaire.
Amandine se souvint que la comtesse avait parlé du Dr Dubail. Dubail, comme le notaire. Elle ne tenait pas du tout à le rencontrer. Alors, elle descendit prudemment, par l'escalier de service. Au détour d'un couloir, elle entendit la voix du notaire, enfin, du docteur, qui parlait au comte : « Oui, je vois, il va falloir l'interner le temps de l'examiner. »
Comment ? M'interner ? M'enfermer chez les fous ! Pas question ! Amandine prit la poudre d'escampette. Elle fit demi-tour dans le couloir et se dirigea vers l'office, là où se tiennent les domestiques.
— He ! Où allez-vous ainsi ? cria Mlle Lavertu en la retenant par le bras.
— Je retourne chez moi.
— Mais vous ne savez plus où vous habitez.
— Si maintenant, je m'en souviens. Et puis vous n'avez pas le droit de me retenir.
— Vous n'êtes pas majeure, nous devons vous protéger.
— Mais si, je suis majeure ! J'ai dix-neuf ans !
— Eh bien, alors, vous êtes encore mineure.
Amandine réalisa qu'au XIXe siècle la majorité était fixée à vingt et un an. Elle se dégagea brusquement d'un mouvement du bras et se mit à courir.
— Retenez-la, cria Mlle Lavertu, elle va s'enfuir !
Amandine fonça droit vers la porte de service et se retrouva dans le jardin. Le comte, la comtesse et le docteur sortirent par le perron et essayèrent de la rattraper. La jeune fille prit le sentier qui se trouvait devant elle et qu'elle n'avait pas encore emprunté. Il la mena droit vers le pont de l'étang. Elle voulut le traverser, mais une fois arrivée au milieu, elle vit le comte, la comtesse et le médecin venir à sa rencontre en poussant de grands cris.
Amandine fit demi-tour et voulut longer l'étang. Son pied glissa sur le bord de la berge, elle tomba dans l'eau et coula à pique. Quand elle heurta le fond, elle donna un grand coup pied et refit surface.
— Attrapez-la ! Tenez-la, criait les voix de ses poursuivants.
Elle se sentit hissée hors de l'eau.
— Nous avons eu peur, fit la voix du comte, nous ne vous voyions plus faire surface.
— Comment vous sentez-vous ? fit la voix de la comtesse.
— J'étouffe avec ce corset, répondit Amandine.
— Quel corset ? demanda la comtesse.
Amandine ouvrit enfin complètement les yeux. Elle voyait flou. Quatre visages se penchaient sur elle, Dubail, le comte et la comtesse ainsi qu'Eustache. Tout lui paraissait si sombre. Le manoir avait repris son aspect délabré, les arbres s'élevaient haut dans le ciel, l'herbe n'avait plus été tondue depuis des lustres et les buissons prenaient des allures sauvages. Elle portait sa petite tunique de coton et son appareil photo pendait toujours à son cou.
Elle s'essuya les yeux plusieurs fois. Ce n'était pas les parents d'Ursule mais le notaire et ses trois visiteurs qui l'entouraient. La visiteuse qui avait les traits de la comtesse avait sorti son mobile de sa poche et téléphonait aux urgences pour demander une ambulance. Les deux hommes qui l'accompagnaient ressemblaient au comte et au fiancé d'Ursule.
— Vous êtes le comte Mirement ? demanda Amandine.
— Pas le comte, juste monsieur Mirement, répondit l'un des visiteurs.
— Et vous avez une fille qui s'appelle Ursule ?
— Non Ursule, c'est le yorkshire de ma femme, dit-il en riant. Nous n'avons pas de fille, juste un fils
— Et Eustache ?
— C'est mon chien, un bouledogue, répondit l'autre visiteur.
— Vous vous êtes M. Bonvoisin ?
— Je suis un bon voisin de monsieur Mirement, mais je ne m'appelle pas Bonvoisin. Je m'appelle Pierre Bellart
— Oulala ! Mon appareil photo, gémit Amandine, il doit être fichu.
— J'espère que ça vous servira de leçon, répliqua le notaire.
***
— Ce sont des choses qui arrivent, expliqua le Dr Bonneforme, la généraliste. Vous avez sans doute été inconsciente quelques instants et vous avez entendu les gens parler. Votre cerveau a inventé toute cette histoire. Vous savez, les rêves, ça ne dure que quelques secondes.
— Pourtant, j'avais vraiment l'impression de l'avoir vécu pour de bon, assura Amandine.
— Vous avez été saisie par le froid, vous avez eu le souffle coupé et du coup, votre imagination vous a fait croire que vous portiez un corset.
— Tout de même, m'imaginer qu'Ursule devait épouser Eustache...
— Et dans la vraie vie, le yorkshire apprécie le bouledogue ? demanda le Dr Bonneforme en riant.
— Les Mirement disent qu'ils sont inséparables.
— Bien, je vais vous prescrire des antibiotiques et du paracétamol pour faire baisser la température.
— Dommage que je ne puisse pas donner des médicaments à mon appareil photo. Il est fichu pour de bon.
— Et les photos que vous avez prises ?
— Mon frère a récupéré la carte mémoire et il a réussi à en tirer quelque chose.
— Ce serait bête de ne pas avoir une photo de ce tableau.
Amandine passa à la pharmacie puis rentra dans son tout petit studio. Son frère passa un peu plus tard pour lui apporter une surprise : un tirage papier du portrait d'« Ursule » , comme elle l'appelait encore. La demoiselle en jaune reçut une place d'honneur sur l'un des murs. Avant d'aller dormir, elle consulta la messagerie de son smartphone. Celui-ci avait échappé miraculeusement à la baignade forcée lorsqu'il était tombé de sa poche pour atterrir sur le gravier de l'allée centrale. Son petit ami ne l'avait pas encore contactée et elle ne trouvait pas ça normal.« A toutes fins utiles, je vis encore » tapa-t-elle sur le clavier tactile. « Suis au courant. A demain ! » répondit l'appareil quelques secondes plus tard.
Elle ne se doutait pas que le lendemain, à la même heure, elle prendrait son scooter pour revenir au manoir. Bien sûr, elle ne s'attendait pas à voir la grille entrouverte. Quand elle descendit du véhicule, ce fut pour aller s'accroupir dans l'herbe en s'adossant à l'un des piliers. Elle ne resta pas seule bien longtemps. A peine un quart d'heure plus tard, une petite voiture un peu cabossée s'arrêta sur le bas côté. Un jeune homme à la chevelure brune et toute bouclée en sortit. Après l'avoir saluée, il lui demanda d'un air jovial
— Tu ne serais pas la fille qui est tombée dans l'étang ?
— Oui, c'est moi. Comment es-tu au courant ?
— Je suis le fils des visiteurs, Maxime Mirement.
— Je m'appelle Amandine Lejeune. J'avais un peu le cafard. Je me suis disputée avec mon copain, j'avais besoin de me changer les idées. Et puis j'ai repensé à Ursule, si on te l'a raconté.
— Je te laisse entrer, dit-il en tirant la clé de sa poche, mais à une condition : ne t'approche pas de l'étang.
Cela la fit rire. Maxime ouvrit la grille et l'invita à passer devant.
— Quand tu dis « Ursule » tu parles du chien de ma mère ?
— Non. Quand je suis tombée au fond de l'eau, j'ai eu comme un rêve où je voyais la jeune fille en jaune, celle du tableau, qui me ressemble. Je ne sais pas si tu as vu la toile.
— Oui, oui, je l'ai vue. Dans le petit bureau, dans l'aile est. C'est vrai qu'elle te ressemble. Alors tu as rêvé que tu lui parlais ?
— Et dans mon rêve, elle s'appelait Ursule. Tes parents ont acheté le manoir ?
— Pas encore. Ils ont versé un acompte, mais il faut rassembler les fonds et une somme pareille, ça ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval. Je reviens faire un tour pour trouver de nouveaux arguments. Il faudrait parvenir à persuader un des banquiers. Ils sont un peu réticents. Tu m'as rendu curieux, je me demande ce que tu as vu quand tu as fait ce plongeon au fond de l'eau.
Amandine lui raconta sa mésaventure et ses conversations avec la jeune fille du passé. Maxime trouvait ça très amusant.
— On dirait que ça t'a marqué cette histoire, dit-il.
— Je l'avais presque oubliée, mais tout m'est revenu quand je suis revenue chez moi, après ma dispute avec Ben, quand je me suis retrouvée face à la photo du tableau. Mon copain, c'est un garçon charmant et charmeur. Mais je me demande s'il ne joue pas de son charme pour m'embobiner.
— Comme tous les garçons, plaisanta Maxime.
— Pourquoi, tu imites la signature de tes copines, toi ?
— Pardon ?
— Plutôt que de prendre mes nouvelles, Ben a écrit une procuration et a imité ma signature pour aller rechercher mon passeport à l'hôtel de ville. Comme s'il y avait urgence ! Je pouvais y aller moi-même, plus tard. Et en plus, je ne suis pas du tout décidée à le suivre en voyage. Il dit que c'est la chance de ma vie. Il part aux Etats-Unis fin juin, en stage et il veut que je le suive. Il a même acheté les billets pour deux, sans m'en parler. Et si je dois repasser des examens en septembre ? Comment je dois faire ? Il prend ça par-dessus la jambe.
— Mm ... dit Maxime en faisant la grimace. A ta place, je prendrais mes distances.
— C'est ce que je pense faire. Je ne t'ai pas encore tout dit. On vient de se voir, le ton est monté. Et sans le vouloir, j'ai pris son téléphone à la place du mien quand il a sonné. Ah oui, il m'a acheté un smartphone, il y a quinze jours, le même que sien, et il l'a configuré comme le sien.
— Ce qui n'est déjà pas normal, commenta Maxime.
— Donc, j'ai cru que c'était le mien, il était sur la table. C'était un de ses copain qui lui envoyait un texto. Là, je suis tombée des nues. « Tu devrais mettre au pas cette blondasse. ». Alors j'ai regardé les messages que Ben lui avait envoyés. « Une fois qu'on sera là-bas, je la dresserai » et ce genre de choses. Je lui ai demandé ce qui lui avait pris. Il a essayé de noyer le poisson. Il a dit que c'était pour rigoler, que je ne devais pas prendre ça au sérieux. J'étais presque sur le point de me laisser convaincre, mais j'ai préféré quitter la pièce. Et quand je suis revenue dans mon studio et que j'ai vu le portrait de la jeune fille en jaune, j'ai repensé à tout ce qu'on s'était dit.
— Ecoute, un bon conseil : tu reprends ta carte SIM, tu récupères tes données, tu t'achètes un autre téléphone mobile, tu changes de numéro et tu ne le donnes qu'à des personnes en qui tu as entièrement confiance. Et ce gars-là, tu t'arranges pour ne plus le voir et tu ne le laisses plus te parler. C'est un vrai manipulateur, crois-moi. Il fera tout pour te récupérer, comme un gosse veut son jouet.
— Je pense que tu as raison. Mais qu'est-ce que tu veux, quand on est amoureuse ...
— Là, ce n'est plus de l'amour, c'est de l'addiction. Ce que tu as dit à la fille du portrait, dans ton rêve, c'est ce que tu penses au fond de toi-même et que tu voudrais te dire. Tu as vu une jeune fille prête à épouser un homme charmeur et fortuné et tu as essayé de l'en dissuader. Au fond de toi-même, tu vois ton petit copain comme le fiancé d'Ursule.
— ... Oui ... peut-être ... murmura Amandine.
— Et c'est pour ça que tu es revenue ici. Pour puiser la force de prendre tes distances.
Amandine soupira. Au fond d'elle-même, elle sentait que Maxime avait raison sur toute la ligne. Mais c'était difficile d'admettre qu'elle s'était trompée à ce point-là sur son petit ami. Elle était déçue. Elle s'était sentie pousser des ailes quand elle était tombée amoureuse, et tout d'un coup, elle venait d'atterrir très brutalement dans la réalité.
— Si tout ce que j'ai entendu dans le rêve est vrai, il y a un trésor quelque part dans le manoir, déclara-t-elle.
— Waw ! Une chasse au trésor ! Là, pour le coup, j'ai à nouveau dix ans. Dis-moi tout.
— L'empire des morts
Retient de ses longs doigts
Mes biens et mes trésors
Et par-dessus il croît.
— Et qu'est-ce qu'il croit ?demanda Maxime.
— ... Ce n'est pas croire mais croître, grandir, expliqua Amandine. Qu'est-ce qui croît et qui a de longs doigts ?
— Un monstre marin caché dans l'étang ?
— Les dinosaures marins avaient des nageoires, répondit la jeune fille.
Les deux jeunes gens se mirent à rire.
— Bon, attends, poursuivit Maxime. Si ça vient de ton subconscient, il faut essayer de te rappeler ce à quoi « l'empire des morts » te fait penser.
— Mais à rien ! ... Je ne vois pas.
— Un film ? ... Le retour des morts vivants ?
— Très drôle ... ça me fait penser plutôt à quelque chose avec des rimes... un poème ... ou quelque chose du genre.
— ... Deux secondes, dit Maxime en tirant une tablette de sa poche. J'espère qu'on a du réseau, dans le coin.
— Bienvenue à Trifouilly les Oies, dit Amandine en admirant la façade du manoir.
— ... Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts ! s'exclamèrent d'une même voix les deux jeunes gens.
Maxime avait trouvé la réponse sur Internet au même moment où la mémoire était revenue à Amandine.
— Le Chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d'accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Et blablabla, commença Maxime.
— L'Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts,
poursuivit Amandine.
— Le chêne et le roseau, de la Fontaine, conclut Maxime. On cherche donc les doigts d'un chêne.
— Les racines d'un chêne, qui ressemblent à des doigts. J'ai dû voir ça quelque part dans le parc.
***
Pour retrouver cet endroit, Amandine revint sur ces pas, dans l'allée, elle balaya du regard les environs. Puis, elle se risqua prudemment sur le petit sentier qui la menait au pont. L'accès à celui-ci avait d'ailleurs été barré par des chaînes, par mesure de sécurité. Mais la jeune fille avait beau regarder tout autour d'elle, elle ne voyait pas le chêne.
— S'il te plaît, ne t'approche pas trop de l'étang, recommanda Maxime avec humour.
— Ce n'est pas par ici. Mais quand je suis tombée dans l'état la deuxième fois ...
— La deuxième fois ?
— Quand je suis revenue du passé, je ne suis pas venue par ici.
— Parce que tu crois que tu es vraiment allée dans le passé ? S'étonna-t-il.
— Oui. Enfin, c'est tout comme. Je suis sortie de la porte de service. Il faut que je refasse le chemin dans ce sens-là.
— He ! ... où est-ce que tu vas comme ça ?
Amandine ne l'écoutait pas, elle fit le tour de l'étang en prenant bien soin de s'approcher du bord. Elle se dirigea vers l'arrière du manoir et trouva la petite porte par laquelle elle n'était jamais censée être passée dans la réalité.
— Je suis sortie de là, dit-elle avec conviction. J'étais poursuivie par la gouvernante. Et je suis allée par là.
Amandine revint doucement sur ses pas, en se disant qu'elle devait avoir le même angle de vue pour retrouver le chêne. Elle avait raison. Après avoir parcouru quinze mètres, elle désigna un grand arbre qui se dressait majestueusement dans le parc.
— Ah ben, c'est malin ! dit Maxime. J'ai oublié d'emmener ma pelle et mon petit seau.
— Il n'y a pas une remise avec des outils, quelque part ?
— Peut-être, mais le notaire ne m'en a pas parlé. Je n'ai pas de clés de cabane de jardin sur le trousseau. La clé de la grille, la clé de la porte d'entrée, la clé de la porte de service et la clé du grenier, rien d'autre. J'ai juste un vieux canif.
— Passe !
Maxime lui tendit son petit couteau de poche pour qu'elle puisse gratter la terre entre les grosses racines du chêne plusieurs fois centenaires.
— C'est vrai qu'on dirait des gros doigts, dit Maxime. Mais avec un canif, on ne va pas aller loin.
— La clé du paradis ! s'exclama Amandine en exhibant une petite clé dorée, à moitié couverte de terre.
— Et qu'est-ce qu'elle ouvre ?
— Peut-être un coffre-fort caché derrière un miroir ou un tableau ? suggéra la jeune fille.
— Il ne reste plus qu'à fouiller le manoir . On y va ?
— Blague à part, si on trouve un trésor, il appartient à qui ?
— Le manoir est vendu avec tout ce qu'il contient. Donc, tout ce qui est dedans appartient aux acquéreurs. Quand le vieil homme qui habitait ici est parti en maison de repos, il a fait vider sa maison, mais quelques bricoles sont restées là. Il y a des choses qu'il ne voulait pas vendre non plus. Il avait fait marquer d'une croix à la craie ce qui devait rester sur place.
— Pourtant, il n'avait pas d'héritier.
— Pas d'héritiers en Europe. Une lubie de vieillard, sans doute.
— Ou alors, il ne voulait pas que le manoir passe à un autre sans certains trésors, conclut Amandine.
— Evidemment, c'est toute suite plus romantique, répondit Maxime.
— Romantique ? J'ai plutôt l'impression de faire un camp scout.
Le jeune homme avait ouvert la porte de service, non sans mal, d'ailleurs, car la rouille avait méchamment entamé la serrure. Les deux jeunes gens pénétrèrent dans l'office où une épaisse couche de poussière avait recouvert tout ce qu'elle pouvait recouvrir. Maxime ne put s'empêcher de tousser, ni Amandine d'éternuer.
— Si le trésor est dans l'empire des morts, il doit se trouver à la cave, dit-il.
— Mais par-dessus, il croît, c'est peut-être au grenier, répliqua Amandine.... Oublie ça, c'est une idée ridicule. Tu as la clé du grenier, donc ...
— ... Non, ce n'est pas ridicule, il y a un endroit du grenier qu'on n'a pas exploré parce que l'accès passe sous un passage très bas, un creux dans le toit, quand on passe du bâtiment principale à l 'une des tourelles.
— Une noue, là où les deux pans de toiture se rejoignent. J'étudie l'architecture.
— C'est ça, quand on passe sous la noue ! Il faudrait y aller à quatre pattes. Et je pense bien qu'il y a une petite porte.
C'est à ce moment que le vibreur du téléphone se mit en marche. Amandine consulta ses messages. « Où es-tu passée ? On est très inquiet. »
— Zut ! C'est ma mère. J'ai oublié qu'on avait rendez-vous ce soir. Je vais te laisser. Bonne chance dans ta chasse au trésor.
— Attends, je vais te laisser mon numéro, répondit Maxime, en le griffonnant sur un bout de papier. Et un bon conseil : ne revois plus ce type.
—... Je l'ai déjà oublié ! Comment il s'appelait, déjà ?
— Tiens-moi au courant, enjoignit Maxime avec un grand sourire.
Ils se firent la bise et Amandine s'éloigna pour aller rejoindre ses parents. Ceux-ci furent très contents d'apprendre que leur fille avait pris la décision de rompre avec Ben. Ils la noyèrent de leurs conseils. Après lui avoir envoyé un texto pour lui dire qu'elle ne voulait plus le revoir, elle mit immédiatement son numéro sa liste noire. Puis, le lendemain, elle profita de la pause de midi pour filer à la boutique du coin s'acheter une nouvelle carte SIM et changer de numéro. Pour éviter de le revoir, elle n'alla pas lui rendre l'autre smartphone en main propre. Elle le glissa dans une enveloppe et envoya sa meilleure amie le glisser dans sa boîte aux lettres. Les choses furent vite réglée avec l'approbation générale de ses copines qui trouvaient Ben un peu trop envahissant à leur goût. Ce ne fut qu'au soir qu'elle pensa à envoyer enfin un texto à Maxime avec son ancien mobile qui traînait encore au fond d'un tiroir.
Celui-ci répondit sur le champ « Le laboureur et ses enfants, JdlF, vers 5. Achat conclu. » Amandine mit un peu de temps avant de comprendre qu'il parlait d'une autre fable de Jean de la Fontaine.
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
«Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :
Un trésor est caché dedans.
Un trésor était donc caché dans le manoir ? Qu'est-ce que Maxime avait bien pu trouver et où ? Dans le grenier ? Et en quoi consistait le trésor ?
« Où ? Quand ? Comment ? Quoi ? » « Viens faire un tour ce weekend, on sera là fin de matinée, début d'après-midi. »
Amandine soupira, « Je vais gazer pour essayer d'être là » Avec son petit congé de maladie et son escapade suite à la rupture, elle avait du boulot à rattraper : se remettre à jour dans ses cours, avancer dans ses travaux,... Elle s'y mit d'arrache-pied et décida même de s'installer pour la semaine, chez Estelle, la plus sérieuse de ses copines de cours, une bûcheuse qui ne supportait aucune distraction pendant le travail. La formule lui réussit doublement. D'une part, elle abattit une somme considérable de travail, sans même s'en rendre compte, et d'autre part, elle rata la visite impromptue de Ben qui venait la relancer. C'est sa logeuse qui la mit au courant, quand elle rentra le samedi tard au soir.
— Ton ex est venu faire du chambard. Il a profité que la porte d'entrée était restée entrouverte, pendant que je nettoyais pour monter et essayer de rentrer chez toi ! lui dit-elle.
— Il a voulu forcer la porte ?
— Il a dit que tu lui avais donné une clé, mais que ça ne marchait pas.
— Mais je ne lui ai jamais donné de clé ! s'exclama Amandine, furieuse. Vous pouvez dire qu'il m'a « emprunté » la mienne et qu'il a fait un double dans mon dos.
— Je m'en doutais.Tu vois, tu as bien fait de suivre mon conseil et faire remplacer la serrure. Ça t'a coûté de l'argent, mais au moins tu es tranquille. Je l'ai menacé de déposer plainte pour violation de domicile.
— Heureusement que vous habitez au rez-de-chaussée. J'espère qu'il va me laisser tranquille.
— Je l'espère aussi pour toi. Mais s'il te fait des misères, n'hésite pas à venir m'en parler.
Amandine rentra dans son studio et rangea ses affaires. Le lendemain, elle ne traîna pas au lit, elle acheva les quelques petites choses qui lui restaient à faire puis elle se mit en route, avec un sandwich et une bouteille d'eau dans son sac, direction le manoir.
La grille était grande ouverte pour elle. Un peu euphorique, elle roula jusqu'au perron. Ursule et Eustache coururent à sa rencontre en jappant. C'était amusant de voir un yorkshire pédaler des pattes à toute vitesse pour rattraper un gros bouledogue. Dès qu'elle eut mis un pied à terre, les deux chiens lui sautèrent dessus pour la lécher
— He ! Ça suffit ! s'écria la jeune fille. Je me suis lavée ce matin !
— Ah voilà Amandine, l'ondine, s'écria madame Mirement en sortant sur le perron.
— Notre bonne fée, ajouta Pierre Bellart, qui venait d'arriver.
— Moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?
— Tu nous as permis d'acheter le manoir, dit simplement madame Mirement. L'autre jour, nous étions en pourparler avec la banque, quand Maxime m'a envoyé un texto : « Achète ! Vends ta voiture, hypothèque la maison, mais ACHETE ! ». Je l'ai rappelé pour lui demander ce qui lui prenait mais il ne voulait rien dire au téléphone. Juste « Schatz ».
— Trésor, en allemand, dit Amandine.
— Alors j'ai dit au banquier que j'acceptais toutes ses conditions. Il était très étonné. Je lui ai expliqué que la maison était vendue avec son contenu et que ce contenu avait plus de valeur que la bicoque.
Tout en parlant, madame Mirement et M. Bellart avait fait rentrer Amandine. Ils la conduisirent dans l'un des salons où ils avaient installés une table de camping avec quelques chaises pliables. Des bouteilles d'eau et de soda trônaient en évidence parmi les boîtes de biscuits et les gobelets en plastiques. Maxime et son père accueillirent chaleureusement la jeune fille. Après les embrassades d'usage, la jeune fille se retourna vers madame Mirement pour lui demander la suite du récit.
— Le banquier était très étonné, expliqua-t-elle. Il a revu ses exigences et il nous a accordé le prêt à à de meilleurs conditions. Nous sommes repassés directement chez le notaire. On a tout de suite fait le nécessaire et le lendemain, aux premières heures, nous étions propriétaires du manoir.
— Et le trésor ?
— Je laisse Maxime te raconter l'histoire.
— Quand tu es repartie, je suis monté directement au grenier, expliqua-t-il. Je suis passé sous la noue et, miracle, la petite porte qui ne payait pas de mine s'ouvrait avec la clé que tu avais trouvée. La caverne d'Ali Baba !
— Allez, tu me fais marcher !
— Pas du tout ! Un vrai marché d'antiquités, d’œuvres d'art et même des pièces d'or, des bijoux anciens ...
— On n'a rien dit au notaire, il en ferait une crise cardiaque, ajouta Pierre Bellart.
— C'est vrai, quand on y pense, répondit Amandine. Il aurait dû tout examiner avant de vendre.
— A son âge et avec son petit bedon, ça ne doit pas être facile de faire l'exercice, dit Maxime en riant.
— Tant pis pour lui et tant mieux pour nous, fit monsieur Mirement. Je crois qu'il s'en fichait un peu, vu que les héritiers sont en Amérique.
— On avait déjà repéré quelques toiles qui avaient de la valeur et qui pendaient toujours aux murs. Mais ce n'est pas le dixième de ce qu'on a découvert au grenier. On a tout transféré et mis en lieu sûr. On gardera ce qui nous plaît et pour le reste, nous avons nos filières.
— Vous êtes antiquaires ? demanda Amandine.
— Marchands d'art, répondit madame Mirement. Et Maxime est artiste peintre.
— Nous te devons bien ce petit cadeau, j’espère qu'il te plaira, dit monsieur Mirement en lui tendant un paquet.
La jeune fille remercia les Mirement et déballa son présent : un smartphone tout neuf, mais d'une autre marque que celui que lui avait offert Ben. Elle se mit à rire.
— Je vois que Maxime vous a raconté ma vie.
— Non, je sais tenir ma langue, répliqua le jeune homme. Ils m'ont juste demandé ce qui pouvait te faire plaisir et comme tu m'avais dit que tu te servais de ton ancien mobile ... J'espère que tu n'en as pas acheté un neuf entre temps.
— Non. Je n'en ai pas eu le temps. J'avais du travail à rattraper et j'ai boulotté jusqu'à ce matin. Ça me fait vraiment plaisir. Merci beaucoup.
***
La soirée se déroulait dans la bonne humeur générale. Les gens étaient détendus et papotaient joyeusement. Les plateaux avec les boissons et les zakouskis étaient posés sur des guéridons répartis dans toutes les pièces. Les invités se servaient eux-mêmes. Monsieur Bellart était en pleine conversation avec Amandine.
— Nous sommes entre nous, tu peux me le dire ; tu avais bien entendu parler de quelque chose à propos du trésor.
— Ah ben non, pas du tout ! nia-t-elle, farouchement.
— Alleeeez ! Insista-t-il.
— C'est comme je vous l'ai raconté.
— Tu peux me tutoyer, Amandine. C'est tout de même difficile à ... à comprendre.
— Moi non plus je n'y comprends rien. J'ai l'impression d'avoir passé vingt-quatre heures au XIXe siècle alors que j'ai peut-être perdu connaissance pendant trente secondes tout au plus. Je n'arrive pas à comprendre comment mon imagination a pu inventer tout ça en si peu de temps. Dans mon « délire » vous ... tu t'appelais Eustache et Ursule était mon double. Je n'avais pourtant pas encore entendu parler des chiens. Le médecin a beau me dire que mon subconscient a enregistré, malgré moi, des bribes de conversation, j'ai dû mal à y croire. Et pour ce qu'il y avait au grenier, je pouvais peut-être pressentir, inconsciemment qu'il y en avait sous la tourelle, puisque j'avais observé le bâtiment et que je suis étudiante en architecture. On pourrait même supposer qu'un petit bout de la clé dépassait et que je l'aurais vue sans m'en rendre compte. Mais la relation entre la clé et le grenier ... non, ça ne tient pas la route ...
— Tu es persuadée d'avoir passé une journée au XIXe siècle avec des gens qui n'ont jamais existé ? s'étonna Pierre. J'étais fiancé au yorkshire de Claudine qui s'était réincarné en Amandine. Je ne sais pas ce qu'en penserait ma femme. Clothilde ! — il héla une femme très fine aux cheveux noirs — Je te présente Amandine, l'ondine.
— Amandine Lejeune, murmura l'étudiante, très troublée.
— Clothilde, ma femme, dit Pierre.
— Ravie de vous connaître ! fit Clothilde.
— J'aurais beaucoup de choses à vous raconter sur les ondines qui gardent des trésors sous l'eau, mais on m'attend, déclara la femme de Pierre, ce sera pour plutard.
Le sourire d'Amandine se figea.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Pierre. Ne me dis pas que tu as vu ma femme sous l'eau.
— Son nom de famille, ce n'est pas Lavertu ?
— Non, c'est Laforce. Mais note qu'en latin, la force ou la vertu, ça veut dire la même chose.
— Pardon ? s'exclama Amandine, éberluée.
— Vertu, en latin, ça veut dire force. C'est de la même famille que « viril », dit-il en gonflant et en prenant une pose de Monsieur Muscle.
— A mon avis, on a dû mettre de la drogue dans mon verre, bredouilla-t-elle.
— Arrête un peu tes cachotteries. Qu'est-ce qu'elle faisait, Clothilde, dans ton rêve ?
— Gouvernante.
Pierre éclata de rire. La jeune fille s'éloigna, si troublée par sa dernière rencontre qu'elle marchait comme une somnambule. Au bout de l'enfilade des salons, elle se retrouva dans la pièce où trônait le portrait de la jeune fille en jaune, bien en évidence sur un chevalet.
— Amandine Lejeune, permets-moi de te présenter la jeune Amandine, déclara solennellement Maxime. Ben dis donc, tu en fais une tête. Ton ex t'a encore relancée ?
— Ne me parle plus de lui au moment où je suis parvenue à le rayer de mes souvenirs. Ce pauvre type s'est vite consolée avec une autre qu'il a plaquée la veille de son départ en Amérique. J'espère qu'on l'embauchera là-bas et que je ne le reverrai plus avant un demi-siècle.
— Alors pourquoi fais-tu une tête pareille ?
— Clothilde, la femme de Pierre ...
— Oui ?
— Dans mon voyage dans le passé, c'était la gouvernante d'Ursule.
— D'accord ! dit Maxime d'un air rieur. Si tu veux bien revenir de ton univers parallèle et atterrir au XXIe siècle, je te raconterai l'histoire du portrait.
— Je t'écoute.
— Le Comte de Sambricourt n'a eu qu'un fils, Rodolphe qui s'est marié sur le tard avec une certaine Olympe, bien plus jeune que lui. Quand il est mort, sa veuve s'est remarié avec Aristide Lacassette et ils ont eu plusieurs enfants. Le fils aîné, Télesphore ...
Amandine ne put s'empêcher de rire en entendant ce prénom.
— ... oui, je sais, continua Maxime, c'est plutôt extravaguant. Donc, Télesphore est tombé amoureux de sa cousine Amandine Lencrage et il a peint son portrait. Mais la jeune demoiselle ne partageait pas ses sentiments. Télesphore a fini par émigrer en Amérique. Non, ça ne s'invente pas. C'est son frère, Enésidème, qui est resté au manoir.
— Il faut vraiment en vouloir à ses enfants pour leur donner des noms pareils, plaisanta-t-elle.
— Quand tu vois comment certains appellent leurs moutards, aujourd'hui ... ! Un nom entendu dans une série américaine ou la dernière célébrité qui vient de sortir un tube, ça ne vaut pas mieux. Pour en revenir aux Lacassette, Enésidème était le père d'Agénor, le dernier propriétaire.
— Et Amandine, qu'est-ce qu'elle est devenue ?
— Elle a épousé un monsieur Fourneau. Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
— ... Combien ?
— Deux filles. Constance et ... Marie.
— Marie Fourneau, ça me dit quelque chose. Elle serait une de mes ancêtres que ça ne m'étonnerait pas. J'envoie un texto à ma papy.
— Il a un mobile, ton pépé ?
— C'est un papy branché ! répondit Amandine en sortant son smartphone de sa poche.
La jeune fille avait de la chance, bon-papa était branché à plus d'un titre. La réponse ne se fit pas attendre. Amandine Fourneau était la grand-mère de Claude Lejeune, le grand-père d'Amandine.
— Maxime, je te présente ma ... quadrisaïeule ! déclara-t-elle, triomphante en lui montrant le tableau.
— Ça se mange ? répondit-il, amusé.
— Non, la vieille viande, c'est trop coriace ! C'est mon arrière-arrière-arrière-grand-mère.
— Et ton papy t'a dit si l'esprit de tes ancêtres hantait l'étang ?
— Nos investigations n'en sont pas encore à ce stade, dit-elle, en prenant un air faussement sérieux qui provoqua un grand éclat de rire.
Attention: Tous les personnages et situations reconnaissables sont la propriété de leur auteurs respectifs. Les auteurs reconnaissent qu'ils ne touchent aucun droit sur leur travail en publiant sur le site.