Détritus by Antasy
Summary:

Dm3t-7zen

Une pomme tombe toujours. C'est une question de gravité.
Sacha et Romain le savent bien.

Participation au projet "Take a Picture"

Categories: Tragique, drame Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Aucun
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Take a picture
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 2131 Read: 1693 Published: 01/09/2013 Updated: 01/09/2013
Story Notes:
Merci à litsiu pour la bêta, à Ielenna pour le projet et à Ewie pour l'image.

1. Chapitre 1 by Antasy

Chapitre 1 by Antasy
Author's Notes:
Bonjoir, bonsour,
Je tiens à préciser que ce texte un peu expérimental et que c'est un peu surréaliste par endroits. Je ne suis pas Breton (ni bretonne ah. ah. ah.) ou Desnos, j'avais juste envie d'essayer. Mais j'espère que ça vous plaira.
Bonne lecture !
Une mince couche de poussière recouvre le corps de Sacha. Sur sa peau et dans les plis de ses vêtements, le gris s'installe, prend place. Il se niche dans les fibres des tissus. La saleté se dépose. Règne. Reine. Nécrose. L'épiderme est glacé à l'extérieur. L'épiderme brûle à l'intérieur.

Sacha est immobile. Paralysé. Allongé sur le sol. Sur le dos. Les jambes formant un angle étrange. Pas droit, pas obtus, pas aigu. Les bras écartés comme un ange qui ne s'envolera jamais. L'ampoule, au dessus de lui, grésille. Elle faiblit. Epuisée d'éclairer ce qui n'a plus besoin d'être éclairé. Elle va bientôt s'éteindre mais pas maintenant. Plus tard.

Il y a longtemps qu'il est là, sans bouger. Tellement longtemps qu'il a perdu la notion du temps, le décompte des minutes transformées en heures, le jour qui se lève et se couche. Plus de conscience. Plus de force. Rien. Juste un corps étalé. Un cadavre en état de décomposition.

Romain est là, aussi. Juste à côté, assis par terre, en tailleur. Une cigarette entre ses lèvres, cendrier rempli de mégots. Il ne respire plus. L'odeur est insupportable. Il aspire et recrache. Sa gorge lui fait mal. Ses yeux piquent. C'est la fumée trop blanche. Elle active ses glandes lacrymales. Des larmes sur ses joues tracent des sillons sur sa peau grise, lave la poussière.

Romain se souvient.

Il y a quelques secondes, Sacha est tombé. Ça lui arrive souvent.

Romain n'a jamais vu quelqu'un qui tombait autant. Comme si la gravitation aimait tellement Sacha qu'elle ne lui laisse aucun répit. Cruelle assassine de l'équilibre. Equilibre en pauvre victime. Rester debout est une compétence qu'il n'a pas acquise. C'est une maladresse pathologique. Un trouble dans son cerveau, deux câbles qui se connectent mal, et qui endommagent les actes faciles de tous les jours. Même les objets lui échappent des doigts.

Tout lui échappe. C'est à peine croyable.

Il lui a demandé de lui faire une tasse de café au lait avec un sucre et demi et Sacha s'est exécuté. Il est gentil, Sacha, il refuse presque rien. Il doit savoir que, s'il proteste, les phrases se répètent. Oui, non, oui, non. Cercle vicieux de la conversation jusqu'à ce que l'un cède. Oui, non, oui, oui. Les avis divergent, les arguments se multiplient, se contredisent. Ou alors, il doit savoir qu'il n'y avait aucune raison de protester. Juste la satisfaction d'un acte généreux effectué.

Il y avait la tasse dans sa main droite et quelques mètres à parcourir jusqu'à lui.

Puis, un pied qui bute contre l'ombre, l'autre qui tape la lumière. Sacha s'écroule comme un château de cartes. Eparpillées. Il est sur le ventre. La tasse s'est cassée sous l'impact. Le café a déferlé. A la surface de la mer marron, des nénuphars moisis. Romain a replacé Sacha sur le dos. Pour qu'il respire mieux. Il ne respire plus.

Ils ne respirent plus.

C'est à cause de l'air trop lourd, l'oxygène qui manque et qu'ils ne veulent pas chercher. C'est la poussière dans l'atmosphère qui s'abat sur eux. Pluie diluvienne de débris fins. Qui obstrue leurs trachées.

Romain a envie de parler. Silence offert autant que silence imposé. Engloutissant, avalant, étouffant, les prenant dans ses serres en les écrasant. Sons coincés en travers de son œsophage brûlé par la nicotine aspirée.

« C'est sale. »

Sacha. Qui lui coupe l'herbe sous le pied. Odeur de gazon par dessus l'odeur de renfermé. Voix éraillée, venue d'un autre temps, d'un autre lieu. A peine perceptible. Romain met une heure pour que les sons parviennent à ses tympans. Trajet dans l'air solide devenu impraticable. Une autre heure pour transformer les notes en mots. Mélodie essoufflée devenu incompréhensible. Une autre encore pour répondre.

« Non. »

Ce n'est même pas une réponse. Négation pour affirmation. Inutile et vain. Syllabe prononcée pour rien.

Romain tousse. Parler lui fait mal. Cordes vocales utilisées, tirées de force de leur inactivité. Il aspire fébrilement sur sa cigarette consumée. Le goût n'est pas bon. La cigarette, bientôt finie. La saveur s'altère au fil du temps. Au fil des cendres. Il déteste les dernières bouffées, quand il manque de se brûler les doigts ou les lèvres, quand le cylindre n'est plus qu'un filtre sans rien à filtrer. Il tousse encore plus fort. A en cracher ses poumons. Ce qu'il en reste.

De la salive est expulsée. Salive rouge mélangée à du sang transparent. Elle atterrit sur Sacha, juste devant lui. Une tâche sur son T-shirt qui fut blanc. Jadis. Romain grimace. Son sourire tordu fêle ses lèvres blanches. Craquelures. Comme au plafond. Autour de l'ampoule qui grésille. Les souris invisibles grignotent les molécules et tracent des traits dans la matière. Du sang perle au coin de la bouche de Romain. Il le sent. Il a un goût âpre sous la langue. Il a fermé les yeux. Inconsciemment. Une goutte écarlate comme de la grenadine salée coule doucement. Elle manque de s'écraser. Se suicider. Un pouce sur les commissures. Dans le creux de la peau. Romain ouvre les paupières.

Sacha.

Bras tendu. Angle droit, ni obtus, ni aigu. Sa peau le glace. Il y a de la vapeur tout autour comme un halo flou. Elle semble friable.

« Tu avais de la saleté. »

Il montre son pouce gris où repose une goutte ronde et rouge. Un peu terne sur les bords. Romain veut la récupérer comme on récupère un cadeau. Fumée entre ses doigts, sang entre ses doigts. Il glisse sa main dans celle de Sacha. Par défaut. Il a peur que la main de Sacha lui échappe aussi. Qu'elle s’effrite comme le plâtre au plafond. Autour de l'ampoule qui grésille.

La main ne s’effrite pas. Elle reste là. Glacée. Grise. Doigts enlacés.

« Ton T-shirt est sale. »

Simple remarque de la part de Romain. Sacha cligne des yeux.

« Non ».

Réponse rapide comme une flèche lente. Ce n'est même pas une réponse.

Leur corps bougent maintenant. Des nuages de poussière se soulèvent, se déplacent. Les muscles tressaillent. Les paupières s’agitent. Le pouce de Sacha caresse le dos de la main de Romain. Il laisse des traces sur les traces.

« Tu peux te redresser ? »

Sacha a un sourire dans ses yeux. Un éclat dans ses iris bleus.

« Pas sans aide. »

Romain écrase sa cigarette. Les mégots forment un monticule. Une montagne de neige grise. Il tire légèrement sur la main de Sacha. Centimètre après centimètre, il le hisse. Le dos de Sacha se décolle du sol. La silhouette se détache de la poussière. L'empreinte d'un corps comme mémorisé. Ancré. Sacha est assis. Désorienté. Autre vision du monde, à la verticale.

Un jour, il ne se redressera plus. Romain en aura marre de voir les propriétés physiques prendre le dessus, de sentir le temps s'arrêter à l'instant où les genoux plient et rencontrent le sol. Il partira. Sacha sera seul. Et il tombera encore et encore jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.

Heureusement qu'il est là, Romain.

« Je ne me souviens plus. Depuis quand t'es là ? »

La mémoire de Sacha n'existe pas plus que sa capacité à tenir debout.

Heureusement qu'il est là, Romain.

« Depuis un an, je crois. »

Un an. C'est long, un an.

« Et, pourquoi t'es là ?
– C'est vraiment sale, ici. Regarde, les immondices invisibles, qui envahissement le temps et l'espace. 
– Pourquoi t'es là ?
– Je vais manger une pomme. »

Les sons déraillent. Discordance, dissonance. Fuir plutôt que répondre. Réponse inconnue, qu'il ne parvient pas à formuler.

Romain a vraiment mal à la gorge à force de parler, fumer, parler, parler. Son œsophage est mangé. Mite de la souffrance creuse un trou dans sa peau. Mélodie de la douleur fait vibrer les cordes vocales.

Romain se lève. Rapide. Le monde tourne. Et sa tête, aussi. C'est compliqué. Être debout après avoir été assis. Se sortir de la paralysie. Il navigue difficilement. Muscles engourdis. De la saleté entrave son chemin. Des obstacles lui coupent la route. Mais il arrive. Il prend une pomme dans la corbeille de fruits sans couleurs qui trône au centre de la table carrée. Il l'essuie. La pomme est devenue verte. Il revient vers Sacha. Le retour est plus facile que l’aller.

Assis, dos courbé, Sacha joue avec une mèche de ses cheveux un peu trop longs. La mèche se tord sous ses doigts, s'entortille. Il la replace, en prend une autre. Répète le même jeu. Brins noirs sur peau blanche. Parfois, c'est avec les cheveux de Romain qu'il joue. Avec ses jolies boucles noires qu'il tend et détend.

« Au fait, tu voulais une pomme ?
– Pourquoi t'es là ?
– Tant mieux, ça en fait plus pour moi. »

Il croque dans le fruit qui fut défendu. Le saveur acide ravive sa plaie. Du sel sur une blessure. Qu'importe. Ça fait mal mais il ne va pas la jeter. La poubelle est pleine. Elle déborde. Bouchée après bouchée, la douleur anesthésie la douleur.

Bientôt, il ne reste qu'un trognon. Que Romain fixe longuement comme s'il tenait un joyau commun. Il cherche les mots, les mots viennent. Il lutte et parle.

« Nous sommes tous les deux des trognons de pomme, Sacha. Grignotés jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à grignoter. Des pommes anciennement vertes, rouges ou peut-être jaunes qui n'auraient plus de couleurs. Des pommes auxquelles il ne reste que des pépins qui pourraient produire d’autres pommes si on s'en donnait les moyens. Que Newton a lancé pour vérifier qu'elles tombaient et elles tombent. Tu tombes. Moi, je ne tombe plus pour pouvoir te ramasser. Avant, je tombais. Comme toi, je testais les lois de la gravité et constatais qu'elles étaient plus fortes que moi. Maintenant, je suis la cible, en équilibre sur la tête d'une assistante et j'attends qu'une flèche me transperce. Des putains de pommes où logent quelques asticots. Au goût trop sucré. Destinées à nourrir l'estomac d'un monde abject. Qu'il faudrait jeter.
-Nous sommes des détritus. »

Soupirs. La vérité fait mal. Elle transperce leurs cœurs ralentis et fend des sourires las sur leurs joues.

Un rai de lumière. Qui éclaire les milliers de particules de poussière. Des fées volent. Dorées, argentées, insouciantes.

« Sacha ?
– Oui ? 
– La tâche sur ton T-shirt s'est répandue. »

Le T-shirt est rouge et gris. Sacha le contemple, semblant à peine croire à cette propagation phénoménale. Il écarquille ses yeux. Apeuré. Les fées les entourent. Elles veulent les aider à vaincre la saleté. Mais les fées sont la saleté.

Sacha enlève son T-shirt, le balance au loin. Mais ça ne va pas mieux.

« Pourquoi t'es là ? »

Romain ne peut plus parler. Trop mal. Il se contente de se pencher. D'embrasser Sacha doucement. Tendrement. Les lèvres de Sacha sont froides. Les siennes ont le goût de sang. La réponse est là. Dans un simple baiser.

Les fées s'agitent.

Sacha plonge ses doigts dans les cheveux de Romain, bien plus doux que les siens. Il s'en veut d'avoir posé une question dont il connaissait déjà la réponse. Gamin effrayé, il voulait confirmation. Confirmation, il a eu. Garçon rassuré.

Romain se penche trop. Il tombe sur lui. Manque de l'écraser sur son poids. La gravité ne joue pas qu'avec lui. Romain en fait les frais, lui aussi. Sacha sourit. Le parquet sale est inconfortable sous son dos. Mais habituel. Il regarde le visage de Romain éclairé par les fées frénétiques. Un visage tordu par la souffrance, nappé de rouge. Le sien ne doit pas être mieux. Il sent la mort tapissée sur sa peau, coagulant à la surface. Il a un peu mal. Mais il y a Romain, juste au dessus de lui. Qui s'affaisse.

Les fées se dissipent.

Ils ferment les yeux. Ils vivent encore.

Il y a quelques secondes, Sacha est juste tombé.
End Notes:
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