Une nuit en forêt by Yoguany
Ancienne sélection flamboyanteSummary:



Une légende raconte que les bois de Drudan sont hantés par un monstre terrifiant, une horreur qui emporte tous ceux qui ont l'insolence de le défier sur son territoire.
Lorsque David et ses amis entendirent cette histoire, ils ne lui donnèrent pas l'intérêt qu'elle méritait, et, en mal de sensation forte, ils décidèrent tous de passer la nuit aux abords de la forêt maudite.

Ils firent la plus grande erreur de leur vie.

Une erreur qui va entrainer un cauchemar effroyable dont aucun ne sortira indemne.

Car dans toute légende se cache une part de vérité. Et cela, ils vont le comprendre, cette nuit...-nouvelle mise en page-


Categories: Horreur Characters: Aucun
Avertissement: Violence physique
Langue: Français
Genre Narratif: Aucun
Challenges:
Series: Aucun
Chapters: 12 Completed: Oui Word count: 25683 Read: 88622 Published: 10/03/2010 Updated: 24/08/2011

1. 1. Sur la route by Yoguany

2. 2. Discussion by Yoguany

3. 3. Le camp by Yoguany

4. 4. Attaque by Yoguany

5. 5. Fuite et crise by Yoguany

6. 6. Un refuge by Yoguany

7. 7. La chose by Yoguany

8. 8. Amitié et témérité by Yoguany

9. 9. Dans les profondeurs by Yoguany

10. 10. Comme un coeur palpitant by Yoguany

11. 11. Face à face by Yoguany

12. Epilogue by Yoguany

1. Sur la route by Yoguany
Author's Notes:
Le premier chapitre. J'espère qu'il vous plaira ^^.

Bonne lecture à tous.
1.


« C’est encore loin, David ? »
Je jetai un coup d’œil sur la carte « Non, on y sera dans dix minutes. »

Sandra souffla et s’enfonça dans son siège. Ma sœur jumelle n’avait jamais eu une très grande patience en voiture, encore moins en caravane.

Un vent rafraîchissant me léchait le visage tandis que le vieux camping car de mon paternel se frayait un chemin à travers un sentier datant de Mathusalem. En tout cas, ce n’était pas aujourd’hui que s’arrêterait cette fichue canicule, ça non ! On avait eu près de 37 degrés durant la journée et la nuit ne promettait guère d’être plus froide. On trempait dans nos tee-shirts et j’avais eu une désagréable sensation de succion généré par ma chemise trempé et le cuir chauffé du siège pendant près d’une heure de route.

« Comment Jim a-t-il pu risquer sa belle Renault dans un chemin aussi merdique ? »

Je me tournai vers mon copilote et baissai le volume de la radio.

« Quoi ?
- Je disais : comment Jim a-t-il pu risquer sa belle bécane sur un sentier pareil ? »
Je souris « Va savoir. Il l’a sûrement laissée sur un parking et forcé Aurélie et Stéphanie à faire la route à pied. Je ne pense pas qu’il voudrait la moindre égratignure sur son petit bolide. »

Thomas eut un petit rire tandis que je remontais le son de la radio. Pas très expressif, le Thomas. Enfin, dans la mesure où je ne cherchais pas à engager la conversation, ça ne me gênait pas.

Jim, Stéphanie et Aurélie nous avaient devancés la veille au soir et s’étaient rendus au camp, à l’orée de la forêt de Drudan. Nous aurions dû les rejoindre vers la fin de l’après midi mais nous n’arrivions qu’en début de soirée après que Sandra ait révélé à tout le monde le contenu de son estomac. Mon sourire s’élargit en imaginant la tête qu’avait dû faire Jim lorsqu’il avait vu l’état déplorable de la route. Il avait son permis depuis peu et ses parents lui avaient offert une superbe Renault flambant neuf. Un petit bijou, il fallait le reconnaître. Et depuis, il en prenait soin comme si c’était son gosse, un vrai délire. Il avait même engueulé John un jour parce qu’il avait laissé tomber du chocolat sur la banquette. Un truc de fous. J’avais dit à Thomas qu’il avait certainement forcé Steph et Aurélie à y aller à pied pour rigoler, mais je n’en étais pas si sûr. J’étais persuadé qu’il en aurait été capable, l’animal.

A l’arrière, des échos de conversation nous parvenaient, en partie occultés par le son de la radio. Manifestement, Sandra râlait encore. Une vraie chieuse, celle-la, quand elle s’y mettait. Mais je ne pouvais lui en vouloir : elle est malade en voiture et cela faisait presque une heure qu’elle devait être au supplice. Pas étonnant qu’elle soit d’une humeur de chien. Je me demandais sur qui elle pouvait bien se débarrasser de sa hargne. Matthieu ? Non, je l’entendais discuter ordinateur et jeux vidéo avec John dans un coin et ils n’étaient manifestement pas d’accord. Romain ? Non, il appuyait les deux fous de l’électronique tout en prenant soin de jouer au jeu « je t’aime, moi non plus » avec Sophie. Incapable de se remettre ensemble (ils avaient déjà rompu quatre fois), ils avaient trouvé un compromis dans lequel ils n’étaient pas ensemble mais s’arrangeaient pour le faire croire. Quelques gestes bien placés par-ci, par-là, des allusions sans équivoques, des disputes de vieux couples et le tour était joué. Je pensais que ces deux là resteraient jusqu’au bout d’éternels gamins.

Il ne restait plus qu’Elodie pour supporter ma frangine et je m’en mordis les lèvres. De notre groupe, Elodie était celle qui m’intéressait le plus. Très jolie (de long cheveux châtain foncés, des traits fins, des yeux vert magnifiques et une poitrine pour laquelle les anges eux-mêmes pourraient se damner), Elodie avait le mérite d’être facile à vivre, sans prise de tête. Drôle, malicieuse, elle n’était pas du genre casse-pieds comme Sandra, ni très coquette comme Sophie. Elle s’entendait bien avec tout le monde et n’était pas du genre à créer des problèmes. Cela faisait presque un an que je la poursuivais de mes assiduités, sans résultat, nos relations restant bloqués au stade « amis de longue date ». Déjà que je n’y arrivais pas tout seul, je n’avais pas besoin que Sandra me ruine mes dernières chances. Vivement qu’on arrivât.

La caravane tressautait sur les multiples nids-de-poule qui parsemaient le sentier. Au bout d’un kilomètre, le chemin bifurquait à gauche. Je m’engageai sur cette nouvelle voie encore plus mal entretenue que la précédente et franchis une ancienne clôture de fer rouillé.

« Semblerait que ce n’était pas des conneries, dis-je, les gens du coin ont vraiment l’air d’y croire.
- Tu ne vas pas me dire que tu y crois, railla Thomas, c’est des histoires, rien de plus.
- Ah ouais ? Et ces clôtures ? Elles servent à quoi ? »
Thomas haussa les épaules « Va savoir. Pour préserver la forêt ou une autre connerie écolo du même type.
- Ouais, peut-être… »

Nous avions entendu une vieille histoire concernant la forêt de Drudan. Une créature, paraît-il, hanterait ces bois et elle pousserait des cris terrifiants une fois la nuit tombée. Naturellement, nous ne l’avions pas prise au sérieux, pensant qu’il s’agissait d’une plaisanterie que racontent les autochtones aux touristes. Mais l’air grave qu’ils affichaient ne laissait pas place à la plaisanterie. Au contraire, ils avaient l’air terriblement sérieux. Moi-même, j’aurais été tenté de les croire et je dois l’avouer, je n’étais pas très chaud à l’idée d’un week-end entier près de cette forêt. Cette riche idée avait été émise par Jim, éternel dubitatif, qui s’était empressé de provoquer les récalcitrants (Thomas, Elodie, les deux fous de l’électronique et moi) jusqu’à ce qu’on concède à accepter. J’étais habitué aux provocations grossières de Jim et j’étais entrainé à ne pas y répondre. Sauf que ce coup-ci, Elodie avait craqué avant moi et il était hors de question que je passe pour un dégonflé à ses yeux. Elle m’avait lancé un regard direct et ses deux yeux verts m’avaient fait rendre les armes comme un lâche. C’est dingue les réactions débiles que l’on a parfois. Pour l’instant, je ne le regrettais pas. Après tout, ce n’était que deux jours à passer près d’une forêt un peu lugubre.

Pas de quoi s’inquiéter.

Non ?

« Hey, David, s’écria Elodie pour couvrir le son de la radio, je n’arrive pas à joindre Jim et Stéphanie. Essaye d’appeler Aurélie, s’il te plait.
- Ok. »

Aurélie était ma cousine fraichement arrivée dans le groupe (un soudain intérêt pour Jim, je crois) et j’étais le seul pour l’instant à avoir son numéro. Je tapotai trois touches sur mon portable et attendit. Dehors, la nuit était enfin tombée et mes phares balayaient un paysage de plus en plus sauvage.

Bip. Bip.

« Alors ? »

Je fermais le clapet du portable « Messagerie. Peut-être que… »

Je tournai vivement la tête vers l’extérieur.

« Quoi ? demanda Thomas, qu’est-ce qu’il y a ? »

Je continuai à scruter les ténèbres tout en gardant un œil sur la route. J’avais peut-être rêvé ; la radio qui m’avait joué un tour ou encore l’un des monstres virtuels de Matt et John dont je percevais l’écho du jeu. Ou bien, c’était ces fichus histoires qui m’avaient mises ces idées dans la tête. Pourtant…

« T’as entendu ?
- Entendu quoi ? demanda Thomas, tu fatigues, vieux, on dirait.
- T’es sûr ?
- Ben… à part la dispute des deux gamins, leurs jeux et la dernière merde de Fatal Bazooka, il n’y pas grand chose à entendre. T’es sûr que ça va ?
- Ouais, ouais, ça va ? »

Mais j’en étais de moins en moins sûr. J’étais certain de ne pas avoir rêvé. Je continuai à scruter l’extérieur.

« Ca va ? »

C’était Elodie qui avait passé la tête dans la cabine de pilotage. Ses yeux verts me regardaient, me troublaient.

« Ouais, ça va, un peu fatigué, c’est tout.
- On arrive bientôt ?
- Dans deux minutes. »

Elle m’effleura l’épaule et s’en retourna vers les autres. La dispute entre Matt et John s’était calmée.

« T’es sûr que ça va, demanda Thomas après un silence, t’as l’air bizarre.
- Ouais, ça va, je te dis. La fatigue, c’est tout. »

Thomas n’insista pas et se tourna vers la route. Mais je le voyais par moment me jeter un coup d’œil.

J’aurais pourtant pu le jurer. Je l’avais entendu, je n’avais pas rêvé. Ce bruit ne pouvait pas sortir de mon imagination. C’était sûr.

Calme-toi, t’es le seul à l’avoir entendu, ce ne peut être que ton imagination. N’insiste pas.

En effet, qu’est-ce qui pourrait pousser un grognement suffisamment fort pour couvrir le son de la radio ?
End Notes:
Une impression, une critique, surtout, n'hésitez pas !
2. Discussion by Yoguany
Author's Notes:
Ca commence à aller mal pour notre groupe. Rien ne semble aller comme prévu et il faut décider de ce qu'il faut faire.

Bonne lecture à tous.
2.



« On ne devrait pas voir les lumières du camp, maintenant ? »

C’était Thomas qui avait posé la question qui me taraudait l’esprit depuis cinq minutes. Logiquement, on aurait dû être en vue du camp mais rien dans le paysage sombre et ténébreux ne montrait une quelconque trace d’activité humaine.

« T’es sûr que c’est là ?
- Ben… d’après la carte, ils devraient être à côté.
- Pourquoi on ne voit pas leur lumière, alors ?
- J’en sais rien. Peut-être qu’ils n’en ont pas encore fait…
- Ce serait étonnant. »

Je le pensais aussi mais je ne voyais pas quoi répondre d’autre. La nuit était maintenant pleinement entamée et malgré le ciel dégagé, je doutais que nos trois lascars s’éclairassent de la seule lumière des étoiles.

« On va bien voir. On y est presque. »

Je braquai à gauche, de nouveau à gauche, et débouchai sur une vaste aire plane. Devant nous se dressait la forêt de Drudan. Toujours pas de lumière.

« C’est quoi, ça ? »

La lumière des phares avait capturé dans son faisceau la Renault de Jim. Les portes arrières étaient grandes ouvertes et la vitre de la portière du conducteur était en miettes. Un liquide avait laissé une large coulure sombre sur le rouge clair de la voiture.

« Mais où sont-ils ? demanda Sandra, pourquoi y a pas de lumière ?
- C’est quoi, ça ? répéta Thomas en regardant la trace sur la voiture.
- Aucune idée. »

A l’arrière, le silence régnait pour la première fois en une heure. Puis finalement, John le rompit d’une voix où perçait un malaise grandissant :
« C’est quoi, ce délire ? C’est une mauvaise blague, non ? Encore un coup de Jim ?
- Je ne crois pas, lui répondit Romain en se tordant le cou pour voir la Renault, il ne pousserait pas la plaisanterie jusqu’à casser une des vitre de sa bagnole.
- Ben alors, ils sont où ? riposta John dont le gros corps fut parcouru d’un frisson (John avait toujours été un trouillard de première. Une fois, Jim s’était approché dans son dos et avait hurlé « bou ». John avait presque failli toucher le plafond tellement il avait eu peur. Sans Matt, son pote de toujours, il ne serait probablement pas venu), si c’est une blague, elle n’est pas drôle.
- Du calme, John, lui dit Elodie d’une voix douce, ça sert à rien de paniquer.
- Ne pas paniquer ? Tu te fous de moi, ou quoi ?
- Hé, t’en prends pas à elle, lançai-je (Thomas et moi les avions rejoints)
- C’est bon, reprit Elodie faisant taire John, on s’est peut-être trompé d’endroit. Ils sont peut-être plus loin…
- Ah non, rétorqua Matt, c’est bien la voiture de Jim, pas de doute. »

Elodie lui lança un regard qui signifiait « La ferme, tu m’aides pas, là »

« Peut-être qu’ils ont eu un problème et qu’ils ont dû rentrer au village, dit Thomas.
- Oui, dit Elodie en jetant un regard de reconnaissance à Thomas, c’est un coin paumé ici, ils ont peut-être eu un problème de réseau et c’est pour ça qu’ils ne nous ont pas appelés.
- Il y a du réseau, objecta Sophie, en tout cas, j’en ai et Stéphanie a le même forfait que moi.
- Oui, mais peut-être…
- Cela fait beaucoup de peut-être, railla John, au fond, t’en sais rien.
- Bien sûr que j’en sais rien, répondit Elodie avec agacement, j’essaie juste de te dire qu’il faut rester calme et qu’il est inutile de paniquer pour rien.
- Pour rien ? Pour rien ? Regarde dehors et dis-moi que c’est rien. »

John pointa le doigt vers le camp. La faible lumière générée par les lampes de la cabine dessinait les vagues contours des tentes et du matériel de camping. Les tentes étaient effondrées et le matériel éparpillé.

« Peut-être… commença Elodie.
- Non, pas de peut-être, la coupa John, démarre, David, on se casse.
- Quoi ? s’écria Romain, tu veux les laisser ? Ils ont peut-être un problème et tu veux les abandonner.
- Tu l’as encore dit, bordel. « Peut-être ». On ne sait pas où ils sont ; ça se trouve, ils sont loin et ils doivent bien se marrer.
- Bien se marrer ? Tu racontes quoi, là ? Ils seraient partis sans la voiture ?
- Ouais. Imagine qu’elle est en panne. Hein, t’y as pensé ? En tout cas, on n’a aucune raison de rester là.
- Ils seraient partis sans le matériel ? demanda Sophie. Arrête de dire des conneries, ils ont eu un problème, c’est évident.
- Raison de plus de se tirer.
- En les laissant derrière ? C’est dégueulasse. » Sophie regardait John avec dégoût.
« Si on veut pas finir comme eux, il vaut mieux…
- La ferme, John. »

Je l’avais dit sans lever la voix mais John s’arrêta net.

« David… commença-t-il
- J’ai dit la ferme, putain ! »

John en resta bouche bée.

« Ecoute-moi bien. J’en ai plein le dos de ta lâcheté. Ils sont peut-être en danger et tu voudrais les laisser ? Putain, t’es vraiment une merde, parfois.
- David…
- Quoi ? Tu veux dire quoi ? Encore une connerie pour essayer de te défiler ? Laisse tomber, tu vas fermer ta gueule et t’asseoir. Je veux plus t’entendre, c’est pigé ?
- Dav…
- Ta gueule et assis ! »

On aurait dit que je venais de le gifler. Pâle, John s’assit lentement sans cesser de me dévisager. Presque instantanément, ma propre attitude m’écoeura. Je n’étais pas du genre à engueuler les autres et excepté son caractère de merde lorsqu’il avait peur, John était un type sympa qui ne méritait pas ce que je lui avais dit. J’étais sûr que je m’en voudrais mais c’était plus fort que moi. Moi aussi, j’avais senti que quelque chose ne tournait pas rond et ça m’avait rendu nerveux. En fait, je m’en rendais compte, j’étais sur les nerfs depuis que j’avais entendu le grognement. Et le laisser entendre qu’on devait abandonner Jim, Aurélie et Stéphanie à leur sort, ça avait été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Et puis, il y avait Elodie. Je sais, c’est un prétexte débile mais je ne voulais pas me dégonfler devant elle. Stupide, je sais, d’autant plus que l’effet recherché (reconnaissance ? soulagement ?) n’est pas arrivé.

« Bon, et maintenant, on fait quoi ? »

Sophie avait rompu le silence gênant qui s’était installé. Ses yeux bleus me fixaient avec intensité. On aurait presque dit qu’elle m’accusait.

« Moi, je suis de l’avis de John, lança Sandra, il faut partir
- Tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi.
- La ferme, David, répliqua-t-elle, les yeux brillant de colère, je ne suis pas tranquille, ici. J’ai… J’ai l’impression qu’il y a quelque chose dehors. Quelque chose de dangereux. Qui nous observe, j’en suis sûre. Si on ne bouge pas, elle nous aura, comme elle a eu Jim et les autres… »

Ce n’était pas de la colère qui brillait au fond de ses yeux mais de la peur.

« Mais de quoi tu parles, bordel ? lança Matt
- Je… (Sandra respira un bon coup comme si elle s’apprêtait à lancer une énormité) Je crois qu’il y a du vrai dans l’histoire des villageois.
- Quoi ? L’histoire du monstre ? »
Sandra acquiesça « J’en suis sûre.
- C’est du délire, répliqua Matt, du pur délire.
- Sandra, c’est une légende, dit Sophie d’un ton posé, une histoire…
- Une légende, j’en suis plus si sûre. C’est trop bizarre. En tout cas, on nous observe. J’en suis sûre. »

Nous jetâmes un regard dehors, un vague malaise s’étant installé entre nous. Sandra reprit :
« Jim et ses idées à la con. Il est où, cet abruti ? Ils sont où, tous ?
- Il n’y a qu’un moyen de savoir. »

Thomas s’était exprimé d’un ton calme, presque indifférent.

« Il faut aller voir dehors. On trouvera peut-être quelque chose d’intéressant.
- Sortir ? Dehors ? Pas question ! s’exclama John.
- Personne ne t’oblige à venir, dit Thomas du même ton calme, je n’oblige personne. Moi, en tout cas, j’y vais. »

Je vis Thomas sous un jour nouveau. Du groupe, c’était le plus effacé, le moins bavard, celui qui suit. C’était bien la première fois qu’il prenait l’initiative de quelque chose. Et avec sang froid, je vous prie. En situation de crise, ce type pouvait faire des merveilles.

« Qui vient ? »

Pas de réponse. Sans attendre, il entama la descente des trois marches qui précédaient la sortie.

« Attends »

Je sortis du placard deux lampes torches et lui en tendis une.

« Je viens avec toi et on aura besoin de ça, dis-je en brandissant ma lampe.

Thomas m’adressa un sourire de reconnaissance. Il n’était apparemment pas très chaud pour partir tout seul dans le noir. Moi-même, je n’étais pas très à l’aise. Je n’osais pas l’avouer mais j’étais presque de l’avis de John et seul un sursaut d’orgueil et de fierté m’empêchait de grimper au volant et de me tirer. Mais il fallait savoir ce qui s’était passé. Pour eux. Jim, Aurélie, Stéphanie. On devait faire quelque chose, n’importe quoi plutôt que partir comme des lâches. Je me rendais compte qu’on n’aurait pas dû venir.

« Hé, David, t’en aurais une troisième ? Je viens aussi. »

Romain s’était levé à son tour. Avec un sourire, je lui tendis une troisième lampe. Pour lui, cela se voyait clairement qu’il n’avait pas envie de venir, mais un coup d’œil appuyé de Sophie l’avait retenu de « faire son John ». C’est dingue tous les risques que l’on prend et toutes les conneries que l’on fait pour une fille.

« John ? Matt ? » demandai-je en désignant la porte.

John s’enfonça dans son siège, les mains dans les poches, la mine renfrognée, ses intentions clairement affichées. Quant à Matt, il semblait hésiter mais comme il n’avait personne à impressionner (et donc aucune raison de risquer sa peau), il jugea plus sage de rester sur place. Je tournai la tête vers les filles, leur demandant silencieusement si elles voulaient venir. Il aurait fallu une pince pour décrocher Sandra de son siège, Sophie regardait Romain avec de la tendresse dans les yeux mais ne semblait pas vouloir bouger. Je regardai Elodie. Pendant une seconde, je crus qu’elle allait venir (ce qui m’aurait plu). Puis elle tourna la tête vers John et je compris.

« Bon, on y va. »

Thomas alluma sa lampe et sortit. Romain l’imita et sortit à son tour. Je m’apprêtais à faire de même lorsqu’une main se posa sur mon épaule.

« Sois prudent. »

Ce n’était qu’un murmure mais je l’entendis clairement. Je tournai la tête vers Elodie et je vis un regard plein de sollicitude. J’en fus touché.

« Ne t’inquiète pas, ce n’est peut-être rien. On se fait peut-être des scénars. »

Je n’y croyais pas et elle le sentit.

« Non, je sais pas…, dit-elle, je suis pas tranquille. Sandra a raison… Il y a quelque chose dehors… Fais gaffe, d’accord ? Et revenez tout de suite si vous entendez quelque chose de bizarre. »

Je souris et posai ma main sur la sienne.

« Promis, on fera attention. »

Elle me fit un sourire incertain. Je tournai la tête vers John, tassé sur son siège.

« Surveille-le, d’accord ? »

Elodie acquiesça et je me tournai enfin vers les ténèbres de l’extérieur. Je me demandai une nouvelle fois dans quel merdier Jim nous avait fourrés.
End Notes:
Et bien sûr, si vous avez un commentaire...
La suite samedi prochain.
3. Le camp by Yoguany
Author's Notes:
Que s'est-il passé? Les trois amis ne vont pas tarder à l'apprendre. Au péril de leur vie.
Bonne lecture à tous ^^.
3.


L’obscurité nous entourait. La caravane avait l’air d’un îlot de lumière dans un océan de ténèbres. Les faisceaux de nos lampes balayaient cet océan comme des phares.

Lorsque je mis le pied dehors, je fus frappé par deux choses. Premièrement, la température qui avait brusquement chuté. On était en pleine canicule et la nuit la température descendait rarement en dessous de vingt degrés. Mais là, on devait avoisiner les dix degrés, et encore. Je frissonnai sous cette fraîcheur soudaine (je ne portais qu’un tee-shirt) et fus abasourdi par la deuxième chose.

Le silence.

Vous vous êtes déjà promené en forêt, non ? Vous avez déjà entendu tous ces petits bruits qui semblent venir de partout et de nulle part. Les branches qui craquent, les cris d’animaux, le bruit du vent dans les feuilles. C’est l’essence même de la forêt, tellement banal que personne n’y fait attention. Et pourtant… En ce moment, j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose d’essentiel. C’est un peu comme un été sans soleil ou un noël sans neige. Une forêt sans bruit, ce n’est pas une vraie forêt. Ce n’était pas normal. Pas un bruit, rien.

Un silence total, assourdissant.

Comme si la vie avait déserté cette partie de la forêt.

Un frisson me parcourut l’échine et je sentis mes poils se dresser. Elodie avait raison, il se passait des choses bizarres ici.

« Hé, David »

Thomas n’avait pas parlé très fort mais j’eus l’impression qu’il avait hurlé dans ce silence irréel. Il se tenait près de la Renault de Jim. Je me dirigeai vers lui à grand pas. J’avais soudain peur d’être seul.

« Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?
- Regarde ça. »

La lampe de Thomas était pointée sur la portière côté conducteur. J’avais raison : la vitre était défoncée. De minuscules éclats parsemaient le siège et le tableau de bord. Je pus regarder de plus près le liquide sombre et je sentis ma gorge se nouer. C’était ce que j’avais craint. Le liquide était plus clair sur les fragments de la vitre (une belle couleur rouge vif) et je n’avais plus aucun doute sur ce que c’était.

« … Du sang. »

Thomas acquiesça d’un air sombre.

« Regarde, il y en a d’autres par terre. Des traces de pas et une large traînée sanglante. Elle disparaît dans les fourrés. »

Il balaya le sol avec sa lampe tandis qu’il parlait et je pus voir le sol maculé. J’observais surtout les traces de pas : énormes, difformes. Aucun être humain ne pouvait laisser des traces pareilles.

« T’en penses quoi ? lui demandai-je.
- De mauvaises choses si tu veux savoir, répondit-il, David, ils ont tenté de partir… Mais quelque chose les en a empêché. » Il éclaira la portière arrière grande ouverte. « Ils n’ont pas eu le temps de monter, quelque chose les a fauché avant. Regarde les sièges, il y a des marques. On dirait… Des traces de sang et d’ongles. Ils ont dû essayer de s’agripper. »

Je regardais avec horreur les marques qui appuyaient ses hypothèses. Je me tournai ensuite vers la vitre maculée.

« Et là ?
- Là, je pense que l’un d’eux a réussit à se mettre au volant. Jim, peut-être. Mais apparemment, ce n’était pas suffisant pour arrêter la chose.
- La chose ? Quelle chose ?
- J’en sais rien. Et pour tout te dire, je ne veux pas le savoir. »

Moi non plus, je n’avais pas envie de le savoir. J’étais de plus en plus de l’avis de John et pressé de me tirer.

Crac.

Cela avait résonné comme un coup de tonnerre. Une brusque bouffée de terreur me fit dresser les cheveux.

« C’était quoi ? »

Thomas semblait aussi effrayé que moi.

« J’en sais rien et je tiens pas à rester là pour le découvrir. On se tire. Retourne dans la caravane.
- On se tire ? Mais…
- On n’aurait même pas dû s’arrêter. Ils sont morts, Thomas. T’as vu tout ce sang ? C’est triste à dire mais John a raison. Il faut se tirer et en vitesse. »

Thomas me regarda comme si j’étais devenu fou. Dans son regard se mêlaient la peur et l’indignation. La peur de la chose qui approchait, l’indignation d’abandonner nos amis à leur sort.

« Me regarde pas comme ça, répliquai-je, tu sais que j’ai raison. »

En baissant les yeux, Thomas murmura :

« Ouais, sûrement... »

Essayant de prendre un ton plus conciliant, je repris :

« Remonte dans la caravane. Avertis les autres. Je te suis avec… Bordel, où est Romain ? »

Son absence devint soudain flagrante. Un sombre pressentiment s’installa en moi.

« Près des tentes, je crois. Il a dit qu’il allait voir plus loin.
- Bien, va avec les autres, je vais le chercher.
- T’es sûr…
- La ferme. Grouille. »

Je commençai à m’éloigner en lui répétant « remonte ». Je n’eus pas besoin de me retourner pour vérifier s’il m’avait obéi. Le bruit de ses pas précipités fut la plus probante des réponses.

Je regrettai très vite de l’avoir renvoyé. Les ténèbres environnant étaient terrifiantes et je n’arrivais pas à me débarrasser de l’impression que l’on m’observait. C’était terrible. Je me serais donné des baffes.

C’est moi qui avais insisté pour rester alors que John clamait haut et fort ce qu’il fallait vraiment faire. C’est moi qui l’avait traité de merde et qui lui avait ordonné de la fermer. Il aurait mieux valu que ce soit moi qui la ferme, surtout que les raisons qui m’avaient poussé à faire ça étaient risibles, pour ne pas dire grotesques. Si jamais il arrivait quelque chose à l’un d’entre nous, ce serait de ma faute et je ne me le pardonnerais pas.

Heureusement, j’eus tôt fait de repérer Romain. Le faisceau de sa lampe pointait vers le ciel et éclairait vaguement les restes d’une tente. Romain était accroupi à côté et semblait fouiller les restes.

« Romain ! »

Ce dernier leva les yeux vers moi, la peur luisait au fond de ses rétines.

« David, regarde ça, bordel, c’est…
- Relève-toi, vieux. Il faut partir.
- Regarde ça, répéta-t-il.
- Romain… »

Je me baissai pour le relever de force lorsque mon pied dérapa sur quelque chose de visqueux. J’atterris à quatre pattes dans les décombres de la tente. Aussitôt, je retirai ma main et m’aperçus avec horreur qu’elle était recouverte d’une matière gluante. Comme de la bave gélifiée.

« Putain, c’est quoi, ça ?
- J’en sais rien, la tente en est recouverte. Et ce n’est pas tout. Regarde la toile… »

Je regardais la toile en question et y vis de profondes déchirures.

« Il faut s’en aller maintenant. »

Je jetai un regard en arrière. La lumière de la grande vitre de la caravane était en partie occultée par Thomas et les autres. Il avait dû leur raconter ce qui s’était passé et ils devaient attendre notre retour. Je commençais à sentir une pointe de panique me titiller la nuque.

« Romain, lève-toi.
- Tout cassé… Tout ce sang…
- Mais qu’est-ce que tu racontes ?
- A plus rien… Plus personne…
- Romain…
- Ca devait être celle d’Aurélie… On dirait son sac… »

Il avait le regard vide et son ton était monocorde. J’étais déconcerté. Il semblait déconnecté, comme si quelqu’un avait trouvé la prise et l’avait arrachée d’un coup sec. Je ne l’avais encore jamais vu comme ça.

« Romain, debout, allez, dis-je en me relevant à moitié (la substance gluante était en plus glissante).
- J’ai trouvé ça. Tu devrais le visionner. »

Romain me tendit un petit boîtier métallique de la taille d’un téléphone portable. La mini-caméra d’Aurélie. J’avais oublié sa passion pour le cinéma. Elle ne partait jamais nulle part sans sa caméra. Avait-elle filmé ses derniers instants ? Sur le moment, c’était le cadet de mes soucis.

Avec un grognement, j’empoignai Romain, le remis debout et lui mis une bonne claque qui faillit le refoutre par terre. J’avais auparavant récupéré la caméra que j’avais glissée dans ma poche.

Romain resta pétrifié sur place. Après de multiples battements de paupières, il me regarda avec colère.

« Putain, David, pourquoi tu me frappes ? »

Il m’engueulait, en plus.

« C’est pas le moment de péter une durite. Si t’as envie de déprimer, fais-le dans la caravane mais pas ici, pigé ? »

Il baissa les yeux et j’eus l’impression de me retrouver devant un gamin pris sur le fait. J’avais entendu dire que certaines personnes réagissaient comme ça en situation de crise. Ils préféraient renier la réalité plutôt que de l’affronter, ce qui les rendait aussi amorphe qu’un lézard en plein mois d’aout. Je n’aurais jamais cru que Romain était dans ce cas. Je m’apprêtais à lui foutre une autre claque lorsque je me rendis compte qu’il regardait la poche où était planquée la caméra.

« David, la caméra… J’ai vu…
- On s’en fout. Ramène-toi.
- Jim… Aurélie… Stéphanie… C’est affreux… Il les a tous eus…
- Putain, Romain, bouge ! »

Mais Romain ne bougeait pas, de nouveau déconnecté. Je me mordis les lèvres pour ne pas l’insulter.

Sur le coup de la colère, je m’apprêtais à le frapper de nouveau lorsque le silence ambiant fut rompu.

Je reconnu aussitôt le bruit : c’était le même son que celui que j’avais entendu au volant de la caravane. Sauf que cette fois-ci, le bruit était beaucoup plus fort, beaucoup plus proche.

La panique s’empara de moi.

« On bouge », criai-je à Romain, lorsqu’un autre bruit nous cloua sur place.

C’était une sorte de gémissement, un râle rauque de douleur, qui provenait des fourrés sur notre droite. Soudain, le rideau de broussailles se déchira et une silhouette sombre s’écroula.

Reconnecté, Romain se précipita vers la silhouette.

« Mais qu’est-ce que tu fous ?
- David…, commença-t-il, putain, c’est Jim. »

Jim ?

La silhouette remua un peu et émit un nouveau râle. En m’approchant, je reconnus effectivement mon pote.

« Argh… Au secours… Pitié… »

Sachant pertinemment que ce n’était pas une bonne idée, je pointais ma lampe sur Jim et découvris un terrible spectacle.

Jim était encore vivant et rien que ça, c’était un miracle. Il présentait de multiples écorchures sur les bras, les jambes, le torse et la tête. Une vilaine plaie lui cachait à moitié le visage et le sang séché lui fermait à demi les yeux.

Mais le pire, c’était sa jambe.

Blanchâtre, maigre, on aurait dit qu’elle était vidée de son contenu, comme si quelqu’un y avait planté une paille et avait aspiré toute la chair qui se trouvait sous la peau. Le résultat était horrible à voir. Jim devait affreusement souffrir.

« Jim, ça va ? »

Cette question stupide fut la seule qui franchit mes lèvres. Je m’agenouillai près de mon ami et fus encore plus choqué par ce que je voyais. L’unique œil encore ouvert (l’autre était trop englué de sang) était fébrile et brillant. On y lisait la folie et le désespoir.

« David, viens m’aider. »

Romain avait passé son bras sous la nuque de Jim et l’avait redressé en position assise. Dans un premier temps, je ne bougeais pas, totalement paralysé. Décidemment, je ne valais pas mieux que Romain par moments.

Ce qui me fit réagir n’était pas Romain qui m’appelait de nouveau (comme on aurait pu s’y attendre) mais la réaction de panique de Jim lorsqu’il sentit le bras de Romain sous sa nuque. Il haletait comme un porc et le sang qui s’échappait de sa bouche formait une fine bruine rougeâtre.

« Non… Faut pas… Aime pas… Toucher…
- Du calme, vieux, tenta Romain, en vain.
- Non…, reprit-il, faut pas… Partir…
- Oui, c’est ça, on va s’en aller, lui dis-je en espérant le calmer. On va partir, maintenant.
- Partir ? … Peux pas… Peux pas… Elle est là… Elle est là… Elle est là ! »

Je fouillai les alentours à la hâte, de plus en plus terrifié. Rien que les arbres et les buissons. Le silence était écrasant. Et cette sensation, cette impression atroce d’être observé. Je dus prendre sur moi pour ne pas faire dans mon froc.

« On se casse d’ici. Chope-le, Romain, on va le porter à la caravane. Maintenant, t’entends ?
- Mais…
-MAINTENANT !!! »

On s’apprêtait à le prendre sous les aisselles lorsque dans un brusque sursaut, il s’écarta de nous, rampant comme un pitoyable insecte. Son œil fou était écarquillé.

« Le souffle… Le souffle…
- Quoi ?
- Elle est là… Elle est là…
- Que…
- ELLE EST LA !!! »

Jim hurla. Presque aussitôt, une odeur infecte nous parvint aux narines, un mélange de pourriture et de désinfectant, puis la chose nous tomba dessus. Je regrettai à ce moment-là de ne pas être devenu fou.
End Notes:
La suite samedi prochain.

Et n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.
4. Attaque by Yoguany
Author's Notes:
La bête passe à l'attaque. Et beaucoup ne vont pas s'en sortir indemne.
Bonne lecture à tous.
4.


J’étais encore en vie. Un miracle que je n’arrivais pas à croire après ce que je venais de voir.

La chose nous était tombée dessus comme un sac de briques. Cette chose, cette horreur, cette atrocité, cette monstruosité, elle avait décapité Romain d’un puissant coup de patte. Sa tête avait volé dans les broussailles et une gerbe de sang sombre m’avait éclaboussé de la tête aux pieds. La seconde d’avant, j’étais pétrifié, la suivante, je retrouvai l’usage de mes jambes. Aveuglé par la terreur, je me mis à courir comme un dératé. La chose ne m’avait pas poursuivi, je l’avais vuejuste avant pencher sa monstrueuse tête sur le cadavre de Romain et commencer à sucer le sang qui s’échappait de la blessure béante. Cette image horrible resta gravée dans ma mémoire. La seule image qui me revenait lorsque j’évoquais Romain par la suite.

Jim hurlait comme un possédé. Pas une fois, je me suis tourné vers lui. Il n’y avait que ma terreur et rien d’autre. Je ne pensais qu’à sauver ma peau. De toute façon, le cri s’estompa rapidement, juste après un puissant choc que l’on aurait pu assimiler à un coup de masse.

Merde, putain, c’est quoi, ça ? C’est quoi, ce truc ?!

J’arrivai à la caravane en un temps record. Mes doigts poisseux dérapèrent sur la poignée et pendant une seconde aveuglante, je crus qu’ils m’avaient enfermé dehors. Mais, heureusement pour moi, la portière était ouverte.

Je me précipitai dans les marches de l’entrée et m’arrêtai net devant mes camarades qui me fixaient avec des yeux brillant de peur. Ils avaient dû entendre Jim hurler. Lorsqu’ils me virent, les vêtements maculés de sang, la peur se transforma en terreur et tous se mirent à parler en même temps :

« Merde, qu’est-ce qui se passe ? demanda Thomas.
- Qu’est-ce qu’il y a, David ? dit à son tour Elodie.
- Nom de Dieu, c’est du sang ! s’écria Sandra.
- Où est Romain ? cria Sophie.
- Putain, David…, commença Matt.
- BORDEL DE MERDE, C’EST QUOI, CA ?! hurla John en regardant dehors.
- DEMARRE, THOMAS, criai-je soudain, DEMARRE, VITE, AVANT QUE… »

Trop tard.

La chose avait atteint la caravane. Une puissante secousse l’ébranla. La chose avait agrippé l’avant et l’avait soulevée aussi facilement que si le véhicule était en carton. Nous fûmes propulsés vers l’arrière. Puis la chose lâcha l’avant et la caravane retomba avec fracas. John, Sophie et Sandra hurlaient comme des possédés.

« - DEMARRE, MERDE, haletai-je, du sang dans la bouche. DEMARRE … »

Thomas se releva avec peine. Il avait percuté l’armoire murale de plein fouet et son épaule formait une drôle de bosse. Néanmoins, il se traîna courageusement vers la cabine lorsqu’un nouveau fracas eut lieu, associé cette fois à du verre brisé. Des appendices de cauchemar, longs, maigres et poilus, comme des pattes d’araignée, se tendirent à travers la vitre et le pare-brise. L’un d’eux arracha la portière du conducteur d’une puissante torsion.

« Bordel », lâcha Thomas.

D’une brusque poussée en arrière, il se retrouva à quatre pattes dans la caravane. Il eut tout juste le temps de fermer la porte avant que la chose ne rentre dans le cockpit. Pendant une nanoseconde, je vis l’horreur dans toute sa beauté et je crus mourir de peur.

« Verrouille-la, vite », criai-je.

Mais comme Thomas ne pouvait pas bouger, je me lançai moi-même vers la porte pour baisser le loquet. Dans un coin de mon cerveau non embué par la peur, j’eus le temps de me dire « Bravo, un simple loquet va arrêter une bestiole capable de soulever une caravane et d’arracher les portières. Bravo, petit génie. » Et tu voudrais que je fasse quoi, connard ? me répondis-je, agacé. Ca y est, je me mettais à me parler à moi-même. Merde, j’étais vraiment devenu fou.

Pourtant, ça n’avait pas l’air si con que ça, d’abaisser le loquet. La chose, dans le cockpit, tambourina sur la paroi, le polystyrène se fendilla mais ne lâcha pas. Elle poussa un grognement de dépit et secoua l’engin. Je compris la raison. Vu sa corpulence, elle ne pouvait agir à son aise, ce qui l’empêchait de pulvériser la porte.

Mais cela ne changeait rien. On ne faisait que gagner du temps.

On était faits comme des rats.

La chose grogna. La caravane fut violemment secouée de gauche à droite, la porte donnait des signes de faiblesse.

« Tout le monde va bien ? demandai-je, profitant d’une accalmie.
- Tout le monde va bien ? Non, tout le monde ne va pas bien, me hurla John, ça a l’air d’aller bien pour toi ?
- Ouais, ça va à peu près. »

Matt était le seul à peu près indemne. Thomas avait l’épaule cassée, Sophie et Sandra se tenaient le bras et cette dernière avait les cheveux poisseux de sang. Elodie aussi était blessée à la tête. Le sang lui recouvrait une bonne partie du visage.

« Vite, il faut sortir, haleta Thomas que la douleur rendait pâle.
- Sortir, répéta John que les chaos de la créature faisait bégayer, pour aller où ?
- Direct dans les bois.
- Ca, c’est vraiment un plan de… »

Nous ne sûmes jamais ce qu’était le plan de Thomas. La chose, énervée, poussa un hurlement terrifiant et pulvérisa le cockpit. Le choc surpuissant propulsa de nouveau l’avant de la caravane en l’air. Projetés à terre, nous eûmes à peine le temps de réaliser qu’un autre coup ébranla le véhicule. La caravane se pencha dangereusement sur le côté.

« ACCROCHEZ-VOUS ! »

Un troisième coup retourna complètement la caravane. Dans un concert de hurlements, nous atterrîmes sur le plafond devenu le sol. L’engin grinça comme un animal blessé tandis que la chose s’acharnait sur les parois, creusant de profonds cratères qui menaçait à tout moment de rompre.

Ebahi, couvert de sang, je ne parvenais plus à bouger. Mes oreilles tintèrent et j’eus l’impression d’entendre mes amis au fond de l’eau. J’ouvris les yeux. Ma vision brouillée me révéla l’intérieur saccagé de la caravane de mon père, le mobilier renversé et pulvérisé, les murs cabossés, les vitres cassées. De vague silhouettes bougeaient tout autour mais je n’arrivais pas à les distinguer. Les lampes étaient éteintes, probablement détruites elles aussi.

Un corps m’empêchait de me relever. Pendant un instant, je crus qu’il s’agissait d’un nouveau cadavre. Mais le corps bougeait. Lui aussi tentait de se relever. Impossible de dire qui c’était. J’avais la tête sous son épaule gauche. Je tentais de lever ma main gauche lorsqu’elle rencontra un renflement au niveau de la poitrine. Déjà, c’était une fille, hypothèse confirmée par le cri aigu qu’elle poussa lorsque la chose frappa de nouveau la carlingue. Au milieu des cris se mêlaient des gémissements et des pleurs.

« Sophie, (car c’était elle) bouge, tu m’écrases… »

Un autre coup traîna l’épave sur plusieurs mètres, enclenchant un nouveau cri aigu qui me transperça les tympans.

« Allez, Sophie »

Mais elle ne parvint pas à se relever. Elle battait des bras et des jambes, visiblement paniquée. On aurait dit un poisson échoué sur une plage.

Autre choc. Bruit métallique de quelque chose que l’on arrache.

« Viens ici. »

Soudain, je vis la tête de Matt apparaître dans mon champ de vision. Il était couvert de sueur et de crasse. Avec un grognement, il enserra la taille de Sophie et la tira sur le côoté. Celle-ci, croyant que la chose l’avait attrapée, se mit à hurler de plus belle.

« Arrête, bordel, c’est moi. »

Il avait enroulé ses bras autour de sa taille et la maintenait fermement plaquée contre lui, le temps qu’elle se calme.

Mon premier réflexe, une fois libéré, avait été de me relever. Mais l’instant d’après, une main empoigna mon col et me plaqua par terre.

« Non. » Je reconnus Elodie. « Il va t’avoir sinon. »

Je vis alors ce que je n’avais pas encore vu. La chose avait passé ses appendices monstrueux à travers les vitres brisées situées maintenant au niveau du sol. Elle recherchait avidement de la chair fraiche, fouillant fébrilement l’arrière de la caravane et le sol devenu plafond. Si je me relevais trop vite, je risquais de toucher une de ces horreurs et de révéler notre présence à l’avant. Je me tournai vers Elodie. Son visage était marqué par la terreur.

« Vite, venez. »

Sandra aidait Thomas à ouvrir la porte fragilisée. Thomas grimaçait en se tenant l’épaule mais s’évertuait à tirer sur le battant cabossé. Ils parvinrent enfin à l’ouvrir.

Je remarquai une absence.

« John…
- Il s’est tiré, répondit Elodie, les lèvres serrées, il s’est glissé par une fenêtre et a filé dans les bois. » Un temps. « L’enfoiré…
- Allez, venez ! »

Sandra s’était hissée de l’autre côté et aidait Thomas à passer à son tour. Les pattes le frôlaient d’un peu trop près. Elodie s’en alla vers lui pour l’aider et passa après lui. Il restait Matt, Sophie et moi.

« A toi, Matt.
- Non, vas-y d’abord, tu m’aideras ensuite. »

Il tenait toujours Sophie qui haletait dans ses bras. Elle s’était calmée mais on n’était pas à l’abri d’une nouvelle crise. Prisonnière de l’étau de ses bras, elle ne risquait pas de déclencher un nouveau drame. Et ça, Matt l’avait compris.

Avec d’infinies précautions, je me glissai vers la porte, les yeux rivés sur les appendices qui continuaient de fouiller le plafond. Matt me regardait de sa cachette et m’encourageait du regard. Sophie, elle, avait le regard vide et se contentait de regarder devant elle.

« Tu y es presque, David, me dit Elodie, allez. »

Pour sortir, il fallait enjamber un rebord d’un mètre, ce qui me rapprochait dangereusement des appendices. A demi baissé, je passai au-dessus mais ce fut insuffisant pour ne pas sentir l’odeur infecte de désinfectant et de pourriture portée par les appendices.

Avec un dernier effort, je me hissai et me laissai retomber au dehors, atterrissant sur une herbe fraîche, presque froide. Ca y est, j’étais dehors. La scène était surréaliste. Le sol était jonché de morceaux de métal, la cabine avait totalement disparu comme si elle avait explosé de l’intérieur. Les pneus, le moteur, le capot, le pare-choc, le radiateur, le volant… Tout était éparpillé dans un formidable désordre. Un des pneus avait atterri sur la voiture de Jim et en avait pulvérisé le pare-choc.

Des mains se posèrent sur mes épaules et je repris le cours de la réalité. Sandra m’aida à me relever et je me rendis d’un pas chancelant près de la porte. Elodie était toujours penchée dans l’ouverture et encourageait Matt. Thomas se tenait à côté, livide, ivre de douleur.

« Allez, Matt, tu peux le faire, lançai-je à mon tour, c’est bien, tu y es presque. »

Penché dans l’ouverture, j’observais Matt qui avait toutes les peines du monde à se trainer jusqu’à nous. Il essayait manifestement de porter Sophie, qui avait tout du poids mort, tout en restant hors de portée de la chose. Il lui restait moins d’un mètre à faire mais on avait l’impression qu’il en avait pour des kilomètres.

« Allez, c’est bon. »

Je tendis les bras au maximum pour choper Sophie et alléger quelque peu Matt. Mais à l’instant même où mes doigts se refermèrent sur le col de son chemisier, elle poussa un hurlement déchirant et dans un sursaut, se releva.

« Merde, Sophie, non ! »

Les appendices le sentirent. Ils cessèrent de fureter au plafond et s’abattirent sur le sol. Par miracle, Sophie les évita tous. Elle parvint à se glisser par une fenêtre et à disparaître dans la forêt.

Mais ce ne fut pas le cas de Matt.

Il s’était également relevé pour rattraper Sophie. Mais l’un des appendices en profita pour s’enrouler autour de sa poitrine. Matt poussa un hurlement. Fébrilement, il tenta de repoussa l’atroce chose, en vain.

« David, Elodie, au secours !
- Matt, tiens bon, criai-je
- Thomas, lança Elodie, viens nous aider, vite. »

J’avais attrapé son bras gauche et Elodie son bras droit. Pendant un instant, nous parvînmes à le tirer vers nous. Mais la chose n’allait pas laisser partir si facilement sa proie. Avec un grognement que l’on aurait presque pu assimiler à un cri de joie, la chose enserra une autre de ses pattes autour de son torse et tira plus fort. Matt hurlait comme un possédé.

« Tiens bon ! »

Une main passa au-dessus de ma tête et attrapa la chemise de Matt. J’entendis le souffle rauque de Thomas près de mon oreille gauche. Son visage n’était plus qu’un masque de souffrance. Sa ténacité forçait le respect. Je profitai de cette aide supplémentaire pour lâcher le bras d’une main et essayer de retirer l’appendice. Aussitôt, une violente douleur m’embrasa la main. Je la retirai et vis la paume et les doigts profondément entaillés. L’appendice était recouvert de poils blancs, plus durs que du fil de fer. La chemise de Matt s’imbibait de sang à mesure que les poils pénétraient sa poitrine. Il ne criait presque plus, il était au-delà de ça.

Un autre appendice s’enroula autour de sa cuisse et le leva légèrement en l’air. Malgré la douleur, je plaquai ma main blessée sur le poignet de Matt et tirai avec les autres. Mais plus, on tentait de le ramener, plus la chose serait sa proie, jusqu’à ce que les côtes craquent dans un horrible bruit.

Un cri éclata derrière nous. Sandra avait craqué à son tour. Les mains plaquées sur son visage, elle tourna les talons et détala comme un lapin. Mon attention fut détournée un instant et la chose faillit gagner. Resserrant mon emprise, je me mis à tirer de plus belle, mais je me demandais s’il ne valait pas mieux lâcher. Matt était foutu. Plus on essayait de le sauver, plus son calvaire était atroce. Néanmoins, je gardai les mains bien serrées autour de son poignet. Je refusais de lâcher, non, je ne voulais pas qu’il meure, même si c’était inévitable.

Thomas avait lâché prise. Je pensais qu’il s’était tiré lui aussi mais c’était bien mal le connaître. Il se trouvait derrière Elodie et je vis ce qu’il tentait de faire.

« Lâche-le, Elodie, lui dit-il en lui prenant le bras, c’est trop tard.
- Non, non… » Elle non plus ne voulait pas qu’il meure.
« On peut plus rien faire, reprit-il les dents serrés, il faut y aller. On pourra fuir le temps que… »

Thomas baissa la tête, une expression de dégout sur le visage. Mais il ne lâcha pas le bras d’Elodie.

« Non, non…, répéta-t-elle.
- Je t’en prie, » le ton qu’il prit était celui d’un désespéré. « Ce serait lui rendre service maintenant. Regarde-le. Regarde son état. Il est déjà mort. »

Le visage ruisselant de larmes, Elodie regarda le corps torturé de Matt. Les appendices avaient creusé de profonds sillons au niveau du torse et sa jambe droite était presque détachée du reste du corps. Mais Thomas se trompait. Matt était toujours vivant. Il avait cessé de crier mais ses paupières battaient encore. Néanmoins, il avait raison ; Matt ne survivrait pas. La mort dans l’âme, elle le lâcha.

Je restai pétrifié à côté. La scène avait duré moins de trente secondes mais pour moi, elle aurait pu durer une heure. Je refusais de le lâcher ; quoi que puisse dire Thomas, je ne le laisserais pas tomber. Non, plus maintenant.

Matt fut brusquement tiré en arrière. Privé de l’aide d’Elodie, je fus entraîné avec lui.

« DAVID, NON !!! »

Elodie m’attrapa les jambes tandis que Thomas m’empoigna la ceinture. Je fus écartelé, tiré d’un côté par mes amis et de l’autre par la chose qui refusait de lâcher Matt. Mes jambes étaient dehors, le reste à l’intérieur.

« Laisse-le, David, hurla Thomas, laisse-le sinon tu vas mourir.
- Non, je ne peux pas… Non…
- David, lâche-le !
- JE PEUX PAS !!! »

Je levai la tête vers mon camarade. Son visage semblait exsangue, un visage de cadavre. Seuls ses yeux avaient un semblant de vie. Il me murmura :

« Tu ne vas pas me lâcher, hein ? Tu… vas pas… »

Mais je sentis mes mains glisser. La douleur à ma main gauche devenait insupportable. J’allais lâcher.

« Je suis désolé, Matt… Matt… Je… Désolé… »

Mes mains desserrèrent leur étau et je fus propulsé en arrière. Thomas et Elodie, qui tiraient comme des forcenés, ne s’étaient pas rendu compte que j’avais lâché. Poussés par leur élan, nous nous étalâmes dans l’herbe, le souffle rauque.

La dernière vision que j’eus de Matthieu fut celle d’un garçon de 18 ans, affreusement mutilé, tiré en arrière par la chose. Sa tête percuta le bord de la paroi avant de ressortir de l’autre côté. J’ose espérer que le coup l’a tué, qu’il n’a pas eu à supporter le spectacle de la créature.

« Vite, debout. »

Elodie me releva d’un geste autoritaire. Thomas se trouvait à côté d’elle. Il se tenait l’épaule en grimaçant. Je songeais à ce qu’il devait endurer. Bordel, comment ça avait pu en arriver là…

« On bouge. »

Nous nous mîmes à courir en direction de la forêt lorsqu’un puissant fracas retentit. La chose avait décidé d’en finir, elle savait qu’il n’y avait plus rien à manger dans le véhicule. Ses puissants membres situés à l’intérieur, se relevèrent soudain et la caravane fut projetée en l’air sur une hauteur de dix mètres. Lorsqu’elle atterrit, ce n’était plus rien qu’un monceau de ferraille. La chose allait devoir maintenant chasser ses proies dispersées dans la forêt.

La peur donne des ailes. Ce proverbe se révéla vrai cette nuit-là. Le flot d’adrénaline sécrété par mon corps me donna l’impression de voler. Une sensation accrue lorsque j’entendis la chose piétiner les fourrés.

La chasse avait commencé.
End Notes:
La suite la semaine prochaine.

Et comme d'habitude, si vous avez une impression...
5. Fuite et crise by Yoguany
Author's Notes:
Cette semaine, ce sera deux chapitres pour le prix d'un. Etant donné que le premier est très court et l'autre beaucoup plus long, autant les poster en même temps ^^.
Le premier, résumé en quatre mots, c'est un gros pétage de plomb. David craque dans tout les sens du terme. J'espère qu'il vous plaira. N'hésitez pas à me dire ce qui ne va pas. Des onze chapitres qui composent cette histoire, c'est celui dont je suis le moins sûr, alors ne vous gênez pas.
Bonne lecture à tous.
5.


Je courus pendant un temps que je ne pus déterminer. J’ignorais si Thomas et Elodie me suivaient. A vrai dire, je n’en avais rien à faire. La peur me donnait des ailes, me transformait en champion du sprint. L’obscurité était presque palpable mais je n’avais aucun mal à éviter les arbres, les souches et autres. La forêt défilait autour de moi comme un décor fixé sur rails. Un sentiment d’irréalité m’envahissait et lorsque mon pied se prit dans cette racine, j’espérais que tout ça n’était qu’un cauchemar.

Je m’étalai dans les fourrés et restai couché, souhaitant ardemment disparaître dans le sol. C’était trop, j’en pouvais plus. Mes nerfs étaient plus tendus que les cordes d’un piano. J’étais sur le point de craquer.

Crac.

Un bruit, derrière moi. D’un geste vif, j’essayai de me relever… avant de m’écraser au sol, une douleur horrible à la main gauche. Quel idiot ! J’avais oublié ma blessure et m’étais appuyé sur elle pour me relever. C’était fini maintenant, il allait m’avoir, il…

« David ? »

… Elodie ?

Avant que je puisse répondre, deux mains s’abattirent sur mes épaules et m’aidèrent à me retourner. Je me retrouvai devant le visage bouleversé d’Elodie. Les gestes tremblants, elle fit ce qu’elle put pour me trainer jusqu’à un arbre proche. Je ne fis absolument rien pour l’aider.

« David, je t’en prie, dit-elle d’une voix percée de sanglot, allez, me lâche pas… »

Je ne répondis rien. Je ne pouvais rien répondre. Si jamais j’ouvrais la bouche, je deviendrais fou.

Elodie m’adossa au tronc de l’arbre le plus doucement possible. Puis elle se plaça devant moi et s’efforça de capter mon regard. J’évitais de la regarder. Je ne voulais pas la regarder. Tout en sanglotant, elle me prit par les épaules et me secoua. Mon regard fixait obstinément une brindille au sol.

« Je t’en prie, David, je t’en prie, dis quelque chose, dis quelque chose, bordel. David, David ! Je ne sais pas quoi faire, pitié. Ils ont tous disparu. J’ai perdu Thomas. David, réveille-toi, merde… »

Elle me gifla de toutes ses forces. Clignant des yeux, je la regardai, autant à cause du coup que de ce qu’elle venait de dire.

« Thomas… »

Un de plus. J’avais envie de me jeter contre les arbres, de me pendre à une branche, de me jeter du haut d’une falaise, n’importe quoi pour ne plus ressentir cette atroce impression de vide au niveau des tripes. Thomas disparu, Romain, Matt et Jim morts. Sans parler des autres, Sandra, Sophie, John… Peut-être…

Peut-être aussi mort que les autres, aussi mort que Jim écrasé, aussi mort que Romain avec la tête arrachée, aussi mort que Matt déchiré en deux… Aussi mort que toi bientôt…

« Non, non, NON !!! »

Je me plaquai les mains sur les oreilles pour ne plus entendre cette petite voix qui se faisait de plus en plus insistante, cette voix qui me criait des vérités que je ne voulais pas entendre.

Ta faute… C’est toi qui as refusé de partir malgré les conseils de John, c’est toi encore qui t’es enfui alors que ton ami avait besoin de toi, c’est à cause de toi si Matt s’est fait prendre… Tout ça… C’est à cause de toi… Toi… Toi… Toi…

« Tais-toi, Tais-toi !!! »

Je hurlais comme un fou, refusant d’admettre la vérité. Ils étaient morts et c’était ma faute. Devant moi, Elodie me regardait avec des yeux apeurés mais également avec pitié.

« David », commença-t-elle avec douceur et cela me rendit fou. Cette sollicitude que je ne méritais pas, cette pitié qui me révulsait, tout ça fit déborder le vase. Parvenant à me relever, je bousculai Elodie et me mis à faire les cent pas en hurlant à tout-va. Elodie, terrifiée, s’était recroquevillée près de l’arbre.

« NON, TAIS-TOI, TAIS-TOI !!! JE NE VEUX PAS DE TA PITIE, JE NE VEUX PAS… JE NE VEUX PLUS… JE VEUX QU’ON ME LAISSE TRANQUILLE, JE VEUX ETRE SEUL… MA FAUTE… C’EST À CAUSE DE MOI… ILS SONT MORTS À CAUSE DE MOI… MA FAUTE… MA FAUTE… »

Tout en vociférant, je m’acharnais sur un buisson à coups de pied et je frappais de toutes mes forces le tronc d’un arbre proche avec ma main blessée, de plus en plus fort, de plus en plus vite, en espérant que la lame de souffrance qui me parcourait le bras me réveillerait de ce cauchemar horrible.

« VIENS, SALOPERIE, VIENS, OU TU TE CACHES, VIENS-LA, JE T’ATTENDS… JE VAIS TE CREVER, SALOPERIE, JE VAIS TE TUER…
- ARRETE, cria Elodie, ARRETE, DAVID, ARRETE, PAR PITIE…
- VIENS, PUTAIN… JE VEUX CREVER, T’ENTENDS, JE VEUX CREVER ALORS VIENS M’AFFRONTER !!!
- NON, DAVID, NON, DIS PAS CA !!! »

Bouleversée, elle m’attrapa par les épaules et m’assena une monumentale paire de gifles. Hébété, incapable de me contrôler, je la repoussai de toutes mes forces, l’envoyant valdinguer dans les buissons. Lui tournant le dos, indifférent à son cri de douleur, je levai la tête et me mis à hurler de plus belle.

Soudain, c’en fut trop. Trop de choses à supporter, trop de choses à endurer. Trop de choses que j’aurais aimé effacer de ma mémoire : le camp dévasté, la voiture recouverte de sang, la jambe atrophiée de Jim, la tête de Romain qui saute comme un bouchon, les pattes monstrueuses qui fouillent le plafond, le torse de Matt qui craque sous la pression, le regard blessé d’Elodie qui tombe… Et le fait de se dire que c’était ma faute était le pire. Me jetant à genoux, la tête plaquée au sol, je me mis à pleurer. Des sanglots me déchiraient la poitrine, je souhaitais ardemment la mort.

Je restai dans cette position cinq bonnes minutes, les sanglots allant en se diminuant. Je ne voulais pas me relever, je ne voulais pas me retrouver devant Elodie, je ne voulais pas affronter tout ça… Pas maintenant…

Des pas timides se firent entendre derrière moi. Elodie s’approchait de moi. Je ne fis pas un geste, ne voulant pas la regarder. Elle se mit à genoux et me prit par les épaules. De la voix la plus douce possible, elle me dit :

« David, viens. »

Je ne bougeai pas. Elle me tira vers elle, me secouant légèrement.

« David… »

Nouvelle secousse, plus forte.

« David, allez… »

J’étais sur elle. Amorphe, je me laissai tomber sur ses cuisses.

« David, s’il te plait… »

Elle enroula ses bras autour de moi, comme elle l’aurait fait avec un petit enfant.

« Je n’y arriverai pas, David. Je n’y arriverai pas toute seule. Ne me laisse pas… »

Son ton était devenu implorant et c’est cette note de désespoir plus que les paroles elles-mêmes qui me fit réagir. Ils étaient morts, c’était ma faute… Mais Elodie, elle, n’était pas morte et elle avait besoin de moi. Je ne pouvais la laisser tomber. Pas elle.

Avec un grognement, je me relevai. Plus affaibli que je ne l’aurais cru, je m’écroulai une nouvelle fois et me rattrapai de justesse en passant un bras autour de la taille d’Elodie. La deuxième fois, elle m’aida et nous nous retrouvâmes tous les deux debout, enlacés dans les bras l’un de l’autre. Je sentais son regard sur moi, si proche, mais je refusais toujours de la regarder. M’écartant d’elle, je lui dis :

« Suis-moi »

Et, en regardant obstinément devant moi, je lui pris la main (avec ma bonne main ; l’autre, palpitante de douleur, était inutilisable) et je me mis à courir.
6. Un refuge by Yoguany
Author's Notes:
Un chapitre plus calme... Mais ça ne va durer longtemps.

Bonne lecture à tous ^^
6.


Nous arrivâmes au pied d’une falaise. Je pensais me diriger vers le camp où nous aurions pu rejoindre le sentier principal mais je me rendis compte avec frustration que nous nous étions enfoncés encore plus dans la forêt. Quelle merde…

Il y avait une grotte à la base de la falaise. Lâchant la main d’Elodie, je m’en approchai avec prudence. Après ce que je venais de voir, il n’était pas exclu que d’autres créatures habitent ces bois et je ne tenais pas à avoir une nouvelle surprise.

Il faisait sombre à l’intérieur. La seule source de lumière que nous avions était la lune et si elle était parfaite pour éclairer les bois, elle était insuffisante pour percer les ténèbres souterraines. Je me mordis la lèvre inférieure et serrai les poings, enfin, seulement mon poing valide. L’autre déclencha une vague de douleur qui s’étendit des doigts jusqu’à l’épaule. Retenant le cri qui essayait de forcer le barrage de mes lèvres, je m’approchais de l’ouverture, autant pour essayer de percer l’obscurité que pour m’éloigner d’Elodie. Je la sentais derrière moi, je sentais presque son souffle sur ma nuque mais je ne voulais pas la regarder, pas maintenant, pas après ce qui venait de se passer… C’était encore trop tôt.

Impossible de distinguer quoi que ce soit dans la grotte. Avec ma main valide, je me mis à fouiller mes poches à la recherche de n’importe quoi qui pouvait générer de la lumière. Thomas, Romain et Sophie fumaient et ils auraient eu à coup sûr un briquet ou des allumettes. Malheureusement, ils n’étaient pas là. Refusant de penser à eux, je continuai mes recherches.

« On ne voit rien. »

Elodie s’approchait de l’ouverture, à demi penchée comme pour parer un coup.

« Non, on voit rien, lui répondis-je avec une note de mesquinerie que je ne pus retenir, ne t’approche pas, on sait jamais. »

Elle se tourna vers moi, la mine perplexe, lorsque ma main blessée percuta quelque chose. Cette fois, je ne pus retenir le gémissement de douleur. Soudain inquiète, elle alla vers moi.

« Qu’est-ce qu’il y a ?
- C’est rien, c’est rien, d’accord ? Ca va, ça va aller. Je m’étais blessé tout à l’heure. Mais c’est rien.
- Fais voir, m’ordonna-t-elle en faisant mine de me prendre la main.
- C’est rien, je te dis, lui dis-je en m’écartant, et regrettant de l’avoir de nouveau blessée, j’ajoutais plus calmement : Tout à l’heure, d’accord ? Lorsque l’on aura trouvé un coin tranquille, je te la montrerai. »

Elodie acquiesça et se détourna. Je m’en voulais de la rejeter ainsi, elle voulait juste m’aider, mais sur le coup c’était plus fort que moi. Plus tard, je m’excuserais. Plus tard… Si seulement il pouvait y avoir un plus tard…

En attendant, je cherchais ce qui avait bien pu relancer ma blessure. C’était un petit objet de la forme d’une boite que je conservais dans ma poche arrière et que j’avais totalement oublié. C’était Romain qui l’avait trouvé dans les décombres de la tente, une petite chose qui lui avait fait perdre la boule.

La mini-caméra.

Et si…

Sortant l’objet, je priais pour qu’il y ait encore de la batterie. Heureusement, ce fut le cas. L’engin s’alluma. Je pianotai les boutons à la recherche de…

Ah voilà !

Une lampe s’alluma sur le côté de l’objectif, éblouissant la paroi de la falaise. Elodie, surprise par cette lumière soudaine qui lui arrivait dans le dos, fit un bond sur le côté et se retourna. A la vue de l’appareil, son sourire se fit éclatant.

« Où est-ce que tu as trouvé ça, David ? On dirait le caméscope d’Aurélie, non ?
- Ouais, Romain l’avait trouvé dans le campement. J’avais oublié qu’il était là… »

David, la caméra… J’ai vu… Tu devrais la visionner…

Repoussant la voix de Romain, je m’approchai de la grotte.

« Voyons ça. »

Je passai le faisceau de la lampe sur l’ouverture… et fus déçu. La grotte tenait plus du renfoncement que de la caverne. A peine trois mètres à partir de l’entrée. Rien de bien utile… mais c’était mieux que rien.

« C’est bon. Allons-y. »

Nous entrâmes dans la grotte et nous nous installâmes au plus profond, au creux de la pierre. Comme refuge, ce n’était pas bien terrible mais c’était déjà ça. J’éteignis la lampe, autant pour économiser la batterie que pour me rassurer. Dans le noir profond, la chose aurait plus de mal à nous voir.

Je sentis Elodie se rapprocher de moi.

« Rallume, me dit-elle, je veux voir ta main, maintenant. »

Son ton ne laissait pas la place à la réplique. A contrecoeur, je rallumai la caméra et la pointai sur ma main blessée. Elodie eut un cri de dégout au vu de la chose tordue qu’était devenue ma main gauche. De profondes entailles la zébraient de part et d’autre et certains doigts semblaient tordus (à cause probablement des coups que j’avais donnés sur l’arbre). Une épaisse couche de sang la recouvrait, formant une sorte de gant poisseux et huileux. Ce qui me terrifia le plus n’était pas les blessures mais le fait que je ne sentais plus rien. Je ne sentais absolument plus ma main alors qu’elle aurait dû me faire souffrir le martyr. C’était incroyable, terrifiant.

« Bon sang… »

Elodie regardait ma main avec une expression de dégoû t.

« Il faut la nettoyer, me dit-elle, ensuite je vais essayer de faire un pansement. Ca calmera peut-être un peu la douleur, tu ne crois pas ?
- Je ne la sens pas.
- Quoi ?
- Je ne sens pas ma main. Je n’ai pas mal, j’ai l’impression de ne rien avoir. Bordel, je ne ressens plus ma main.
- Que… Tu ne… C’est vrai ? Tu… »

Mais devant la mine que je tirais, elle se rendait compte que je ne bluffais pas.

« Quoi qu’il en soit, il faut quand même la nettoyer, reprit-elle, il faut éviter l’infection. Il doit y avoir un ruisseau pas loin, je l’entends. Je vais chercher de l’eau, d’accord ? Je ne serai pas longue…
- Attends. »

Je lui tendis le caméscope allumé.

« Il te sera plus utile qu’à moi. Et fais gaffe, d’accord. »

Involontairement, je sentis un sourire apparaître sur mes lèvres. Elle m’avait dit la même chose avant que je descende de la caravane. Quelle ironie. Elodie me regarda, intriguée de me voir soudain sourire comme un gamin, puis elle prit l’appareil et sortit.

« Je ne serai pas longue, » répéta-t-elle.

Je la suivis du regard, petite lumière tremblotante, puis elle disparut à un détour et je me retrouvai seul dans l’obscurité. Me sentant protégé (curieux…), je m’adossai à la paroi et me mis à attendre le retour d’Elodie.

Dehors, la forêt avait repris son visage normal. Les petits bruits que l’on entend dans les bois, ces petits bruits qui avaient cruellement manqué au campement, étaient revenus. Craquements de branches, vent dans les feuilles, cris d’animaux. Tout était là, comme si rien ne s’était passé. Même la température était revenue à la normale. Une forêt sous une chaude nuit d’été. J’entendais même le bruit de l’eau qui coulait, probablement le ruisseau dont parlait Elodie. Un sentiment d’irréalité s’empara de moi. Comment ça pouvait être aussi banal après ce que je venais de vivre ? C’était inconcevable…

Un cri retentit.

Elodie !!!

Je me relevai en vitesse, me cognant la tête contre la roche qui saillait de la paroi. Poussant un juron, me frottant le crâne, je me précipitai hors de la grotte. Dans le noir, je ne vis pas le rocher et je me le pris de plein fouet dans le genou. Affalé par terre, je me tenais la jambe en me retenant de crier.

« Raah… Ce n’est pas vrai ! lâchai-je.
- David ? »

Elodie ?

Le faisceau de la lampe tomba sur moi. Je fus aveuglé un court instant puis je vis Elodie, inquiète, avec un inconnu dont je n’arrivais pas à voir les traits. Il se tenait bizarrement, le bras droit plaqué au torse.

« Mais qu’est-ce que tu fous là ? me gronda Elodie en s’agenouillant près de moi, tu devais rester dans la grotte.
- Je t’ai entendue crier. Je pensais que…
- Je crois que c’est ma faute, intervint l’inconnu, je l’ai un peu surprise… »

Je reconnus la voix.

« Thomas, bordel, c’est toi ? »

Thomas apparut dans la lumière, les traits tirés, les bras plaqués sur le côté pour éviter de faire souffrir son épaule esquintée. Malgré tout, il souriait.

« Ouais, c’est moi, dit-il, j’ai eu un mal fou à vous retrouver.
- Comment as-tu…
- Plus tard, lança Elodie, il faut d’abord vous soigner. Thomas, tu peux m’aider à le relever ?
- Pas la peine, répliquai-je, je peux le faire tout seul. »

Mais Thomas me retint quand même le temps que je me remette sur mes pattes. Boitant (il m’avait pas loupé, ce rocher), je suivis Thomas qui haletait en se tenant le bras. Elodie fermait la marche, nous éclairant avec la lampe.

Nous nous installâmes du mieux que l’on pouvait. Je me laissai tomber à la place que je venais de quitter. Thomas se mit à gauche, sur une portion un peu plus élevée de la grotte et Elodie s’agenouilla à ma droite.

« Tu veux que je regarde ton épaule, Thomas, demanda-t-elle, ça a l’air grave…
- Non, regarde d’abord sa blessure, répondit-il en me désignant, je ne suis pas à deux minutes près. Passe-moi la caméra, je vais vous éclairer. »

Je vis Elodie tendre l’appareil à Thomas. Du haut de son perchoir, il nous éclaira, permettant ainsi à la jeune femme de nettoyer ma main mutilée avec des mouchoirs humides.

« Ca risque de piquer un peu… »

Mais une fois de plus, je ne sentis rien. Je la vis passer tout doucement le mouchoir autour de mes plaies sans ressentir le moindre picotement. Elle qui me faisait souffrir il n’y avait pas dix minutes, elle était désormais aussi sensible qu’un rat mort. J’avais l’impression d’être anesthésié. C’était déroutant.

« Une chance que j’aie vu la lumière. »

Thomas ne regardait personne en disant ça. Je dis :
« La lumière ? C’est comme ça que tu nous as vus ?
- Ouais, entre autres… »

Elodie intervint :
« Où étais-tu ? Je pensais que tu nous suivais…
- Je le croyais aussi. Mais je me suis très vite aperçu que j’étais seul, avec cette merde sur les talons.
- Tu veux dire qu’elle t’a…
- Poursuivi ? Ouais. » Il eut une grimace. « Par chance, je lui ai échappé.
- Comment as-tu fais ? demandai-je.
- J’en sais rien. Je me rappelle que je courais. Je sentais cette chose derrière moi. Je slalomais entre les arbres, espérant la ralentir, et à un moment donné, j’ai vu que ça marchait. La chose m’a lâché, mais pas parce que je l’avais semée. Je pense plutôt qu’elle avait peur de me suivre.
- Que veux-tu dire ?
- J’étais arrivé dans un marécage. »

Son visage se tordit en une nouvelle grimace à l’évocation de ce souvenir.

« L’odeur, bordel, commença-t-il, l’odeur était abominable. Je suis déjà allé dans des marais avant aujourd’hui et je sais quelle odeur ça a. Mais là, c’était différent. Il y avait autre chose, quelque chose de plus lourd. Comme… Comme quelque chose qui se décompose, je ne sais pas comment le dire. Quelque chose qui pourrit. Pour être honnête, j’avais plus l’impression d’entrer dans un charnier que dans un marais. »

Thomas marqua un silence. Je demandai :
« Tu y es resté longtemps ?
- Non, heureusement. Je n’ai pas voulu m’enfoncer trop profondément là-dedans. A cause des trous boueux qui vous engloutissent comme des sables mouvants. Je n’étais pas assez fou pour ça. Je me suis planqué sous les racines d’un arbre et j’ai attendu. Au bout d’une minute, je crois, la chose est partie. Je supposais qu’elle était partie. La chaleur était revenue et il y avait du bruit. J’imaginais qu’elle s’était éloignée. Vous voyez ce que je veux dire ?
- Ouais, je vois très bien. » Il n’y a qu’à voir l’ambiance dehors pour être d’accord.
« J’ai alors fait demi-tour, en espérant de ne pas m’enfoncer dans les marais. Puis je suis parti à votre recherche.
- Mais comment tu nous as trouvé ? demanda Elodie, la forêt est grande et…
- J’ai écouté des cris. Je n’ai pas reconnu la voix mais je crois que ça disait viens ou quelque chose qui y ressemble. Etant donné que cette saloperie ne parle pas, ou alors je me trompe, ça ne pouvait être que l’un d’entre vous. Je me suis mis à courir vers ce que je pensais être la source du bruit. »

J’évitais de regarder Elodie à ce moment et elle-même se retrouva soudain absorbée par le nettoyage de ma main. Une sorte de gêne était apparue entre nous à l’évocation de mon pétage de plomb.

« Lorsque je suis arrivé, reprit Thomas en faisant mine de rien, il n’y avait personne. Mais il y avait du sang sur un arbre, une trace de main, j’imagine que c’est toi, David. Néanmoins, je savais que j’étais au bon endroit. Il y avait des traces de pas. Je les ai suivies et c’est là…
- C’est là que tu m’es tombé dessus, acheva Elodie.
- Désolé si je t’ai fait peur, dit-il avec une ébauche de sourire, j’ai soudain vu une lumière, j’ai alors couru comme un dératé, craignant qu’elle s’éteigne, j’ai pas vu le ruisseau et j’ai un peu déboulé comme un malade. Encore désolé.
- C’est rien, répondit-elle avec un petit sourire au coin des lèvres, je survivrai. »

Un sourire apparut à son tour sur les lèvres de Thomas. Il était curieux et bienvenu de pouvoir encore plaisanter malgré tout. Je souris à mon tour, mouvement incontrôlable de mes lèvres, spasme de soulagement.

« Voilà, j’ai fini, annonça Elodie, merde, j’ai rien pour faire un pansement. »

Je regardai ma main débarrassée de sa gangue sanguine et la trouvai plus présentable. Bien sûr, les entailles étaient toujours affreuses mais au moins maintenant on pouvait les regarder sans être écoeuré.

« Je sais. Thomas, tu as toujours ton canif ? »

Thomas regarda Elodie, la mine perplexe. Il avait son canif, bien sûr. Son briquet et son opinel étaient les deux seuls objets dont il ne se séparait jamais.

« Bien sûr, pourquoi ?
- J’en ai besoin. Tu veux bien me le prêter, s’il te plait ? »

Intrigué, Thomas lui lança la lame , magnifique objet au manche écarlate et argenté , cadeau de son oncle passionné par les armes blanches. Elodie l’ouvrit d’un mouvement du poignet et se mit à déchirer le bas de son chemisier avec.

« On peut savoir ce que tu fais ? demandai-je
- On fait avec les moyens du bord. Ta main ne peut pas rester comme ça. »

Elle découpa une bande de tissu qu’elle enroula autour de ma main tuméfiée. Totalement insensibilisé, je ne sentis pas le tissu sur mes plaies. Lorsqu’elle acheva le bandage, ma main ressembla à une main de momie.

« Bon, à toi », dit-elle à l’attention de Thomas.

Je la regardai me contourner pour s’approcher de Thomas lorsqu’une question me vint à l’esprit :
« Les autres. Tu les as vus ? »

L’expression de Thomas s’assombrit.

« Non, enfin… Pas vraiment…
- Quoi, que veux-tu dire ? »

Thomas se mordit la lèvre. Il ne voulait manifestement pas aborder le sujet. Je sentis la tension revenir. Mon cœur cognait sur mes côtes.

Réponds, bordel… Dis-nous que tu les as vus courir et qu’ils vont bien… Dis-le…

« Réponds », lançai-je nerveusement.

Je pensais à eux à ce moment-là. A Sandra, ma sœur qui n’avait rien à foutre là, à Sophie, qui avait perdu celui qu’elle aimait, à John, qui avait peur de son ombre, mais aussi à Stéphanie et à Aurélie dont on n’avait toujours aucune nouvelles . Lorsqu’il se mit à parler, je savais que mes craintes étaient confirmées.

« Je… Ecoute, je n’ai vu personne… Mais, je pense avoir croisé la route de certains d’entre eux… Regarde… »

Il sortit de sa poche un morceau d’étoffe blanche.

« C’était à John, annonça-t-il, regardez, il y a la taille sur l’étiquette. Il y a que John qui portait quelque chose d’aussi large. Mais… »

Il s’arrêta de nouveau. Je m’impatientai.

« Mais quoi ?
- David, c’était dans les marais. C’était accroché à une branche et le sol était piétiné, tout près d’un bourbier. Les traces de pas s’arrêtaient à son niveau… »

Il se tut une nouvelle fois. Il n’avait pas besoin de dire la suite. Je l’imaginais très bien, la suite. John qui court, terrifié. John qui entre dans le marécage, John qui ne fait pas gaffe, John aveuglé par la peur, John qui se fait accrocher par une branche, John qui se débat, croyant probablement s’être fait attraper par le monstre, John qui court encore… et qui atterrit dans le bourbier, John qui s’enfonce, John qui se débat de nouveau, ce qui accélère le processus, John qui hurle, John qui fait tout ce qu’il peut pour survivre, John qui se tait lorsque la boue entre dans sa bouche, John qui disparaît. A jamais.

« C’est pas vrai… »

Je ne portais pas John dans mon cœur. C’était un trouillard notoire, indigne de confiance. Mais mis à part ça, c’était quelqu’un de bien qui ne méritait pas cette mort horrible. Je tournai la tête, les mâchoires serrées. Lorsqu’Elodie parla, je sus à son ton brisé qu’elle avait pensé à la même chose que moi.

« Je vais devoir couper ta chemise, Thomas. Sinon, je vais te faire mal.
- Ok, vas-y. »

Elodie ne voulait pas s’attarder sur le sujet, nous la comprenions et nous n’insistâmes pas. Elle se mit à découper le tee-shirt de Thomas en faisant deux entailles, une de haut en bas sur le devant et l’autre en suivant la ligne de l’épaule. Elle ne nous regarda pas mais je l’entendais renifler. Thomas évitait de la regarder.

« Il y a autre chose aussi, lança Thomas (Elodie et moi nous tournâmes vers lui, espérant de bonnes nouvelles), enfin, je ne suis pas sûr… Je crois avoir vu une silhouette qui courait vers les collines mais je n’ai pas vu qui c’était et je ne voulais pas crier à cause du monstre. J’ai essayé de la rattraper mais elle avait disparu. »

Il y avait au moins quelqu’un de vivant… en direction des collines…

« Ca ne pouvait être que Sandra, Sophie, Aurélie ou Stéphanie, en admettant que John est… Bref, il faudrait partir à sa recherche.
- Je suis d’accord, approuva Thomas, nous ne pouvons pas la laisser seule, quelle qu’elle soit. On…
- Plus tard, les coupa Elodie, Thomas, ton épaule n’est pas cassée, seulement déboîtée. Il faut la remettre en place sinon elle continuera à te faire mal.
- Déboîtée ? répéta Thomas, merde, si j’avais su…
- T’aurais essayé de te la remettre tout seul et tu l’aurais cassée pour de bon, répliqua Elodie. Je vais le faire. David, viens m’aider. »

Je me levai péniblement et m’approchai d’Elodie.

« Enlève ta ceinture, m’ordonna-t-elle, Thomas, essaye de te détendre. Si jamais tu te crispes, je vais devoir le faire deux fois et ce sera pire.
- Tu sais remettre une épaule ? demanda Thomas.
- Oui, répondit-elle simplement, David, donne ta ceinture à Thomas (je lui lançai l’objet), bien, Thomas, plie-la pour en faire une bande épaisse et met-la dans ta bouche (il s’exécuta), voilà, David, viens là. »

Je la contournai et me retrouvai du côté de l’épaule démise.

« Attrape son poignet, tourne légèrement et lorsque je te le dirai, tu appuieras le plus fort possible vers le bas.
- Je croyais que tu savais le faire.
- Je sais le faire, répliqua-t-elle agacée, seulement je préfère que tu le fasses. Il faut une certaine force et je suis crevée. Si on n’y va pas assez fort, il faudra le faire en plusieurs fois et Thomas va regretter de ne pas être mort. Tu peux le faire ou non ? »

J’avais bien envie de lui répondre que moi aussi, j’étais crevé, mais soucieux de ne pas me recevoir une baffe, je me retins et lui répondis « ok ». Elodie acquiesça et je vis un bref moment à quel point elle était épuisée. Les yeux brillants, le teint pâle, elle semblait prête à s’écrouler. Il valait mieux remettre cette épaule au plus vite et se reposer un bon coup.

« Thomas, dit-elle, ça va faire mal, très mal, mords la ceinture le plus fort que tu peux, ça va atténuer un peu, d’accord ?
- Ouais, finissons-en. »

Elodie se plaça au dessus de Thomas et mit sa main sur la bosse que formait l’épaule disloquée et je tins fermement son poignet.

« A trois, annonça-t-elle, un… deux… TROIS… »

Je tirai de toutes mes forces vers le bas tandis qu’Elodie appuyait de tous son poids sur la bosse. Un craquement se fit entendre. Thomas mordit avec force, faisant subir à la ceinture toute la puissance du hurlement qui essayait de forcer la barrière de ses lèvres. L’opération prit quelques secondes. Lorsque nous nous écartâmes, Elodie et moi, Thomas s’écroula sur le côté. La ceinture glissa et la douleur s’exprima enfin mais à la place du cri, c’était des halètements.

« La vache, putain… Ca fait un mal de chien… »

Je ramassais la ceinture et y vit de profondes marques de dents. Un peu plus et il en coupait un morceau. Impressionnant quand même. Faible, Thomas ne bougeait pas, la respiration sifflante. On voyait qu’il souffrait.

« Aide-moi à le relever. »

Je le pris au niveau de son épaule valide et le relevai le plus doucement possible. Elodie lui passa la chemise déchirée qu’elle avait nouée en écharpe. Thomas se trouvait maintenant adossé à la paroi, torse nu, le bras droit en écharpe. La douleur avait dû s’atténuer mais sa respiration restait rapide. Il marmonna :
« Merci…
- Je t’en prie, répondit Elodie avec un vague sourire, essaye plutôt de ne pas te la déboiter à nouveau. Evite de t’en servir pendant un certain temps, d’accord ?
- Ok… »

Thomas s’appuya doucement à la paroi et ferma les yeux. Je me tournai vers Elodie :
« Où as-tu appris à faire tout ça ? »

Cette fois, elle eut un vrai sourire. « Ca m’arrive d’écouter pendant les cours, contrairement à d’autres. »

Je ne pus m’empêcher de sourire à mon tour. Un semblant de rire faillit même m’échapper mais la situation me revint en mémoire et le rire mourut au creux de ma gorge. Elodie devait se dire la même chose car son sourire disparut.

« Et maintenant, on fait quoi ? »

Je regardai Thomas affaibli par son épaule esquintée, puis Elodie manifestement crevée et enfin je regardai ma main bandée.

Qu’est-ce qu’on fait ?

C’était là la question.

« Je ne sais pas, répondis-je, j’en sais absolument rien. »
End Notes:
Voilà, et comme pour l'autre, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.
7. La chose by Yoguany
Author's Notes:
La créature les a retrouvé. Rien à dire de plus ^^

Bonne lecture :)
7.


Nous restâmes près d’une heure dans la grotte (le renfoncement) lorsqu’elle revint.

Elodie avait finalement succombé à la fatigue. C’est dingue à quel point la peur peut fatiguer quelqu’un. Je me sentais moi-même somnolent mais avant de dormir, il fallait décider de ce que nous devions faire. Avec Thomas, nous avions renoncé à rechercher la silhouette qu’il avait aperçue avant de nous trouver. Tout à l’heure, l’idée de la chercher nous avait séduits mais après réflexion, nous nous sommes aperçu que c’était suicidaire de foncer dans le noir avec cette chose innommable dans les parages. Il valait mieux rester où nous étions, dans la sécurité toute relative de la grotte. Nous abandonnions donc la silhouette à son sort, en lui souhaitant mentalement bonne chance. Quant aux autres, aucune nouvelle. Je refusais de penser à eux, car si je le faisais, je me dirais qu’ils étaient morts, que c’était ma faute et que la dernière chose qui me restait à faire était de me fracasser la tête contre la paroi.

Ils étaient vivants, il le fallait.

Nous avions convenu de passer la nuit ici, d’attendre le jour (qui sait, peut-être craint-elle la lumière du soleil ?) pour chercher des secours.

C’est alors qu’elle nous retrouva.

Nous ne la vîmes pas de prime abord. Ce fut progressif, un peu comme la télé dont on baisserait progressivement le son. Les animaux se turent, le vent tomba, le clapotement de l’eau disparut. Je commençais à m’endormir lorsque je sentis mes poils se dresser. La température chutait et devenait aussi froide qu’au campement. Pas de doute, c’était elle.

Qui s’approchait.

Retenant à grand peine l’envie de partir en courant, je me redressai lentement, les yeux exorbités. Je murmurai :

« Thomas ?
- Je sais. »

Lui aussi avait compris. Ses yeux donnaient l’impression de ne pas avoir de paupières. Elodie dormait toujours. Avec des gestes lents, les yeux rivés vers l’extérieur, je me baissai pour la secouer un peu. Elodie grogna mais ne se réveilla pas. Je la secouai plus franchement.

« Réveille-toi, bordel.
- Quoi, lança-t-elle avec force, que… »

Je plaquai ma main blessée contre sa bouche, priant que la chose n’ait rien entendu. Je jetai un coup d’œil dehors puis je me mis à ramper vers le fond de la caverne où se trouvait déjà Thomas. J’avais retiré ma main mais je savais qu’elle ne ferait plus un bruit. Le silence et le froid lui avaient fait comprendre la situation. De plus, elle les avait sûrement vus.

Les yeux.

Rouges. Brillants. Pas d’iris, pas de pupille, une uniformité sanguine. Deux globes palpitants qui bougent parmi les arbres, à une hauteur de cinq mètres. Le reste du corps demeurait invisible, caché par l’obscurité. Il n’y avait que ces yeux. Ces yeux de démon.

Nous nous entassâmes le plus profondément possible dans notre abri illusoire. Thomas se trouvait derrière moi, debout, plaqué contre la paroi. J’étais à ses pieds, Elodie dans mes bras. Je sentais son corps parcouru de tremblements incontrôlés. J’étais prêt à parier qu’elle ressentait la même chose me concernant.

La chose approchait. Nous ne bougions pas d’un cil, priant pour qu’elle passe son chemin. Enfin, elle sortit du couvert des arbres et les yeux démoniaques eurent un corps.

Il y eut tout d’abord une patte aussi épaisse qu’un tronc et aussi noire que la nuit. Puis une autre. Et encore deux. La chose se trouvait sous la lumière de la lune, ce qui accentuait son horreur. Haute de cinq mètres environ, elle était d’un noir profond, parfait. Les quatre pattes musculeuses supportaient un corps difforme, large à l’avant et maigre à l’arrière. Une longue queue écailleuse allait en s’affinant vers l’arrière, battant furieusement les arbres environnants. Le haut du corps était plus puissant, le torse semblait battre comme un cœur furieux. Fixés à sa poitrine, presque au niveau du cou, les monstrueux appendices, ceux qui avaient emporté Matt, étaient enroulés autour de deux cocons d’un blanc d’albâtre situés en dessous du corps. Le plus affreux était la tête. Affreuse, difforme, tordue, elle ne ressemblait à rien. Seuls les yeux semblaient à leur place, au dessus d’une gueule asymétrique qui s’ouvrait sur l’enfer. Les appendices arachnéens, les membres écailleux et la gueule inachevée donnaient l’impression que cette chose était le croisement monstrueux d’un serpent et d’une araignée.

Je ne pouvais détacher mon regard de cette horreur. Comment une chose pareille pouvait exister ? Et merde, faites qu’elle se casse ! Je ne croyais pas que je pourrais tenir longtemps.

Mais la chose ne semblait nullement pressée de s’en aller. Se redressant sur ses pattes arrières (elle atteignait bien dix mètres), elle se fit un bruit étrange. Comme un reniflement.

C’est alors qu’un phénomène terrifiant commença.

La température baissa encore jusqu’à devenir glaciale. Je sentis tous les poils de mon corps se dresser. Mes oreilles se mirent à siffler. Je n’entendis plus rien que les reniflements de la chose. Et mon cœur. Mon putain de cœur. Je le sentais. Je sentais mon cœur battre dans ma poitrine. Comme si je n’avais plus rien autour. Et je le sentais ralentir. Il rata un battement, puis un autre et l’espace entre deux battements devenait de plus en plus long au fur et à mesure que la chose reniflait. Comme si elle aspirait la vie en plus de l’air autour d’elle. Je me mis à avoir des tremblements incontrôlables et je me sentais devenir faible. De plus en faible. Très faible.

La chose était en train de nous tuer… et nous ne pouvions rien faire.

J’étais en train de m’affaisser sur Elodie (elle avait perdu connaissance ; quant à Thomas, je le sentais s’appuyer sur mon dos) lorsque qu’un cri perçant retentit.

Ce n’était pas la chose qui l’avait poussé. Cette dernière tourna la tête vers la source du bruit et cessa de renifler. Une faible chaleur réapparut et je perdis la perception extrêmement dérangeante de mon cœur. Je me sentis également moins faible, un sentiment partagé étant donné que la pression dans mon dos disparut et que je sentis Elodie remuer sous moi.

Qu’est-ce que…

La chose grogna. J’arrivais presque à percevoir un sourire sur son faciès chaotique. Soudain, elle s’élança avec une vitesse surprenante pour sa taille, sautant au dessus de la grotte. Elle fut tellement pressée que l’un des cocons percuta la roche et s’écrasa à l’entrée du renfoncement. Le cri perçant retentit de nouveau. Il y eut des bruits de pas, puis plus rien. Doucement, la température remonta.

La chose était partie.

On était vivant.

Tremblant de tous mes membres, je me laissai tomber sur le côté. Thomas s’était assis, les yeux démesurément ouverts, et Elodie pleurait. Je n’arrivais pas à y croire. On y avait échappé. Une deuxième fois. Cette constatation en entraîna une autre.

La chose était partie parce qu’elle avait vu une autre proie.

Mais qui ? Qui avait poussé ce cri ? Qui courait au péril de sa vie en ce moment ?

Bordel…

Je me traînai dehors. Je n’osais pas me relever car je savais que mes jambes ne me soutiendraient pas. En forçant sur mes bras, j’arrivai au niveau du cocon. La matière blanche qui le composait était la même que celle qui maculait la tente au campement. Une forte odeur de désinfectant s’en dégageait.

Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Je le touchai du bout des doigts. Il était froid, très froid. Prenant sur moi, j’en pris une pleine poignée et me mit à le déchirer. Je voulais voir à l’intérieur. Je devais voir à l’intérieur.

Elodie et Thomas m’avaient rejoint au moment où j’en avais arraché suffisamment pour voir le contenu du cocon.

C’était un corps. Le corps de Sophie.

Je sentais mon cœur se glacer et ma gorge se nouer. Sophie était morte. Pourtant, on aurait dit qu’elle dormait, si ce n’est son teint pâle et ses paupières bleues. Pourtant ce n’était pas ça qui me terrifiait. Je faisais les comptes.

Romain, Jim, Matt, John et Sophie.
Ce qui restait…


Je m’écroulai de nouveau.

Non, non…

« Non, non… »

Je tentais de me remettre sur mes jambes mais comme prévu, elles me lâchèrent. Je me traînai à genoux et réessayai de me relever. J’y parvins à moitié et c’est à demi relevé que je contournai l’entrée de la grotte pour grimper la colline à la suite du monstre.

« David, qu’est-ce que tu fais ? »

Je ne répondis pas à Elodie. D’ailleurs, que répondre ?

Une seule idée tournait en boucle dans mon esprit fiévreux.

La chose en a après ma sœur. La chose en a après ma sœur.
End Notes:
Et sinon, si vous avez un commentaire...
8. Amitié et témérité by Yoguany
Author's Notes:
A la poursuite de la chose...

Bonne lecture à tous ^^
8.


Je m’écroulai au sommet de la colline. Mes forces me revenaient, mais beaucoup trop lentement. La chose paraissait rapide et Sandra n’avait jamais été très sportive. L’avait-elle déjà attrapée ? Non, il ne fallait pas. Faites qu’elle soit sauve… pitié.

Si seulement il faisait moins sombre.

La colline au dessus de la grotte avait un aspect chaotique. Les arbres avaient laissé la place aux rochers et dans l’obscurité, je ne vis pas la roche qui saillait. Pour la deuxième fois en quelques heures (quelques siècles !!), mon genou morfla. Poussant un juron, je tentai de me relever mais ma jambe refusait de me porter. Pestant contre cette malchance injuste, je me traînai par terre, vers la chose, vers ma sœur. Plus j’avançais, plus le terrain semblait monter.

« David ! David, où es-tu ? David, réponds, bordel !! »

Le faisceau de la lampe m’éclaira et pendant une seconde, l’éblouissement m’empêcha de voir qui tenait la caméra. Puis Elodie se retrouva accroupie à côté de moi.

« Thomas, je l’ai retrouvé, lança-t-elle, viens là. »

L’instant d’après, Thomas était là, la mine furieuse.

« Ne refais jamais ça, compris ?
- Mais qu’est-ce qui t’a pris de partir comme ça ? rajouta Elodie.
- Je… »

J’étais effaré qu’ils ne comprennent pas.

« Mais vous ne pigez rien ou quoi ? Cette saloperie ne nous a pas lâchés pour rien. Elle est en train de pourchasser quelqu’un. Elle est en train de poursuivre Sandra. Sandra, merde. Ma sœur. Je ne peux pas rester à rien faire.
- Ta sœur ?
- Oui merde, m’emportai-je, le cri, vous croyez que c’était quoi ? »

Thomas et Elodie se regardèrent, perplexe.

« Quoi ?
- Quel cri ? demanda Thomas
- Vous ne l’avez pas entendu ?
- Je me rappelle juste le reniflement affreux du monstre, répondit Elodie, puis je suis tombée dans les vaps. Mais pas de cri.
- Moi non plus, continua Thomas, il y a eu le reniflement puis je suis tombé, je crois. J’ai rien entendu du tout, David. »

Je serrai les dents et me retins de les frapper. Combien de temps perdais-je avec cette conversation stupide ? Sandra était peut-être déjà morte…

« Mais je l’ai entendu, je n’ai pas rêvé, merde. C’est Sandra qui a crié, j’en suis sûr. Ca ne peut être que elle.
- David, tu as peut-être rêvé, intervint doucement Elodie, ou alors c’était une ruse de la chose pour nous faire sortir de notre cachette.
- Ah ouais, tu as écouté des bruits, toi aussi ?
- Non, mais…
- Alors, comme je n’ai pas rêvé et que je ne suis pas fou, c’est que ce cri était réel. Sandra est en danger et on perd du temps, !
- Comment tu sais que c’est elle ? »

Thomas me regardait, interrogateur.

« Et qui tu veux que ce soit ? Romain et Jim sont morts. Ca ne peut qu’être elle. Et même si ce n’était pas elle, on…
- Minute, m’interrompit-il, Jim est mort. »

Je mis deux seconde à me demander ce qui l’étonnait tant puis je me rendis compte que je ne leur avais pas parlé de ce qui s’était passé près des tentes. Ils ignoraient le destin tragique de Jim.

Me contenant, je leur fis un récit rapide de la mort de Jim et ajoutai :

« Vu l’état où il était, il y a peu d’espoir pour Aurélie et Stéphanie. Ils sont morts. Tous. Il reste Sandra. Et je ne la laisserai pas. Non…
- David, commença Elodie en me prenant le bras.
- Laisse-moi ! »

Je relevai vivement le bras et une giclée de sang l’aspergea. Elodie ouvrit de grands yeux étonnés et apeurés. Je regardai ma main et ce que je vis me retourna l’estomac.

Le morceau d’étoffe qu’Elodie avait enroulé autour de ma main blessée était écarlate. La chair du poignet commençait à virer au noir. Impossible de la bouger. Et absolument aucune douleur. Je ne sentais pas ma main pourrir mais je voyais le mal me remonter le bras. C’était terrifiant.

Contre toute attente, je sentis un rire hystérique me venir aux lèvres. La farce était vraiment trop forte.

Le rire éclata, incontrôlable. Je m’en roulais par terre, incapable d’aligner deux mots. Thomas et Elodie me regardèrent comme si j’étais devenu fou. Ce qui était probablement vrai. Le rire aurait pu durer longtemps si la chose n’avait pas crié.

Le hurlement rauque était lointain mais il eut le mérite de m’arrêter net. La chose n’était pas loin. Faisait-elle demi-tour ? Avait-elle perdu sa proie ? Possible sinon elle serait trop occupée pour hurler.

Oui, il y avait un espoir.

« Ecoutez, commençai-je parfaitement calme, je vais chercher ma sœur. Vous êtes libres de faire ce que vous voulez. Vous feriez mieux de partir. »

Je me retournai sans attendre leur réaction et entrepris de me relever. Tout en m’appuyant sur la main pourrissante (aucune sensation, je vous dis), je sentis des mains sur mes épaules qui me remirent sur mes pieds.

« Tu crois qu’on va te laisser ? lança Thomas, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude si c’est le cas.
- Oui, rajouta Elodie, on est avec toi jusqu’au bout. »

Une profonde affection, presque de l’amour, m’envahit pour eux, même si je souhaitais qu’ils partent loin de tout ça. Néanmoins, j’étais content qu’ils soient là.

Ensemble, nous nous lançâmes à la poursuite de la chose.

Nous n’eûmes aucun mal à la trouver.

Nous n’avions pas fait vingt mètres que la forêt laissait la place à une pente herbue parfaitement dégagée. La chose se tenait là, au beau milieu, hurlant à la lune. Elle ne nous avait pas vus sinon on y serait passé depuis longtemps. L’atmosphère glaciale renforçait l’aspect irréel de la scène. Caché sous des buissons à la lisière de la clairière, je tremblais comme je n’avais encore jamais tremblé. Elodie, à côté de moi, avait fermé les yeux mais elle ne pouvait empêcher les larmes de couler. Thomas serrait des poings pour se contenir. Il n’y avait pas que le froid. Il y avait la peur. La chose suintait la peur. Impossible de ne pas la ressentir. Impossible d’y être insensible.

Pourtant je ne la quittais pas des yeux. Je ne pouvais me détacher de la chose. Je devais le faire pour admettre sa réalité. Je devais admettre l’existence de ce corps disproportionné, de ces pattes gigantesques, de ces appendices velus, de cette tête inachevée, de ces deux cocons sous son poitrail, de…

Minute.

Deux cocons. Deux cocons.

Au début, il en avait deux, mais il en a perdu un, il ne devrait en avoir qu’un normalement, un seul.
Mais alors l’autre…


Je sentis mon cœur se glacer.

Elle l’a. Elle l’a attrapée. La chose a attrapé Sandra.

Inconsciemment, j’étais en train de me relever avant que deux mains me plaquent au sol.

« Non, me souffla Elodie, ne bouge pas. »

Mais je ne pouvais pas laisser la chose l’emporter. J’essayai de me relever à nouveau, en vain. Elodie appuyait de tout son poids.

De toute façon, la chose ne resta pas longtemps. Après un ultime grognement, elle se détourna et disparut dans l’obscurité. Elle s’éloignait comme en témoignait la température qui remontait. Elodie me lâcha enfin.

« Bordel, pourquoi t’as fait ça ? J’aurais dû y aller.
- Tu veux mourir ou quoi ? répliqua-t-elle, ce n’est pas en te jetant dans ses bras que tu vas la sauver.
- Mais elle…
- Je sais. J’ai vu. »

Je regardai l’endroit où la chose était partie. Au bout de la clairière se dessinaient les ombres de gros rochers et plus loin, les étoiles étaient occultées par les falaises. Bordel, mais jusqu’où étions-nous montés ?

« Allons-y,» dis-je après que la température soit redevenue normale.

Nous grimpâmes la clairière le plus discrètement possible. Nous ne pensions pas qu’elle puisse être encore là (il faisait chaud après tout) mais on ne savait jamais. La nuit devenait de plus en plus sombre à mesure que nous nous approchions des falaises, à tel point que Thomas dut allumer son briquet pour faire de la lumière (on aurait pu allumer la lampe du caméscope mais, je vous l’ai dit, on ne voulait pas tenter le diable plus que nécessaire). Nous arrivâmes au pied de la falaise et ce que nous vîmes nous rassura encore moins.

Une grotte, une vraie, rien à voir avec le renfoncement ridicule dans lequel nous nous terrions tout à l’heure. Du fond des ténèbres nous parvint des relents infects de chairs en décomposition et des vents plus froids que la mort.

Pas de doute, on l’avait trouvé.

On avait trouvé le repaire de la chose.

Nous restâmes interdits devant l’ouverture pendant deux bonnes minutes. Aucun de nous ne voulait faire le premier pas, sachant que cela entrainerait une chaine d’événements inéluctables. On arrivait dans le domaine de la bête. On était chez elle. On avait l’impression d’être des intrus et ce sentiment d’effraction atténuait quelque peu la trouille qui nous labourait les tripes.

Dans l’obscurité, la chose grogna.

« Bon, qu’est-ce qu’on fait ? »

Je regardai Elodie qui avait posé cette question, puis Thomas qui restait en retrait. Aucun d’entre eux n’avait envie de s’aventurer là-dedans et je les comprenais. Moi-même, si je n’avais pas eu l’image de Sandra prisonnière dans son cocon en continu à l’esprit, je me serais tiré à toutes jambes. Mais je ne pouvais la laisser. Jamais. Ce n’était pas le cas de Thomas et d’Elodie. Ils n’avaient pas à me suivre. Je leur dis :

« J’y vais, mais il voudrait mieux…
- Oublie, m’interrompit Thomas, on te suit jusqu’au bout, c’est clair ? »

Je le regardai, l’air déterminé, puis Elodie qui hochait vigoureusement de la tête. Ils voulaient me suivre malgré tout. C’est à ce genre de situation que l’on reconnait les vrais amis.

« Allons-y alors. »

Et tandis que je m’enfonçais dans les entrailles de la terre, une certitude s’ancra en moi. Une certitude indéracinable, increvable, plus forte que l’intuition, plus mauvaise que la prescience.

Je savais que je ne sortirais jamais de ces grottes.
9. Dans les profondeurs by Yoguany
Author's Notes:
Dans les entrailles de la terre, ils vont comprendre que le monstre n'est peut-être pas la pire chose qui soit.

Bonne lecture à tous.
9.


Dans un premier temps, nous économisâmes les batteries de l’appareil dans un souci de discrétion. Nous utilisions la lampe par intermittence, tant et si bien que nous fûmes à moitié plongés dans le noir. Un vent froid me fit échapper le petit appareil. Je jurai entre mes dents.

« Merde »

Je ramassais la caméra au bout de cinq secondes de recherche et m’arrêta, intrigué. En touchant le métal, je me rendis compte qu’il était givré et un peu humide. Mais ça ne ressemblait pas à de l’eau. C’était plus visqueux, un peu comme…

« Merde, répétai-je.
- David, rallume la lampe, me souffla Elodie (le moindre bruit se répercutait sur les parois et j’eus l’impression qu’elle criait.)
- Euh… Oui, oui. »

Je sentais leur souffle à mesure qu’ils s’approchaient de moi. Impossible de les discerner, même un peu. L’obscurité en était presque palpable. Quelle merde. Il ne restait plus qu’une solution.

J’allumai la torche. Aussitôt après, je l’éteignis. La brève seconde de lumière me permit de voir deux voies, une partant à droite et l’autre continuant tout droit. Rien d’autre. Pas de signes de la chose. Si, un détail bizarre au niveau des parois mais j’en n’étais pas sûr.

« A droite ou tout droit ? »

Une seconde de silence puis Thomas demanda :
« Le vent froid d’il y a deux secondes, il venait d’où à votre avis ? »

Je restai interdit une seconde devant sa question puis je vis où il voulait en venir.

« D’en face, je crois. Tu penses que c’est par là qu’il faut aller ?
- Ouais, je pense que oui. »

En espérant que l’on ne se gourre pas et que c’était bien la chose qui avait provoqué ce vent, nous partîmes en face. Nous restions dans le noir le plus possible. J’allumais brièvement la lampe pour voir où l’on allait. Puis nous reprenions notre voyage, les nerfs à vif. L’impression horrible d’être observé ne nous lâchait pas. On n’était pas seuls là-dedans. Pendant les brèves secondes de lumière, je crus discerner un mouvement dans les coins mais impossible de m’en assurer. Quelque chose nous accompagnait dans les profondeurs et ce n’était pas la chose.

Le froid devenait de plus en plus mordant. Nous étions en train de descendre, la pente était de plus en plus raide. Je serrais nerveusement la torche inutile de ma main valide. J’avais calé le caméscope dans ma main pourrissante dont l’état empirait. Le poignet et une bonne partie de l’avant-bras avaient viré au noir. Quant à la main, elle saignait joyeusement, à tel point que l’appareil en était poisseux. Je parvenais encore à bouger l’index, à défaut de le sentir (comme le reste d’ailleurs), ce qui était suffisant pour allumer la lampe. Elodie se trouvait derrière moi, serrant fermement ma ceinture. Je l’entendais haleter, faisant son possible pour ne pas craquer. Thomas se trouvait derrière, tenant probablement Elodie pour ne pas nous perdre. Nous descendions ainsi vers la chose, armés seulement d’un canif et d’un briquet. La grande classe. Je ne savais pas comment je faisais pour ne pas péter un câble.

Clap, clap, clap…

Le sol devenait humide maintenant. A la lumière brève de la lampe, je vis que le sol était effectivement recouvert par quelque chose d’humide.

Mais ce n’était pas de l’eau.

Cette substance était la même celle qui recouvrait les parois (le détail étrange que j’avais remarqué bien plus tôt) ainsi que le camescope. Elle était trop épaisse et trop collante pour être de l’eau. Mais il y avait autre chose. De minces filaments écarlates commençaient à zébrer les parois ; des filaments qui devenaient de plus en plus nombreux à mesure que l’on s’éloignait.

Un peu comme de la toile d’araignée rougeoyante.

Mais vivante.

En s’approchant suffisamment près, je vis que les filaments bougeaient, qui se gonflaient et se dégonflaient comme s’ils respiraient. L’effet était terrifiant. Je tendis la main pour en toucher un lorsqu’Elodie me tira en arrière.

« Touche pas à ça, c’est peut-être dangereux.
- Oui, pardon, répondis-je, absent, allons-y. »

Clap, clap, clap…

Le tunnel obliquait sur la gauche à deux mètres. La brève lumière de la lampe m’arrêta net.

« Qu’est-ce qu’il se passe, me lança Elodie en me rentrant dedans, pourquoi tu t’arrêtes ? »

Je ne répondis pas. Je l’avais aperçu, sans nul doute possible. Une ombre s’était retirée dans l’angle. Il y avait quelque chose plus loin.

« Reculez, murmurai-je.
- Que…
- Fais ce que je te dis. »

Doucement nous reculâmes lorsque…

Plaf.

Nous nous retournâmes affolés.

Clap, clap, clap…

Quelque chose avançait vers nous.

Rapidement.

« COUREZ !!! »

Nous nous élançâmes en avant, insouciants de l’ombre aperçue quelques secondes plus tôt. Cette ombre était hypothétique. Pas la bestiole qui nous coursait. Le plus vite possible, les mains sur la paroi (le contact avec la toile palpitante était répugnant), nous nous enfonçâmes dans le tunnel. La bestiole derrière ne nous lâchait pas.

Clap, clap, clap…

Plaf.

Une autre.

Clap, clap, clap…

Plaf.

Plaf.

Deux autres. Mais bordel d’où elles sortaient ?

Et surtout, qu’est-ce que c’était ?

« COUREZ, NE VOUS ARRETEZ PAS !!! »

Plaf.

Plaf.

Plaf.

Il en tombait comme s’il en pleuvait. Je serrais la main d’Elodie, craignant de les perde, elle et Thomas. J’allumais périodiquement la lampe, essayant d’apercevoir les choses qui nous traquaient. Mais je ne vis que des ombres et des parois écarlates.

Par contre, je ne vis pas la stalactite.

Le coup fut violent. Tandis que je m’écroulais, le sol se déroba sous nos pas et nous fûmes entraînés sur une sorte de toboggan naturelle. Dans la chute, je perdis le caméscope et c’est dans le noir le plus complet que nous fûmes attirés, pauvres créatures hurlantes, dans les profondeurs les plus infernales qui existent.

La descente prit moins de deux minutes. Le tunnel débouchait dans une gigantesque caverne, à hauteur de plafond. Un instant plus tard, nous fûmes projetés dans le vide.

Hurlant, je battais des bras et des jambes, espérant vainement m’agripper à quelque chose, refusant de mourir aussi bêtement. Par miracle (il n’y avait pas d’autres mots), la chute fut de courte durée. Nous atterrîmes dans une espèce de filet gluant. Ce n’était pas possible une chance pareille.

« Eh ! ça va ? »

Elodie répondit par l’affirmative à mon cri au bout d’une dizaine de secondes. Sa voix provenait d’un peu plus haut, à ma gauche. Thomas mit un temps fou à me répondre. Je crus même qu’il était mort, écrasé. Mais finalement, je l’entendis me dire :

« Ca va. Je suis juste empêtré dans cette merde. C’est quoi, à votre avis ?
- J’en sais rien. Si seulement on pourrait avoir plus de lumière… »

Il ne faisait pas totalement noir. Au fond de la caverne pulsait une étrange lumière rouge mais on était trop loin pour qu’elle serve à quelque chose.

Doucement, je me redressais sur mon inconfortable filet de sauvetage et c’est à ce moment là que je sentis la matière palpiter. Aussitôt, je sus dans quoi on était.

« Les filaments écarlates… »

Les mêmes filaments qui recouvraient les parois et qui palpitaient comme un cœur.

Nous étions dans une gigantesque toile d’araignée vivante.

Tac.

Un des filaments craqua. Je ne fis plus un geste.

« Faites gaffe, lançai-je, ce n’est pas solide. »

Immobile, j’attendis. Je sentais les filaments se tendre sur ma gauche. Elodie bougeait.

« Arrête, lui criai-je, ça va craquer. »

Elodie s’arrêta. « Qu’est-ce qu’on fait ? »

Je réfléchis à toute vitesse. On ne pouvait pas rester là trois plombes. Les bestioles dans le tunnel n’avaient peut-être pas abandonné la poursuite. Une idée me traversa l’esprit. Mais il fallait que Thomas me suive.

« Hey, Thomas, tu croit pouvoir me rejoindre ? »

Les filaments se tendirent sous moi (Dieu fasse qu’ils tiennent) et je l’entendis maugréer :
« Ouais, si j’arrive à voir où tu es et si je parviens à sortir de ce truc.
- Ecoute ma voix. Je suis un peu au-dessus. Vas-y doucement, d’accord ? Sinon, on est mort tout les deux.
- Ouais… »

Je l’entendis souffler, grogner. Il luttait pour se défaire de la toile. En espérant qu’il ne lutte pas au point d’achever sa chute, je me tournai vers Elodie.

« Elodie, tu m’entends ? »

La pauvre fille se contenait pour ne pas faire une crise d’hystérie. Son courage était remarquable.

« Oui…
- Bien, tu es plus haute que nous. Tu dois être proche de la paroi, non ? Regarde. »

Une minute, plus tard, elle me répondit :
« Je… Je crois que je la vois. Je dois être à même pas dix mètres.
- D’accord. Tu… Tu vas lentement aller vers la paroi. J’imagine que les filaments doivent être plus résistant à cet endroit. Tu trouves un coin sûr et tu nous attends. Ok ?
- David… »

Son ton geignard me terrifia.

« Vas-y doucement. Calmement. Tu peux le faire, Elodie.
- David, je… je ne peux pas. J’ai le vertige, merde. Même dans le noir, j’ai l’impression d’être attiré par le vide. Je ne peux pas. »

Et merde, manquait plus que ça.

« Elodie, écoute-moi.
- JE NE PEUX PAS !!!
- ECOUTE-MOI, MERDE !!! »

Je fus surpris par mon ton (Thomas aussi apparemment car il cessa aussitôt de bouger) mais son cri allait finir par attirer quelque chose. Et il ne valait mieux ne pas traîner.

« Ecoute, répétais-je plus doucement, écoute moi seulement et regarde là où tu penses que je suis. D’accord ? Ok. Maintenant, je ne veux plus que tu regardes en bas. Tu regardes dans ma direction et tout doucement, tu longes le fil vers la paroi. Tout doucement. Vas-y. »

Je regardais dans sa direction supposée, en espérant qu’elle ne fasse pas tout écrouler. J’aperçus une forme se relever lentement à la lumière rougeoyant à peu près à cinq mètres de moi. Elodie entama sa progression lorsqu’elle poussa un cri, précédé d’un « Tac » retentissant. La forme avait disparu.

« Elodie !!! »

Un silence terrible s’installa pendant deux secondes qui me parurent des siècles. Puis j’entendis un faible sanglot et je sus qu’elle était en vie.

« Elodie ? Ca va ?
- Oui, un filament a craqué, c’est tout.
- Ne bouge pas. Je viens te chercher.
- Non, si tu viens, tout va s’effondrer. C’est bon, je crois pouvoir me relever. Vous ferez attention quand vous passerez par là, il y a un trou. »

La forme réapparut et cette fois-ci, ne disparut pas. Elodie progressait doucement et arriva un moment où la forme ne fut plus suffisamment visible. J’en déduisais qu’Elodie avait atteint la paroi.

« C’est bon, j’y suis. »

Impression confirmée.

A nous, maintenant.

Je me retournais vers Thomas lorsque…

Tic.

( ? )

Tic. Tic. Tic. Tic. Tic.

Je regardais autour de moi, cherchant l’origine du bruit. Mon cœur s’était mis à battre dans mes côtes. Quoique ce soit, ça s’approchait.

Je cherchais au niveau de la toile avant de me rendre compte que cela venait d’au-dessus de moi. Je levais la tête et dû me mordre les lèvres pour ne pas hurler.

Des dizaines de points rouges incandescents semblaient danser sur les parois de la caverne. Des dizaines de points rouges. Des dizaines d’yeux, appartenant à des dizaines de créatures en mouvement. Des dizaines de créatures qui s’apprêtaient à attaquer.

Mon esprit fiévreux n’arrivait pas à les assimiler. Je n’avais qu’une pensée qui tournait en boucle.

Les bestioles du tunnel. Elles nous ont retrouvés.

Tic. Tic. Tic.

Je n’osais bouger. Je faillis crier lorsque Thomas posa sa main sur mon épaule.

« David… »

Bien que murmuré, ce simple nom fut le signal d’attaque. Les bestioles se mirent à siffler -sssssssh- et dans un ensemble parfait, elles se jetèrent sur nous, longeant la paroi, d’autres sautant directement sur la toile.

Elodie cria lorsque les choses arrivèrent à elle. Impossible de faire quoi que ce soit. Thomas et moi étions environnés d’une multitude d’yeux infernales, accompagné d’un concert de sifflement, un peu comme un serpent contrarié ou un chat en colère. Des bestioles nous atterrirent dessus et je sentis des dizaines de pattes me parcourir la peau. Au concert de cri, d’injure et de sifflement s’ajoutait le « Tac » des filaments qui se rompaient.

La toile sous moi se déchirait. Je basculais en avant, le torse dans le vide, seulement accroché par mes jambes empêtré dans les filaments. Une des bestioles en profita pour s’engouffrer par le col de ma chemise. Ses pattes griffues me labourèrent le dos. Je parvins à l’agripper juste avant qu’elle soit trop loin. Empoignant son corps long et mince (un peu comme un serpent, eus-je le temps de penser), je le jetai dans le vide. Mais déjà une autre bestiole me grimpait dessus tandis que d’autres s’enroulaient autour de mes jambes ou enfonçaient profondément leurs dents dans la chair de mes mains.

C’est foutu. On est mort.

C’est alors que je l’entendis distinctement

Le clapotement.

De l’eau. Il y a de l’eau en bas.

J’avais jeté la bestiole dans un bassin d’eau. Etait-ce assez profond ? Pas le temps. Il y avait peut-être une chance de s’en sortir.

Avec un sursaut, je parvins à me hisser sur un bloc de filament. Ceux-ci lâchèrent la seconde qui suivit mais cela me suffit à prendre le canif. De nouveau à moitié dans le vide, je hurlai :
« ACCROCHEZ VOUS A QUELQUE CHOSE. ON VA DEVOIR FAIRE LE GRAND SAUT. »

Je me mis à donner de furieux coups de canif autour de moi. Les filaments se rompaient les uns après les autres, et ce qui devait arriver arriva.

La toile s’effondra.

Nous fûmes précipités dans le vide. Je serrai de toute mes forces les filaments que je parvenais à tenir, en priant de toute mes forces ne pas m’être trompé. A nos hurlements se mêlaient les sifflements rageurs des bestioles.

La chute dura quelques secondes lorsque…

Nous plongeâmes dans un bassin assez profond rempli d’une substance qui n’était pas de l’eau. Je me débattais comme un fou pour sortir de cette masse gélatineuse. Je ne voyais rien, je n’entendais rien. Mes yeux et ma main pourrissante se mirent à brûler. Je me voyais déjà mort lorsque qu’enfin je sortis la tête du liquide. Je fus aussitôt assaillit par un concert de sifflements et de clapotements. Des dizaines de bestioles se débattaient dans le liquide, générant des remous impressionnants. Une gerbe de liquide s’abattit sur moi, me projetant au fond. Ma bouche était en feu et j’avais de plus en plus de mal à bouger mes membres tétanisés. Je coulais doucement lorsqu’un bras se referma sur moi.

Thomas me tira de toutes ses forces sur le rebord du bassin, haletant sous l’effort de son seul bras valide. D’autres mains virent l’aider et sentant un sursaut d’énergie en moi, je me dégageais de la masse gélatineuse. Les bestioles se débattaient toujours dans le liquide.

Je restai un moment immobile, les yeux fermés, avant d’essayer de me redresser. J’entendais Thomas haleter et je sentais les mains d’Elodie sur ma poitrine. Ma main me faisait souffrir le martyr. Doucement, je me levai et essayai d’ouvrir les yeux. Aussitôt, une douleur cuisante me traversa le crane. Refermant les yeux, je poussais un cri.

« Bordel… »

J’entendis Thomas pousser le même cri. J’en déduisis qu’il souffrait autant que moi. Soudain, un mouchoir se plaqua sur mes yeux.

« Attends, ne bouge pas, me dit Elodie en me frottant doucement les yeux, ne te touche pas les yeux. Cette substance… C’est elle qui vous brûle. Essaye de ne pas bouger. »

Docilement, je la laissai faire et je sentis la douleur s’atténuer. Doucement, je rouvris les yeux. C’était toujours douloureux mais supportable. Je parvins à discerner mon environnement. Elodie était accroupie à coté de Thomas et lui essuyait les yeux avec un autre mouchoir. J’étais gluant de cette merde dans laquelle nous étions tombés et je me rendis compte que mon bras pourrissant fumait, comme s’il était rongé par l’acide. J’essayais de l’essuyer avant de me traiter d’abruti et de retirer ma main recouverte de liquide. Trop tard. La douleur ravivée m’arracha un nouveau cri de douleur. M’adossant à la paroi, je regardai Thomas et Elodie. Les bestioles avaient disparu, les clapotements étaient de moins en moins nombreux.

« Comment ça se fait que t’es pas mouillée ? »

Elodie, en effet, était parfaitement sèche.

« Je me suis agrippée aux filaments. Ils étaient plus épais près de la paroi. Il m’a suffi de me laisser glisser pour toucher le sol. »

Elodie parlait calmement en apparence mais je percevais les fêlures dans ses paroles.

« Et les bestioles ? demandai-je, la vue brouillée par la douleur.
- Plus rien à craindre, elles sont en train de cuire. »

Je compris soudain pourquoi les clapotements se faisaient de plus en plus rares. Le liquide visqueux était en train de les ronger. Nerveusement, j’essuyais ma main valide sur le sol pour m’en débarrasser.

« Ce n’est pas la peine, me dit Elodie, ça ne semble pas traverser la peau.
- Ce n’est pas pour ça. »

J’étais d’accord avec elle. Le liquide ne semblait pas traverser la peau et ne brulait que les parties les plus sensibles du corps, comme les yeux. Ce n’était pas pour sauver ma main droite saine que je l’essuyais par terre, mais pour sauver ce qui me restait de bras gauche, de plus en plus douloureux.

Je le regardais avec des yeux horrifiés. Cela ressemblait à un morceau de viande carbonisé tout tordu. Je n’arrivais plus à le bouger et je savais inutile de le toucher. Il était déjà foutu et la chaleur que je sentais dans mes doigts crispés allait se répandre dans mon corps en une fièvre dévorante qui me tuerait. Il n’y avait qu’un moyen de me sauver, c’était de…

« Putain, David, ton bras ! »

L’exclamation de Thomas me tira de ma rêverie. Je me tournai vers lui et le vis me regarder avec des yeux rougis par l’acide. La lueur rouge, plus intense, lui donnait un air un peu dément.

« Ouais, pas beau à voir, pas vrai ? »

Je fis un vague sourire qui se termina en grimace.

« Tu veux que… commença Elodie.
- Non, c’est déjà trop tard. Et puis on a mieux à faire dans l’immédiat. Il faut retrouver Sandra et sortir d’ici. »

Je me relevai péniblement et les regardai. Mes yeux me lançaient encore mais c’était insignifiant.

« Allez, on bouge. »

Thomas et Elodie hésitèrent une courte seconde avant de m’emboiter le pas. Je savais mon cas grave mais il valait mieux m’occuper de mon bras une fois dehors plutôt qu’ici. Je ne me retournai pas, les sachant derrière moi, et m’avançai d’un pas incertain vers la lumière rouge palpitante en espérant y trouver ma sœur.
End Notes:
Et comme d'habitude, n'hésitez pas si vous avez un commentaire, bon ou mauvais.

A lundi prochain pour la suite.
10. Comme un coeur palpitant by Yoguany
Author's Notes:
L'antre de la chose...
10.


Au bout de dix mètres, la caverne faisait un coude vers la droite. C’est de là que provenait la lueur rouge. Arrivés à ce tournant, nous fûmes aveuglés par une lumière puissante et, lorsque nos yeux furent habitués à cette clarté soudaine, nous nous trouvâmes devant une scène qui dépassait l’entendement.

Tout était rouge. Tout. Les filaments s’étaient soudés les uns les autres pour former un tapis uni et palpitant qui recouvrait le sol et les parois de la caverne. On avait l’impression d’être à l’intérieur d’un organe. Les filaments semblaient provenir d’un vaste trou situé à vingt mètre et qui faisait bien dix mètres de diamètre. La lumière rouge provenait de la colonne de flammes qui s’en élevait, un long brasier rougeoyant qui donnait simplement l’impression d’un feu. Car cela ne pouvait en être, sinon toute la caverne aurait sauté à cause du gaz qui sortait d’une multitude de petits puits, percés dans la paroi. L’odeur était suffocante. Au fond du trou provenait un battement. Comme si un énorme cœur se trouvait là dessous.

Ca y est, nous y étions. L’antre de la chose.

Sauf que la chose n’était pas là.

« Où elle est, à ton avis ? » me souffla Elodie

Je ne lui répondis pas. Je venais de voir ce que je cherchais. Contre les parois se trouvaient des grosseurs renflées, un peu comme de gigantesques pustules. Je mis une bonne minute avant de me rendre compte qu’il s’agissait des cocons.

Je me précipitais vers eux. Le bruit de mes pas sur le tapis rouge était répugnant (plash, plash). Arrivé près des cocons, je me demandai lequel contenait ma sœur. Il n’y en avait que deux intacts. Trois autres étaient éventrés et leur contenu gisait, collé à la soie meurtrière de la chose, comme vidé de l’intérieur. Essayant de ne pas penser aux malheureux réduits à l’état de cadavres tordus, je sortis mon canif et entrepris d’ouvrir le premier cocon.

La matière s’était durcie et je dus forcer pour l’entamer. Les filaments rouges n’arrangeaient rien, ils avaient commencé à s’enrouler autour du cocon, le rendant encore plus résistant. Thomas et Elodie m’aidaient le plus possible en prenant soin de ne pas toucher la soie corrosive. Nous ne parlions pas, nous respirions à peine, de peur d’attirer la chose.

Allez, bordel, faites qu’elle soit là. Faites qu’elle soit vivante.

Brusquement, le cocon s’ouvrit. Accroché à la paroi, un corps nous regardait de ses yeux morts. Mais ce n’était pas ma sœur. C’était…

« Putain, murmura Thomas, Stéphanie… »

Stéphanie, notre amie disparue, était réduite à l’état de cadavre noirâtre. La soie devait la ronger lentement, ce qui expliquait la couleur sombre et la peau craquelée par endroit. Ses tripes avaient disparu, il n’y avait à la place qu’un trou béant à travers lequel on parvenait à voir le blanc de sa colonne vertébrale. Je demeurais pétrifié devant cette abomination et je me pris à espérer qu’elle fut morte bien avant que son corps ne commence à se diluer. Mais ses yeux écarquillés ne laissaient que peu d’espoir quant à cette prière.

Je me tournai vers le dernier cocon intact et repris mon manège, plus nerveusement ce coup-ci. Après avoir vu ce que la soie pouvait faire à un corps, il ne fallait pas traîner.

Le cocon s’ouvrit et cette fois-ci, c’était bien ma sœur. Sandra était fixée à la paroi par la soie meurtrière. Elle avait déjà commencé son travail de décomposition (les vêtements étaient noircis et la peau de Sandra prenait une vilaine teinte rouge au niveau des bras et des jambes nues) mais elle était encore en vie. Sa poitrine se soulevait faiblement et une respiration sifflante sortait de sa bouche entrouverte. Autrement, elle était inconsciente. J’aurais presque pu pleurer de joie. Etreignant le canif, je lançai à Thomas et Elodie :

« Aidez moi, on va couper la toile qui la scotche à la paroi. »

Je fis doucement glisser la lame du canif dans le dos de ma sœur. Je m’attendais à de la soie au moins aussi résistante que celle qui avait enveloppé Sandra mais curieusement, elle était très fragile et le couteau y entra comme dans du beurre. Thomas avait trouvé un morceau de roche pointu et entreprit de dégager le gauche tandis que je m’occupais du droit. Elodie retenait Sandra par les épaules afin de lui éviter un atterrissage trop dur.

Nous lui avions dégagé les épaules et une bonne partie du dos lorsqu’elle reprit brusquement connaissance… et se mit à hurler. C’était un cri déchirant, chargé d’un désespoir et d’une terreur profonde, mais surtout c’était un cri très sonore, trop sonore.

« Sandra, arrête, bordel, criai-je, c’est nous. »

Mais Sandra ne m’écouta pas et continua à crier en se débattant dans sa prison de soie.

C’est alors que le rugissement retentit.

Je n’avais jamais rien entendu de pareil. Le son défiait toute imagination ; cela n’avait rien à voir avec les grognements que la chose avait poussé dehors, c’était comparable au miaulement d’un chaton à coté du rugissement d’un lion. Puissant, grave, il semblait sortir tout droit du centre de la terre. Aucun doute, cela ne pouvait être que la chose. Affolés, nous nous acharnâmes, Thomas et moi, sur la toile restante. Sandra s’était tue et regardait autour d’elle, une expression de pure panique sur le visage.

C’est alors que tout s’emballa.

Le brasier au-dessus du trou devint soudain intense, aveuglant. La caverne était illuminée comme en plein jour. La terre se mit à trembler rythmiquement, comme si l’énorme cœur au fond du trou battait si fort qu’il ébranlait la caverne entière. Et aussi brusquement qu’il était devenu intense, le brasier disparut.

L’obscurité engloutit brièvement la caverne puis une puissante lumière rouge fusa du trou. Le sol trembla furieusement et nous fûmes projetés à terre. Je me trouvais la tête dans les filaments rouges et mon bras pourrissant, sur lequel je m’étais appuyé comme un gros débile, me faisait souffrir le martyre. Les larmes aux yeux, je relevai la tête pour voir ce que j’avais craint depuis notre arrivé.

Les appendices monstrueux hérissés de poils blancs, semblables à ceux qui avaient emporté Matt, se dressaient au-dessus du trou. J’en dénombrais six. Ils battaient l’air, comme s’ils cherchaient de la nourriture. Puis une gigantesque patte sortit du trou, suivie par une autre tout aussi grande. Un immense thorax apparut à la suite des deux pattes, aussi large que le trou. Le thorax était surmonté d’une tête difforme dotée de deux yeux rouges flamboyants. La chose força pour sortir le reste de son corps, plus effilé, du trou qui lui servait de tanière. Sandra reprit son hurlement, accompagnée cette fois par Elodie. Thomas regardait la chose en état de choc, les yeux écarquillés. Quant à moi, je forçais sur mon bras valide pour me relever et retins à grand peine le fou rire hystérique qui essayait de sortir.

La chose hurla. Un cri nettement moins puissant que le précédent mais tout aussi terrifiant. Ce fut le déclic, le coup de feu marquant le départ d’une course si vous préférez. Je me relevai et pris Sandra au niveau de la taille. La soie se détacha et je pus la prendre sur mon épaule. La frangine, en état de choc, ne fit rien pour m’aider, ni pour m’arrêter, ce qui était tout aussi bien. J’ignorai la brulure de l’acide de la toile et me mis à courir. Je hurlai à Thomas et Elodie :

« IL FAUT SE TIRER, VITE !!! »

Ils n’hésitèrent pas deux secondes. La chose avait réitéré son cri, ce qui avait suffit pour faire fuir les deux ados. Nous nous enfonçâmes de nouveau dans les ténèbres des galeries.
11. Face à face by Yoguany
Author's Notes:
Onzième et dernier chapitre de cette histoire.

Bonne lecture à tous ^^
11.


La chose nous talonnait.

Nous avions fui tout droit à partir du trou, laissant sur notre gauche le bassin et la toile géante. Une large grotte partait de la vaste caverne et c’était dans une semi-obscurité (la lumière rouge qui avait fusé du trou semblait s’attarder sur les parois) que nous courions pour sauver nos vies. La grotte était suffisamment large pour permettre à la chose de s’y mouvoir en toute tranquillité. Nous n’avions aucune chance ; la chose était plus rapide que nous et elle n’était pas blessée, ni fatiguée. Elle était fraiche, intacte et avide de chair. Nous allions finir comme Stéphanie rongée par l’acide, ou comme Jim écrasé, ou encore…

« Là !!! »

Elodie pointa le doigt vers l’entrée d’une grotte plus petite, sur notre gauche, à environ dix mètres. Je souris malgré l’essoufflement qui me gagnait. La nouvelle grotte était plus étroite que celle où nous étions, la chose aurait plus de mal à nous y suivre. Je m’apprêtai à crier à Thomas notre nouvelle destination mais celui-ci l’avait vue et avait amorcé le virage qui le conduirait peut-être vers le salut.

C’est alors que deux appendices s’abattirent en travers de l’entrée. La chose nous avait rattrapés.

Thomas ne vit pas à temps les appendices et les percuta de plein fouet. Les poils blancs et durs s’enfoncèrent dans sa chair. Thomas hurla. La chose rejeta ses appendices vers l’intérieur de la grotte, projetant Thomas et lui arrachant la poitrine. Hurlant comme un fou, il se tortillait sur le sol, en proie à une douleur horrible. La chair à vif, il pissait le sang. Je crois même avoir aperçu ses côtes à l’air.

Mais déjà, les appendices cherchèrent une nouvelle victime.

Ils fondirent sur nous. Je ne dus la vie qu’à un mémorable coup de chance. Je m’écroulai sous le poids de Sandra au moment où un appendice s’apprêtait à s’enrouler autour de ma gorge. Elodie eut le même coup de pot car elle tenta de relever Thomas (dont le sang maculait son chemisier) et il était trop lourd pour elle. Ils s’écroulèrent de concert, évitant ainsi les deux appendices qui fonçaient sur eux. Mais la chance avait ses limites. Déjà les appendices revinrent à la charge.

« ELODIE, THOMAS, FONCEZ DANS LA GROTTE, VITE !!! »

J’étais pris au piège entre les pattes de la chose. Elodie me regarda rapidement puis elle prit le bras d’un Thomas à demi inconscient et alla le plus vite possible dans la grotte annexe. Ils disparurent rapidement dans l’obscurité.

Je me relevai tant bien que mal avec une Sandra inactive sur le dos lorsqu’un appendice s’enroula autour de ma cheville. Je poussais un cri lorsque les poils blancs pénétrèrent sous ma peau. Je m’étalai de tout mon long sur le sol et Sandra fut projetée en avant. Deux appendices l’agrippèrent tandis que celui qui serrait ma cheville me tirait en arrière. Sandra se réveilla soudain et se débattit comme une folle, arrachant à moitié ses vêtements. Puis, une fois libérée, elle se mit à courir comme une dératée. Elle disparut dans l’obscurité de la grotte principale et je ne l’ai plus jamais revue.

La chose ne la poursuivit pas, elle avait mieux à faire avec moi. J’étais décidé à ne pas me laisser faire. Ravivé par un flot d’adrénaline, j’entaillais de toutes mes forces l’appendice avec le canif. Le membre monstrueux me relâcha en m’aspergeant d’une humeur noire. J’évitai ainsi deux autres appendices en leur donnant des coups de canif désordonnés ; je parvins à me remettre sur mes jambes et me mis à courir. La chose hurla de rage et de douleur, elle propulsa un autre appendice qui s’enroula autour de mon bras, au niveau du biceps. Aussitôt, j’y enfonçai le canif qui y resta planté. Brusquement libéré, je sautai en direction de la grotte annexe et j’y parvins en même temps que la chose.

La grotte s’ébranla lorsque la chose la percuta de plein fouet, projetant ses appendices vers l’intérieur. La puissance du coup fut telle que l’entrée de la grotte s’effondra.

De gros morceaux de roche se mirent à pleuvoir. L’un d’eux me percuta en bas du dos et je sentis quelque chose craquer. Une douleur lancinante me parcourut le corps et je m’écroulai par terre. Un autre rocher me percuta la jambe et la cassa en deux. J’avais l’impression d’être une plaie ambulante. Je me traînai pitoyablement sur le sol, priant Dieu de faire cesser cette folie.

Et brusquement, tout stoppa.

Je battis des paupières, éberlué. La grotte avait fini de s’effondrer sur elle-même et de gros rochers me séparaient de la chose. Je me rendis compte d’autre chose : il avait dû s’écouler moins de deux minutes entre le moment où Thomas s’est fait dépecé et le moment où la grotte s’est effondrée. J’avais l’impression que des heures s’étaient écoulées.

Je regardai autour de moi, me traînant pitoyablement. Ma jambe était brisée et je ne pouvais plus bouger mon dos. L’air dans la grotte n’arrangeait rien. Lourd, suffocant, l’odeur entêtante du gaz. Dans la semi-obscurité (la lumière rouge accrochait vraiment bien sur les parois), je vis un puits à même pas cinq mètres. Une idée me traversa l’esprit. Dommage que je n’aie pas du feu…

« David ? »

La voix était timide mais bien là. J’avais pensé qu’Elodie et Thomas s’étaient enfuis, c’était bien mal les connaître. Je vis Elodie à moitié relevée tout près de moi et j’aperçus l’ombre de Thomas adossé à la paroi en face du puits.

« Je suis là. »

Ma voix parut bien faible. Elodie était à mes côtés la seconde suivante.

« David, ce… ça va ? commença-t-elle en me prenant par les épaules.
- Thomas, comment va-t-il ? Est-ce qu’il est…
- Non, il est encore vivant, mais je ne sais pas si c’est un bien. Mon dieu, il n’a plus de peau.
- Aide-moi à aller jusqu’à lui.
- David…
- S’il te plait, Elodie. »

Elodie marqua un temps. C’est alors que nous l’entendîmes. Le raclement derrière l’éboulis. La chose se frayait un chemin vers nous.

« Il faut faire vite, Elodie, haletai-je, je peux à peine bouger. Aide-moi à me traîner jusqu’à lui. »

Cette fois-ci, Elodie n’hésita pas. Elle s’agrippa à ma chemise maculée et me traîna jusqu’à Thomas. Le raclement derrière devenait de plus en plus fort.

Thomas respirait faiblement. Il semblait évanoui mais je le voyais dodeliner de la tête.

« Hé, mon vieux, ça va ? »

Je commençais à haïr cette question stupide.

Thomas ne répondit pas. Peut-être ne le pouvait-il pas au vu de ses blessures.

« Je vais avoir besoin de quelque chose que tu as. »

Elodie me regarda, étonnée. Thomas fixa son visage souffreteux sur moi et je pus presque deviner sa question muette.

« T’inquiète, je peux le prendre moi-même. »

Et tandis que je sortais l’objet brillant de sa poche, je sentis les larmes me monter aux yeux. J’avais pris ma décision lorsque je m’étais rendu compte de mon état mais je ne pensais pas que ce serait aussi dur.

« David, qu’est-ce que tu fais ? »

Elodie était au dessus de mon épaule, essayant de voir l’objet que je cachais dans mon poing fermé. Je me tournai vers elle et lui agrippai son chemisier du mieux que je le pouvais avec ma main blessée.

« Ecoute-moi, Elodie, écoute-moi très attentivement car on a très peu de temps (les raclements étaient très forts), tu vas prendre Thomas et vous allez partir tout les deux.
- Quoi, et toi ?
- Laisse-moi finir. On ne doit pas être très loin de ce village, tu sais celui où nous avions entendu la légende. Vas-y et trouve-lui un médecin. Je pense qu’on peut encore le sauver, si on se dépêche.
-Et toi ? Tu vas rester là, tu… »
Elle comprit soudain. « Non.
- Je suis déjà mort, Elodie. Regarde dans quel état je suis, je ne peux même pas me relever. Je suis plus qu’un boulet, je suis un cadavre.
- Mais tu n’es pas mort, protesta-t-elle, toi aussi, tu peux encore vivre.
- Je ne crois pas, non.
- Si, tu… »

Mes lèvres l’empêchèrent de protester. Ce baiser fut le premier et le dernier que j’échangeai avec elle.

« C’est fini, chuchotai-je à son oreille, vous pouvez survivre, moi pas. Par contre, je peux la retenir. Je peux au moins faire ça.
- David… »
Je voyais qu’elle pleurait.
« Pars. Fais-le pour moi, d’accord. Fais-le pour nous tous. »

Un sanglot bruyant s’échappa et elle me serra dans ses bras. Derrière les raclements étaient ponctués de grognements.

« Vas-y maintenant. »

Elle me relâcha à contrecoeur et se leva. Elle me lança un regard qui resta gravé dans ma mémoire tellement il était touchant.

Elle prit le bras de Thomas et celui-ci se releva difficilement et se laissa ensuite tomber sur les épaules d’Elodie. Puis ils entamèrent leur marche vers la sortie. Elodie ne se retourna pas et c’est tant mieux. Je préférais garder en mémoire le souvenir de son dernier regard.

Les minutes passèrent. J’en avais compté une bonne quinzaine lorsque la chose parvint enfin à passer. Je m’étais rapproché entretemps du puits. Lorsque la chose arriva sur moi, elle me trouva quasiment au dessus des émanations, le briquet brillant à ma main droite.

Lorsque ses appendices s’enroulèrent autour de ma poitrine et me soulevèrent, je sentis autre chose que la douleur. Le soulagement. Celui de savoir que tout allait bientôt être terminé. La chose me porta devant son faciès grotesque et là, chose incroyable, je lui souris.

« Crève, saloperie. »

J’allumai le briquet et le laissai tomber dans le puits.

Ma dernière pensée avant que mon corps ne soit déchiqueté par l’explosion fut pour Elodie et Thomas. J’espérais seulement qu’ils avaient eu le temps de sortir des grottes avant la déflagration.
Epilogue by Yoguany
EPILOGUE


L’explosion les souleva du sol et les projeta sur une dizaine de mètres. On aurait dit que toute la montagne partait en éclats. Quoique David ait eu prévu, il avait réussi.

Mais cela voulait aussi dire qu’il était mort.

Elodie se releva et se tourna vers Thomas. Elle se refusait à penser à David, pas maintenant en tout cas, et préférait se focaliser sur Thomas, lequel était d’une pâleur de craie.

« J’ai mal, Elodie… J’ai mal…
- Je sais. »

Elle se tourna vers l’entrée fumante de la grotte. La sortie n’avait été qu’à vingt mètres de l’endroit où elle avait laissé David. Avec Thomas, il lui a fallu dix bonnes minutes pour les parcourir. Ils commençaient à s’éloigner lorsque l’explosion a eu lieu.

Elodie fut surprise de se retrouver à l’air libre après le cauchemar des galeries, même si elle ignorait où elle se trouvait. Le terrain où ils se tenaient était une vague pente herbue dépourvue d’arbre. Elodie avait ainsi une vue dégagée de la vallée. La lune était haute dans le ciel, sa lumière intense, suffisante pour apercevoir ce qu’elle cherchait.

La bourgade si particulière, avec sa large avenue et ses sept rues qui partaient en éventail d’une grande place, un peu comme une étoile ou un palmier. Le village.

Elle estimait n’être à même pas deux kilomètres du village. Elle regarda Thomas. Sa blessure était horrible et il était vraiment pâle. Elle douta qu’il puisse tenir jusque là. Mais elle l’avait promis à un mourant, elle l’aiderait à trouver un docteur.

Non, ne pas penser à David, ne pas penser à David.

Elle releva Thomas et mit son bras par dessus son épaule.

« Allez, on y est presque. »

Et ils descendirent la colline.

FIN
End Notes:
Et voilà, c'est terminé :)

Je tiens à remercier tous ceux qui se sont intéressés à cette histoire et plus particulièrement à tous ceux qui m'ont fait part de leur impression. N'hésitez pas d'ailleurs à me dire ce que vous en avez pensé de manière générale. Je vous rassure, je ne mords pas et je prendrais toutes les critiques, bonne ou mauvaise ^^.
Et merci à mes correctrices pour l'excellent travail qu'elles ont accompli. Vu la taille de l'histoire et mon niveau en grammaire, elles ont eu une masse de travail assez conséquente et je ne peux que leur adresser un très grand merci pour avoir tenu jusqu'au bout :).

A la prochaine.

Yoguany
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