Summary: Chaque sanglot que je réprimais me semblait être une louange ou une litanie, une oraison sans supplique.
Exploration sur les thèmes de l'intimité et de l'identité.
1. La nuit polaire
2. La rage du monde
Categories: Contemporain Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges: Series: Aucun
Chapters: 2
Completed: Non
Word count: 3061
Read: 391
Published: 09/06/2024
Updated: 14/01/2025
Story Notes:
Déconseillé aux moins de 12 à cause de la thématique de la dépression, explorée de manière relativement détaillée dans la première histoire.
1. La nuit polaire by via_ferata
2. La rage du monde by via_ferata
La nuit polaire by via_ferata
J’essaie parfois de comprendre la nuit et de retracer les événements qui m’ont ramenée à l’aube, mais les souvenirs que j’évoque me semblent non pas troubles, mais presque artificiels. Les mécanismes de ma pensée étaient alors si différents qu’ils me semblent inconnus, et je ne peux exprimer la nuit qu’en terme d’absences et de vides, si profonds qu’ils en devenaient imperceptibles. Si profonds que la vie elle-même, pas à pas, s’effaçait, et qu’il ne demeurait derrière elle qu’une suite de jours ; d’éveils et de sommeils indistincts.
Je m’étais lentement vidée de toute pensée, de toute sensation, de toute réaction, pour n’être plus qu’une enveloppe qui suivait les mouvements du temps qui passe. Je saisissais toujours, je comprenais, j’exécutais même sans problème, mais les choses passaient à travers moi sans éveiller ni marquer, sans parfois laisser le moindre souvenir. Et, quand je pensais aux années écoulées, je me rendais compte que je n’en faisais pas partie. L’image banale de l’automatique qui répète mécaniquement les gestes d’une société entière a quelque chose de vrai. On exécute sans y penser les attentes informulées d’une vie que l’on vit sans être. : on sait ce qu’il faut faire et on le fait, on sait ce qu’il faut répondre et on le dit. On sait qu’il faut sourire, on sent s’étirer ses lèvres.
Rien ne m’a marqué durant la nuit polaire de ma vie, et je n’ai moi-même laissé aucune empreinte sur un monde qui ne me paraissait plus ni froid, ni figé, mais simplement invraisemblable, et presque inexistant. Année après année, cette réalisation me traversait comme les autres, sans que j’aie en moi la force d’y trouver une angoisse, une honte ou un frisson. Année après année, je m’effaçais.
J’assimilais le temps à une attente, et je sais maintenant que cette époque ne sera vraiment passée que quand cette manière de voir les choses aura si bien disparu de moi qu’elle me semblera étrange et difficilement explicable.
Mais il y a dans l’homme quelque chose de changeant, ou du moins quelque chose d’ouvert au changement, quelque chose qui accepte qu’on puisse soudain distinguer avec évidence ce qui jusque là n’était qu’une accumulation de poussières invisibles.
J’avais désormais en moi une présence, une présence qui ressemblait presque à un espoir, et qui donnait un nom aux vides qui m’habitaient. Une présence qui doucement remplaçait des angoisses que je n’avais jamais eues. Des angoisses que je n’avais peut-être plutôt jamais reconnues – que j’avais été trop atone pour ressentir – et dont je ne pouvais maintenant reconnaître le joug que parce qu’elles faiblissaient.
Cette présence était peut-être une attente : plus qu’un soupçon et moins qu’un espoir, elle me semblait changeante et indéfinie. Je ne savais pas ce qu’elle était, je ne savais pas ce qu’elle signifiait. Je n’aurais pas même pu dire si elle venait vraiment de moi. Elle me semblait parfois n’être rien d’autre qu’une inquiétude difficile à définir. Peut-être était-ce l’impatience que réveillent dans la nature les premiers frémissements du printemps, quand un vent doux souffle légèrement plus chaud que l’air.
Quelque chose d’imperceptible, d’intime, et de nouveau se sentait prêt.
Quelque chose qui voulait prier sans connaître de dieu à qui s’adresser, quelque chose qui voulait pleurer de joie, d’ébahissement ou de douleur. Chaque sanglot que je réprimais me semblait être une louange ou une litanie, une oraison sans supplique. Je ne savais pas ce qui m’arrivait, ni où j’allais, je n’avais pas de plans, mais j’avais en moi cette énergie nouvelle qui cherchait à comprendre, qui voulait construire, courir, conquérir.
Et pourtant, j’avais régulièrement l’impression d’être face à un vide, et de passer en un instant du vertige des possibles au gouffre des absences qui demeuraient en moi.
Je me sentais toujours incapable d’envies, de désirs et de rêves, et l’élan qui me prenait semblait paraître autour de moi et m’emporter plus que venir de moi. Ce qui naissait, je ne pouvais donc l’appeler qu’une ambition nouvelle, définie par des critères froids et objectifs, guidée par le calcul et la certitude. Jamais plus je ne connaîtrais la chaleur ronde et confortable de l’espérance. Il me semblait évident ma vie ne serait plus faite que de ces ambitions, constructions artificielles qu’un adulte fait sans instinct ni passion, mais c’était déjà trop pour mes émotions frigides.
Je ne savais que faire de cette énergie qui ressemblait tant à de l’enthousiasme, moi qui n’étais plus capable que de choix et de sélections. Je m’élançais en de longues marches à travers la campagne un jour, pour rester immobile le lendemain, presque tétanisée, et j’observais sans un mouvement les vibrations de ce feu en moi.
J’avais cru jusqu’alors que seuls les rêves pouvaient générer la force qui nous ancre dans le monde et fait mouvoir nos vies, mais je découvrais maintenant une force nouvelle, une force paisible sans créativité, qui n’ancrait et ne mouvait que ma propre respiration. J’appris bientôt que chaque expiration peut bouleverser le monde et constituer une vie en soi.
C’était le rythme doux et impérieux de ces expirations qui me guidait dans mes meilleurs moments. Elles gonflaient en moi, et emportaient avec elles un torrent confus, me laissant pleine, c’est-à-dire faite d’un vide harmonieux. Elles devenaient la vibration imperceptible que je percevais du monde. Parfois, il me semblait qu’elles émanaient peut-être de moi, d’un sourire si profond que mon visage n’arrivait à l’exprimer, et qui grandissait donc dans mon ventre et ma gorge.
Mais le plus souvent, je me laissais submerger par ces sensations inconnues. J’étais traversée par des pensées que j’étais incapable de concentrer en idées. L’énergie qui m’habitait devenait frénétique, et je cherchais furieusement un projet, auquel m’accrocher, de crainte de perdre ou de gaspiller cette vie nouvelle. Une panique désespérée me lançait tantôt dans l’apprentissage d’une langue qui ne m’avait jamais intéressée, tantôt dans la lecture de livres dont les pages m’évoquaient plus un devoir qu’un plaisir. Je m’engageais un jour dans des causes dont je ne me souciais le lendemain que par honte de mon inactivité.
Ces épisodes réguliers m’emportaient avec violence et me laissaient échouée, épuisée, sur des rivages toujours inconnus. Je confondais calme et engourdissement, paix et indolence, douceur et langueur, sans pour autant mettre de mots sur ces idées qu’un courant trop rapide emportait avant que j’aie pu les discerner.
Quiétude et tumulte m’avaient longtemps été inconnus, je ne savais que faire de l’une comme de l’autre, et j’ignorais comment les familiariser. Avec qui aurais-je pu parler ? A qui aurais-je pu demander : « Comment vit-on ? Comment s’accorde-t-on de son temps ? Comment sait-on que faire ? » Je me savais seule, sans me sentir isolée. Je contemplais sans m’en soucier le trouble qui me prenait entre deux instants d’une sérénité sans nom.
Il suffisait parfois du chant d’un oiseau, ou d’un rayon de soleil, d’une bourrasque fraiche par une journée chaude pour me tirer de l’excitation la plus intense et me plonger dans une émotion ronde, d’abord extatique, presqu’amoureuse, qui devenait très vite douce et apaisée.
Je ne comprenais pas non plus ce qui m’entraînait dans les flots tumultueux de ma quête de sens. Un silence que j’avais savouré, devenait brusquement angoissant, et il suffisait qu’un mot me vienne à l’esprit pour qu’une nuit trop courte se transforme en angoisse sans fin. C’étaient souvent les plaisirs dont j’avais le plus agréablement profité qui éveillaient ma fébrilité.
Mais le temps passe et l’on se fait à tout. J’appris doucement quelles pensées me tourmentaient, quelles craintes m’habitaient. J’appris à me satisfaire plus longtemps, non seulement d’un sentiment de plénitude, mais aussi des petites choses qui traversent la vie sans la remplir. J’apprends encore aujourd’hui que ce n’est pas de la résignation, pas même de la patience, que de se contenter d’être. Je cherche encore les mots qui formuleront cet état, ce fait de vivre sans beauté ni grandeur. Les termes qui, s’ils existaient, justifieraient tout. C’est impossible, bien sûr, et je réalise bien que je dois simplement cultiver en moi cette énergie qui a apporté avec elle un jour nouveau, mais c’est un savoir théorique, abstrait, dont je ne me suis pas imprégnée.
End Notes:
J'essaie de renouer avec l'écriture avec ce petit texte. J'espère qu'il vous aura plu. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez :)
La rage du monde by via_ferata
Et tu ne saurais dire ce qui avait changé, son regard ou le tien, ou la densité de l’air entre vous, mais un jour les choses t’ont soudain frappée de leur différence. Tu marchais sur une plage dont le sable se dérobait sous tes pas.
Ce n’était pas exactement désagréable, ce n’était pas exactement détestable, ce n’était pas même vraiment un tourment. Son rire restait comme le soleil sur ton visage, mais tu te sentais déplacé, littéralement posé en un lieu inconnu, et rien ne te semblait plus réel – ni vos conversations, ni sa main qui pressait un instant sur ton épaule dans un salut muet quand elle te rejoignait au café alors que tu étais déjà pris dans une conversation.
Tu n'aurais pas pu jurer que Melissa aussi le sentait, bien sûr, mais tu croyais reconnaître une hésitation dans son regard, et tu maudissais ce trouble qui paraissait vous interdire connivence et intimité. Mais tu jouais sans un mot ton rôle au monde, et tu prétendais auprès d’elle être le même que toujours. Tu n'avais pas de nom à donner au changement qui se faisait aux confins de ta perception, pas même de mots à mettre sur les sensations frémissantes qu’il éveillait. A chaque réveil, tu t’imposais les mêmes sourires, plus figés aujourd’hui qu’hier, plus forcés demain sans doute. Les mêmes réponses aux mêmes questions, les mêmes questions aux mêmes silences, les mêmes silences aux mêmes regards.
Ce n’était pas la fin d’une passion trop longtemps traînée, tu l’aimais, quelque chose de viscéral, mais tu n’en pouvais plus de répéter pour cet amour ce quotidien que tu forçais toi-même.
C’était quelque chose de dur et de tendu en toi qui semblait arracher à vos échanges toute spontanéité, toute vérité. Arracher, vraiment, comme on tire la peau d’un poulet pour la séparer des blancs, et qu’un instant la résistance souple des chairs semble étirer le temps, pour n’être bientôt plus que l’odeur écœurante de l’animal mort.
Tu détestais cette gêne presque physiquement douloureuse qui vous séparait, et ça te rongeait, ça te travaillait autant que les premières affres de l’amour, quand chaque instant était une joie et une crainte mêlées, un questionnement presque glorieux d’anticipations confuses.
Et parfois un mot aigre t’échappait, et peut-être que ses silences ressemblaient plus à de la douleur, et les tiens à de la rancœur. Mais dès qu’elle s’éloignait, son parfum te hantait, et sa voix susurrait des espoirs que tu t’ignorais à ton oreille.
Tu étais perdu.
Il y avait d’autres mots, bien sûr, ceux que tu aurais pu dire, ceux que tu aurais dû dire, ceux que tu retenais et ceux qui sortaient dans un flot confus quand tes pensées te dépassaient tant qu’elles débordaient, mêlée de toutes tes vases, des boues inconnues de tes doutes et de tes peurs ; et tu te voyais, tu te regardais, presqu’externe à toi-même, tandis que ce courant de paroles inconnues t’échappait. Une part de toi les voyait venir, les jaugeait, les formulait avec une familiarité que tu ne comprenais pas, tantôt qu’une autre était tétanisée, si tétanisée que certains muscles devaient s’être ankylosés, tant la douleur dans ton cou et derrière tes côtes se faisait forte.
Et parfois, c’était presque un soulagement que tu te refusais à reconnaître, cette douleur physique qui te permettait de donner un nom à ton mal-être, de cacher tes humeurs derrières des sensations réelles et légitimes. Parce qu’y avait-il d’autre ? Qu’aurais-tu pu dire de ta frustration grandissante ? Tout allait bien, et tu avais beau chercher, tu ne te connaissais pas de raisons d’insatisfaction.
Tu étais persuadé que c’était simplement quelque chose entre toi et elle qui gonflait et prenait un volume sur elle, un volume sur toi, jusqu’à vous laisser pressés, compressés par le silence en les non-dits. Mais peut-être que les choses étaient plus compliquées. Peut-être que quelque chose s’était brisé en toi, et que c’était ça qui avait libéré les flots. Parce qu’à l’école aussi, ça devenait difficile.
Avec les élèves, ça allait généralement. Tu arrivais la plupart du temps à garder un ton ironique un peu lointain quand ils testaient tes limites. Mais parfois tu sentais cette boule, cette boule qui gonflait en toi et qui était faite des mêmes silences, du même air lourd que celui que tu ressentais dans l’intimité de votre relation. Et cette boule voulait hurler et énoncer les mots bruts, incisifs que tu regretterais jusqu’à la fin de tes jours, ou plutôt le hacher, les mordre, les écraser et les tordre à mesure qu’ils sortaient, parce que c’était tout ce qu’il te restait à faire, réduire ce que tu créais à ce à quoi tu étais réduit.
Mais tu te maîtrisais encore. Dans la salle des profs, les choses étaient différentes, mais qui aurait pu t’en vouloir de répondre enfin à Gérard et à sa fierté hautaine ? Et si ton ton n’avait pas été si empli de haine, qui n’aurait pas ri de la réflexion que tu avais faite à Claire ?
Non, c’était avec les parents que tu avais le plus de mal. Ces êtres mesquins qui n’avaient fait d’enfants que comme d’autres partent en vacances, parce que c’est ce qu’on fait. Tes parents qui pensaient comprendre – comprendre quoi, ils auraient été bien en mal de le dire. Ce n’étaient certainement pas leurs gosses qu’ils comprenaient, ni le monde qu’ils découvraient, ou les matières qu’ils apprenaient, ni même la raison d’être de l’école. Objectifs sans vision. Affection sans amour. C’était des pense-petits, des êtres perdus qui n’avaient pas l’envergure de leurs ambitions. Et parfois, leurs remarques éveillaient en toi cette rage qui semblait maintenant omniprésente, et dont tu ne savais qu’en faire.
Maîtriser, canaliser, détourner, catalyser, tu ne savais quoi faire. L’origine même de cette boule dévorante en toi te semblait confuse. On ne pouvait en toute bonne foi plus parler de problèmes de couple, il y avait maintenant quelque chose d’universel dans cette colère annihilant qui te prenait à tout moment. Quelque chose en toi haïssait le monde, quelque chose dont tu te sentais toi-même profondément déconnecté et que tu ne comprenais pas. Ces deux êtres coexistaient et s’ignoraient – tu pourrais sans doute dire que leurs existences simultanées te terrifiaient tant que tu les ignorais de toute la force de ton être. Peut-être était-ce même l’intensité que tu mettais à les ignorer qui nourrissait. Qui nourrissait ta colère, la rage du monde des dernières fibres de ta détresse. Mais pour chaque couche qu’on arrachait à ta sensibilité à vif, une nouvelle se formait, inconsistante, presqu’inutile, mais juste assez là pour faire subsister encore cette dualité que tu étais devenu. Tu avais l’âme à fleur de peau et les jours qui passaient te semblaient maintenant être la parade d’honneur d’un accomplissement inéluctable, d’un dénouement qui tardait à se présenter.
Et pourtant rien ne se passait, la rage gonflait, tu la contenais et tu t’amenuisais. Tu avais perdu depuis longtemps le confort de la compagnie de tes proches. Tu n’étais pas exactement isolé, tu voyais tes élèves tous les jours, tes collègues, les parents, mais tu n’avais plus l’impression d’être capable de partager ou d’échanger. La parole était devenu un acte strictement social, l’outil d’échanges obligatoires. Melissa et toi étiez en pause, et tu gardais une assez bonne compréhension des mots pour savoir que les choses étaient simplement finies entre vous. Tu rendais visite à tes parents un dimanche sur deux, et tu t’étonnais chaque fois que tu fermais la porte derrière toi que personne ne voie le vide en toi, qui était tellement plus large que toi, qui t’avait empli sans de donner de consistance.
Tu étais seul avec toi-même, et rien ne vint que l’effondrement de ton être.
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