La Grande roue by MelHp7
Summary:

Kyle va jouer au stand de tir à la carabine lors de la fête foraine automnale. Il ignore encore que cette journée provoquera un tournant irréversible dans sa vie.


Categories: Tragique, drame Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Des histoires sous contrainte
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 1083 Read: 927 Published: 29/10/2023 Updated: 01/11/2023
Story Notes:

J'ai indiqué que c'était tragiqué, alors soyez en certain·e, c'est tragique. Mais pas que !

1. Chapitre unique by MelHp7

Chapitre unique by MelHp7
Il croyait être dépourvu d’émotion, jusqu’à cet accident.

Sa mère s’était une fois de plus débarrassée de lui en l’envoyant jouer avec Randy à la fête foraine automnale. Kyle n’avait pas conscience qu’elle sombrait dans l’alcoolisme depuis le départ de son père. Un mécanisme de défense psychologique lui interdisait même d’y penser. En réalité, tout ce qui lui importait c’était de pouvoir dépenser quelques dollars dans les jeux de tirs à la carabine en espérant repartir avec un ou deux lots. Randy avait d’autres projets. Son truc à lui, c’étaient les manèges à sensation. Il ne jurait que par ça, même si tous les ans son teint virait au vert et qu’il manquait de rendre son goûter. La vie était faite de paradoxes et courir après une envie de vomir était plus fréquent qu’on ne le pensait. 

Le doigt sur la gâchette, l’œil droit fermé et la langue coincée entre ses dents, Kyle tira.

— Dans le mile !

Le forain se mordit l’intérieur de la joue et pria pour que ce sale gamin attire d’autres joueurs moins chanceux. Pour la troisième fois depuis le début de la partie, le plomb du garçon finissait au centre de la cible rouge. Pas un seul tir manqué. Encore deux et il pourrait prétendre au gain qui lui faisait de l’œil : l’espèce de dinosaure vert et rouge qui pendait au dessus du stand. Avec des dents aussi pointues que celles d’un requin, il donnait l’impression d’être sur le point de lui dévorer la tête.

Kyle se replongea dans une profonde concentration, ignorant le brouhaha ambiant. La musique suraiguë, les commerçants racoleurs, le moteur des machines à faire les chichis, le bras mécanique de la grande roue et les cris de joie des ses passagers. Ce mélange de sons devint un bourdonnement de fond. Il visa à nouveau la cible. Il tira et agrandit le trou du milieu. Quatre. Si jamais il manquait le cinquième tir, il se rabattrait sur le gorille miniature. Sa mère aimait bien les singes. Au moment de tirer son dernier coup de fusil, le comptoir du stand trembla. Déséquilibré, son coude flancha et le plomb se logea sur le mur, à dix centimètres de la cible.

— Non ! Je veux recommencer, vous m’avez fait bouger !

En prise à une injustice profonde, Kyle balança le fusil sur le comptoir et s’aperçut que le forain n’était plus là où il se tenait une minute auparavant. Une odeur de brûlé parvint à ses narines pourtant encore embrumées de la senteur de la barbe-à-papa. En tournant les talons Kyle vit le forain fixer un point en altitude. La terreur se lisait dans ses yeux, il avait l’air paralysé. Le garçon lui agrippa le t-shirt.

— Monsieur, faut me laisser rejouer. C’est pas juste.

— Mon dieu…

Non seulement il n’avait pas l’intention de le laisser retenter sa chance, mais en plus il n’allait pas bouger d’un pouce. Un départ de feu était à l’origine de cette odeur de cramé. Kyle ne s’en était pas rendu compte tout de suite, mais la musique s’était arrêtée et les machines ne tournaient plus. Les flammes s’élevaient à plus de deux mètres, prolongées par d’épais nuages de fumé. Elles emprisonnaient tous les gens qui étaient montés, le cœur en joie, dans la grande roue. Doucement, progressivement, comme lorsqu’on remonte à la surface après une apnée à cinq mètres de profondeur, Kyle les entendit. Les hurlements. Il y en avait deux types. D’abord, celui empreint d’une peur face à une effroyable certitude, la mort inévitable. Tous les enfants coincés dans leur nacelle soudainement étriquée savaient qu’ils pousseraient bientôt le deuxième type de cri. Celui empreint de douleur, intense et incontrôlable que poussaient les gens en train de brûler vifs. A ces hurlements s’ajoutait le crépitement mélodieux du feu et le craquement du bois. Bouche-bée devant le spectacle de cette symphonie macabre, Kyle en oublia Randy. Si son cœur palpitait comme après une course, ça n’était dû ni à la peur ni à l’angoisse de ne plus jamais revoir son copain d’école. C’était de l’excitation pure.



Seules deux personnes survécurent à ce tragique accident électrique. Les quatre-vingt deux autres succombèrent en grande majorité à leurs brûlures, avant même que les pompiers n’arrivent. Quelques uns se tuèrent en sautant des trente-cinq mètres de haut pour échapper aux flammes. Les derniers moururent des suites de leurs blessures, à l’hôpital. Randy, en dur à cuir, fut de ceux-là. Kyle lui rendit visite une fois par jour, chaque soir après les cours avec l’intention morbide de voir dans les yeux de son camarade les atrocités auxquelles il avait assisté. Dans l’unique but de ressentir cette osmose, que le plus joli bruit du monde, ces hurlements d’horreur, ressurgissent et le transcendent. En réalité, ça ne faisait pas illusion. Et Randy rendit son dernier souffle au bout d’une semaine de soins intensifs.



Comment ressentir à nouveau ce frisson de plaisir extrême ? Les accidents de grande roue restaient exceptionnels. D’ailleurs, la fête foraine automnale ne fut pas reconduite pendant trois années de suite. Le temps de laisser couler l’eau sous les ponts du scandale meurtrier. La quatrième année, les familles toujours en deuil refusèrent qu’on installe une grande roue.

Visionner des accidents à la télévision, regarder des films d’horreur, écouter les informations des reporters de faits divers… Kyle grandit en essayant de retrouver cette sensation. Mais rien de tout cela n’était à la hauteur. Ça provoquait à peine un frémissement. Il comprit que l’intermédiaire d’un appareil altérait son expérience. Il lui fallait être sur les lieux, entendre et voir en temps réel. Mais devenir le témoin d’un accident mortel relevait de l’anecdote, presque du miracle. Alors, il n’existait qu’une seule solution. Provoquer les circonstances.
End Notes:
Pour cette histoire, Pikenikdouille avait choisi le thème suivant : "Le plus joli bruit du monde". Certaines personnes auraient probablement pensé aux pleurs d'un nouveau-né ou à une mélodie, peut-être même au chant des oiseaux... Moi, j'ai pensé au cri d'agonie des mourants.
Cette histoire est archivée sur http://www.le-heron.com/fr/viewstory.php?sid=2592