Summary: Hasard ou foudre omnisciente ! Pierre et Sylvie reproduisent la foudre en boule dans un synchrotron et disparaissent dans une orbe d'éclairs et de sifflements. Trente ans plus tard, un jeune couple électrocuté lors d'un orage est transporté d'urgence à l'hôpital de Grenoble. Bien qu'il soit cliniquement mort, la réalité est toute autre !
Categories: Fantastique Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Aucun
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges: Series: Aucun
Chapters: 1
Completed: Non
Word count: 5085
Read: 1100
Published: 02/07/2023
Updated: 02/07/2023
1. Brontoscopie by leonce caliel
Brontoscopie by leonce caliel
Des bruits de talons résonnèrent sur le sol, Pierre sentit un doigt ganté soulever sa paupière droite, puis l’autre. Un bref éclair frappa ses pupilles, et un haut de cœur le surprit alors qu’un tuyau était retiré de sa gorge par des soignants. La luminosité d’un soleil au zénith l’empêcha d’ouvrir les yeux, puis des tâches multicolores s’agitèrent devant lui. Soudain un timbre de voix éléphantesque lui signifia :
— Bon retour parmi nous, monsieur Latour, vous l’avez échappé belle !
Pierre, en arrêt image sur l’interne, tourna ensuite la tête vers son épouse, Sylvie, couchée dans le lit voisin, qui émergeait aussi du coma, en formant des bulles avec la bouche après le retrait de la sonde. Il lui adressa un sourire matois et soupira de satisfaction.
Le directeur de l’hôpital qui était en congrès à Rome, écourta son séminaire dès qu’il apprit la nouvelle, et attrapa le dernier vol pour Grenoble. La famille du jeune couple fut prévenue alors qu’elle se trouvait aux pompes funèbres pour préparer le futur enterrement.
Les chefs de service se consultèrent en catimini, car aucun n’aurait pu prévoir ce qu’il était arrivé. Malgré un électroencéphalogramme plat depuis l’accident, attestant un coma irréversible, Noémie et Léo s’étaient réveillés trois semaines plus tard.
Sylvie poussa un cri tandis qu’elle dévisageait son mari et réclama un miroir au corps médical. Sa sidération fut telle qu’elle resta bouche bée pendant cinq minutes. L’infirmière en chef, Elisabeth Carrée, l’interpella en douceur.
— Quelque chose vous tracasse, Noémie ?
La cinquantenaire avait rajeuni de vingt-cinq ans et observait son nouveau visage poupin aux yeux bleus cachés sous une frange noire épaisse. À ses côtés, Pierre était le sosie de James Dean, éternel adolescent rebelle.
— Pourtant je lui avais bien dit que je n’étais pas d’accord avec son plan, marmonna entre ses dents, Sylvie.
— Que voulez-vous dire Noémie ? Je ne comprends pas, s’étonna Elisabeth.
— D’abord, arrêtez avec votre Noémie, je m’appelle Sylvie Dumont et l’ignoble individu dans le lit voisin est Pierre Dumont, mon époux. Nous sommes tous deux chercheurs au synchrotron.
Le mari coupa la parole à sa moitié, les yeux écarquillés.
— Ne l’écoutez pas, la foudre lui a fait perdre l’esprit !
Le professeur de neurologie s’insurgea du comportement de son patient.
— Léo, un peu d’indulgence voyons ! Vous étiez en mort cérébrale ainsi que Noémie, et vous êtes revenus à la vie comme par miracle. Néanmoins, je vous excuse à moitié, le responsable est davantage le stress traumatique causé par l’électrocution.
Des noms d’oiseaux fusèrent dans la chambre dès que le couple se retrouva seul, tant et si bien que la direction préféra les séparer. Alors que la famille accourait au chevet du fils ressuscité, visite ponctuée par des larmes et d’innombrables embrassades, sa compagne refusa toute confrontation sans fournir d’explications.
Elisabeth Carré avait repris son service à l’accueil et repensa aux paroles de Noémie. Trente ans plus tôt, l’infirmière avait intégré l’établissement médical comme stagiaire au moment du drame du synchrotron. Elle pianota aussitôt sur Google, pour se remémorer l’effroyable évènement qui avait fait la une des quotidiens de l’époque.
Sur une page du journal, Le Dauphiné, datant du 22 juin 1993, des témoins avaient affirmé qu’une explosion avait retenti la veille à 17h02 dans le synchrotron de Grenoble. Cette détonation les avait interrompus dans l’exercice du yoga en salle, et une foudre globulaire avait effectué une danse machiavélique dans le ciel grondant d’éclairs avant de s’éclipser. Bien que les pompiers soient intervenus rapidement, le couple d’apprentis sorciers qui reproduisait le phénomène de la foudre en boule en laboratoire avait tout bonnement disparu.
Sylvie et Pierre, juste avant le drame s’apprêtaient à sabrer une bouteille de Don Pérignon dans le laboratoire pour fêter l’expérience. Cependant, en ouvrant la porte du four, Pierre vit la foudre globulaire, qui était réduite à un amas de poussière, s’échapper puis léviter dans la pièce jusqu’à la formation d’une nouvelle foudre en boule. Aussitôt, le couple fut happé par la sphère orange qui explosa la vitre du bâtiment avant de disparaître dans un festival d’orbes électriques et de sifflements.
Quelques instants plus tard, le scientifique tressauta quand il s’aperçut flottant dans les airs aux côtés de son épouse encore dans les vapes. Il tâcha de la toucher, mais elle n’était plus qu’un hologramme. Il héla alors Sylvie jusqu’au moment où ses paupières s’ouvrirent.
— Sylvie, je crois que nous avons raté notre essai !
— Foutredieu ! Qu’est-ce qu’il nous arrive, Pierre !
— À mon humble avis, nous sommes en train d’expérimenter un état de décorporation.
— Pourtant, je ne vois pas de tunnel lumineux ni d’anges pour nous accueillir dans l’au-delà.
— Allons à la pêche aux infos jusqu’à l’hôpital de Grenoble ! C’est à cinq minutes à vol d’oiseau.
Les entités désincarnées des chercheurs foncèrent sur la porte du bâtiment qui tournoya à la vitesse de l’éclair, puis elles écoutèrent les bruits de couloir. Un poste de télévision, installé en hauteur dans la salle d’attente, diffusait les images du synchrotron dévasté par la foudre globulaire. Les pompiers équipés de masques parcouraient le laboratoire enfumé à la recherche des victimes.
Sylvie interpella son mari.
— Regarde Pierre ! nous faisons la une du journal télévisé.
— Bordel ! j’ai tout foiré. Je ne vois qu’une explication possible, la foudre en boule a atomisé nos corps.
— Alors, pourquoi sommes-nous encore conscients de ce qui nous arrive ? hoqueta, Sylvie.
— Je dirai que notre esprit s’est dissocié de notre enveloppe corporelle pendant l’attaque de la foudre. Pour des intellectuels comme nous, on s’en est plutôt bien tiré, n’est-ce pas ?
— Tu plaisantes ? Nous sommes devenus des fantômes en errance dans un hôpital. Et notre fille Stéphanie est maintenant orpheline, c’est un vrai cauchemar, si au moins je pouvais la rassurer, faire quelque chose.
— Laisse-moi réfléchir un instant au lieu de bougonner comme une vieille femme, grogna Pierre.
— Même à l’état d’ectoplasme, tu es toujours aussi infect !
— Eurêka, j’ai une idée !
— Laquelle ?
— Et bien, si nous dénichons des corps électro-compatibles, nous reprendrons forme humaine.
— Quoi ? Tu veux voler les corps d’humains décédés qui reposent à la morgue.
— Non, tu n’es pas sur la bonne longueur d’onde, Sylvie. Nous devons nous incorporer dans des individus en état végétatif qui sont maintenus en vie sous respirateur.
— Bon sang ! Tu veux maintenant assassiner des innocents.
— Vraiment, tu me déçois après vingt ans de mariage. J’ai une solution humainement acceptable à t’offrir et tu fais la fine bouche.
— Alors, crache le morceau !
— C’est la saison des orages, d’ici quelques jours ou quelques semaines, des patients victimes d’électrocution atterriront dans le service de réanimation.
— Et nous allons leur piquer leur identité avant qu’ils ne se réveillent, c’est bien ça ?
— Par éthique, nous nous intéresserons uniquement aux personnes en état de mort cérébrale.
— Mon pauvre vieux, je crois que la foudre t’a grillé les neurones et ôté tout sens moral. Je préfère rester un fantôme digne qu’une usurpatrice. J’espère que Stéphanie et Orion surmonteront notre décès, ma pauvre petite comme elle me manque déjà.
— Sylvie, tu vas mourir d’ennui à arpenter les couloirs de cet hôpital sans but. Réfléchi ! Nous continuerons nos recherches sous une autre identité, et qui sait, je décrocherai enfin le prix Nobel sur les nanoparticules de silicium qui constitueront les voiliers solaires de l’espace.
— Arrête de prendre tes désirs pour des réalités, Pierre, nous sommes déjà trépassés. Tu n’as même pas une pensée pour notre fille et Orion, seul compte ton ego démesuré.
Trois décennies s’égrenèrent ensuite dans une routine qui avait anéanti tout espoir de réincorporation. Le couple de chercheurs s’abêtissait à regarder les programmes télévisés qui défilaient en boucle sur les écrans. Ils visitaient aussi les hospitalisés en jonglant avec les ustensiles médicaux ou en jouant aux fantômes avec les draps pendant la nuit.
Cependant, le 21 juin 2023, un appel du service de coordination des urgences leur apprit qu’un jeune couple de randonneurs avait été retrouvé inconscient par des secouristes lors d’un violent orage dans le Dauphiné. Sylvie et Pierre guettaient avec impatience l’arrivée de l’ambulance en tripotant la porte tournante qui s’endiablait comme un carrousel à images. Elisabeth, intriguée par ce manège incessant, laissa tomber son listing dans la bannette et se dirigea vers l’entrée pour mettre fin à ce cirque.
Soudain, un véhicule de pompiers, toute sirène hurlante, déboula dans le sas des urgences et une équipe de soignants prit immédiatement en charge les infortunés.
Pierre jubila en bondissant jusqu’au plafond.
— Enfin, le grand moment est arrivé, Sylvie, nous allons reprendre le cours normal de notre existence.
— Tu les as bien regardés, Pierre ? Ils pourraient être nos enfants.
— C’est dommage en effet, mais nous sommes étrangers à cette tragédie. Tiens-toi prête, car nous devons être réactifs, s’ils sont débranchés, le jus sera coupé et l’incorporation rendue impossible.
Le couple de chercheurs s’introduisit dans la salle de réanimation autour des médecins affairés qui intubaient leurs patients et traversaient les spectres pour brancher les machines qui bipaient en cacophonie. Alors qu’ils surveillaient leurs futurs hôtes, Pierre et Sylvie furent aimantés par leur nouvelle entité puis fusionnèrent avec elle en une fraction de seconde.
*
Elisabeth avait passé une nuit blanche à ressasser le drame du synchrotron. Malgré ses soixante ans, sa peau de porcelaine constellée de taches de rousseur semblait défier le temps. Elle se donna un dernier coup de brosse avant d’ajuster ces lunettes rondes en écailles puis rejoignit l’hôpital.
L’infirmière débuta son service par la chambre de Noémie. La jeune femme avait les yeux rouges et la mine défaite.
— Bonjour mademoiselle Noé…
Elisabeth s’interrompit face au regard assassin que lui lança Sylvie.
— Décidément, personne ne veut admettre la vérité. J’ai beau répéter aux soignants que je suis Sylvie Dumont, et expliquer comment j'ai accaparé le corps de Noémie, vos collègues pouffent de rire.
— Rassurez-vous, je ne suis pas venue ici pour me moquer. Je me souviens de l’accident du synchrotron en 1993. Cet évènement a certainement marqué votre mémoire pour une raison que j’ignore.
— Impossible ! Noémie est née cinq ans après ma disparition, et le synchrotron a été pulvérisé pendant l’explosion. Par conséquent elle n’a pu me rencontrer de mon vivant ni visiter le laboratoire de physique. Pire, mon époux et moi, en état de larve ectoplasmique, avons transmigré dans les corps du jeune couple, nous sommes donc à juste titre des usurpateurs. Cependant, je n’étais pas partante pour cette expérience immorale, mais à proximité de Noémie, j’ai été happée par une force surhumaine qui m’a obligée à fusionner avec la demoiselle.
Des coups frappés contre la porte stoppèrent la discussion. Une géante sénégalaise aux dreadlocks roses fit son apparition.
— Bonjour, Noémie, je suis Mariama la psychologue clinicienne, j’ai besoin de m’entretenir avec vous en privé. Elisabeth, vous pouvez nous laisser ?
Mariama attendit que l’infirmière ait quitté les lieux, avant de s’exprimer.
— J’ai préféré patienter quarante-huit heures avant de vous apporter la bonne nouvelle, vous êtes enceinte de deux mois.
— Quoi ?!
— Mademoiselle André, vous allez être maman.
Sylvie s’effondra en larmes et se cacha sous les draps. Mariama haussa la voix.
— Excusez-moi, mais je pensais que vous seriez ravie d’apprendre l’heureux évènement. J’aimerais savoir si votre désarroi est lié au différend qui vous oppose à votre compagnon ou si vous n’êtes pas prête à devenir mère ?
Sylvie rabattit la couverture avant de réapparaître les cheveux en pétard.
— Pierre est au courant ?
— Je vous rappelle que votre compagnon se prénomme Léo, et que vous êtes la première informée.
— Par conséquent, ne lui dites rien !
— Je conçois que vous ayez vos raisons, mais comme vous n’êtes pas mariée, la paternité n’est pas établie d’office et l’avenir de votre petit me préoccupe.
— Bon sang ! Alors vous n’auriez pas débranché Noémie jusqu’à la naissance du bébé ?
— Dans l’hypothèse où vous ne vous seriez pas réveillée, nous aurions tenté de préserver vos fonctions vitales jusqu’aux termes de la grossesse pour sauver l’enfant. Je dis bien hypothèse, car c’est un parcours du combattant qui n’est pas gagné d’avance.
Mariama roula les yeux et soupira en tapotant son stylo sur le dossier médical.
— Noémie, je vais demander votre transfert dans mon service, vous avez besoin d’un suivi psychiatrique.
— Et concernant Pierre ?
— Encore Pierre ? De qui me parlez-vous enfin ?
— De mon mari, pardi !
— Votre conjoint se prénomme Léo, il a reçu l’autorisation de quitter l’hôpital aujourd’hui puisqu’il ne présente plus aucune séquelle de l’accident. D’ailleurs, ses parents viennent le chercher en fin de matinée avant de regagner Lyon.
— Lyon ?
— Bien sûr, puisque vous êtes tous deux étudiants en cinquième année de fac de médecine.
— Mais, je vous répète qu’il y a erreur sur la personne, Pierre squatte le corps de Léo comme moi celui de Noémie.
— Je suis désolée, mais je dois partir, mademoiselle André, d’autres patients m’attendent.
Un instant après, Sylvie entendit Mariama qui chuchotait derrière la porte, la psychologue passait ses consignes à l’infirmière. Tout individu normal n’aurait pu ouïr la conversation.
« J’ai lu dans son dossier médical qu’elle était pupille de la nation, et son compagnon semble indifférent à son état de santé. Je vais devoir l’informer de la grossesse de Noémie, j’espère qu’il va se monter plus compatissant et s’occuper enfin d’elle ».
« Mariama, c’est étrange que ce jeune homme réclame à cor et à cri l’internement de sa compagne, j’ai comme l’impression qu’il désire se débarrasser d’elle ».
« Il va bien falloir qu’il assume sa paternité ! Oups, on me bipe, je vous recontacte en fin de journée pour faire un point sur la situation ».
Elisabeth réapparut dans la chambre de Sylvie, en s’efforçant de sourire.
Sa patiente l’interpella d’un filet de voix.
— Voudriez-vous m’aider à sortir de ce cauchemar, madame Carré ?
— Si je suis en mesure de le faire, bien sûr ?
— Alors, rendez visite à Virginie Dumont, je pense qu’elle est dans l’annuaire. Demandez-lui si elle a pris soin d’Orion pendant mon absence. Ce husky souffrait de la maladie orpheline de Vogt et je lui administrais un traitement spécifique prescrit par le vétérinaire Paul Mijoux.
— Si j’ai bien compris, vous me sollicitez pour rencontrer un proche des chercheurs du synchrotron ?
— Tout à fait, comme Pierre refuse de se rallier à ma cause, c’est le seul espoir qu’il me reste.
— Attendez une minute, ce n’est si simple ! Je suis tenue au secret médical, supposons que j’accède à votre demande et que l’affaire s’ébruite, je risque de perdre ma place.
— N’ayez crainte, quand vous révélerez ces propos à ma fille, elle ne fera pas d’esclandre.
— Votre fille ?! Mais quel âge a-t-elle au juste ?
— D’après mes calculs, Virginie a cinquante ans aujourd’hui.
— Attendez ! Elle a deux fois votre âge, c’est bien ça !
— Virginie avait vingt ans lors de ma disparition, le temps a fait son œuvre, c’est purement mathématique.
— Je risque de me retrouver au chômage, mais aussi d’atterrir aux urgences psychiatriques si l’entrevue avec votre grande fille se passe mal.
— Malheureusement, je n’ai plus qu’elle au monde et Pierre s’est détourné de moi. Il s’est approprié sa nouvelle identité tel un acteur de cinéma qui décroche un rôle. Or j’ignorais qu’il me trahirait après un demi-siècle de vie commune. Je vous en supplie, aidez-moi à rejoindre Stéphanie.
De retour chez elle, Elisabeth arpenta son appartement de long en large, bouleversée par la sincérité de sa patiente. Au bout d’une heure de tergiversations et de papouilles à Einstein, son chat angora, elle ouvrit son portable et se connecta à internet. Elle fut interpellée par un cabinet vétérinaire qui portait le nom de clinique d’Orion dont la gérante n’était autre que Stéphanie Dumont. L’infirmière guetta la fin de journée pour accomplir sa mission et s'arma de patience une heure durant en se rongeant les ongles.
Virginie, blonde et charpentée comme une culturiste, s’apprêtait à fermer son cabinet quand elle aperçut la frêle silhouette d’Elisabeth qui se reflétait dans la porte vitrée.
— Vous n’aviez pas pris rendez-vous, madame, mon agenda est vide après 18h30.
— Non c’est exact, mais j’ai un message personnel à vous transmettre : « Avez-vous pris soin d’Orion en lui administrant le remède spécial pour la maladie de Vogt prescrit par le docteur Paul Mijoux » ?
Virginie fixa son interlocutrice, statufiée, puis déglutit avant de pouvoir lui répondre.
— Bon sang, mais qui vous a communiqué cette information que je suis presque seule à connaître ?
— À vrai dire, c’est une jeune femme qui est hospitalisée à Grenoble. Elle et son conjoint ont été foudroyés par un orage lors d’une randonnée en montagne, le couple se trouvait en coma dépassé, mais un miracle s’est produit, ils se sont réveillés la semaine dernière.
— Ils ont donc été électrocutés comme mes parents, il y a trente ans ?
— Effectivement, c’est le seul point commun qui les relie. Cette patiente m’a supplié de vous contacter afin de vous transmettre ce message très spécial.
— Vous me racontez cette histoire hallucinante pour me faire flipper ?
Virginie se laissa tomber dans son fauteuil à roulettes qui couinait, le souffle coupé. Elisabeth se fit plus indiscrète.
— Je suis désolée de venir chambouler votre existence, pouvez-vous m’en dire plus à propos d’Orion ?
— Le husky de maman souffrait d’une maladie génétique très rare. À l’époque, j’étais étudiante à l’école vétérinaire de Maison Alfort et le professeur Mijoux qui enseignait dans l’établissement m’avait aidée à élaborer un traitement. C’est complètement ubuesque qu’une jeune femme qui doit être née après la disparition de mes parents vous rapporte cette anecdote.
Stéphanie se leva et se dirigea vers la fenêtre pour observer le coucher de soleil qui empourprait l’horizon, avant de poursuivre.
— Demain c’est jeudi, je prends congé l’après-midi pour faire mes squats en salle. À la place, je vais aller causer à votre drôle de patiente.
— J’espère surtout que vous lui permettrez de retrouver sa sérénité, soupira Elisabeth.
Sur le trajet de l’hôpital, Stéphanie se remémorait ce jour tragique. Tous les lundis, sa mère la déposait en gare de Grenoble pour rejoindre la capitale. Elle détestait les bisous comme toutes les jeunes filles, et lui adressa un baiser à la volée. À présent, elle regrettait les câlins maternels de son enfance qui embaumaient la vanille. Des orages étaient annoncés partout en France et le soleil emprisonné derrière une escouade de nuages tentait de timides percées. La foudre avait occasionné des coupures électriques sur la ligne ferroviaire et l’étudiante se présenta à l’école vétérinaire avec quatre heures de retard. Alors qu’elle s’attendait à recevoir un blâme, le directeur lui avait adressé un regard poignant qui l’avait tétanisé sur place. Soudain un klaxon, l’extirpa de ses sombres souvenirs et Virginie démarra son véhicule au feu vert puis s’engagea sur le parking du CHU.
Elisabeth avait pris son poste un quart d’heure à l’avance et guettait la porte d’entrée en se triturant les mains. Stéphanie se présenta comme accueillante familiale pour justifier cette visite inopportune. Les deux femmes se dirigèrent ensuite dans l’aile ouest du bâtiment en respirant bruyamment et les jambes en coton.
L’infirmière toussota avant de cogner contre la porte puis s'introduisit en premier.
— Mademoiselle André, j’ai accédé à votre demande, voici Stéphanie Dumont.
Sylvie, les yeux en larmes, se mit à hoqueter comme victime d’une crise d’asthme en dévisageant sa fille, tandis que Stéphanie l’observait incrédule. Après un lourd silence, la vétérinaire s’exprima avec retenue.
— Mademoiselle, vous me témoignez une marque d’affection qui me semble d’autant plus inappropriée que je ne vous connais pas.
— Stéfie, si tu savais comme tu m’as manqué durant ce long exil. Je vois que tu portes toujours ce pendentif que je t’ai offert pour tes dix-huit ans.
Stéphanie saisit à pleine main son trèfle à quatre feuilles en or et secoua la tête.
— C’est pas Dieu possible ! Comment connaissez-vous ça ?
— Parce ce que ta mère a été atomisée par la foudre en boule puis a transmigré dans le corps d’une jeune femme électro-compatible. Je sais que c’est complètement insensé, mais ces souvenirs attestent de ma bonne foi.
Stéphanie livide se laissa choir sur le lit et observa Sylvie sans pouvoir lui répondre. Elisabeth se précipita pour lui servir un verre d’eau qu’elle descendit d’un trait, puis Stéphanie se racla la gorge avant d’ajouter.
— Et concernant mon père ?
— Il a transmigré dans le corps du compagnon de Noémie et s’est approprié sa fausse identité sans scrupules. Maintenant c’est un fringuant jeune homme au physique de star qui m’a reproché de n’avoir pas menti comme lui. Or depuis son départ de l’hôpital, je suis sans nouvelles de lui malgré ma gro… Euh ! Je dois te révéler un scoop, Stéphanie, je porte l’enfant de Noémie, en quelque sorte tu vas être sa grande sœur.
— Quoi ? Votre bébé a survécu au traumatisme de l’électrocution, comment est-ce possible ? Écoutez, jeune fille, j’en ai assez entendu pour aujourd’hui, votre récit est un vrai scénario de science-fiction et je dois rembobiner le film à tête reposée pour essayer de comprendre.
Les jours suivants, la fille de Sylvie chercha une explication plausible en parapsychologie. Elle créa même une fondation « Haruspices fulgurateurs » pour étudier l’hypothèse d’une mémoire résiduelle qui aurait pu survivre à la disparition de ses parents, une sorte de disque dur annexe construit par la foudre en boule et qui aurait migré dans le corps de Noémie et de Léo. Sa théorie fut tournée en dérision par les grands pontes neurologues qui interprétèrent ses recherches comme les signes d’une démence précoce.
Cependant un évènement inattendu joua en la faveur de Sylvie et Stéphanie six mois plus tard.
Un inspecteur lyonnais, Simon Lejeune, se pointa vers huit heures à l’accueil du service de psychiatrie ou était toujours hospitalisé Sylvie enceinte de huit mois. Malgré les multiples requêtes de Stéphanie pour devenir tutrice de sa mère, la direction s’opposait à sa demande sous prétexte d’une suspicion d’altération mentale.
Elisabeth exigea la présentation de sa carte professionnelle avant de l’écouter.
— Je n’ai pas été prévenue par l’administration de votre visite, c’est pourquoi au juste ?
— Je dois m’entretenir avec Noémie André pour les besoins de mon enquête.
— Quelle enquête ?
Le vieux policier à la coupe mulet, lui adressa un sourire équin ferré de plombages datant d’Hérode.
— Vous avez certainement entendu parler aux infos des trois jeunes étudiantes en médecine qui ont disparu à Lyon, l’année dernière ?
— Oui comme tout le monde, mais vous devez comprendre que mademoiselle André n’est pas capable de répondre à vos questions. Je vous demande de patienter en salle d’attente, le temps de contacter ma responsable.
Mariama était souffrante, l’établissement victime de coupes budgétaires et de restrictions de personnel accepta l’entrevue de l’inspecteur de police en présence d’Elisabeth.
Sylvie participait à une séance d’art thérapie quand elle fut interrompue dans sa fresque représentant un paysage zébré d’éclairs.
L’inspecteur qui ne savait comment aborder cette patiente la félicita pour son talent.
— Noémie, vous êtes une véritable artiste, j’ai le coup de foudre pour votre dessin !
— Arrêtez vos simagrées, vous voulez quoi exactement ?
— Bon, je vais la jouer franc-jeu avec vous. Votre ex-conjoint, Léo Latour, est soupçonné du meurtre de trois étudiantes en médecine. Il y a six mois, juste avant votre accident, j’avais fait prélever l’ADN de l’ensemble des inscrits en faculté sans succès. Dernièrement, nous avons croisé notre base de données avec celle des hôpitaux français, et bingo ! L’ADN retrouvé dans les chambres des disparues correspond à celui de votre ex-compagnon Léo. À l’époque, celui-ci nous avait transmis l’ADN d’une autre personne pour échapper à la justice. Écoutez ! Je sais que vous êtes souffrante, mais vous pouvez m’apporter des informations capitales pour recouvrer les corps des victimes.
— Laissez-moi deviner, Léo a changé son fusil d’épaule et prétend s’appeler maintenant, Pierre Dumont, n’est-ce pas ?
— Bon sang ! Mais qui vous a révélé ce secret d’État ?
— Simple déduction, il vaut mieux faire machine arrière quand on a misé sur le mauvais cheval.
— Malheureusement, Léo est loin d’obtenir gain de cause en prétextant être Pierre Dumont, car son dossier médical certifie qu’il était sain de corps et d’esprit en quittant l’hôpital. Néanmoins certains détails m’interrogent, ses proches m’ont alerté sur d’importants bouleversements concernant sa personnalité. Par exemple, ses goûts culinaires et vestimentaires ont changé et il paraît frappé d’amnésie, c’est-à-dire qu’il ne se souvenait plus du prénom de ses parents. Même son chien groule dessus et ne semble pas le reconnaître. De plus, il a renoncé à devenir chirurgien alors que c’était sa passion, et il s’est inscrit en doctorat de physique.
L’inspecteur Simon Lejeune fit crisser les poils de sa barbe, entre ses ongles tachés de nicotine, puis descendit les dernières gouttes de son gobelet de café d’une main tremblante.
— Je vous avoue que ce foutu dossier me file des insomnies et que je bouffe des cachetons pour dormir. L’accusé ne matche pas avec le profil du tueur sauf son ADN, c’est kafkaïen !
— Mon mari est une sorte de bernard-l’hermite, mais pas un assassin. Je ne crois pas que la police investisse le champ de la métempsychose ou de la translation de vie pour résoudre l’enquête.
Elisabeth leva les yeux au ciel et toussota.
— Je suis désolé, inspecteur, mais ma patiente est épuisée, son accouchement est prévu dans une quinzaine de jours.
Sylvie repoussa la table pour se relever, puis grimaça de douleur en basculant le bassin tandis qu’elle frottait ses lombaires. Elle mit échec et mat l’inspecteur en quelques minutes.
— La foudre a fait justice elle-même, inspecteur, et concernant l’emplacement des corps, je crains que Léo n’ait emmené le secret dans la tombe.
— Alors je vais titiller une planche ouija pour obtenir ses aveux, ricana Simon.
Avant de partir, l’inspecteur bredouille écrasa son gobelet d’une main et l’expédia dans la poubelle, le fou avait renversé le roi sur l’échiquier de la vie.
Au même moment, trois cadavres féminins furent déterrés pendant la dépollution d’une friche industrielle où le synchrotron avait explosé trois décennies plus tôt. Hasard ou foudre omnisciente ? Stéphanie publia un traité brontoscopique l’année suivante, aux antipodes du cartésianisme, qui fit un carton dans les librairies.
Attention: Tous les personnages et situations reconnaissables sont la propriété de leur auteurs respectifs. Les auteurs reconnaissent qu'ils ne touchent aucun droit sur leur travail en publiant sur le site.