A nos meurtres by Roxane
Summary:


 

KaterinaPutinila sur DA

Et toi, Maman, tu hurles encore, j’ai oublié pourquoi, tu cries des mots qui sentent la poudre et la fièvre, la mort par combustion.


Categories: Amitié/Famille, Tragique, drame Characters: Aucun
Avertissement: Violence psychologique
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Aucun
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 663 Read: 952 Published: 20/01/2023 Updated: 23/01/2023
Story Notes:

Texte écrit dans le cadre d'un atelier thérapeutique.

1. A nos meurtres by Roxane

A nos meurtres by Roxane

 

A nos meurtres

C’est le premier jour des vacances, le ciel vomit des trombes d’eau et papa court de la maison au coffre de la voiture dans des allers-retours désorganisés, parfois coupés par le spectre de ma sœur qui traîne sa valise dans l’escalier et l’odeur de la tapenade bon marché. Assise au centre de ma chambre, j’ai déjà la nausée du départ qui me retourne l’estomac, et les yeux mouillés des cris qui pétardent autour de moi comme des feux d’artifices. En haut, le monde est baigné d’ombres sifflantes, de secrets empilés sous des oreillers, de pleurs étouffés entre les pages des livres. Je hante les combles et répands mon vide sur le tapis, le lit et l’oreiller. Comment partir quand on s’est déjà quitté soi-même ?

Cela s’appelle errer, et errer c’est bien ce qu’on sait faire chez nous. Errer parmi les fissures de notre maison de papier, parmi les non-dits et les sanglots ravalés.

Mais toi, Maman, tu erres brutalement parmi les décombres de notre terrible impuissance, tu ignores cette règle du silence absolu, tu lui crèves les deux yeux, tu la pourfends d’un claquement de langue contre ton palais comme si c’était un jeu, un massacre codifié.

Tes pas sont lourds sur le parquet, ta voix dure râpe les murs. C’est que tu cries encore, qu’il y a en toi un feu qui veut tout ravager et qui palpite dans le creux de tes paupières fermées. C’est que tu nous hais dans l’amour que tu nous portes et veux nous quitter tout en nous retenant.

Alors voilà, les départs de vacances ont des allures de guerres des tranchées. Mais avec le temps, on finit par s’y habituer. On grandit en pensant normale la colère des départs, le fiel de Maman, les battements de cœur erratiques de Papa.

Et puis on prend la route pour nulle part car on ne fait jamais que fuir nos propres silhouettes granuleuses lorsqu’on quitte ce que l’on nomme « la maison ». Long ruban de fumée que les hautes herbes des bas-côtés lèchent. Mélancolie des larmes qui s’écrasent sur le pare-brise comme des anges qui défaillent.

Et toi, Maman, tu hurles encore, j’ai oublié pourquoi, tu cries des mots qui sentent la poudre et la fièvre, la mort par combustion.

Je serre les mains de ma sœur sur la banquette arrière. Ses ongles creusent des trous dans mes paumes. Tandis que peu à peu l’habitacle se gave de tes cris, Maman, tes cris voraces qui nous bouffent la vie, tes cris rageurs qui nous détruisent la peau, qui nous arrachent à nos propres lambeaux.

J’ai peur de toi, Maman. Peur de ta colère dans cette voiture qui va. Peur du mutisme glacial de papa quand tu lui dis que tu le détestes. Peur de la façon dont tu te tournes vers moi depuis le siège avant en te tordant le cou, la bave à la commissure de tes lèvres, les yeux qui roulent dans tes orbites inondées du désespoir le plus vindicatif que j’ai jamais connu. « C’est moi la folle, hein, c’est moi la folle ? »

Ô maman, j’ai peur et de toi et pour toi quand tu ôtes ta ceinture alors que la voiture va toujours, rase de ses roues le goudron humide des jours qu’on voudrait immoler.

Ô Maman, la peur ne m’a jamais autant enlacée que lorsque tu as ouvert la portière pour te jeter sur le bas-côté.

Ô Maman, c’était peut-être ta mort que tu planifiais mais c’est mon meurtre que tu auras achevé. Et pour cela : Merde.

Merde au goût de terre sur ma langue, merde au trou béant qui me pourrit de l’intérieur. Je suis colère à mon tour, Maman. Tu n’auras pas fait tienne la fureur, je la revendique à mon tour et je te la crache à la gueule sans jamais oublier la petite main de ma sœur qui bat doucement dans la mienne.

A nos meurtres, Maman, à nos meurtres et à demain puisqu’il le faut encore.

 

End Notes:

Merci de votre lecture.

Cette histoire est archivée sur http://www.le-heron.com/fr/viewstory.php?sid=2519