Summary: 

Photo de 1848983 (Pixabay) | Montage @a.b.auteure
Nick lançait encore et toujours le journal local aux habitants du coeur de Toredit. Il s'apprêtait à fêter seul son minable trente troisième anniversaire avec ses économies annuelles quand un veillard louche et sans le sous se décida à lui faire un cadeau inestimmable : une mystérieuse boite capable de réveiller son amour d'enfance pour Diana.
Categories: Fantastique,
Thriller psychologique Characters: Aucun
Avertissement: Contrainte (chantage, viol...)
Langue: Français
Genre Narratif: Roman
Challenges: Series: Aucun
Chapters: 14
Completed: Non
Word count: 29448
Read: 6916
Published: 01/05/2022
Updated: 13/11/2022
Story Notes:
Il est temps de vous dévoiler mon thriller fantastique en cours de réécriture. C'est autant pour vous proposer un récit dans lequel vous plonger, pour vous divertir (ou peut-être plus que ça ?) et passer un bon moment, que pour recueillir vos retours et avis.
1. Le début de la fin by MelHp7
2. Suspect appréhendé by MelHp7
3. Nick Johnson by MelHp7
4. Les poches trouées by MelHp7
5. Dégénérescence familiale by MelHp7
6. La chance tourne-t-elle ? by MelHp7
7. L'avenir fantasmé by MelHp7
8. Gueule de bois by MelHp7
9. Regain d'attention by MelHp7
10. Le goût de l'affront by MelHp7
11. Diana, si tu es encore là... by MelHp7
12. L'heure de basculer by MelHp7
13. L'enquête jalouse by MelHp7
14. Le problème Mizenov by MelHp7
Le début de la fin by MelHp7
La pluie battait le bitume lorsque le taxi démarra en trombe. La carrosserie jaune paraissait terne dans la nuit noire. Le bruit du moteur couvrait le mutisme dans lequel s’était plongé le conducteur. Visage dissimulé sous son chapeau. Mais peu importe, la passagère n’avait pas dit un mot en entrant dans l’habitacle. Après s’être frictionné les bras, elle se jeta sur son téléphone portable. La lumière bleue trahit l’appréhension dans ses yeux surlignés de charbon. Elle soupira au moment d’envoyer son message.
Le rdv avec le client s’est mal passé. Code rouge. Je rentre en taxi. A tout à l’heure.
‒ C’est possible d’accélérer un peu ?
La jambe dénudée bondissait à l’arrière, martelant le plancher. Elle mâchait frénétiquement une de ces gommes sans sucre ajouté. Le chauffeur ne broncha pas. Il se contenta de rester concentré sur la route sans faire attention au caprice de sa cliente. Pour qui se prenait-elle ?
La jeune femme finit par calmer son corps anxieux et s’accorda un peu de répit. Elle s’accouda sur le bord de la vitre, le regard perdu quelque part dans le paysage fait de nuances sombres et de points de lumière.
Avoir fait tout ces kilomètres pour rien. La paye de fin de mois se verrait amputer de la note de frais. Toredit – Cleveland, Cleveland – Toredit. Ça allait lui coûter un bras. Le prochain client serait forcément un gros dégueulasse. C’était comme ça que Chantal fonctionnait.
‒ Hey, vous avez manqué la sortie ! Fallait prendre Toredit Sud.
En se redressant sur son siège elle ne constata aucune réaction de la part du chauffeur. Mis à part que ses yeux marrons se reflétaient dans le rétroviseur principal. Elle aurait juré que le gars du taxi précédent avait les yeux bleus. Un frisson la traversa de la tête aux pieds. Pas dû à la température cette fois.
La voiture s’embarqua sur la voie de sortie suivante. Roclebandie – Toredit Nord. Ce débutant s’était simplement trompé, il allait rattraper le tir en traversant la ville. Le décors de goudron se transforma rapidement en une forêt dense. Ici, plus aucun point lumineux, pas âme qui vive. Juste elle et lui, dans ce taxi ambulant.
D’une seconde à l’autre, alors que les arbres défilaient derrière la vitre, elle se retrouva le front dans le siège avant, stoppée net par la ceinture de sécurité. Le coup de frein brutal avait immobilisé la voiture. Affolée, elle tira sur le tissu qui la clouait à la banquette. En appuyant brusquement sur la boucle, elle ne faisait que renforcer l’attache, elle qui espérait pouvoir se libérer.
‒ Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle, la voix chevrotante.
‒ Un chevreuil.
Elle tenta de se décoller du siège. Lorsqu’elle passa la tête entre les deux appuis-tête à l’avant, elle ne vit rien. Rien d’autre qu’une légère brume flottante devant l’éclat blanc des phares.
Sans rien dire, le chauffeur ouvrit sa portière et sortit.
Dès lors, elle sentit venir la suite. Cet homme n’était pas là pour faire une course. Il voulait probablement sa dose, gratuitement et sans permission. La suite ne serait que douleur et peine. A quelques kilomètres de la première maison, en pleine nuit, cachés dans la forêt de Roclebandie, elle imagina le pire. Des images, fugaces et indolores, qui présageaient de son funeste sort. Trop tard pour réagir.
La portière arrière s’ouvrit sauvagement. Elle s’acharnait à essayer de se détacher. Mais une main crochue agrippa sa tignasse bouclée et la tira vers l’extérieur au moment où elle réussit. Elle tomba à même le sol, celui, tâché de terre, de Toredit. C’était froid et humide. La pluie avait tout juste cessé. La seule chose qu’elle vit de l’homme avant qu’il ne la frappe à mort – ou presque – fut ses chaussures. Pas celles d’un bouseux du coin, mais celles d’un businessman. Un type plein de fric qui n’aurait aucun mal à se payer une femme comme lui. D'une ville prestigieuse.
Le coup de pied derrière la tête l’assomma sur le coup. Elle n’eut pas le temps de sentir le sang couler sur sa joue égratignée.
Quand l’une de ses paupières lourdes daigna enfin se lever, son corps tremblait. Il lui fallut quelque secondes et une souffrance atroce pour comprendre que la torture avait continué pendant son absence. Une vague de froid s’empara d’elle. Sa peau nue à même le sol. Un flot de larmes se déversa de ses yeux, maculant ses joues et ses lèvres de tracés noirs. Elle ne pouvait plus ignorer le poids qui l’opprimait par terre. Celui de son tortionnaire, qui mettait toutes sa conviction à forcer la porte interdite. En voulant se hisser et fuir, elle sentit qu’il avait pris soin de nouer ses mains dans son dos. Impossible de faire le moindre mouvement. Elle était condamnée à subir le viol jusqu’au bout.
Jusqu’à ce qu’une masse informe et coupante s’abatte sur son crâne.
End Notes:
N'hésitez pas à me donner votre avis. A chaud ou à froid, il sera bon à prendre ! Grâce à vos commentaires, je saurais si je suis sur la bonne voie ou non.
Suspect appréhendé by MelHp7
Author's Notes:
Encore un chapitre court, en espérant que l'attente entre les deux ne soit pas trop longue !
Un matin comme les autres, ou presque.
Le jour pointait le bout de son nez . Un autre jour, banal et ennuyeux, quoique.
Il ne savait se l’expliquer, mais Herald n’avait pas le moindre souvenir de la soirée précédente. Ce qu’il avait bien pu faire entre dix-sept heure la veille et six heure trente du matin lui échappait complètement. A une époque, l’alcool aurait pu justifier son trou de mémoire. Mais voilà quasiment deux ans qu’il n’avait pas avalé une goutte de cette saloperie. Une cure bien nécessaire après une véritable descente aux enfers dans les abysses de la nostalgie solitaire.
Il était l’heure de quitter le quartier miteux pour rejoindre le lycée de la ville d’à côté, son lieu de travail. Un lieu où on avait appris à l’accepter. Son passé d’alcoolique avait forcément entaché sa réputation, mais à Bloomington une place lui avait été accordée.
Herald se pressa en voyant l’aiguille indiquer son retard imminent. Passer un quart d’heure à chercher ses chaussures porte-bonheur lui avait coûté son petit déjeuner. Et le bus n’attendrait pas, il n’attendait jamais. Plutôt rester alité que traverser la ville à pied en passant par la forêt. Il l’avait assez fait, plus jamais. Alors que le temps n’était plus un luxe, on frappa à la porte. Il avait été trop occupé pour entendre les pas.
— Police d’État, ouvrez !
Herald se figea. Le teint livide, une pensée lui effleura l’esprit : la fuite. Bien vite rattrapé par la raison. Pour quelle raison fuir ? Il n’était coupable de rien.
— Bonjour, que puis-je faire pour…
Deux officiers se jetèrent sur lui, l’un pour lui saisir les épaules, l’autre pour entraver ses mains avec des menottes.
— Monsieur Worn, sur ordre du procureur Norton, vous êtes en état d’arrestation.
Le troisième homme, plus mastoc que ses collègues, récitait son discours avec la froideur d’un robot exécuteur. Les bras croisés sur le torse, ses yeux se plantaient dans les orifices terrifiés d’Herald.
— Arrêtez, pourquoi vous faites ça ? J’ai rien fait !
— Voici le mandat d’arrêt, continua le capitaine du haut de son mètre quatre-vingt.
Un charabia sur une feuille de papier, voilà ce qu’Herald avait eu le temps de voir.
— Vous avez le droit de garder le silence. Si vous y renoncez, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous devant la cour de justice.
— Je ne comprends pas !
L’un des officiers l’incita à avancer alors que le capitaine lui demandait froidement de quitter son logement sous peine de voir ses collègues user de la force. Le métal glacé l’empêchait de gesticuler. Drôle de sensation. Voyant avec quel sérieux ces hommes s’exécutaient, Herald n’opposa aucune résistance. Si seulement ses chaussures avaient été à leur place. Et alors ? Il n'aurait fait que retarder le moment. Vallait peut-être mieux ici que devant tout le monde au lycée.
En bas de l’immeuble, déferlante de flash et de cris.
— Monsieur Worn, que se passe-t-il ?
Herald n’eut pas le cœur à répondre à sa voisine de longue date, Victoria. Encore en robe de chambre, elle avait due être sortie de son lit par le mouvement de foule. Elle n’osa pas s’aventurer en dehors du hall d’entrée. Dehors, une meute de curieux haineux hurlaient des insultes noyées dans un brouhaha inaudible. Les journalistes ne faisaient qu’encourager cette mascarade à coup de clics et d’éclairs de lumière.
Sur son passage, en direction de la voiture balisée noire et blanche, on lui tendait des micros et des poings. Les officiers gardaient la tête haute. En oubliant qu’ils étaient au prémisse de cette affront, Herald était finalement rassuré d’être encadré par de gros bras. Les visages menaçants, les crachas, les poussées de voix. Un frisson lui parcouru l’échine à l’idée de voir tout se monde se jeter sur lui comme une équipe de rugby sur le ballon. La haine flambaient dans tout ces yeux inconnus.
Au moment d’entrer dans le véhicule, sa jambe flancha. Son corps, victime de tremblements, avait du mal à tenir droit. L’officier se sentit obligé de le pousser à l’intérieur, engendrant quelques rugissements agressifs dans la masse. La portière claqua et le boucant s’étouffa sur le coup.
Tout avait basculé en quelques minutes. Alors qu’il s’inquiétait de faire attendre ses employeurs, Herald allait devoir expliquer à tout ceux qui s’étaient déplacés pour le huer qu’il n’était coupable de rien. De rien du tout.
End Notes:
Suspens, suspens... Alors, toujours envie de connaître la suite ?
Author's Notes:
Le titre de ce chapitre n'est peut-être pas défintif, mais c'est celui qui me convient le mieux aujourd'hui.
Quel sale temps. Il fallait toujours que Nick se ravitaille le mauvais soir. Un soir froid et brumeux. Un temps à repousser n'importe quel badaud, sauf peut-être un promeneur de chien déterminé à ne pas voir son appartement souillé d'excréments. Mais pas Nick, sûrement pas.
La nuit tombait alors que les lampadaires tentaient d'en effacer la réalité. Le fidèle destrier à deux roues était toujours à sa place, dans le rail. Combien de fois Nick avait-il redouté un vol ? Sans son vélo, on pouvait le considérer sans emploi. Sans emploi, il pourrait compter les jours sur les doigts d'une main avant qu'il ne se retrouve sans logement. Et Dieu seul savait comment sortir d'un cercle aussi vicieux que la pauvreté. Personne n'était prêt à troquer son quotidien, aussi morne et modeste soit-il, contre la survie dans la jungle qu'est la rue. Il était déjà passé par là, il n'avait aucune envie de revivre ça.
Le toit de taule avait épargné la flotte à la scelle et au guidon. Une capuche recouvrant sa tête et ses oreilles, Nick quitta l’abri devant les portes automatiques de FairFar Market pour affronter le déluge. Le poids des courses tirait sur ses bras chétifs. Un kilo de plus les aurait sans doute séparé en deux morceaux. Le débit de la pluie le contraignait à plisser les yeux. Il manqua par deux fois de heurter la carrosserie de voitures stationnées. Et alors qu'il croyait le parking dépeuplé, deux personnes se dressèrent devant lui. Il dû lever la tête pour apercevoir leur visage dégoulinant. Contrairement à lui, ces deux gars-là ne craignaient pas l'eau. Ils portaient des costumes de soirée recouverts par un long manteau de velours. À en juger leurs mouvements incontrôlés, ils avaient bu quelques verres de trop. Mais les cravates ne trompaient pas. Que faisaient ces deux fils de riches dans un quartier aussi paumé que Horns District ? Ils ne revenaient certainement pas du Black Blues Bar, trop tchip pour des enfants de bourges.
— Alors ! Qu'est-ce qu'il a acheté l'affreux ? Gueula le moins amorphe.
Il tendait une main vacillante vers les sacs débordants de courses.
— T'aurais pas une bière à nous filer le poivrot ? Hein Ed' qu'il a l'air d'un poivrot celui-là ?
— Tu m'étonnes.
Nick ignora leurs rires idiots ponctués de hoquets. Il s'interdit toute expression qui tenterait de déformer son visage malgré une montée soudaine d'angoisse. Règle numéro un en cas de conflit frontal : ne rien montrer pour se protéger. Donnez de l'importance à ces railleries c'était les encourager. Il feignit l'indifférence et passa devant eux pour déverrouiller l'anti-vol sur la roue avant. Les mains tremblantes, il peinait à insérer la clé dans la serrure. Avec un peu de chance, ils avaient déjà fait demi-tour. Ou pas.
— Oh ! Oh-oh-oh-oh ! Tu me regardes quand je te parle, sale clochard.
Dans son dos, les reniflements et les rires se confondaient avec des grouinements. Malgré la sueur froide qui coulait de ses aisselles, Nick refusait de leur obéir. Il n’y avait pas pire affront que faire face au regard provocateur de ces sales types. Qui savait s'ils n'étaient pas armés ?
Accroupi, il ne vit pas fuser cet énorme poing qui s’écrasa brutalement sur son visage creux. Le zygomatique droit craqua, à moins que ce ne fut la chute des sacs de courses qui provoqua ce fracas ? La force du coup l’envoya valser contre le poteau du lampadaire dans un bruit vibrant. Son front morfla. Un peu sonné, il se hissa tant bien que mal le long du pilier métallique. En se tournant, il vit avec horreur que les deux jeunes s’étaient jetés sur ses provisions. Le plus petit fourrait le paquet de pâtes dans sa veste, pendant que l’autre fouillait le second sac. Dans le flou de l'arrière plan, sans perturber le ballet des véhicules qui quittaient le parking, une troisième personne arrivait en titubant.
— Qu’est-ce que c’est que cette immonde chose ? Beugla le grand dadet, la mine dégoûtée.
Il tenait un morceau de bidoche entre ses doigts boudinés.
— Laissez-ça ! Allez-vous-en bande de p’tits cons !
— T’as pas honte de manger tant de merde ?
En dernier recourt, Nick se rua sur eux le corps en avant. Il poussa violemment le plus petit qui, déséquilibré, tomba le cul par terre. Il lui arracha sans trop de mal le paquet de pâtes qu’il lui avait volé. Mais sa vision étant floutée par la frappe qu’il avait reçue dans la figure, il ne vit pas venir la boite de conserve. La dernière arrivée, plus beurrée que les deux autres demeurés, venait de la lui enfoncer dans le crâne. Si ça n'était pas le cas la minute précédente, cette fois l'os de sa joue droite s'enfonça sous les sept cent vingt cinq grammes de pomme de terre en sauce. Il finit étalé de tout son long sur le sol ruisselant. Des rires lointains entraient et sortaient de ses oreilles comme l’auraient fait des volutes de fumées qui se dispersaient. En entrouvrant les yeux, il vit ses agresseurs détaler. Il disparurent lentement de son champ de vision.
Lorsque il rouvrit fermement les yeux, il faisait totalement nuit, et un calme plat régnait sur le parking du supermarché. Les portes automatiques étaient immobiles, la lumière à l'intérieure était éteinte. Seul un brouhaha musical vibrait au loin.
Les gouttes de pluie avaient un goût ferreux. C’était son sang, il dégoulinait de son arcade sourcilière jusqu'à ses lèvres baveuses. Le goudron glacial avait arrêté le saignement. L’un des sacs déversait son contenu sur le sol, éventré. Quant à l’autre, impossible de s’assurer qu’il était encore là. La force lui manquait pour se relever, le courage aussi. Et s’ils revenaient le marteler de coups de pied dans les côtes ? Nick ne faisait pas le poids contre trois jeunots, même ivres. Il n’y avait qu’à regarder son physique. Fin comme une allumette, osseux. Il était grand, certes, mais très peu souple, raide même. Sans compter que sa peau, à elle seule, pesait plus lourd que ses muscles.
La mâchoire endolorie, il osa tout de même se lever, non sans jeter des coups d'œil méfiants tout autour de lui. Il n’y avait plus personne. Ces sales gosses de riches n'avaient pas pris la peine d’attendre la résurrection d’une pâle et piteuse imitation de Jésus martyrisé, même pour lui remettre quelques mandales. Il y avait encore des voitures vides garées, mais plus aucun vélo mis à part le sien. A un ou deux kilomètres de là, derrière le terrain vague qui bordait le parking, brillaient des lumières inhabituelles. Le vieux hangar abandonné, c'est de là-bas que provenait la musique. La fête battait son plein.
Nick pencha la tête en arrière. Impossible de savoir si le ciel était nuageux. La lumière artificielle brouillait la vue de quiconque souhaitait percer l'atmosphère. Si les étoiles le regardaient de là-haut, pas une n’avait levé le petit doigt pour l’aider à foutre une raclée à ces merdeux. Il cracha par terre. Ça raviva le goût infecte du sang séché sur sa bouche. À quoi pouvait-il bien ressembler ? Une gueule défigurée serait motif de réflexions de la part de son idiot de patron, il voyait ça venir d’ici. « Johnson, bordel ! Tu t’es encore battu ? J’veux pas le savoir ! Tu branles ce que tu veux quand t’es en repos, mais je veux pas que t’aie une sale tronche quand tu passes devant chez les clients. Qu'est-ce qu'ils vont penser de la boite si les bourgeois des beaux quartiers te voient comme ça ? ». Rolly, lui, n'aurait probablement pas fait un seul commentaire.
La porte de son appartement claqua derrière lui. Nick lâcha tout. Ses deux sacs déchirés tombèrent dans un boucan du tonnerre. Rien à faire si le voisin du dessous sursautait dans son appartement. Il ne prit même pas la peine d’allumer la lumière et s’assit directement sur la chaise de bois dont le verni avait passé. Il posa ses mains tremblotantes sur ses cuisses tendues. Au comble de la fatigue, il tentait de se remettre de la traversée depuis le FairFax Market à pieds. Comme si ça n’avait pas suffi, il avait dû traîner son vélo par la roue avant. Ces petits cons s’étaient amusés à crever le pneu et la chambre à air avant de déguerpir.
Trempé jusqu’aux os, abîmé, humilié, il se débarrassa de ses vêtements et se coucha. Les hématomes qui paraîtraient le lendemain sur sa peau seraient encore la preuve qu'un compte en banque vide rendait d'autant plus misérable. Sans doute aurait-il été de la soirée branchée sous le hangar s'il n'avait pas eu à faire ses courses au supermarché discount. Plus ses poches étaient vides, plus ses joues se creusaient, et plus on le lui faisait payer.
End Notes:
J'espère que la lecture de mon roman vous intrigue toujours autant. Si vous souhaitez que je publie la suite plus vite, manifestez-vous ! Mes premiers chapitres sont assez courts donc je comprends qu'attendre autant de temps pour les lire peut êtrte frustrant.
J'attends vos avis !
Les poches trouées by MelHp7
Author's Notes:
Plongez dans le quotidien de Nick Johnson
Une bien sombre époque se jouait. Les croyants, de moins en moins convaincus et de plus en plus rares, s'accrochaient encore à Dieu pour la percer de lumière. Mais pouvait-il seulement encore quelque chose pour les pauvres mortels ?
La vie était mal faite. Ceux dont les valeurs étaient justes s'évertuaient à survivre, broyés sous le poids des problèmes. En supériorité numérique, le mauvais côté de l'humanité, néfaste, prenait le dessus. Le mal, cette option de facilité. L'égoïsme, la réponse à tout. Le plaisir particulier, un guide pour une vie meilleure, anéantissant tout sur son passage.
Au fin fond du Michigan, à Toredit, une petite ville dévastée des États-Unis-d'Amérique, vivait un homme faisant encore exception à cette fatalité destructrice. Certes, il n'existait pas plus cliché : Nick Johnson était modeste, c'était sans doute pourquoi il était bon. L'argent l'aurait sûrement rendu con. Mis à part sa bonté sans nom, il n'y avait rien à lui envier.
Encore une triste fin de mois. Les poches vides, l’estomac dans les talons. Lui qui avait espérer fêter son trente troisième anniversaire à la lueur d’une salle de cinéma ou dans le brouhaha d’un restaurant. Nick s’accroupit devant le coffre en métal qui se terrait sous son canapé-lit. Un cadenas à code en verrouillait l’accès. 1994, un cliquetis. Il tira la porte à lui. Son ventre émit un gargouillis lorsqu’il compta le contenu à vue d’œil. Voilà ce que représentaient ses économies de l’année : de quoi payer la facture annuelle d’eau et d’électricité. Et s’il avait de la chance, les soins pour sa pauvre mère. Il devrait se contenter d’un sandwich minable au beurre de cacahuète. Drôle de fête.
Et de courte durée ! Il rejoindrait bientôt son banquier pour faire un point sur ses maigres rentrées d’argent. Nick continuait de cacher à son conseiller qu’une partie de ses billets verts était stockée loin de lui et de ses mains voleuses. Il n’avait jamais eu confiance dans cette machine à brasser du fric. Sa fortune étant réduite au salaire d’un vulgaire livreur de journaux, il n’avait rien à gagner à confier son salaire à la banque. Pas d’intérêt à faire fructifier. Pas de marge à créer. Parce que la seule façon de devenir riche, c'était de l’être déjà.
La boule dans son ventre s’était alourdie au fur-et-à-mesure qu’il approchait du lieu de rendez-vous. Jusqu’à donner naissance à une vicieuse envie de vomir le peu d’aliments ingurgités. L’angoisse des regards investigateurs dans la salle d’attente, du jugement dans les yeux de l’hôte d’accueil et des remarques sur la gestion de son argent par un quasi-inconnu. Trocwood, s'appelait le dernier nommé pour fouiller dans ses lignes de débit et de crédit. Comme la visite chez le vétérinaire pour un chien, le rendez-vous à la banque avait quelque chose de repoussant au possible pour Nick. Mais il n'avait aucun autre choix que passer par là.
— Comment allez-vous, Monsieur Johnson ?
Ce blanc bec de dix ans son cadet avait l’allure d’un cadre supérieur. Costume tiré à quatre épingles, cravate rouge – à la demande de la hiérarchie, certainement – et ce sourire factice. Presque hautain, mais bien lissé pour que personne, même le moins naïf des clients, ne puisse lui reprocher quoique ce soit. Dans son bureau impersonnel au possible, il avait osé afficher une carte postale. Hawaï, bah dis donc. Voilà comment il se faisait plaisir aux bras d'une jolie poupée sur son dos de pauvre assisté.
N’avait-il pas question plus hypocrite ? Pas trop difficile à vivre cette situation précaire ? Son relevé bancaire était édifiant. Comment rester fier à présent ? Nick feignit tout de même un « oui » en hochant la tête. Il prit place du mauvais côté du bureau, celui des redevables.
— Je ne vais pas vous cacher que vos comptes m’inquiètent, Monsieur Johnson. Vos rentrées d’argent sont stables, mais elles ne suffisent plus à couvrir vos prélèvements qui ont significativement augmenté depuis quelques temps et… Je crains de ne plus pouvoir vous accorder ce découvert.
Nick secoua la tête, ahuri. Du baratin, rien de direct, de clair et précis.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Le sourire du requin s’évanouit alors qu’il joignait ses mains sur le bureau, formant un étrange triangle à angle arrondis.
— Vous cumulez un négatif de trois mille dollars depuis presque neuf mois maintenant.
Le buste en avant, il força un sourire sans dents, pincé, et baissa le ton.
— Ca commence à faire beaucoup. Trop, en sachant que le remboursement de votre prêt ne prendra fin que dans huit ans, si vous ne prenez pas plus de retard…
Sournois. Il n’y avait pas d’autre mot pour décrire le comportement du conseiller.
— Et qu’est-ce que vous voulez que je fasse exactement ?
La question avait cisaillé la pièce en deux. D’une main vacillante, Nick s’agrippait à l’accoudoir en plastique rouge, les yeux plantés dans ceux de grippe-sous.
— Si j'avais cet argent, je recouvrerais mon découvert. Mais à moins de gagner le gros lot...
Sachant qu'il n'avait pas de quoi jouer un seul sous. Bon sang, il n'avait pas un sous pour résoudre le problème ! La colère fit un bon dans le corps de Nick dont le visage se tinta aussitôt de rouge.
— Je travaille six jours sur sept pour obtenir un tiers de votre salaire. Mon appartement est un gouffre, parce qu’en plus du prêt que j’ai à rembourser pour finir de le payer, les factures d’énergie explosent tellement il est mal isolé. Ma mère est à l’hôpital. Et par dessus le marché, il y a cette dette que je vous dois !
Le ton était monté crescendo, de la même manière que la lave du volcan en fusion grimpait jusqu’au débordement.
— Alors, je suis censé faire quoi ? Travailler aussi la nuit ? Vendre mon logement et me retrouver sous un pont, c’est ça ?
Voler, comme vous ?
— Je vous en prie, monsieur Johnson…
— Ou bien espérer que ma mère ait une attaque foudroyante, peut-être…
Il avait pensé tout haut. Le malaise du jeune conseiller se lisait sur sa mine blanchie. Il ne cessait de guetter la porte de son cabinet comme s’il craignait l’arrivée pressante de son supérieur.
Nick se leva. Une longue ombre recouvrit le centre du bureau et les quelques feuilles qui y traînaient. A son tour de le mépriser d’un regard haineux et triste, du haut de sa grande taille. C’était le genre de question que ni ce banquier ni aucun autre membre de sa classe sociale ne se posait. Les poches pleines de billets. Rien d’autre ne leur importait que le nombre de zéro sur leur compte en banque et leurs cinq semaines de congés payés qu'ils passeraient loin du tumulte américain.
Le conseiller se leva à son tour. Déstabilisé par l’inquiétude ou encouragé par sa dignité, il sortait de l’ombre non sans laisser voir un visage pâli et des lèvres tramblotantes. Néanmoins, aucune réponse cinglante ne sortit de sa bouche, comme si sa maigre répartie n’aurait pu rivaliser avec la vérité claire des paroles de Nick. Ce n’était pas de perdre un client tel que lui qui allait le faire remuer ciel et terre pour le garder. Qu’en avait-il à foutre, après tout, qu’il retourne vivre avec les cancrelats des rues abandonnées de Toredit ?
Nick loucha sur la montre brillante au poignet du jeune homme. J’espère au moins que tu sais profiter de ton fric autrement qu’en te faisant des cadeaux hors de prix. Il ne dit rien, mais y songea si fort qu’une grimace avait surgit sur sa face répugnée. Le cynisme coulait de tout ses pores découverts. Dans ce silence accusateur, le conseiller glissa ses bras, preuves de sa richesse, dans son dos. Une goutte de sueur s’occupa de mettre le désordre dans sa coiffure fixée à la cire. Une mèche blonde tomba au ralenti sur son front lisse. Il allait sans doute dire quelque chose pour en revenir à leur conversation de départ. Mais une sonnerie de téléphone interrompis le combat de regards. Nick abandonna les yeux fuyant de son adversaire et s’empara de son portable dans la poche de sa veste abîmée. Encore un contraste flagrant.
Hôpital Saint-Medur.
Il ne prit pas la peine de s’excuser et tourna les talons pour sortir à la hâte de cette ambiance étouffante. Un mauvais pressentiment l'envahi, faisant instantanément disparaître son envie intense de rabaisser le minable banquier d'un doigt menaçant. Quand l’hôpital l'appelait, c’était rarement bon signe. Le manque d’oxygène, soudainement intense, le précipita dehors au rythme d’une petite foulée. La boule dans son ventre reparut dès lors qu’il s’échappa du hall en verre pour décrocher. Lui qui cherchait à éviter les regards, il provoqua la curiosité des gens en s’enfuyant de la banque comme un voleur. Piètre voleur.
Une voix grave et posée, celle d'un homme.
— Bien, j’arrive au plus vite.
Nick prit une grande bouffée d’air. La journée était loin d’être terminée. Pourquoi Diable les avait-il tous ligués contre lui ?
End Notes:
Que pensez-vous de Nick Johnson après avoir lu ceci ?
Dégénérescence familiale by MelHp7
L’infirmier avait insisté sur une chose au téléphone.
« Attendez-vous à ce qu’elle soit différente. »
Le vieillesse, inarrêtable, avait un effet destructeur et irréversible sur n’importe qui. Mais encore plus sur Tiffany. La solitude avait tout déclenché. La rancune, l'alcool, la dépression.
Et dire que Nick s’était forcé à prendre le bus pour traverser Toredit et en sortir. L’hopital, pour des raisons qui lui échappait, avait été bâti en dehors du bourg, de l’autre côté de la rivière, entre les étendues cultivées. Nick avait toujours eu horreur des transports en commun. « Centre hospitalier Saint-Medur », annonça l’odieuse voix robotique. Un gamin se faufila sous son bras, passa devant lui et manqua de bousculer une vieille dame appuyée sur sa canne. Elle grogna quelques mots inaudibles entre ses fines lèvres décolorées. Mais le gamin avait déjà filé.
La cour devant l’entrée principale était déserte. Si la lumière ne brillait pas à travers certaines fenêtres, il aura pu passer pour un bâtiment abandonné. Visiblement, la direction manquait de moyens. Les travaux entamés deux mois auparavant pour rénover la façade détériorée n’avaient toujours pas abouti. L’échafaudage branlant n’inspirait aucune confiance. Il était à l’image de l’établissement : des fondations fragiles, sur le point de s’écrouler à chaque nouvelle admission. Plus assez nombreux, plus assez qualifiés, la rangaine habituelle. Mais sans aucune autre alternative pour les petites bourses, Nick fermait les yeux. Exactement comme il fermait les yeux sur la piètre qualité du traitement que recevait Tiffany et dont les effets soi-disant positifs ne se manifesteraient sans doute jamais.
A l’accueil, un couple d’une cinquantaine d’année accompagnait une fillette reliée par un tube à une poche de liquide, fixée sur un mat de métal. En face, dans un fauteuil, une femme pleurait dans ses mains en attendant qu’on lui donne des nouvelles d’un proche. Les sièges bleus en plastiques, le carrelage gris, les murs et les néons blancs, sans parler de la télévision muette qui diffusait les informations en continue... Tout était repoussant de froideur, même ces pauvres gens.
La vieille dame à la canne devança Nick alors que son esprit tentait de fuir les lieux emprunts d’une tristesse pesante. Elle fit sursauter l’infirmière qui s’était assoupie dans la cage de plexiglas qui faisait office de secrétariat. Ses yeux doublèrent de volume en reconnaissant son interlocutrice à qui elle ne dit pas un mot. Elle se rua aussitôt sur le téléphone, un coup de fil express. Deux hommes en blouse blanche surgirent du couloir principal avec un siège roulant. Le regard que la vieille dame lança à Nick avant de disparaître dans la zone de prise en charge lui donne des frissons.
— Monsieur Johnson, vous voilà.
C’était le docteur Storza. Elle lui tendit la main. Nick mit quelques secondes avant de la saisir. Étaient-elles propres ? Imperturbable, elle l’accompagna dans l’ascenseur.
— Ce que nous redoutions s’est mis en marche il y a une semaine environ, et l’évolution est plus rapide que la moyenne.
Sa salive, aussi épaisse qu’un morceau de pain rassi, lui égratigna la gorge en descendant. Pourquoi avait-il attendu qu’on le sonne pour venir constater l’état de sa mère ? Il ne percevait pourtant aucun jugement dans le ton du docteur Storza. Soit l'empathie l'avait quitté depuis longtemps, soit personne ne prenait plus la peine de pleurer ses parents en phase terminale ici.
Au deuxième étage, un chariot manqua de les percuter. Storza resta stoïque.
— La démence sénile est courante chez les patients âgés.
Elle se planta devant lui et réajusta ses lunettes.
— Il y a néanmoins une chose positive que je peux vous annoncer.
Positive, vraiment ? C’était bien le mot qu’elle avait employé.
— Elle s’est remise à manger avec appétit et a cessé de se faire vomir. Son poids a fait un bond de cinq kilos en huit jours.
Nick poussa la porte de la chambre avec une lenteur démesurée. Il avait hâte de quitter ce long couloir sans âme traversé de long en large par des médecins pressés et des patients drogués. Mais il aurait préféré s’asseoir sur l’une de ces chaises inconfortables, sous l’extincteur, près de la sortie de secours, plutôt que s’enfermer dans cette pièce lugubre.
En entrant, un débat sur la canicule et ses conséquences dominait le fond sonore. Le contraste avec la météo du jour lui arracha un soupire moqueur. Les nuages faisaient définitivement de l’ombre au soleil alors que la radio brûlait.
Tiffany ne l’avait pas encore les yeux. Elle semblait absorbée par les images qui défilaient sur l’écran de télévision dont le son était coupé. Une émeute dans les rues de Cleveland avait déclenché l’intervention des forces de police. Les images furent remplacées par une nouveau flash d’informations : « Accusé de viol sur une enseignante dans le lycée de Bloomington. » Entre la radio et la télé, pas de bonnes nouvelles aux informations. Les patients étaient censés sortir du trou. Impossible.
Les cinq kilos de plus se voyaient à peine. Personne n’aurait su dire où il s’étaient incrustés tant que corps rabougri de Tiffany était creux. Ses cheveux grisonnant, secs et raides, se bataillaient commune une auréole autour de sa tête. Ses mains, l’une sur l’autre, bougeaient de manière répétitive, donnant l’illusion d’une caresse rassurante. Mais sans doute inconsciente. Sa peau étirée formait des poches sous ses yeux vitreux et tombait comme des babines sous ses paumettes saillantes.
Il hésita à repartir, à suivre le docteur qui s'en allait annoncer d'autres mauvaises nouvelles. Puis les mots du docteur revinrent comme un écho dans sa tête. « Elle a plus de mal à s’exprimer, elle n’est plus capable de se concentrer plus de cinq minutes, et sa mémoire faibli. » S’il partait maintenant, il prenait le risque de s’en vouloir. La démence était difficile à freiner, impossible à arrêter dans un environnement aussi hostile qu’un mouroir tamponné d’un grand H.
— Bonjour, Tiffany.
Peut-être n’avait-il pas parlé suffisamment fort. Elle continuait de fixer les images de l’interpellation de cet homme, un habitant de Toredit. Nick s’approcha du lit à roulette dans lequel elle était bordée comme une enfants.
— Bonjour, répéta-t-il plus distinctement.
Le visage flétri se tourna brusquement vers lui. Elle paraissait si vieille… Il lui aurait donné dix ans de plus que ce qu’annonçait sa carte d’identité. Le séjour prolongé à l’hôpital avait accéléré la dégénérescence de ses cellules, lui donnant des airs de fantôme avant l’heure.
— Toi… maugréa-t-elle.
Il ignora le tremblement de ses lèvres et ses paupières qui sautaient. Il sortit un livre de sa sacoche, celui qu’il gardait sur lui depuis deux semaines. C’était sans doute le meilleur moyen d’éviter de lui parler du quotidien.
— Je t’ai ramené ça. Docteur Storza m’a dit que tu l’avais réclamé.
Mais le visage de Tiffany s’enlaidissait davantage en une grimace monstrueuse, à mi-chemin entre la haine et le dégoût. Pas un regard pour le livre, elle fusillait Nick des yeux.
— Dégage donc d’ici ! Sale menteur, criminel !
Métamorphosée. Le roman lui tomba des mains. Si elle avait pu, elle lui aurait littéralement craché au visage. Ses mains avaient cessé de bouger. Elles étaient crispées, serrées, l’une sur l’autre. Une larme coula sur son visage abîmé, elle commençait à pleurer.
— Où est Rolly, hein ? Pourquoi ne vient-il pas me voir ? C’est à cause de toi...
Cet endroit de malheur lui avait déjà volé son humanité, sa liberté, elle lui retirait même ses souvenirs. « Si tu continues à rien écouter à l'école, tu finiras comme ton oncle, c'est ce que tu veux ? ». La menace étaient tombée plus d'une fois. Aujourd'hui, c'était devenu sa réalité. Elle ne voyait plus Nick devant elle, elle voyait Reuben, menottes aux poignets.
— Disparaît !
Le cri strident le heurta de plein fouet. Pire que les insultes, le fait qu’elle ait oublié le visage de son propre fils l’acheva. La démence était bien à l’œuvre et faisait de sa mémoire un véritable gruyère.
Une infirmière entra dans la chambre en trombe, seringue en main. On ne s’embarrassait plus des patients hors de la réalité. Elle prenait son fils pour un autre, elle délirait ? Le seul remède à cela était la dose de calmant. On la calmait à coup d’injection, ça l'endormait presque aussitôt. De toute façon, elle n’en aurait certainement plus pour très longtemps.
En deux mois, les frais d’hospitalisation avaient englouti deux demi salaires. Plus Tiffany passait de temps dans leur chambre mortuaire, plus la note s’alourdissait. Les restes de l’assurance vie de Rolly avaient couvert les trois premières années et très vite Nick avait dû assumer la charge. Lourde charge pour un pauvre livreur de journaux.
Au fait maman, c’est mon anniversaire aujourd’hui.
Aussi loin qu’il s’en souvienne, Nick n’avait jamais vraiment eu d’anniversaire heureux.
Assis dans le fond du bus, direction le quartier nord, son regard se perdit dans le flou horizontal du paysage en mouvement.
Le 27 novembre 1991, Nick rentrait de l’école le cœur en joie. Il portait fièrement sa nouvelle écharpe d’un vert qui faisait ressortir l’iris marron de ses yeux. Tandis que la neige ne s’arrêtait plus de tomber, recouvrant les trottoirs à peine piétinés de Toredit, l’étoffe tombait à pic. Et elle portait cette odeur douce et fleurie.
— Ah te voilà, toi ! Mais où t’étais passé ? Il est cinq heure et quart !
— J’étais avec…
— Tu n’as pas vu qu’il faisait nuit, non ?
Les yeux ronds et noirs rivés sur lui donnèrent le ton. Nick se tue. Et pour ne pas avoir à les affronter plus longtemps, il baissa la tête.
Tiffany avait cet air hystérique de la mère plus rabat-joie qu’inquiète. Le moindre débordement du cadre qu’elle avait fixé provoquait une émulsion de reproches. Si Rolly avait été là… Mais heureusement, il n’était plus.
— Qu’est-ce que tu as au cou ?
Pas si obnubilée que ça par elle et ses règles rigides finalement. Elle avait repéré le morceau de tissu neuf sur les épaules décharnées de son fils.
— Diana me l’a offert pour mon anniversaire.
La joie dominait sa voix bien qu’il s’interdisait le moindre sourire, juste dans le doute. Même si un ou deux camarades avaient pensé à lui souhaiter ses sept ans, Diana avait été la seule à lui faire un cadeau. Ou presque la seule. Il avait reçu un autre présent. Mais étant donné qu’il provenait des mains d’un homme dont Tiffany détestait le moindre centimètre carré de peau, Nick préféra le cacher. Reuben au moins avait toujours pensé à lui. Du moins jusqu’à ce que les barreaux l’en empêchent.
End Notes:
Vous venez de faire connaissance avec la mère de Nick, un personnage important dans la définission du protagoniste. Alors, qu'en avez-vous pensé ?
La chance tourne-t-elle ? by MelHp7
Author's Notes:
Vous attendiez l'élément déclencheur ? Que dirirez-vous d'un peu de mystère ?
Il traîna les pieds hors du bus. C'était le seul passager à descendre dans le quartier nord de la ville. Et la rue était aussi déserte qu’un cimetière. Inanimée au possible. Pas de klaxon furieux, pas de rires perçants, pas de jurons hurlés. Étrange que la rue grise ne compte pas un seul passant. Cette fois elle n’était plus grise de monde, mais grise de brume.
Les mains dans les poches, Nick commença le trajet qui le séparait de Marple Street, entre les maisons pâles et les petits immeubles inhospitaliers dont l’ombre privait la rue du peu de lumière qu’il y avait. Cette atmosphère était d’autant plus surnaturelle que le ciel était dégagé. Presque autant que la rue en réalité. Visuel de carte postale qui collait aux cornées. Il marchait dans ce silence n’entendant que ses propres pas résonner comme dans un musée.
Il avait six ans, et la petite école d'East Institution avait organisé une sortie culturelle. Sans cela, le niveau de vie de ses parents ne lui aurait jamais permis tel privilège. Un musée, c'était exactement le genre d'endroit où il ne se sentirait plus légitime de mettre les pieds aujourd’hui, de peur que les regards s'attardent davantage sur son physique ravageur que sur les œuvres d'art.
Il avait six an, et le cadre, immense, remplissait le mur du sol au plafond. Lui, soixante centimètres de moins, était absorbé par la toile. Apaisante, malgré son inquiétant sujet. Un homme, tâché de sang, blessé, mourant, attaché sur une croix en bois. La tête penchée en arrière, Nick le regardait dans les yeux. Ses cheveux longs et foncés tombaient sur ses omoplates que son large t-shirt noir ne dissimulait pas. Ses camarades continuaient de suivre l'institutrice dont les déblatérations historiques n'intéressaient qu'elle, pendant qu'il désobéissait en restant immobile. Mais il n'était pas seul. Dans un silence ecclésiastique, la main de Diana s’empara de la sienne. Comme la torture pouvait être lisse et chaleureuse.
Cette pure douceur, le trentenaire qu'il était devenu en était encore profondément marqué. La sensation tiède d'une caresse sincère était sans doute celle qu'il chérissait le plus parmi tout ce qu'il avait pu vivre dans son enfance. Un papillonnement incessant. Plus agréable, mais aussi énergique qu’une décharge électrique propulsée du bout de ses doigts dans ses nerfs et jusqu’à son cœur
Boum-Boum. Les battements accélérèrent. Les deux enfants se retrouvèrent les yeux dans les yeux, communiant l'un avec l'autre devant Jésus Christ crucifié.
Ce symbole lui avait fait promettre d'épouser Diana sous l'approbation de l’Église, un jour ou l’autre. Aujourd'hui, elle n'était plus qu'un rêve envolé et lui une poussière sur la Terre.
Dans un long soupir de peine, il releva la tête vers l'horizon. La réalité était encore plus dure que tout ce qu’il aurait pu imaginer. La solitude. Pesante solitude.
Elle prit fin lorsqu’il aperçu enfin un autre être humain. Un vieil homme. Sûrement un SDF étant donnée sa proéminente barbe grisâtre, ses vêtements sales et le tas d'objets qui l'entouraient. Bien qu’il ait déjà adhéré au club des clochards de Toredit, Nick n’aurait su associer un nom à cet étranger. Il se faisaient d'autant plus rare par ici que la petite ville avait perdu en activité économique. Alors qu'il approchait de plus en plus du vieillard agenouillé sur les pavés du trottoir délabré, il dû se rendre à l'évidence : ça n’était pas un ancien compagnon de galère.
Aucune bouteille en verre vide à ses pieds. Pas de déchets non plus. La cabane mobile du vieux était faite de boites à chaussures empilées. Facile d’imaginer qu’elles étaient remplies de sachets de nourriture ou de couvertures déchirées. Peut-être même qu'elles étaient vides. L'une d'elles, toutefois, sortait du lot. Elle semblait tout droit sortie d'un magasin ou de chez un cordonnier de la ville voisine. Avec toute la courtoisie dont il était capable, Nick s'arrêta devant lui pour le saluer. Sa fierté se lisait sur son sourire sans dents.
— C'est votre jour de chance, monsieur.
— Je dirais plutôt qu’il s’agit du vôtre...
La voix étonnamment limpide du vieillard résonna comme un coup de bâton dans une grotte souterraine. Hein ? Son déficit de relations sociales le faisait dérailler. Nick avait connu ça. Le besoin de parler, même dire n'importe quoi, face à un mur ou un étranger. Les vertus thérapeutiques de cette attitude ne se vérifiaient pas, mais la raison n’était pas toujours affaire de statistiques.
A contre-coeur, Nick déposa dix dollars devant ses frêles jambes. Sans rien ajouter. Cet argent aurait dû lui permettre de marquer son anniversaire. Mais à l’évidence, il n’y aurait pas plus d’anniversaire pour ses trente-trois ans que pour les précédentes années.
Le vieil homme afficha un sourire équivoque. Sa trogne joviale, pleine de malice et d'assurance lui donnait des airs de fous. Avant de renchérir, il se pencha sur cette fameuse boite en carton marron, celle qui était intacte. Il la souleva devant son buste. Le billet de banque au sol ne faisait même par reluire ses yeux laiteux. Avait-il seulement daigné le regarder ? Nick ne s'attendait pas à de grands remerciements de toute façon. La fierté des gens de la rue et leur désespoir étaient de ses vieilles amies. À quoi pouvaient bien mener dix dollars, de toute façon ? À l'échelle humaine ce n'était qu’un grain de sable pour quelqu'un qui n'avait plus rien à lui. Sans compter que cet homme-là devait avoir plus de soixante-dix ans.
— Je savais que vous viendriez. Et si ça n'était pas aujourd'hui, je vous aurais attendu jusqu'à l'année prochaine, dit-il, le doigt levé. Mais ! Je savais que vous seriez là, c'est aujourd'hui qu'il fallait que vous le soyiez.
Entre ses deux mains aux doigts chétifs, il tenait la boite qui, à en juger par les tremblements du vieillard, n'était pas vide. Mais d'où sortait-il celui-là avec ses grandes déclarations ?
— Voici votre cadeau. Celui que vous avez réclamé.
Les yeux brillants, il lui tendit la boite du bout de ses bras. Un automatisme poussa Nick à s’avancer pour la saisir, mais il se retint. Il engagea toute sa volonté dans cette restriction. Ce fut la même qu’il s’était imposé chaque fois qu’il était mort d’envie de voler le goûter dans le sac de son camarade de classe parce que sa mère avait négligé de préparer le sien.
Je l’ai réclamé ? Nick n’avait jamais été capricieux, et il avait toujours vécu modestement. Ce vieillard perdait simplement les pédales. Espérait-il se faire un ami en jouant la carte de la générosité ?
Toujours était-il que l’envie d'ouvrir la boite s’atténua. Nick fit un pas en arrière qui manqua de peu de le faire chuter du haut du trottoir.
— Prenez-les. Et prenez-en grand soin si vous ne voulez pas tout perdre, insista le clochard d’un ton plus grave.
Quelque chose d’anormal anima les pupilles dilatées de l’homme rabougri. Une petite flamme se mit à danser dans ses iris incroyablement sombres. Sa peau plissée tremblait, décollant à intervalles réguliers la poche de peau môle de ses globes oculaires, jusqu’à laisser entrevoir les vaisseaux rouge vif qui irriguaient ces petits organes. Des rides se formèrent sous les valises épidermiques de plus d’un centimètre. Elles témoignaient de l’apparition progressive d’un énorme sourire, bouche ouverte. Un sourire loin d’être rassurant.
Nick ne prit même pas le temps de ramasser son billet de banque, aussi précieux soit-il, et débarrassa la rue de sa présence. Immobile comme un mime, le clochard le suivit du regard, jusqu’à ce qu’il tourne au coin de la rue.
Il pressa un peu le pas pour réduire le temps qui le séparait de son appartement. En passant devant la boulangerie où il prenait parfois le temps de s’arrêter acheter une viennoiserie, il se stoppa net. La vitrine ordinairement pleine de couleur excentriques était vierge. Nick s’y attarda une minute de plus pour constater la disparition pure et simple de Bread Fast. Rien qu’un fond de commerce vide. Les épaules tombantes, il considéra la pancarte grossièrement collée sur la porte. À VENDRE, indiquait-elle. Il releva la tête, mais aucune enseigne ne décorait la façade. Il fit quelques pas de plus, la bouche entre-ouverte. L'étrange sensation de ne plus savoir où il se trouvait s'empara de lui. Il était pourtant certain d'avoir emprunté le chemin habituel. La boulangerie s’était tout simplement évaporée dans la brume.
Il s’avança jusqu’à plaquer ses deux bras contre la vitre et y posa son front blanc. A l'intérieur, la poussière accumulée sur le sol de la boutique ne trompait pas. Mais la pièce, bien que condamnée, n’était pas totalement vide. Une boite gisait là, en plein milieu. Peut-être un vestige du déménagement ? Elle ressemblait étrangement à la boite marron du clochard. Surpris, Nick s’écarta de la vitrine en reculant. Dans la panique, il n'entendit pas arriver le cycliste lancé à pleine vitesse et un violent coup dans le mollet le fit flancher en avant.
— Hé, faites gaffe la prochaine fois !
Une main sur sa jambe douloureuse, il tourna la tête vers la gauche et vit s’éloigner le type sur son vélo. Il soupira, laissant la colère redescendre. Cet enfoiré avait déjà filé, sans demander pardon. Rouler sur le trottoir comme un fou... Ce n’était pas comme si la route était impraticable.
Nick reprit la marche dans la rue grimpante. Un courant d'air chatouilla son cou découvert. Le vent s’était levé et brisait le silence en sifflant. Une rafale puissante le poussa à faire un pas en avant, un pas boiteux. La sensation dans son mollet, piquante, continuait de se manifester. Ce cycliste lui avait arraché un peu de peau en déchirant son pantalon, laissant perler une petite goutte de sang vif. Tant pis, il ferait le trajet dans cet état. L’appartement n’était plus très loin.
En arrivant dans Marple Street, tout était soudainement différent. Le vent avait dû chasser les nuages, car ils ne menaçaient plus de faire dégringoler la pluie. Il faisait toujours aussi froid, mais un froid sec, plus supportable.
Nick leva la tête vers le vieil immeuble dégoûtant qui abritait son logement. Le monde ne tournait pas rond. Son banquier lui réclamait de l’argent au lieu de l’aider à en économiser ; un inconnu sans le sous insistait pour lui faire un cadeau au lieu d’accepter un coup de pouce ; et sa propre mère le prenait probablement pour son oncle Reuben, oubliant par conséquent qu’il moisissait en prison. Petit à petit, Nick perdait en consistance auprès des autres. Plus d’argent, plus de valeur. Ni économique, ni sentimentale. S’il n’avait pas vécu un seul anniversaire heureux, jamais aucun n’avait été aussi désastreux.
Dépité. Il poussa la lourde porte de son immeuble en songeant à cette folle journée.
— Oh pardon, je ne vous avais pas vue.
Nick se faufila dans le sas d'entré de l'immeuble pour faire place. Mais la voisine ne s’arrêta même pas pour le considérer. Malgré le ton plein d’excuse qu’il avait employé. Elle avait les mains prises par des sacs pleins. Rien d’inhabituel, il était invisible. Visiblement moins important qu’un lot de déchets dont on cherche à se débarrasser.
C’est là, au moment où il se retrouva seul dans ce minuscule hall, à peine calibré pour que les habitants puissent ouvrir leurs boites-aux-lettres, qu’il la vit à nouveau. La boite en carton. Par réflexe, d’instinct, il se retourna le doigt en l’air.
— Juliette ? Vous avez oublié un carton !
A moins que la porte ne fusse douée de parole, Nick s’adressait au vide. Sa voisine avait filé et de toute évidence, ce carton n’était pas le sien. C’était celui du clochard. Celui qu’il avait refusé de saisir pour la simple et bonne raison qu’on se méfie toujours des étrangers, d’autant plus quand ils se comportent étrangement.
Mais était-ce vraiment le même carton ? Impossible. Un vieillard, aussi déjanté fusse-t-il, ne pouvait se déplacer plus vite qu’un trentenaire – même un trentenaire au bord de la dépression nerveuse. Comment aurait-il pu forcer la porte de l’immeuble, de toute façon ?
Nick contourna la cage d’escalier. La boite se trouvait sous les marches, juste à côté du placard à balais. Et puisque plus personne ne venait faire le ménage depuis que la copropriété avait décidé des restrictions budgétaires, la boite ne gênait personne. A en juger l’épaisseur de crasse qui recouvrait le sol, aucun résident n’avait pris la peine de faire le ménage les deux derniers mois…
Nick, je suis ton cadeau d’anniversaire, ton seul cadeau d’anniversaire. Viens découvrir ce que je cache. La boite lui tendait les bras. Elle l’appelait de son immobilisme tentant. Une boule de salive glissa dans sa gorge aussi vite que s'installait le malaise sur son visage. Quand il réalisa qu’il venait d’inventer une voix à cette boite, elle était déjà en sa possession. Il la tenait entre ses mains fermes. En l’entrouvrant timidement, il aperçut ce qui avait tout l’air d’une paire de chaussures. Il arracha le couvercle et le laissa tomber au sol. C'étaient des chaussures classiques éclatantes. Le genre de chaussures que seuls les hommes d'affaires portaient. Pas le genre que son père aurait chaussé. Elles brillaient, et l’odeur du cuir inonda d’un seul coup ses narines. Délicatement, il prit la paire et glissa ses doigts à l’intérieur. Sur la semelle on pouvait lire la taille : 8,5. C’était écrit sur un fond noir ténèbres.
— Comment… ?
Ces chaussures étaient à sa taille.
Un troupeau de questions se bousculèrent dans sa tête. Des chaussures de cette classe, dans cet immeuble ? En regardant les noms de ses voisins, aucun d'eux ne lui parut assez chic pour être le possesseur de ces objets de luxe. Pas même Jack Newman. Jamais une retraite de journaliste local ne lui aurait permis une telle liberté. Peut-être que quelqu'un les avait volé. Ou peut-être que... Nerveusement, Nick reposa la scintillante paire dans son écrin de carton. Ses empreintes étaient imprimées sur le revêtement. Quel idiot. Le voleur ce n’était pas lui !
Un courant d’air lui chatouilla la nuque. Il sursauta, se retourna d’un coup, les mains dans le bas de son dos pour dissimuler ses cachotteries, comme un enfant. Personne n’avait passé la porte. Personne ne l’avait vu. Pourtant, une inquiétude irrationnelle ne cessait de grimper à la vitesse d'une éruption volcanique.
Ces chaussures étaient probablement tombées du camion. Inutile de se voiler la face. Et en les voyant dans ses mains, ça prenait tout son sens. Son allure habituelle, débraillée, abîmée, ne tromperait jamais le tableau. Croiser le Président Obama vêtu d'un kilt écossai paraîtrait moins louche que voir ces chaussures aux pieds du lambda Nick Johnson. Comme si l'inscription "Voleur" s'était gravée à l'encre noir sur son front marqué, il monta immédiatement chez lui pour y déposer sa trouvaille avant qu'on ne le voit avec.
Quel bazar…
A quoi s’attendait-il ? L’état de son studio ne s’était pas bonifié pendant son absence. Dommage. L’enchaînement de mauvaises nouvelles l’avait vidé de toute motivation. Le ménage, ce serait pour plus tard.
Nick attarda son regard sur la boite posée au bout de son lit défait. De part sa rigueur, sa netteté, elle faisait tâche dans le décor. C’était décidé, il irait rendre ces chaussures. Cet après-midi. Ou bien demain… Ou jamais ? Une pointe de culpabilité devança son désir profond de posséder ces objets de valeur. Si si, il les remettrait où il les avait trouvées. Mais d’abord, il les essaierai.
End Notes:
J'espère que la tournure que prend cette histoire vous plait. Dites-moi tout !
L'avenir fantasmé by MelHp7
Le rideau tomba et les masques en même temps.
Ce n'était pas un tonnerre d'applaudissement, la salle n'était pas comble, mais c'était mieux que rien. Le cachet serait satisfaisant.
— Bravo les filles ! Vous les avez émoustillés, ce soir.
Elles s'agitaient en tout sens dans les vestiaires. Des perruques volaient, des robes flottaient. Le parfum fleuri et persistant de Maud se mêlait à la sueur de la plupart des aisselles. Des jambes à nues, des tailles dévoilées. Et le regard dérangeant de Matthew.
La main qui se posa sur sa cuisse la fit sursauter. Moite et affreusement chaude.
— Merveilleuse Sarah. Comme toujours.
Sèchement, elle se leva. Ses cheveux lâchés tombèrent dans son dos à la chaire de poule naissante. Le miroir renvoya les traits crispés d'un visage en alerte. Les autres filles commençaient à déserter les coulisses, au profit d'un silence de plus en plus redouté.
Sarah s'activa pour se débarrasser de son attirail décoratif. Des habits de seconde main rafistolés pour faire d'elle une Cléopatre de seconde zone. Le maquillage était mieux réussi.
Il se rinçait l'oeil vicieux pendant qu'elle faisait son sac.
La croupe tendue pour tout rassembler. L'envie de mettre le plus de distance possible entre elle et lui la pressait au point que ses affaires ressemblaient à un tas de chiffons informes.
— Tu n'as pas oublié ma proposition d'hier, hein ?
Plus aucune fille n'était là pour faire tampon. Elles avaient fuit, la laissant dans les griffes de leur employeur. Elle balança son sac sur son épaule. Inutile de se démaquiller, pas le temps surtout. Elle ne voulait pas rester une minute de plus seule avec lui.
— J'ai pas le temps là, Matthew.
Elle ne lui accorda pas un regard. A la lueur des lampes murales jaunes, elle s'élança vers la porte de sortie. L'air était pesant ici. Les yeux rivés sur son échappatoire, elle ressentit à peine la douleur quand elle heurta la chaise qui gênait son passage. Mais Matthew attrapa son poignet, la forçant à lui faire face. Avait-il perçu que le corps entier de Sarah tressallait ?
— Tu veux me faire croire que tu as mieux à faire qu'aller boire un coup dehors à mes frais ?
Ce sourire cynique de celui qui a l'ascendant, toutes les femmes qui avaient croisé son chemin devaient le connaître. Il faisait froid dans le dos. Les lèvres pincées, Sarah ne se dégonfla pas.
— Mon copain m'attend.
Il ne lâchait pas prise, au contraire. La pression augmenta.
— Si je le fais attendre trop longtemps il va monter me chercher.
La ridicule menace arracha un rire en dent de scie au quadragénaire. Il passa une main sereine dans sa tignasse coiffée de cire. De l'autre, il resserra son emprise sur les gros os de Sarah. Sa peau rougit. Puis, il la lança dans l'air en prenant soin de la marquer de ses ongles courts mal coupés.
— Ne t'avise pas de refuser une troisième fois. Ma patience a des limites que tu ne veux pas connaître... Des tas de filles me suceraient pour jouer Cléopatre à ta place et tirer tes billets.
Sa voix n'avaient plus rien de mielleux. Il la toisait de sa suffisance implacable.
Le coeur de Sarah battait à tout rompre, mais rien dans son comportement ne le trahit. Elle avait appris, à ses dépends, que se taire était souvent la meilleure des esquives.
La lourde porte claqua derrière elle. Soulagement immédiat dans sa poitrine. Ce n'était pas pour son copain fictif qu'elle se préoccupait de l'heure, mais pour un autre pervers. Celui-là l'avait réservée. Elle accepterait son argent, et ferait ce qu'il lui demanderait en échange, à partir du moment où ça figurait dans son contrat. Elle enfilerait bientôt le costume de Azúcar, son costume de nuit. Elle n'avait rien signé de tel avec Matthew Kewis. Pour lui, elle jouait Cléopatre, peu importait que la pièce soit si mal écrite ou que son acoutrement doré ne soit pas à la hauteur de sa prestance. A chaque représentation, elle donnait tout. Avec un peu de chance, un artiste auteur un peu marginal et bourré de talent, un de ceux qui a le bras long et le carnet d'adresse d'un réalisateur de renommé, viendrait s'asseoir sur l'un des sièges rouges du petit théâtre de Toredit. Le rêve ultime était à porté de main chaque fois qu'elle déblatérait son texte, sublimée par un eye-liner noir.
La lune ronde comme une boule de billard blanche brillait. Elle aurait presque suffit à illuminer la nuit tombée. Mais les lampadaires n'étaient pas de trop à Toredit. Qui sait si une copie de Matthew ne trainait pas dans les parages. Tapis derrière un buis, caché dans l'ombre d'un chemin, dissimulé par un abris bus. Il se tenait prêt à bondir. Lui ne hurlerait pas à la mort pour ne pas alerter le voisinage, mais deux grandes canines luieraient dans le noir et des griffes pousseraient à la place de ses ongles.
Le premier de sa longue soirée s'appelait Jerry. Un blanc-bec de cinquante trois ans qui en paraissait dix de plus sur sa photo d'identité. Ce n'étaient pas ses cheveux éclatants, ni ses récentes rides sous ses yeux bleus qui le vieillissaient. C'étaient ces tâches brûnatres qui commençaient à maculer sa peau asséchée. On aurait pu découper son sourire et l'attribuer à un trentenaire gâté par mère nature. Mais Jerry devait sans doute sa dentition au meilleur docteur du Michigan. Avec l'argent qui lui tombait dans les poches tous les jours, à siroter son scotch dans un fauteuil en cuir près du foyer de cheminée, il avait de quoi se payer une bouche de jeunot. Quoiqu'il arrive, les conditions de Hot Dating n'incluaient jamais les échanges bucaux. Les fluides baveux du client ne coulaient par ailleurs que sur son propre menton.
« Celui-là, il veut rester discret, avait précisé Chantal. C'est du genre à voter Republicain depuis qu'il est dans le ventre de sa mère et à plaider pour la construction d'un mur frontalier entre lui et le Mexique. Ca n'empêche que dans le dos de sa femme, de ses gosses et de ses fidèles faux amis, il aime se faire titiller la tige par des mains mates.»
Des ordures comme ce raciste public, elle en voyait une masse incalculable. Ca faisait mauvais genre de trainer au bras d'une femme de couleur, mais c'était le pied au lit. L'exostisme. C'était Sarah, et quelques autres escort-girl. Quand un type voulait une latina, on lui envoyait Azúcar. La pulpeuse, Azúcar. Au regard muy caliente. Et pour trois fois plus de thunes qu'en Cléopatre, elle jouait le jeu pour des hommes qu'elle tuait cent fois dans sa tête.
Ce soir-là, elle s'appliquerait particulièrement à satisfaire les mains baladeuses de ce frustré du mariage. Quelle chance qu'il fusse plein aux as. Ses camarades d'agence ne cessaient de la jalouser pour ces contrats gagnants. Elle pourrait en tirer le double du prix, si elle se débrouillait bien. Et peut-être même qu'il en ferait son escort atitrée pendant deux ou trois semaines. A condition que tu courbes l'échine autant que tu sais cambrer ton dos. Pendant qu'il aurait le dos tourné, qu'il fumerait son cirgare ou qu'il appellerait sa femme pour lui assurer qu'il rentrerait bien dormir dans leur lit tiède, elle volerait quelques bifetons dans son portefeuille. En toute discrétion. Dépouillé. Elle le dépouillerait au compte goutte, autant que possible, pour s'arracher à cette vie misérable.
Comme un parasite, elle n'existait que grâce au compte en banque de ces pauvres types grossiers et infidèles. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était quitter ce monde d'hypocrisie où même le sexe se soldait. Moins dix pourcent sur la branlette espagnole pendant trois jours, trois jours messieurs ! Des intéressés ?
Quand elle aurait réuni assez d'argent et que Sarah Flemmings serait plus connu pour son nom de scène que son pseudonyme de nuit, on ne payerait plus pour la voir se déshabiller, mais simplement pour la voir jouer. On se batterait pour sa seule présence. Plus de cul à moitié prix, plus d'ordre à recevoir. Que des sourires sincères, admiratifs, et non plus de regards lubriques ni de demandes salaces.
— Hey, la mexicaine, tu t'es égarée ? T'es sacrément bonne ! Fais gaffe où tu traines ton gros cul, c'est pas très safe par ici.
La voiture noire brillante passa lentement devant elle, la carroserie luisante sous la pluie naissante. Trois types remplissant leur costume se marraient à l'intérieur. Barbe mal rasée, fumée dans l'habitacle, sourire carnasiers. Celui de l'arrière colla sa langue sur la vitre, dessinant des cercles mousseux répugnants. Et comme si l'humiliation des cheveux trempés et du maquillage coulant, le tout dans une robe serrée, n'était pas suffisante, le conducteur enfonça le klaxon. Des rires s'échapèrent par la vitre qui remontait jusqu'à se fermer. Le feu était vert. Fort heureusement, ces gars-là étaient de la race des grandes-gueules. Entre se faire coincer par trois types malintentionnés et courir se réfugier chez un violeur avéré, elle n'était pas bien sûre de savoir ce qu'elle aurait préféré subir.
End Notes:
Ce retour à Sarah vous a-t-il intéressé ? Encore un personnage désabusé par la réalité, hein ?
Venez me dire ce que vous en pensez, ne soyez pas timide :)
Langue sèche, bouche pâteuse, marteau piqueur dans le crâne... La gueule de bois était des réveils les plus pénibles que Nick ait jamais connu. Cette insupportable impression de respirer du dyoxde de carbonne et de manquer d'eau était due aux dix cadavres de verre renversés près de la poubelle. La nuit artificiellement maintenue par les volets le confortait dans l'idée de se rendormir, pour oublier. Mais la sensation de soif, décuplée par les glaires collées dans sa gorge irritée, le contraignit à sortir de sous la couverture.
Le froid de la pièce remplaça la chaleur du lit. D'une main, il frottait ses paupières lourdes tandis que, de l'autre, il grattait son cuir chevelu. Comme un ours sortant d'hibernation, il était affaibli. Sauf que l'hiver n'avait duré qu'une nuit. En avançant dans l'obscurité, il trébucha sur quelque chose. Pas des bouteilles de bière, ça lui aurait cassé les timpants. Il imaginait le bazar qui devait régner dans le studio. Les souvenirs tardaient à refaire surface, noyés dans l'alcool de la veille. Tant mieux, quelque part. Plutôt que faire la lumière sur cette soirée trop arrosée, il retarda le moment en ouvrant le robinet de la cuisine au dessus d'un verre qu'il espérait vide (mais sans doute n'était-il pas propre). L'eau dans son gosier eut l'effet d'une crue après une période arride. Un verre ne suffit pas, il s'en servit un deuxième, puis un troisième qu'il engloutit sans pause. Le soulagement fut cependant de courte durée. Il lui fallait de l'air frais, et un bon bol. Tant pis pour ses yeux, il ouvrit la fenêtre et replia les volets. La clareté du jour brûla instantanément ses rétines. Les yeux clos, il termina l'opération et tendit le cou pour aspirer un maximun d'oxygène. Une grande bouffée s'engouffra dans ses narines et s'enfonça dans les orifices pour gagner les poumons et rebondir jusqu'au cerveau. Dommage que l'odeur se raprochait plus de celle des particules de pollution que de celle des végétaux.
Mais ç'avait été pire dans son enfance. Les pots d'échappement des voitures étaient plus courants que les fleurs au printemps. Et respirer cette atmosphère nocive n'avait jamais inquiété personne jusqu'à ce qu'on s'étonne que l'industrie de l'automobile tuait de pauvres gens d'un cancer du poumon.
Le père d'Eddy Truman était de ceux-là. Nick s'en souvenait parfaitement. Ce jour-là, Eddy n'était pas venu à l'école et personne ne savait ce qui le retenait dans sa bicoque. Sauf Diana. Ne sachant à qui confier son triste secret, la maman d'Eddy avait décroché son téléphone pour prévenir Marie Frane, une amie de longue date. Et puisque Diana avait tendance à laisser ses oreilles de fouine traîner, elle avait non seulement entendu les sanglots, mais aussi les détails sordides.
— C'est son père, il est mort hier soir dans son lit d'hopital.
— Il était malade ?
— Sa mère a dit que c'est à cause des gaz. Il a toussé et craché du sang jusqu'à se vider.
Jack Truman n'avait jamais fumé une seule cigarette de sa fichue vie. Il n'avait pas mis les pieds dans l'industrie, ni dans une mine, ni dans le bâtiment. Les voitures avaient eu raison de lui.
Nick réussit enfin à ouvrir complètement les yeux. La lumière était toujours agressive, mais soutenable. Le fourbi n'en était que plus visible. Il ignorait encore comment la pièce avait pu se retrouver dans un tel état. La table ronde en bois avait adopté une position allongée bien inconvenante tandis qu'un morceau de pizza froide en pendouillait. Le fromage séché n'avait plus rien d'appétissant. L'une des chaises ne reposait plus que sur deux de ses pieds, le dossier étant supporté par le réfrigérateur. Les déchets cartonnés s'amassaient prêt de la porte d'entrée et l'emballage de pizza dominait la pile. Quant à la vaisselle, accumulée dans l'évier, elle était crade à souhait. Et le tambourain dans sa tête était tout sauf motivant pour arranger les choses.
Au centre du barda, il les vit. Les responsables de sa presque chute. Les John Foster brillaient comme deux diamans dans une grotte inhospitalière. Elles reluisaient de leur noirceur profonde, formant un V au milieu des décombres comme le vestige de sa déchéance. Et soudain, il se souvint.
La veille, après une journée plus qu'éprouvante, Nick avait cédé à la tentation d'essayer la paire de chaussure de luxe.
Ayant renié toute vitre réfléchissante dans son petit taudit, et n'ayant d'autre moyen de contempler le résultat, il s'admira dans le miroir imparfait qu'était la porte métallique de son frigo. L'image était légèrement floue, foncée, mais ça suffit. Des pieds à la naissance du cou, il se vit devenir quelqu'un d'autre. Un homme distingué, incroyablement riche, et n'ayant qu'à claquer des doigts pour sortir de la misère. Quoi de plus rabaissant que cette sombre image de soi ? Comme si des grôles pouvaient changer sa vie. Les chiens de la rue avaient beau porter un collier de marque, ils n'en restaient pas moins que des vermines abandonnées, condamnées à se nourrir dans les détritus. Traitresses ! Ces foutues chaussures lui renvoyaient une image de lui qui n'existait que dans ses rêves de revanche. Une réalité parallèle qu'il n'était plus en mesure d'atteindre maintenant qu'il était fauché, seul et souillé.
La vérité l'avait frappé en plein coeur. Alors, le pack de bière ambrée avait revêtu son apparence de mouchoir. Pour absorber le chagrin et effacer la peine, rien de plus efficace que le liquide enivrant de l'alcool. Nick avait bu jusqu'à s'écrouler sur son canapé-lit. Ca expliquait qu'il se soit réveillé dans ses vêtements de jour, puant le houblon fermenté.
Elles n'avaient pas bougé d'un pouce depuis qu'il les avait arrachées à ses pieds et balancées contre le meuble qui lui servait à la fois d'armoire et de garde-manger. La vue du trou dans sa chaussette provoqua un rire nerveux. Son gros orteil, il était tristement découvert démuni de la riche façade en cuire. Tout était parti de là. De cette ironie.
Il les fixa un instant de son air le plus sévère. Silencieusement, il leur reprochait d'être venue s'incruster chez lui. Comment avait-il pu être aussi bête et cupide. Jusqu'à ce qu'un éclair fisse la lumière dans sa mémoire. Il se rappela soudain de quoi avait été faite cette nuit douloureuse. Il y avait bien longtemps que son subconscient n'avait pas replongé Nick dans ses souvenirs heureux. Or, Diana avait habité ses derniers rêves. De ses doux cheveux blonds et de ses sourires sincères, elle les avaient enchantés. Heureux, ces rêves ? Plutôt une autre ruse des John Foster pour enfoncer le clou !
Tu n'as pas été foutu de trouver chaussure à ton pied. Ni femme, ni enfant, ni emploi digne de ce nom. Qu'est devenue Diana Frane, l'amour de ta vie ? Un fantasme. Et comme tous les fantasmes, il ne te sera jamais accessible.
Oublie donc ces maudites chaussures.
Le grognement de son ventre rappela son cerveau à des priorités plus instinctives. Il avait une faim de loup. Quoi de plus normal pour quelqu'un qui avait rempli son estomac d'alcool et de si peu d'aliments solides ? Du revers du pied, il poussa les deux bouteilles qui avaient roulé jusque devant le frigidaire, déplaça la chaise qui faisait obstacle, et ouvrit la porte. La lumière blanche réduisit ses yeux à deux fentes dignes de la plus mauvaise immitation d'un regard bridé. Et quand elle fut supportable, il ne put que constater le vide. Ou presque. Une plaquette de beurre à moitié entamée, un pot de moutarde vieux de plus d'un mois, des restes de shedar, une bouteille de lait... Un ou deux légumes en train de se fripper, des tranches de jambon blanc, du bacon et trois quatre trucs à l'aspect rebutant, surtout avec autant d'alcool dans le sang. Il y avait bien ces deux parts de pizza froide, mais l'envie n'y était pas. Que cachait l'armoire ? Il chevaucha son manteau en boule et pris soin de ne pas marcher dans la flaque jaunie pour ouvrir la porte du placard. Une boite de tomates pelées dissimulait un sachet de pâtes. Où étaient donc ces fichus flocons de maïs ? Pas derrière le bocal de farine de blé, ni à côté du café en poudre. Il se retourna pour jeter un coup d'oeil à l'évier, un des coins les plus repoussant de son studio. Voilà où il avait laissé trainé ses céréales : sur le capot du lave-linge. La veille, il n'avait même pas pris le temps de le sceller d'une épingle à linge, il s'était contenté de le poser là en s'assurant qu'il ferait le ménage en retrant. C'était sans compter sur un regain de mal-être. Pas de chance.
Elle a bon dos la malchance, tien. Tu sais bien que tu payes le prix des erreurs passées. N'oublie pas qu'il te regarde d'en haut.
Les flocons avaient dus ramolir. Tant pis, il les versa tout de même dans son deuxième et dernier bol, le seul encore propre, ainsi que le fond de lait qu'il restait. C'était mieux que rien. Toujours mieux que de ruminer le passé révolu. En mâchant mollement son petit-déjeuner, Nick leva les yeux vers la vieille pendule dont il n'entendait plus le cliquetis régulier des aiguilles tant ses oreilles s'en étaient accomodées. Il avait encore le temps de prendre une douche et de se débarrasser de son mal de tête avant de reprendre le travail. Mais pas moyen d'avoir l'air propre sur lui avec les vêtements qui l'attendaient dans la penderie. A moins que...
End Notes:
Toujours pas à envier la vie de Nick, hein ? Autrement, la lecture vous plait toujours ?
Regain d'attention by MelHp7
Dieu seul savait si l’amnésie l’avait gagné après avoir sauté de la langue de Tiffany - un postillon contaminé - jusqu’à son œil ou si c'était la bouillie de son repas matinal qui avait ramolli son cerveau imbibé de bière, mais Nick avait revu sa décision si fermement prise de rendre les John Foster. Il était hors de question qu’il s’en sépare. Hors-de-question. Une dizaine de raisons toutes indiscutables avaient jailli de sa cupide curiosité comme d’une source inépuisable.
Pense à la chance que tu as de pouvoir mettre à tes pieds de tels objets de luxe, ça n’arrivera plus. Et si le vieillard t’avait tendu un piège pour te coller au trou, avec l'oncle Reuben ? Si tu ne les portes pas, aie au moins la décence d’en tirer un bon prix. Pourquoi ne pas saisir à pleine main ce revers de fortune plutôt que l’envoyer balader ? Ca ne se fait pas de refuser un cadeau, même venant d'un étranger. N’est-ce pas justement un message apaisé de Dieu que de te donner un peu de réconfort après toutes ces galères endurées ? Quoiqu’il en soit, tu as bien gagné le droit de frimer un peu. Imagine aux nouveaux regards posés sur toi…
Des chaussettes bien épaisses sur les pieds, un pantalon trop large, un t-shirt troué, un pull décoloré par dessus, puis une veste coupe-vent, une écharpe, un bonnet et… Où étaient passés ces fichus gants ? Encore perdus. Tant pis, il soufflerait sur le bout de ses doigts raidis le moment venu. Nick était paré pour une nouvelle tournée de livraison dans le froid.
Le journal de la veille annonçait de la neige. Mais aussi scientifique que puisse être cette prévision, il avait toujours eu du mal à croire en elle : la météorologie. Il n'y avait qu'à considérer le nombre de fois qu'elles s'étaient avérées... Il ne croyait qu’aux saisons. L’hiver ayant déjà débuté, les températures étaient nécessairement en chute libre et quand elles approchaient de zéro sur son petit thermomètre de fenêtre, la tenue complète était requise. Sans doute ses orteils allaient-ils encore souffrir de la piètre qualité du tissu qui les recouvrait. A moins que les John Foster ne soient suffisamment isolantes. Au moment d'attraper ses grôlles habituelles, Nick considéra avec attention les italiennes qui renvoyaient la lumière du jour tant elles étaient parfaitement cirées. Et si, pour une fois, il enfilait des superbes chaussures pour se rendre au travail. Quelle autre occasion se présenterait à lui de toute façon ? Mise à part la séquence bi-mensuelle de descentes des poubelles dans le local puant et sombre du sous-sol, il ne sortait de chez lui que pour travailler et se ravitailler. Et à vrai dire, une envie un peu plus forte que la raison envahissait ses pensées, celle de paraître un peu plus propre sur lui. S'il n'était pas éboueur, il en avait régulièrement l'allure. Cette fois, il porterait des chaussures brillantes.
Un tour de clé dans la serrure de la poignée, un autre dans la serrure du verrou haut. Personne ne prendrait plaisir à entrer dans son appartement par effraction, pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait strictement rien à voler, mais ce trou à rat était tout ce qu’il possédait. Tout. Sans compter Tiffany en tout cas. Il descendit les escaliers quatre à quatre. Des pas provenant d’en bas parvinrent à ses oreilles habituées au silence dépeuplé. Quelqu'un arrivait à contresens et remontait vers lui. Il allait devoir se plaquer contre la rambarde, quoique son corps maigrelet ne poserait de soucis à personne. Il ralentit pour laisser passer l'habitant, et dans le tournant de l’escalier en colimaçon il s'imagina que ce serait Juliette, sa voisine de palier au dernier étage. Qui d'autre de toute façon ? Elle avait la tête baissée sur les marches et ne semblait pas l'avoir entendu. Elle manqua d'ailleurs de peu de lui rentrer dedans lorsqu’elle leva brusquement la tête en voyant les remarquables chaussures. Un air de surprise marquait ses traits fins.
— Oh, bonjour ! Nick...
Surprise, effectivement, de croiser un homme si bien chaussé dans ce piètre immeuble. Surprise, doublement, qu'il ne s'agisse que de Nick Johnson dont le reste du corps était toujours couvert par des vêtements vieillissants. Mais de si belles chaussures...
— Bonjour, répondit-il en forçant un sourire.
Surpris, Nick le fut aussi. Non pas de la voir, mais de s'entendre lui répondre alors qu'il avait pris la mauvaise habitude de fuir la sociabilité de voisinage.
— Sur le départ pour le travail, j’imagine, reprit-elle, restant immobile face à lui. Faites attention, la neige ne devrait pas tarder à tomber.
— Ah ? Vous lisez le Daily Toredit, vous aussi ?
Une boule modifia le son de sa voix à la fin de sa phrase. Était-ce l'oeuvre de la gêne ou de la maladresse qui le prenait à la gorge chaque fois qu'il se retrouvait face à une femme au moins aussi séduisante qu'aimable ? Elle lui sourit sans répondre. Il s'entendit souhaiter à Juliette une bonne journée tout en lui faisant un signe de la main. Il aurait presque levé son chapeau haut-de-forme s'il en avait porté un.
— Attendez, Nick. Je voulais vous inviter à dîner.
— M’inviter à dîner ?
Ses oreilles devaient déconner.
— Que diriez-vous de ce soir ?
A moins que... Pourvu que sa détresse ne se lise pas sur son visage crispé. Il décortiqua le minoi de Juliette qui soutenait son regard sans broncher. Il était à la recherche du moindre tic de faciès, du moindre mouvement suspect, d'un spasm porteur de mensonge. Elle se moquait forcément de lui, ou bien l'emprise de l'alcool durait encore. Qu'est ce qui trahirait sa blague ? Ca ressemblait vaguement à une sorte de guet apen : un diner de con.
Cette méfiance envers les femmes, il ne pouvait plus s'en dépétrer. C’était ce qui le rendait si maladroit, et si peu attirant, à son propre avis. L'assurance était la garantie d'un ticket. Mais le passé jouait un rôle plus qu'important dans son appréhension des situations. Aucune fille, aucune femme, n’avait jamais ne serait-ce que songé à se retrouver seule avec lui pour plus de cinq minutes - le temps de boire un café. Et il avait même noté que les femmes qui offrent le café au livreur de journaux sont souvent des retraitées au temps extensible. Leur vision aussi bonne que celle d'un chiot dans le noir ne pouvait que lui être favorable. Sa laideur lui portait préjudice. Comment leur en vouloir à ces femmes ? Comment leur reprocher de n'aimer que la norme, c'était la meilleure rengaine de la société.
Mais rien de malhonnête ne semblait s'échapper ni de la proposition corporelle de Juliette ni de son ton. Et quelque chose d’atrocement fort le poussa à répondre. Peut-être son regain de confiance, son apparence au quart soignée. Merci les John Foster. Il réussit à s'en persuader. Une femme, s'intéressait enfin un peu plus à lui. Hors de question qu'il ne loupe encore une telle occasion.
— Oui, d’accord. Je toquerai à votre porte à 20H00.
Malgré tout, son effort surhumain s'arrêta là. Pas de sourire, pas d'expression de satisfaction, pas d’attention particulière et pas d'autre parole de politesse. La peur de faire un pas de travers le guêtait. Il hocha simplement la tête et disparut du champ de vision de sa voisine, malgré le poids lourd qu'étaient devenus ses pieds et qui l'incitaient à rester encore un peu.
End Notes:
Ce fut court, mais n'est-ce pas mystérieux ? Si ça ne l'est pas, si c'est juste frustrant, si ça n'apporte rien... dites-le moi ! et si c'est le contraire, dites-le moi aussi ;)
Le goût de l'affront by MelHp7
Author's Notes:
Désolée pour le délais, c'était les vacances... Me revoilà pour la suite !
En retard, pour la troisième fois du mois.
— Tu te fous de ma gueule, Johnson, ou bien t'essaies de couler la boite ?
Plus d'une demi-heure de retard même, Ryan n'allait pas laisser passer ça. Jerry souleva sa casquette pour le saluer, tout en pressant le pas pour éviter de se retrouver dans la mêlée.
— Si tu veux finir sous un pont, continue comme ça à te pointer les mains dans les poches et les poches sous les yeux, va. Je vais pas avoir de mal à te remplacer, mais tu le sais déjà ça, hein ?
La bouche de travers, Ryan crachait sa bave de crapaud sans bouger de son siège patronal. Il était affalé derrière son bureau toujours aussi bordélique. Les cartons éventrés, les enveloppes dans tous les sens, les post-it sur les murs de liège. Tout aussi mal dressés que ses cheveux disparates sur son crâne pelant.
— Ca t'écorcherait la bouche d'expliquer ton retard ? J'te parle, tu...
Ses yeux globuleux avait roulé vers le bas, comme attiré malgré eux. Nick suivit son regard. Il avait presque oublié. La brillance des John Foster, Dieu soit loué, avaient arrêté le massacre. Ou pas ?
— C'est quoi ces pompes de luxes ? Tu les as volé à qui ?
Nick avança franchement vers le bureau, les bras mimant à Ryan de cesser ses ragots mensongers. En retour, le pacha se leva pour lui faire face, quand bien même il mesurait près d'une tête de moins. Sa petite taille ne l'empêchait pas d'user d'humiliation dès que possible. Il faisait ça comme personne, l'exerçait à outrance, son seul moyen de s'octroyer un peu de pouvoir. Une habitude néfaste que tout les employés de Fast News avaient subi au moins une fois pendant leur service (sans compter le sucre cassé sur leur dos pendant qu'ils rentraient tranquillement dans leur foyer). Il les tenait, même avec le salaire de misère qu'il leur filait à la fin de chaque mois.
— Ma mère est souffrante. J'ai dû veiller sur elle et trouver comment j'allais pouvoir continuer à payer ses frais hospitaliers.
Le ton de la supplication était sans aucun doute l'une des meilleures armes à brandir devant Ryan. Pas qu'il soit spécialement sensible au malheur des autres, loin de là. Il ne pense qu'à sa sale gueule. Il avait au contraire une grande appétence pour la domination, particulièrement envers ses employés, et le seul fait de se mettre psychologiquement à genoux devant lui pouvait le rendre clément. C'était sa façon à lui de distribuer les cartes de la pitié et de la bienvaillance. Son léger sourire en cachait un plus profond, Nick le devinait à ses yeux malicieux.
— Ca explique ta tronche de déterré. T'as intérêt à rattraper ta course d'aujourd'hui.
Nick hôcha la tête. Cet imbécile avait oublié les John Foster, tant mieux.
— Je ne veux aucun client mécontent, aucun. J'espère que c'est clair.
Pour ne plus affronter ce perfide regard une seconde de plus, et pour ne pas perdre davantage de temps, Nick s'engagea dans le dépôt avec son vélo rafistolé. Il y installa l'un des coffres disponibles et l'attacha à son porte-bagage arrière avec des câbles élastiques. Dix grandes piles de journaux et de prospectus attendaient patiemment d'être dispercés aux quatres coins de la ville. Il en embarqua la moitié d'une et la cala dans son coffre. Il y fourra quelques exemplaires de plus, toujours dans l'optique de rentabiliser son trajet (et de limiter le temps passé avec ce profiteur de Ryan). Puis, il rabatit le couvercle du coffre, sans le sceller.
Nick affronta le froid, les mains rougies et les doigts raides, mais le nez protégé par son écharpe triplement torsadée autour de son cou et son visage. Les pieds correctement calés, il prenait grand soin de ne pas abîmer ses nouvelles chaussures. La semelle se couvrant de neige fondue chaque fois qu'il s'arrêtait pour déposer le journal, il n'était pas impossible qu'en route ses pieds glissent sur les pédales. Mais il redoublait de vigilance.
Le quartier sud, le moins pénible de tous. Avec ses pentes douces, ses boites-aux-lettres bien alignées en bordure de trotoire et ses chiens enfermés derrière des clotûres solides. Sans compter les arbres qui apportaient une touche fort appréciable de vert au printemps et de l'ombre non-négligeable en été. En contemplant les modestes maisons de taille et d'allure différentes, il se surprit à penser que c'était exactement là qu'il se serait vu s'installer et former son petit foyer. Avec Diana. Dans ce petit quartier familial et tranquille où les voisins coopèrent et trinquent au bonheur simple un samedi soir sur deux. L'image du couple épanoui, celui au sourire éclatant des publicités, avec un enfant ou deux, lui apparut. Lui et Diana se tenant la main devant une petite fille aux anges sur une balançoire en bois.
Une voiture le klaxonna. Nick secoua la tête, reprit ses esprits. Quand le quartier sud faisait partie de son circuit journalier, il s'appliquait toujours à l'arpenter en dernier, histoire de finir son service en douceur. Mais cette fois, il avait senti le besoin de commencer par un terrain facile. Le marteau-piqueur qui sévissait dans sa tête quelques heures encore auparavant avait beau avoir cessé son bazard, la sérénité ne l'avait pas remplacé pour autant. En commençant par le quartier sud, il se remettait doucement en jambe avant d'affronter les zigzag du centre-ville et sa foule de piétons impatients.
De retour au dépôt pour son deuxième et dernier service, Nick prit davantage son temps pour charger son vélo d'articles. Tremblant des orteils aux oreilles, il aurait donné une de ses chaussettes en échange d'une bouillotte. Le bout de chacun de ses doigts le piquait à la manière d'échardes qu'on se plante par mégarde dans la chair en marchant sur un vieux parquet. Sauf que ces échardes là s'acharnaient à le blesser, seconde après seconde. S'il avait pu tolérer Ryan, il serait passé à son bureau et aurait posé ses mains meurtries sur le radiateur constamment en marche. Le veinard. Non seulement, il ne sortait pas le nez dehors et aboyait des ordres à tout va, mais en plus, il pouvait profiter du confort d'un chauffage. En repassant devant le bureau, vélo chargé en main, une envie de lui cracher - littéralement - sa haine au visage émergea comme une intention démoniaque. Il se ravisa. Il passait déjà le pas de la porte et enfourchait son deux-roues. Plus que le centre-ville, et je rentre !
Le rythme s'accéléra une fois dans le bourg de Toredit. Les lundis, les gens étaient furieusement pressés. Pressés de rentrer, pressés par la tonne de travail à accomplir, pressés par le temps perdu du week-end... Progresser à vélo dans un tourbillon de chauffards pied au planché devenait risqué. Habitué aux klaxons, Nick parvenait à se faufiler, entre chaussée et trotoir. Le plus pénible : distribuer le journal à tout un immeuble. Il fallait attacher son vélo, descendre avec la quantité suffisante, trouver le passe-partout capable d'ouvrir la porte d'entrée et déverser l'information dans les dizaines de boites-aux-lettres qui hurlaient de ne surtout pas laisser de publicité.
Au 77 Reynold Street, il entra dans un bâtiment de dix étages à 16H35. Une pièce vide, ou presque, faisait office de hall. La couleur dominante, un blanc cassé, rendait l'endroit très peu chaleureux. Droit devant lui, tout au fond, était encastré un assenseur, et sur la droite une porte menait à la cage d'escalier. Sur le pan de mur de droite, les boites métalliques fixées les unes aux autres attendaient patiemment qu'on les remplisse. Alors Nick s'exécuta. A la vitesse d'un croupier de casino, il glissa les journaux dans les fentes. Les bruits cinglants des battants se succédant, créant une horrible mélodie pour quiconque avait l'oreille un peu musicale. Et dans le flot continue de ces notes aiguës, un son sourd parvint dans son dos. L'ascenseur était en mouvement. Depuis un étage supérieur, le voilà qui descendait en flèche. Le bourdement du mécanisme, pas rassurant pour un sous, indiquait l'arrivée imminente d'un habitant de l'immeuble. Nick accéléra le mouvement. Son aversion pour son métier (ou pour son visage ?) le poussait à se cacher aux yeux des autres. Le mépris des passants et des automobilistes était suffisant, un regard de travers de plus et ce serait la goutte de trop. Il ne restait plus que deux colones à remplir, deux.
— Vous ne truffez pas ma boite-aux-lettres de publicités, j'espère ? Sachez que c'est strictement interdit. Je vous le rappelle au cas vous n'auriez pas lu la...
Trop tard, pas assez rapide. Nick hésita avant de se retourner. Par politesse, il jugea bon de le faire, bien que cet homme se fichait visiblement de la notion de respect. Dans son imperméable noir bien fermé sur un costume tout aussi noir, son air hautain s'harmonisait avec le reste. Ses yeux roulèrent du bas vers le haut, et là, son expression faciale se transforma en une fraction de seconde.
— La... L'affiche sur la porte. Oh, mais vous livrez le journal ! cria-t-il d'un air jovial.
Son ton changea du tout au tout. De l'agressivité à la sympathie, il y avait pourtant un gouffre. Cet inconnu venait de bondir par dessus et son sourire trop blanc pour être naturel en était la preuve. Il fit un pas en avant et s'octroya le droit de tapoter l'épaule de Nick en lui souhaitant bon courage pour le reste de la journée. Sans attendre de réponse il se dirigea vers la sortie, réajustant son chapeau sur sa tête (sans doute chauve) et quitta l'immeuble.
Le silence redevint son compagnon de service. N'était-ce pas mieux ainsi ? Il en avait bientôt terminé avec cette tournée. Après avoir abandonné le dernier exemplaire du Daily Toredit dans la dernière boite vide, il se tourna. Il ne l'avait pas notifié en arrivant, cette horrible plaque de verre réfléchissante qui couvrait la moitié du mur face à lui. Putain, pourquoi ne l'avait-il pas vue plus tôt ? Ce miroir géant. Pétrifié devant sa propre image, renvoyée à l'envers, il ferma les yeux. Mais, à l'intérieur de ses paupières, le reflet restait gravé. Il se força à penser à autre chose, n'importe quoi qui puisse lui faire oublier ce qu'il venait de voir. Ryan, cet abruti, Tiffany à l'hopital, son banquier, Diana... Les bras tendus devant lui, il bifurqua sur la gauche et avança à tâtons. Au bout de quelque pas, le carrelage se changea en un sol molletonneux, un tapis. Puis ses mains rencontrèrent la vitre froide de l'entrée. Il rouvrit les yeux, trouva la poignée, tira dessus et sortit immédiatement. Suffoquant, il laissa l'air s'engouffrer dans sa gorge et remplir ses poumons. De tout son coeur il repoussait la crise d'angoisse. Ce n'était pas le moment de traîner.
La nuit menaçait déjà de tomber quand Nick arriva au dépôt. Visiblement, son collègue de l'après-midi n'était pas encore rentré. Mission accompli, il avait non seulement rattrapé son retard et pouvait aussi se vanter d'être le premier. Intérieurement, en tout cas. En rangeant la caisse de transport, la sueur qui avait refroidi dans son dos et sous ses aisselles provoquèrent un frisson dans tout son corps. C'était à la force de ses jambes et à la rapidité de ses bras qu'il avait pu être là pour affirmer à Ryan que sa journée était terminée.
— Ouais. T'avise pas d'être en retard une fois de plus.
Nick prit une grande respiration en ignorant cette impression de glace sur sa peau mouillée. C'est le moment, vas-y. Cette petite voix rauque venue des tréfonds de son cerveau, à moins que ce ne fusse d'ailleurs. Si tu ne le fais pas maintenant, tu ne le feras jamais. Il aurait préféré partir, quitter cet endroit et regagner son appartement. Au moins, il y serait seul et tranquille. Mais impossible de décoller ses pieds du sol. Comme une lourde statue qu'on aurait tailler à cet emplacement même, il était incapable de bouger.
— Qu'est-ce que tu glandes, Johnson ? T'as un truc à me dire ?
Il aurait voulu parler, dire ce qu'il avait à dire. Mais au lieu de mots, seul le silence sortit d'entre ses lèvres déformées en une grimace.
— Quoi, y a encore un client qui t'a dit que t'avait une sale gueule ? Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse.
— Je veux une augmentation.
Plus un son. D'abord Ryan se figea. Il rembobinait la phrase dans sa tête de con. Puis il éclata de rire. Un rire sincère, outrageusement fort, presque un début de fou rire. En se tenant les côtes, il se mit à tousser, sans se soucier des postillons qui fusaient de sa bouche à chaque sursaut de toux. Une petite larme se forma dans le coin de son oeil gauche, larme qu'il effaça d'un revers de manche.
— Ca fait six ans que je bosse pour Fast News, pour toi. J'ai pas vu ma paye augmenter depuis. Comment tu crois que je vais payer mon loyer et les frais médicaux de ma mère si tu n'augmentes pas mon salaire ?
Ryan ne riait plus. Cette fois Nick était dans l'affront, loin de ses habitudes.
— Mais qu'est-ce que j'en ai à foutre, c'est pas mon problème. T'as qu'à trouver une solution, t'es grand. Dis à ta maman chérie que si elle t'aime vraiment elle a qu'à se laisser mourir pour ne pas te laisser crever de faim.
Une boule de salive força la descente de la gorge de Nick pendant que ses dix doigts se rassemblaient en deux poings.
— Comment tu ferais sans moi ? demanda Nick en s'effroçant de rester calme. Niels met deux fois plus de temps que moi à faire le même sale boulot de merde. Deux fois ! ajouta-t-il en hurlant. Et Jerry, il va pas tenir longtemps avec sa jambe de bois. Tu crois que des gens se bousculeraient pour venir prendre ton salaire de misère ? Tu crois que ta petite affaire peut rouler ad vitam aeternam sans que personne ne se mêlent de rien ?
Maintenant il devenait gênant. Ryan contournait son bureau et agitait ses mains d'un air suppliant. Nick n'en restait pas moins immobile. De sa grande taille il toisait l'autre, solidement, aussi maigrelet soit-il.
— J'ai besoin de cet argent.
— C'est bon, c'est bon. La ferme, Johnson. Je vais y réfléchir.
Nick soupira. Y réfléchir. Il avait intérêt à faire plus que réfléchir et à agir. Il leva son doigt menaçant vers Ryan et effleura son large nez.
— J'attends de voir ça sur ma prochaine fiche de paie.
Ryan ne su que dire de plus. Quel bonheur intense de voir ce connard tomber sur le cul. Une sensation de légereté accompagnée d'un sentiment de soulagement le libérèrent de sa position coincée. Ses pieds étaient prêts à partir maintenant. Alors, dans le froid du silence vainqueur, il quitta le bureau, attrappa son vélo et, sans regarder derrière lui, repartit d'un coup de pédale.
Diana, si tu es encore là... by MelHp7
Longue et difficile journée. Comme l’avait annoncé le journal et comme l’avait répété Juliette dans la cage d'escalier, la neige était tombée. Il avait fallu que ça arrive au moment même ou Nick montait la côte de Mapple Street. Il avait glissé une première fois, sans conséquences. La seconde fois, à l’approche d’une boite aux lettres, son pied droit avait ripé sur la pédale de son vélo, ce qui l'avait déséquilibré au point de freiner. Mauvais réflexe par un temps pareil. La roue avant, bloquée par le freinage d’urgence, avait fichu le camp, entraînant son corps impuissant sur le sol blanc. La chute lui avait valu quelques saignements. Ses plaies, l’une au-dessus du coude droit et l’autre sous le genou gauche, avaient tâché ses vêtements d’un rouge dégorgé et sombre.
A peine rentré chez lui, aux alentours de 17 H 00, Nick retira ses habits pour désinfecter les petites brûlures qu’avait provoqué la friction de la peau sur le bitume froid. La piqûre de l’alcool déposée sur la chaire découverte lui remémora un souvenir d’enfance.
Au collège, il essuyait les moqueries de ses camarades jusque dans la cour de récréation. Il s’était toujours montré discret à ce sujet, ne se plaignant ni à ses parents, ni à son oncle Reuben. Pour autant, il n’avait jamais cherché à se débarrasser de ces parasites. La seule méthode qu’il avait essayé, sans aucun succès, était l’ignorance dans sa plus pure substance. Faire semblant de ne rien ressentir, cacher ses émotions au reste du monde pour paraître insensible. Il avait appris à se fermer sur lui-même tout en la fermant. Jusqu’à ce que des mots durs, trop durs pour un adolescent pubère, sortent de la bouche de Steven.
Le bras droit de Terry, et pas des moindres. Ce petit insolent de première, aussi malveillant que con. Le professeur de math dû quitter la salle en urgence pour conduire Jenny à l'infirmerie dont le nez crachait du sang comme un robinet cassé. Forcément, les élèves s'agitaient un peu. Le silence fut vite brisé par les conversations en tout sens. Et la voix de Steven s'éleva au delà du brouahaha.
— Ce soir, devant la grille de l'école, je vais goûter la bouche lisse de Diana Frane, annonça-t-il avec ce sourire digne d'un pervers récidiviste.
Une rage incontrôllable submergea Nick. Son esprit n'eut pas le temps d'assimiler et de relativiser l'information qu'il s'était déjà enflammé à l'idée de mettre en lien cet abruti de Steven Lagen avec les lèvres tant convoitées de Diana Frane. Contrairement à Terry, Steven n'avait rien d'un athlète à qui on enviait la forme des muscles ou la couleur de la peau. Il n'avait rien de l'excellent sportif, celui dont parlent les filles entre elles dans les vestiaires et aux toilettes. Et il n'avait pas non plus l'intelligence des gars comme Jason et Théodore. Mais il inspirait la peur chez les autres et faisait partie de la bande de Terry. C'était suffisant pour le rendre intouchable. Pris de colère plus que de courage, Nick se leva de sa chaise en bois et lui colla son point fragile dans sa salle petite gueule. Ca cloua le bec à tout les autres. Mais c'était sans compter sur la réplique du gaillard au physique proéminent. Les yeux emplis de fureur, il attrapa l'épaule de Nick et le balança comme une brindille d'arbre. Après un règlement de compte d'une minute environ, Nick ressemblait à un boxeur à la retraite. Monsieur Robin revint dans la salle de classe et constata les dégâts avec une main sur la bouche. Nick était par terre, les genoux en sang, la joue bleutée, et les larmes aux yeux. C'était le clou du spectacle devant lequel quelques adolescents attardés et avides de violence riaient en cacophonie. Les autres redoutaient simplement les représailles. Même Diana, au premier rang, ne bougea pas d'un cil.
Le soir, quand il était rentré à la maison, Tiffany avait pleuré à la vue des blessures. Tu veux te battre toi aussi ? Tu veux m'abandonner et aller à la guerre, comme ton père, c'est ça que tu veux ? La nuit suivante avait été insupportable, douloureuse, et blanche. La faute aux plaies qui réagissaient encore à l'alcool et à la croute qui se formait sur la peau irritée.
Seul dans son vingt mètres carrés qui en paraissait deux fois moins, sous le filet d'eau tiède de la douche, Nick ressassait les dernières quarante-huit heures. Il passait outre la sensation de brûlure sur sa peau âbimée. Ses trente-trois ans était de loin la journée d’anniversaire la plus désastreuse qu’il eut vécue à ce jour. Enfin, seulement si l'on passait sous silence la fête de ses treize ans, gâchée par une mauvaise blague de Terry la terreur. L'enfant turbulent n'avait rien trouvé de plus amusant que mettre en boite des excréments de son propre clebs et d'enrubanner cette boite pour en faire un joli cadeau nauséabond rien que pour lui. En plus de sa dignité, Nick avait perdu toute crédibilité auprès des deux seules filles qui avaient accepté l'invitation. La grosse poilade des uns et les "Boeurk" dégoûtés des autres l'avaient obligé à fuir pour finir l'après-midi enfermé dans la seule pièce capable de respecter son intimité : les toilettes. Au moins, cette fois s'en était-il sorti sans pleurer. Pour ce qui était de sa dignité, s'il ne l'avait pas perdue devant son banquier, il l'avait sans doute abandonné dans le bureau de Ryan en se mettant à genou pour réclamer de l'argent. En plus d'admettre que sa mère l'avait tout simplement oublié, il avait dû accepter, non sans surprise, que Juliette se souvienne de lui. Il allait d'ailleurs pouvoir découvrir sa voisine dans un tout autre contexte que celui de la cage d'escalier de l'immeuble. Peut-être serait-ce comme voir sa maîtresse d’école faire les cent mètres à la piscine municipale, dans son maillot de bain une pièce.
Tomber sur Miss Krigle, l'enseignante d'anglais, un samedi après-midi dans un bassin d'un mètre soixante-dix de profondeur lui avait plutôt fait l'effet d'une révolution. Ce jour-là, il était encore adolescent, et l'événement avait révélé son appétit sexuel à sa propre conscience. A l'époque, quand Tiffany acceptait de l'emmener ailleurs qu'au bar tabac avant la fermeture, comme le bon toutou qu'on sort quotidiennement en rentrant du travail, c'était pour aller faire du sport et ...muscler ces biceps de nouveau né. Tu crois que c'est comme ça que tu vas faire craquer la petite gamine des Frane ? La natation, ce n'était pas pour mater les minettes qui barbottaient dans l'eau, c'était pour espérer faire tomber Diana dans ses bras. Et s'il n'avait jamais été bon pour taper du pied dans un ballon ou frapper une balle avec une raquette, il était plutôt doué pour flotter sur l'eau douce aux effluves chlorées.
A la piscine du quartier nord, il avait l'habitude de croiser les mêmes badauds qui n'avaient pas de quoi se payer un ticket pour les grands bassins de compétitions et les tobogans aquatiques. Parmi eux, Jake Lopez, un an de plus que lui. S'il n'avait aucune sympathie pour lui, bien qu'il n'ait jamais tenté de lui offrir une crotte de chien pour son anniversaire, c'était parce qu'il était beau. Ce que les filles aimaient chez lui c'était son tein mat et ses cheveux d'un noir bleuté combiné à ses yeux verts. Un ravage quand il entrait dans une pièce. De quoi réveiller un fond de jalousie latent chez Nick. Blanc bec tout plat. Mais ce samedi-là, Lopez devait probablement aider son père au garage automobile. Parce que s'il était le visage qu'elles rêvaient d'embrasser, il n'avait pas le portefeuille qu'elles espéraient épouser. Être fils d'immigré, ça avait ces désavantages.
Pendant que sa mère troquait ses pièces de monnaie contre des barres de céréales pleines de sucres, Nick s'évertuait à traverser le bassin de bout en bout. Vingt mètres, puis vingt autres mètres, de gauche à droite, encore et encore, jusqu'à sentir la tension dans les faibles muscles qui armaient ses épaules et ses frêles jambes. Quand il s'élança dans son vingt-septième aller-retour, les yeux rouges d'avoir trop rencontré l'eau traitée, une crampe sévère s'empara de sa cuisse gauche. Elle fut si soudaine et si rude qu'il dévia de son couloir et s'encastra littéralement dans le flanc d'une nageuse à contre-sens. Après l'avalanche de légitimes protestations, il s'excusa, le souffle court, tout en se débattant pour éviter de couler (étant donné l'inclinaison du fond du bassin, seul son front aurait probablement dépassé de la surface à cet endroit précis, à condition de regarder vers le ciel). Prise de compassion, la victime de la collision attrappa son bras pour le tirer un peu plus loin, là où il aurait pieds sans sautiller toutes les demi-secondes.
— Fais donc attention à ne pas te claquer un muscle, Nick. Si tu veux rester allité pendant deux semaines alors continue, mais je doute que ce soit très plaisant de rester seul dans sa chambre aussi longtemps.
Alors il l'avait reconnue, la voix tranquille de Miss Krigle. Détâchée du brouhaha et des clapotis. La douleur de la contraction musculaire parut disparaître comme par magie, et il songea que sa professeure avait dû appaiser la crampe du seul son de sa voix. Elle portait ses cheveux blonds en un chignon serré à l'arrière de sa tête, dévoilant ainsi un papillon d'encre dans sa nuque habituellement dissimulée par ses larges boucles. Le froid s'emparra aussitôt de Nick, parsemant sa peau de frissons, à moins que cette chaire de poule ne soit due à la chaleur qui remontait de son entre-jambes comme un incendie en pleine expansion. Le contact de la peau mouillée de Miss Krigle sur la sienne empourpra ses joues à une vitesse incontrôlable. Dans l'incapacité d'éteindre le feu allumé dans son cerveau déconnecté, il resta béa devant elle à n'espérer qu'une seule chose. Mon Dieu, faites que Diana lui ressemble en tout point à l'avenir. Et faites qu'elle soit à moi.
Ah, Diana. Malgré toutes les jolies filles et les belles femmes qu'il avait croisé depuis, elle n’avait jamais quitté ses pensées. Et elle hantait ses jours sans arrêt. Comme si passer trente-trois ans c'était franchir un cap qui ramenait à la surface les regrets. Et puisque sa misérable vie n’était pas suffisamment pesante, il fallait que le passé en rajoute une couche. Diana lui avait échappé tout comme chacune des opportunités qui l'avait frôlé et manqué de peu. Pendant que les emmerdes se vautraient sur lui avec délectation. Triste destin. L’état de la pièce que Nick osait appeler appartement et dans laquelle il vivait pouvait en témoigner. Elle était sinistre. Du sol au plafond en passant par les murs, tout avait l’air de vieilles fringues malmenées dans un lave-linge pendant des heures pour en ressortir délavées. Pire que des vêtements de seconde main.
Mais Diana ! Que pouvait-elle bien devenir ? Elle avait probablement réussi ses études avec brio. Déjà au collège elle avait confié son envie de franchir la sphère sociale dans laquelle ils étaient enfermés. Elle s'imaginait frapper avec le marteau du procureur, annoncer le verdict. Nick ne lui avait jamais avoué qu'il avait peine à la voir aux commandes d’un procès. Sa réserve, sa sensibilité d’antan, ses joues rosies par la gêne et sa légèreté… C'était à travers ses qualités là qu'il l'avait toujours perçue. Des détails qui avaient amadoué le cœur généreux de l'adolescent qu'il était. Mais certainement pas les caractéristiques d'un procureur de justice. Il n'y avait qu'à les regarder prononcer le jugement, celui qui séquestrait des accusés. Ils dégageaient une telle prestance, un si grand charisme, que la blondinette souriante et effacée qu’il avait connue n'aurait jamais pu y trouver sa place.
L'esprit ailleurs, il tendit sa main à la peau flétrie pour attraper la télécommande. Dans son peignoir rugueux, son coxis s'enfonçait dans le fauteuil défoncé. Sa fine peau se creusait davantage avec le froid, jusqu'à créer quelques crevaces rougies sur ses lèvres. Il resserra ses doigts sur le vide, au dessus de la table de nuit. La télécommande n'était pas à sa place, encore. Il se redressa, soupirant à en décoller le papier-peint, puis posa ses yeux sur le téléphone fixe. Une idée éclaire lui traversa subitement l’esprit. Et puisque répondre à une pulsion ne demandait nulle réflexion, d’une propulsion de jambe, il se leva et saisit le combiné sans fil. Il fit un tour sur lui-même. C'est sur ce semblant de meuble, parfois transformé en bureau de fortune, qu'il laissait trainer tout un tas de bazard, entre courrier, factures et flyers publicitaires. Il fouilla dans la paperasse pliée et en sortit un vieux calepin corné. Les pages se froissèrent dans un bruit de feuilles humides. Sur les quatre dernières, il y avait une nuée de numéros de téléphone. L'encre légèrement effacée n'empêchait pas de les lire. Et pour chaque numéro, il y avait un nom. De son doigt sec, il parcourut les lignes inégales. Le nom de Ryan Corner lui sauta au yeux, tout comme l'idée de l'appeler pour excuser son agressivité s'empara momentanément de son esprit. Non, ce serait passer pour un abruti, et cet argent j'en ai besoin. Son doigt reprit sa course jusqu’à ce qu’il glisse sur "Marie Frane". La lecture du nom agit comme un coup de frein brutal. Il n'avait pourtant pas inventé sa terrible envie de passer un coup de fil à la mère de Diana. Mais le poids du trac le rattrapa comme pour lui rappeler le peu de courage dont il était capable. Et pour cause, il n'avait pas adressé la parole aux Frane depuis que quelques poils avaient poussé sur son menton. Qu’allait-il lui dire ? Etait-elle seulement encore en vie ? En admettant que la maladie ne s'était pas invitée dans leur foyer, elle devait approcher les soixante dix ans. Si tant était qu'elle avait eu plus de chance que Roly Johnson dont la vie s'était arrêtée à cinquante deux ans.
Il secoua la tête et reposa le téléphone à sa place. Comment justifier ce regain d'intérêt pour Diana après des années à faire le mort ? Se connaissant, il allait balbutier et on lui raccrocherait au nez.
Pourtant, l'idée d'entendre la voix de Diana, ou de simplement savoir ce qu'elle était devenue, persistait à occuper ses pensées. Et ce numéro de téléphone était son unique et dernier moyen de reprendre contact avec elle, peut-être. Il reprit le combiné dans sa main avec hésitation. Ses phalanges se pliaient sous l'agitation de ses doigts. Il était prêt à taper le numéro. Chaque chiffre enfoncé résonna dans sa tête. Les tonalités d’appels bourdonnèrent une fois, deux fois, puis trois…
De toute façon, il y avait des chances que ce numéro ne soit plus attribué à qui que ce soit maintenant.
— Allô ?
Nick resta muet.
— Qui est-ce à l’appareil ? Allô ?
— Bonjour, c’est Nick Johnson, madame.
— Nick Johnson… ?
— J’étais à l’école avec Diana, quand nous étions enfants.
Comment avait-il pu oublier de considérer qu'il n'avait été qu'un enfant de passage dans la vie de cette famille soudée. Les deux ou trois allers-et-venues du petit Nick dans leur maison n'avaient sans doute pas marqué l'esprit d'une femme âgée.
— Nick... Oh ! Nick ! Le petit maigrelet timide, oui bien sûr ! Dit-elle, enjouée d'avoir une mémoire solide. Que voulez-vous ?
Le cerveau de Nick fit un bond dans le passé, ignorant le changement de ton de Marie Frane devenue méfiante. Le maigrelet était un des surnoms dont ses camarades de classes l’affublaient à l’époque. Le fil de fer, l’asperge, et autres joyeusetés. Il renifla.
— Eh bien, je... je me...
— Comment ? Je vous entends très mal.
Pourquoi appelait-il déjà ? Sûrement pas pour se replonger dans l’ardeur des moqueries d’antan.
— Voilà. Je me demandais si Diana était dans les parages. Il y a bien longtemps que je n’ai pas de nouvelles d’elle, et vous savez… Il m’arrive de ressasser le passé.
— Oh, mais Diana n’habite plus ici, vous devriez le savoir ! Elle est partie en 2003 pour poursuivre son rêve…
Le dédain dans la voix vieillie de Marie Frane lui remémora les accrochages entre mère et fille auxquels il avait pu assister. Tout bien considéré, elles n'avaient pas toujours été sur la même longueur d’onde. Et à l'époque, Nick s'était toujours rangé du côté de l'argumentaire de sa mère. Tu ne peux pas partir comme ça, plaquer tes études de lettres pour une envie passagère ! T'es douée pour l’écriture, et tu ferais une très bonne enseignante. Imagine le nombre de gosses de Toredit à qui tu pourrais donner de l’espoir. Au fond, il avait espéré que Diana ne quitterait pas Toredit pour une mauvaise raison, une raison égoïste. Il ne voulait pas la voir s'éloigner de lui. Peut-être même que sa possessivité n'était pas seule à motiver cette volonté. Il enviait la situation de Diana. Il aurait fait n'importe quoi pour accéder lui aussi à l'université, n'importe quoi. Mais Diana, elle, c'était une tête de mule, et son père la soutenait dans cette voie depuis le début. Il ne lui en avait pas fallu plus. Elle avait fait ses bagages avec la détermination d'un émigré. Rien à perdre, tout à gagner.
— Elle vit toujours à Cleveland ?
— Et pas dans les bas quartiers ! Elle a réussi son parcours vous savez. Son père en est très fier d’ailleurs.
Une pique à son échec cuisant.
— Vous voulez-dire qu’elle est procureur ?
— Avocate ! Depuis cinq ans. Elle s’est faite une place, chère, mais bien méritée.
Il déglutit. La honte de n’avoir pas cru en elle treize ans auparavant venait de descendre dans son œsophage en raccrochant les paroies avec ses griffes. C'était à peine plus fort que la rage. Elle au moins elle a décroché son droit à la reconnaissance.
— Ouah, eh bien je suis très heureux pour elle.
— Elle a saisie une bonne opportunité. Sans cet homme, elle n’aurait peut-être pas percé aussi vite.
Les sourcils de Nick s’arquèrent sévèrement.
— Ah oui ?
— Un enseignant en droit qui l’a poussée sur le devant de la scène. Un brave homme.
Il haussa les épaules et s’assit sur la chaise qui traînait et posa son dos arqué contre le dossier. Un homme.
— Et vous Nick, que faitez-vous de votre vie ?
— Moi ? Rien qui ne vaille le coup d’être raconté, dit-il en se forçant à sourire.
Il ne s’aventurait que rarement dans le tissage de mensonges. Il avait accepté son manque de crédibilité au contage de fausses informations. Tiffany ne s’étant jamais laissée berner par ses moindres racontars, il avait fini par ne plus s’y essayer. Il lui préférait l’omission.
— Ah bon. Bien…, répondit-elle, perplexe.
— Je vais vous laissez profiter de votre soirée madame Frane. Merci de m’avoir répondu, c’est très gentil.
— Vous voulez peut-être que je passe un message à Diana ? Je ne la vois pas tous les quatre matins, m’enfin.
— Non ! Non merci…
Son pouls avait explosé dans une accélération de battements. La peur de devoir affronter Diana, un rêve un peu trop réel.
— Je peux vous donner son numéro si vous voulez.
Il ne refusa pas une deuxième fois. Ca ne l'engageait à rien. Il s'appliqua à noter le numéro de téléphone de Diana. La différence entre son écriture actuelle et l’ancienne sautait aux yeux. Un bel arrondi pour le « d », et le reste tout attaché. Pas de quoi devenir calligraphe, mais Miss Krigle en serait satisfaite.
— Oh, et notez bien Diana Trevis. Elle a eu le droit à son beau mariage.
Le coeur de Nick s’enferma doucement dans une cage sombre, en silence. Dans une cage douloureuse. Son petit monde égocentré avait ignoré cette éventualité. S’il lui restait un petit espoir de revoir la belle Diana, Marie Frane venait de l'anéantir en deux phrases éguisées commes des poignards. Sans s’en apercevoir, sa main droite s’était resserrée sur le combiné au point de grincer.
— Monsieur Johnson ? Vous êtes là ?
Il ne voulut pas s’éterniser. Il la remercia encore une fois et raccrocha en mettant fin à l'étonnement de la vieille femme dans ses derniers mots d’adieu. Il n’avait aucun moyen de s’assurer qu’elle n’allait pas mentionner cette conversation à Diana la prochaine fois qu’elle serait en contact avec elle. Tant pis, le risque était pris. Il contempla encore un peu le nouveau numéro de téléphone ajouté à son carnet, puis il le ferma dans un claquement de papier sec. Le carnet finirait à nouveau sous un tas de bazard oublié et ne réapparaîtrait peut-être jamais.
End Notes:
Nick approche son rêve de plus près et il se brise... Ca vous fait quoi à vous ?
L'heure de basculer by MelHp7
Il était l'heure. L'heure de s'apprêter. Cette soirée tombait à pic finalement. En compagnie de Juliette, il oublierait ses fantasmes de retrouvailles avec Diana, il envisagerait peut-être même l'avenir sans elle. Il ouvrit le dernier tiroir de la commode, celui qui renfermait les anciens costumes taillés sur mesure de son père. Sans doute démodés, beaucoup trop grands, mais c’était tout ce qu’il possédait pour ne pas avoir l'air de rien. Même si Roly Johnson mesurait dix centimètres de moins que Nick, sa musculature valait trois fois celle du rejeton. L’armée l'avait transformé en une espèce de tank humain, un rocher carré sans expression, une arme de destruction massive. Comment espérer de lui qu'il sache transmettre le moindre sentiment à un gamin ?
Le tailleur gris était décidément celui qui choquait le moins sur le corps longiligne et fin de Nick. Étant donné l'allure, il devait s'agir d'un costume de jeunesse, peut-être même celui que les parents de Roly lui demandaient d'enfiler avant d'aller à la messe du dimanche. À cette époque, il ne pesait pas encore le poids d’un catcheur. Le nœud papillon de teinte bordeaux donnait un petit côté contemporain à sa tenue ringarde. Mais quelque chose en relevait le goût avec brio. Ça faisait toute son élégance. Les John Foster ne jouaient ni plus ni moins le rôle d'une bonne vinaigrette dans une salade verte quelconque. Elles donnaient à ses pieds une prestance de business man. La touche de moderne qu’elles apportaient rendait le reste pardonnable, à moins d'être un styliste de renommée. Juliette en serait la seule juge. Lui-même n'en saurait rien. Mais il pouvait le deviner...
Il passa une main tremblante dans ses cheveux noirs, en espérant que les quelques indisciplinés se placent correctement. Le genre de produit qui aurait pu l’aider à les coiffer n’existait pas dans le placard de sa salle d’eau. Il aurait fallu un miroir pour s'en apercevoir. Il chassa cette idée à coup de "Pense à autre chose".
Il jeta un coup d'œil à ses blessures. Le sang ne coulait plus, les pansements résistaient. Heureusement, ses vêtements propres les rendaient invisibles.
En tentant de faire cesser les tremblements de son genou droit, il toqua à la porte de sa voisine. Lui-même étonné qu’il n’ait pas mis plus de trois minutes avant de se décider. Nom de Dieu, le gamin devenait adulte ! Il se racla deux fois la gorge pour réduire les possibilités d'une voix déraillante d'adolescent pubère. Juliette fut d'autant plus rapide pour lui ouvrir.
— Bonsoir Nick ! Oh, ce que vous êtes... Coquet.
Les gratifications sur son physique, il aurait pu les compter sur les doigts d'une seule main. Alors comment se faisait-il qu'il ne se liquéfiait pas sur place ? Ses joues étaient prêtes à prendre feu et sa langue devenait lourde au point de le rendre incapable d'aligner deux mots pour répondre. Mais son attention s'était détournée et réfugiée dans ses globes oculaires. Il fixait Juliette comme un véritable mirage. D’un blond brillant et mat, ses cheveux détachés coulaient sur ses épaules à demi-dénudées. Elle avait troqué ses lunettes rondes et marrons contre des lentilles, laissant paraître des yeux éblouissants d’un vert organique. Elle portait, pour souligner son regard et dessiner ses formes, une robe rouge en tissu tressé. Un rouge terriblement sexy, titillant le taureau jusqu'à le faire enrager. Elle était loin de ses tenues habituelles : pantalons foncés et longs manteaux plongeant sous ses fesses. Nick était comme hypnotisé. Alors qu'une envie de regarder plus bas que le ventre de son hôte le prit, une décharge électrique lui défendit immédiatement cette impolitesse.
Comptait-il rester sur le pas de la porte encore longtemps ? Juliette, sur son trente-et-un, leva un sourcil. Elle ne pu s’empêcher de remarquer que son voisin avait tenté de faire le même effort vestimentaire qu'elle, en se parant cependant de vêtements du siècle dernier. Elle aurait été incapable de dire à quand remontait la fois où elle avait croisé Nick dans un costume. L'avait-elle seulement déjà observé ?
Après l’invitation de Juliette, il entra dans l’appartement. L'éclairage lui brouilla la vue. La luminosité nettement plus importante comparé à chez lui fit l'effet d'être en plein jour. Les plafonniers d'ampoules jaune faisaient toute la différence. Rien de tel pour transformer un taudis repoussant en salon chaleureux.
Nick n’avait pas de veste à retirer, et Juliette insista pour qu'il garde ses chaussures - et quelles belles chaussures ! - alors il ne s'attarda pas dans l'entrée. Il porta machinalement sa main à son cou avec la volonté ferme de desserrer ce fichu nœud papillon. Comment pouvait-on supporter ces étrangleurs sophistiqués sous prétexte qu'ils faisaient de vous un bobo respectable ? Sa grimace d’oppression disparu lorsque Juliette revint une bouteille en verre à la main.
— Vous aimez le vin blanc ?
— J’aime le vin blanc, oui, dit-il en souriant.
Tiffany ne l’aurait pas reconnu. Apprêté, à peu près détendu, légèrement souriant, et un brin causant. Quand avait-il appris à se sociabiliser avec les femmes ? Le fait d'avoir perdu Diana de vue à tout jamais avait agi comme un électrochoc. La vie est courte, profites-en, pauvre idiot.
Alors que Juliette avait disparu en direction de ce qui devait être la cuisine, il se sentit porté par ses pieds jusqu’au semblant de salon. Impressionnant comme la pièce avait l'air plus grand que son équivalent chez lui. L'aménagement des meubles, sans doute. Et puis l'habillage des murs... Ils étaient recouverts d’une matière rugueuse, une sorte de crépis parfois tâché d'un rouge foncé. Il s'en piqua le bout des doigts. Ça ressemblait à des taches de vin que l’on aurait volontairement créées. Mais, pour donner quel effet si ce n'était celui d’un accident sanglant ? Sa langue glissa entre ses deux rangées de dents, les yeux rivés sur les minuscules monticules pointus qui donnaient leur aspect inquiétant aux cloisons.
— Vous pouvez vous installer sur le canapé si vous voulez, c’est assez confortable.
Elle apportait les verres et un récipient débordant de chips. En les déposant sur la table basse du salon, elle s'efforça de lui adresser un grand sourire masquant sa nervosité.
Service impeccable, aussi net qu'à la brasserie. À la différence près qu’elle portait une robe fendue, de quoi rendre la tâche plus ardue. Nick eut le temps d’apercevoir la peau claire de son hôte par l’ouverture du tissu. L'étoffe écarlate glissa sur son mollet lorsqu’elle se pencha pour tout mettre en place. Vives et incontrôlables, ses jambes se refermèrent dans un claquement maladroit de ses chaussures, l’une contre l’autre. Juliette ne se fit pas prier pour s'asseoir à son tour dans l'unique canapé.
— A votre santé !
Elle levait son verre à pied en attendant que Nick l’imite. Ce qu'il fit avec une certaine retenue. Le vin se faisait rare dans ses verres, et ses verres n'avaient pas aussi fière allure. Les deux avalèrent enfin une gorgée du nectar alcoolisé.
— Est-ce que l’on peut se tutoyer ?
La gêne faisait son grand retour. Comme un adolescent timide, Nick se contenta de hocher la tête en clignant des yeux pour acquiescer.
— Ça doit te sembler étrange que je t’invite à dîner chez moi, comme ça, après trois ans de voisinage sans aucune réelle conversation.
Lisait-elle dans les pensées ou bien tout ça se voyait sur sa face terrorisée ? Lui qui ne savait pas mentir, il n'était pas très doué non plus pour cacher ses émotions.
— A vrai dire, oui. Je suis plutôt surpris.
— Oui, évidemment…
Elle remit une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille pour libérer ses yeux. Et avant que le malaise ne tarde trop entre eux, elle pivota vers Nick dans un froissement de tissu.
— Pour tout te dire, je ne sais pas ce qui m’a pris ! Une envie soudaine, comme une idée de génie qui survient d’un seul coup à la seconde où on est sur le point de s'endormir. Pas une pomme sur la tête censée me donner la définition de la gravité, mais une ampoule qui s’est allumée.
Nick leva un sourcil, interloqué. Puisqu'il s’était déjà fait à l’idée de ne pas obtenir de réponse satisfaisante quant à la raison exacte de cette invitation, il n'insista pas. Mais il restait à demi persuadé qu'il n'y avait rien de gratuit dans ce geste. Quel intérêt sa voisine avait-elle à le faire entrer chez elle ? Sûrement pas financier ! Drôle de traquenard. Happé par ses réflexions, il jeta un coup d’œil à l’écran de télévision éteint, juste en face d'eux. Moyen efficace de fuir l'instant. Dommage qu'elle ne soit pas allumé, les voix auraient couvert le silence. À l’intérieur se dessinait le reflet de la table basse et de tout ce qui se passait dessous. Les jambes dénudées de Juliette en faisaient partie. C’était fou comme se retrouver en présence d’une femme pouvait rappeler à quel point le sexe lui manquait.
— Et toi, je peux savoir pourquoi tu as accepté ? Tu aurais pu refuser. Après tout, on ne sait rien l'un de l'autre...
Des courbes de Juliette à ses yeux flamboyants, il n'y avait qu'un mouvement de tête. Abandonner la vue sur le morceau de chair découvert lui fut plus difficile qu'il ne l'aurait cru. Mais, ses yeux brillants n'étaient pas moins agréables. Pourquoi avait-il accepté l'invitation ? Bonne question. Avant, il aurait tourné sa langue à peine deux fois dans sa bouche puis décliné la proposition sous l'effet de la pression. Se retrouver seul avec une femme relevait du challenge et comme tout challenge, ça se prépare. La question tourbillonna en boucle dans sa tête avant d’y trouver une réponse bien trop délicate pour être dite. Il préféra la garder pour lui et haussa les épaules.
— La curiosité, j’imagine.
Une façon d’avouer à demi-mot une réalité indicible. Contourner à la fois la vérité et le mensonge. Si Nick avait répondu par l’affirmative à l’invitation de Juliette, c’était uniquement parce que le temps d’un instant il y avait vu une opportunité immanquable. Celle d'oublier Diana.
Subitement, il eut l’impression nébuleuse de faire face à son ancienne camarade de classe avec quelques années de plus. L'oublier, hein ? Pour réussir à l'oublier, il fallait déjà arrêter d'y penser. Et une gorgée d’alcool en compagnie d'une femme pouvait vite exaucer ce souhait. À moins que Juliette ne soit pas du tout la solution à son problème. Elle ressemblait parfois beaucoup à Diana. C’était indéniable. Et d'un autre côté, un simple coup d’œil d’un autre point de vue changeait tout. Finalement, c’était bien Juliette. D’ailleurs, il était certain que Diana n’aurait jamais porté une telle robe. C'était rabaissant de l'imaginer vêtue ainsi. Il l'avait vue grandir et se transformer en une adolescente pudique, d’une classe plaisante. Il l'avait toujours trouvée en avance sur son âge. C’était même ce qui l’avait tout de suite différenciée des autres à l’époque où ils se côtoyaient encore. Elle était la seule à voir en lui quelque chose d’intéressant. Elle était son unique véritable amie. Mais au lieu d'opter pour le schéma conventionnel - grand amour, grande maison et vie de famille - elle s’était envolée vers une carrière difficile quoique prometteuse.
Nick et Juliette avaient vidé leur verre de vin. Les échanges de mots avaient plus ponctué le silence que l’inverse. Si Juliette n’était pas très bavarde, elle venait de trouver son maître.
— Eh bien... Bon appétit, Nick.
— Bon appétit.
Ce festin donnait à croire qu'elle avait cuisiné toute la soirée. En plus de son plat de purée de poids chiches accompagnée d’agneau, il y avait sur la table un saladier en verre débordant, une bouteille de vin rouge entamée et du pain enfariné. Les pauvres diners que pouvaient s'offrirent Nick étaient ridicules à côté de cette tablée. Juliette ne travaillait pas dans la restauration par simple souci de la survie, sa cuisine transpirait la passion culinaire. Et ce fut délicieux. Il se retint tout de même de ne pas gober ce somptueux repas comme il aurait avalé un sandwich. Peut-être que la place de serveuse n'était pas celle que Juliette convoitait.
Il se saisit de sa serviette en tissu bordeaux pour essuyer sa bouche sans aucune distinction. Un tel objet faisait tâche dans ses mains rêches. Au moins, il avait fait disparaître les goûtes de sauce qui s’étaient logées dans les poils de sa pseudo moustache. Une bonne gorgée d’alcool eut l’effet imaginaire de faire descendre toute cette nourriture réduite en bouillie dans ses tubes internes. Mais la digestion n'annonçaient longues.
— Ça à l’air de t’avoir plu on dirait, dit Juliette dans un sourire satisfait étrangement corrélé à un rougissement de joue.
Qu’aurait-elle pu ressentir d’autre face à cette espèce de grand omnivore qui venait de s’enfiler autant de viande que de légumes ? Nick s'était resservi goulument, comme pour remplir des réserves et faire face à un hiver rude. Elle se leva pour faire ce qu’elle savait faire de mieux dans ces moments de silence pesant : débarrasser la table. Il profita de son absence pour laisser échapper un soupir. Son petit ventre se tendait sous sa chemise, formant une boule inhabituelle. Il avait apprécié, c’était peu de le dire. C’était bien rare qu’il puisse profiter de repas aussi complet et nourrissant en dehors des jours de fête. S’il n’allait certainement pas oublier Diana ce soir, au moins il aurait bien mangé.
En tournant la tête en direction de la cuisine, son regard croisa un cadre au moins aussi haut que la moitié du mur. Un cadre en bois verni, immense. Quant à la toile qu’il enfermait… Impossible ! Il se leva d’un bond pour s’approcher au maximum, déplaçant la table au passage sans même notifier la douleur dans sa hanche. Il n’en croyait pas ses yeux. Trait pour trait, il s'agissait de l’œuvre devant laquelle il avait fait le vœu de se marier à Diana. Jésus, crucifié. Une copie conforme, mais plus petite que la peinture originale. Incroyable. Il s'approcha timidement pour y trouver peut-être la signature de l'artiste peintre. Juliette déboula dans la pièce, elle avait ce regard interrogateur sur le visage, à moins que ce ne fut de l'inquiétude. La table du salon était de travers, mais rie n'était tombé. Nick lui fit signe de le rejoindre face au tableau.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ça ? C'est… Une copie du Christ de Saint-Jean de la Croix, peinte par Salvador Dalis dans les années 1950, si je me trompe pas. L’original est exposé en Écosse.
Juliette s’était placée juste à côté de lui pour observer cette perspective extraordinaire. Encore aujourd'hui, il avait envie de l'affublé du qualificatif original.
- Impossible, infirma-t-il d'un non de la tête. J’ai vu ce tableau à l’Institut des Arts de Toredit il y a une vingtaine d’années.
Il ne lâchait pas l’œuvre du regard. Il la reconnaîtrait entre mille. Ce tableau, avec son point de vue atypique ne faisait plus de Jésus l'unique sujet de l'œuvre mais un moyen de pointé du doigt la supériorité du père.
— Eh bien le tableau a pu être l'objet d'une expo temporaire, ici à Toredit. Ça ne me paraît pas infaisable.
Elle le regardait lui à présent, l’air confus. Sa concentration outrancière n'avait rien d'anodin. Il paraissait profondément touché. Elle déposa une main amicale et chaleureuse dans le haut de son dos.
— Est-ce que ça va, Nick ?
Il tourna vivement la tête vers Juliette. Il ne s’était même pas rendu compte que deux larmes avaient remonté jusqu’à la surface de ses yeux puis coulé sur ses joues rougies par la chaleur de l’appartement. Enfin, jusqu’à ce qu’il émerge de ses pensées nostalgiques. D’un revers de bras, il essuya le tout avec la manche de son costume. Oublier Diana ? Quel idiot il faisait d'avoir cru possible une telle hérésie. Elle était partout, tout le temps.
— Je vais rentrer maintenant.
— Maintenant ? Tu ne veux pas du dessert ?
Nick cherchait la pendule des yeux.
— Si tu n'aimes pas le tiramisu, je peux te donner autre chose.
— Merci beaucoup pour le repas, c’était vraiment excellent. Mais je dois me lever tôt demain...
Il n’attendit pas son approbation et il était persuadé qu’elle n’ajouterait rien. Il se dirigea vers la sortie, arracha son manteau au porte-manteau et tira la porte à lui, la tête légèrement basse. Il se glissa dans l’ouverture de la porte et s'imaginer filer ainsi. Mais il se retourna pour faire une dernière fois face à Juliette, par politesse. Mauvaise idée.
Dieu, ce qu’elle était belle sous cette lumière chaude. La blondeur de ses cheveux n’avait plus d’égal que la couleur du blé dorant sous le soleil d’été. Ses yeux sans unicité se remplissaient de nuances marron avec lesquels seule la profondeur du sol pouvait rivaliser. Son teint, ni pâle ni halé, un entre deux en parfaite harmonie avec tout le reste, ne pouvait être que l’exemple du meilleur mélange qui puisse exister. Ses épaules quelque peu dénudées, une part habile de son corps découverte. Des bras finement dessinés. Une poitrine mise en avant par la rigueur du tissu qu’elle portait. Une taille cintrée que n’importe qui aurait eu envie d’étreindre. Des hanches sans courbure débordante. Des jambes sans trop de longueur. Nick eut la divine impression de faire à nouveau face à un tableau irréel où la lumière jouait un rôle primordial. Cette beauté mise en scène avait le don de le mettre en émoi. La température de son corps grimpa brusquement et son cœur s’accéléra, comme pris d’une panique incontrôlable. Ses veines devenaient de plus en plus visibles à mesure que le débit de son sang augmentait. Tout son corps réagissait à la vue de ce mirage artistique. Quant à ses pieds, et c’était le plus étrange, ils ne cessaient de s’affoler dans les chaussures. Ses vingt orteils s’agitaient comme de petits diablotins. Sa prière était exhaussée.
Juliette n’eut pas le temps de prononcer un quelconque "Au revoir", qu'il se jeta littéralement sur elle, les pieds en avant. Ses mains crochues s'agrippèrent au bassin de Juliette. Dans sa lancée, il l’emporta en arrière, la faisant reculer dangereusement jusqu’à la table à manger quasiment vide de tout couverts, tandis que la porte d'entrée claqua sèchement. Le cri aigu de Juliette se coupa net au moment où elle heurta le meuble. Le coup avait dû entraver sa respiration. Elle se mit à toussoter pendant que ses mains tremblantes se raccrochaient à la table pour rester debout. Il en profita pour la plaquer contre le plateau en verre. Elle poussa un hurlement à mi-chemin entre l'expression de la douleur et celle de la peur. Ses cris déformaient son visage à outrance, au point d'enlaidir la plupart de ses traits. Son image tressautait d'ange à démon, sous les yeux d'un Nick grimaçant. Il remonta ses mains autour de la gorge blanche aux muscles saillants. Son visage trahissait sa volonté de serrer son emprise. De la serrer très fort. Quelque chose proche de la colère s'était emparé de sa face légèrement rougie. Mais il serra à peine. A en voir la couleur jaunâtre de ses doigts, presque blanche pour ses phalanges, il résistait à la strangulation. Au lieu de ça, il approcha lentement son visage, comme pour admirer le moindre des pores de la peau claire qu'il tenait.
Juliette était tétanisée, les yeux complètement exorbités. Ils paraissaient même plus troubles. Sans doute parce qu'ils commençaient à se noyer dans des larmes d'effroi.
Aussi inattendu que cela puisse paraître quand on connaissait Nick, un type timide et passif, un gamin adulte qui éprouvait une anxiété inégalée à l'idée de s'approcher d'une femme, celui-là même qui avait enterré un possible avenir heureux en couple par crainte de la gent féminine, oui, ce Nick ne trouva rien de plus idéal que de tenter d'embrasser sa proie. Si l'occasion ne s'était jamais présentée auparavant, cette fois il l'avait provoquée et n'avait pas l'intention de la laisser passer. Un baiser, peut-être l'unique de toute sa vie. Il tendit ses fines lèvres craquelées dépourvues de rouge. Il était décidé à le faire, sans plus hésiter, et sans obtenir une quelconque autorisation. Mais une morsure soudaine fragilisa son bras gauche. Dans sa détresse, Juliette était parvenue à saisir la bouteille de vin rouge ouverte et l'avait fracassée sur son coude osseux. Le gémissement de douleur ne se fit pas attendre, il surgit de sa bouche quand le verre traversa ses vêtements pour se planter dans sa peau. Le liquide couleur sang se déversa grossièrement sur le costume de Roly. En quelques secondes, Nick redevint le plouc qu'il avait toujours été, la tache de vin en serait garante. Et l’alcool ne s'arrêta pas sur sa ceinture en simili cuir, il continua d'imbiber le tissu de son pantalon, menaçant de couler sur ses chaussures neuves. À peine une goutte toucha le cuir noir brillant, qu'il eut un mouvement de retrait et abandonna totalement sa prise sur Juliette. Il recula de quelques pas alors que, de ses mains, il s'évertuait à dénicher un mouchoir usagé dans ses poches. Il s'empressa d'arrêter l'hémorragie de vin pour préserver les chaussures. Son vieux mouchoir était imprégné du liquide qui avait l'air autrement plus foncé sur le papier.
Il se redressa et découvrit avec horreur le tableau dont il était le peintre. Il en lâcha son mouchoir trempé sur le sol, levant les bras à hauteur d'épaule. Il avait l'air d'un lobotomisé qui découvrait ce dont il était capable. Comme s'il reprenait le contrôle de son corps après une absence temporaire. Le carnage dans la pièce principale... Juliette était dans un état lamentable. Elle avait cessé de crier, mais son attitude méfiante ne trompait pas. Elle tenait toujours fermement ce morceau de bouteille cassé devant elle, menaçante. Pas sûre qu’elle soit capable de réitérer en plantant son arme blanche dans le corps de son voisin, mais elle chercherait à se défendre. Elle n’osait cependant pas bouger. Elle se contentait d’observer son agresseur, pour prévenir son comportement imprévisible. Peut-être se jouait-il d'elle pour apaiser la tension avant de retenter quelque chose. Si seulement elle avait porté un de ses pantalons, comme d’habitude, elle aurait au moins pu saisir son portable dans l’une de ses poches.
Nick laissa lentement redescendre ses bras le long de son corps. Des mouvements brusques auraient suscité l'affolement de Juliette. Et il ne pouvait la lâcher du regard. Il y avait quelque chose de bizarre, elle avait l’air si différente tout à coup. Était-ce la peur qui la rendait si... Froide ? Les fines pattes d'oies, les reflets dans ses cheveux, le grain gras de sa peau... Tous ces défauts ne lui étaient pas apparus jusqu'à maintenant. Il fit un pas vers elle, mais s'arrêta net quand elle brandit à nouveau le morceau de verre devant elle.
— N’approchez pas !
Elle paraissait prête à se servir de ses canines, et toute la nourriture qu'elle avait déjà avalée n'y ferait rien. Ventre plein ou pas, elle mordrait. Sa vigilance avait redoublé face à cet inconnu qu'elle avait gentiment fait entrer dans l'intimité de son appartement comme un loup dans la bergerie.
Et lui la dévisageait toujours. C’était fou. Ses cheveux pourtant blonds la minute précédente avaient l’air si foncés maintenant, châtains en fait. Ses yeux avaient pris une toute autre couleur eux aussi. Du vert ils étaient passés au marron. Elle avait l’air un peu plus petite, mais c’était difficile à dire vu la position dans laquelle elle se trouvait, assise sur la table en verre. En tout cas, les deux bourrelets qui s’écrasaient sur sa taille, recouverts du tissu rouge, il était sûr de ne pas les avoir senti au moment de l’étreindre. Il cligna des yeux, secouant un peu la tête, comme après un mauvais rêve.
— Sortez ! Sinon j'appelle la police !
Le ton de Juliette était bien assez explicite. Replié dans sa coquille de voisin discret, il n’ajouta pas un mot, pas un geste. La culpabilité évidente qu'il ressentait ne transparaissait pas dans son attitude. En revanche, on pouvait voir la déception qui l'animait. En se mordant la joue, comme après une nouvelle tentative d'approche sociale ratée, il se retira dans l'entrée. Le pire, c’est qu’il ignorait comment il avait pu perdre le contrôle de son propre esprit pour s'en prendre à quelqu'un.
End Notes:
Vous attendiez peut-être de l'action...
L'enquête jalouse by MelHp7
Author's Notes:
Il était temps de mettre fin à ce suspens ! Voilà la suite, toujours issue d'un jet qui n'est pas définitif...
La veille, ne pas faire grincer le parquet du palier en rentrant avait relevé de la nécessité absolue. Se déplacer dans son propre immeuble comme un voleur, de quoi lui donner des maux de ventre. Rapidement débarrassé des vêtements rougis par la violence, il s'était agenouillé devant son canapé-lit, les mains jointes, et avait prié pour qu'aucun habitant de l'immeuble n'ait entendu les éclats de voix qu'il avait provoqué chez Juliette. Pourvu que non. Pitié. Il avait levé la tête vers le plafond, cherchant à le percer pour trouver Dieu et lui demander directement pardon. Ca n'était pas moi, cet homme esclave de ses pulsions sexuelles. Ca n'était pas moi.
Le matin, il s'efforça d'oublier. Chaque nouveau jour comportait déjà son lot de complications. S'encombrer la tête dès l'heure du petit-déjeuner c'était légitimer le mal qu'il avait fait et le laisser prendre le dessus. Si la dépression le guêtait depuis bien longtemps, il avait appris à la repousser. Et à vrai dire, c'était l'image de Diana qui courait dans ses pensées. La ressemblance troublante qu'il avait cru voir en Juliette l'avait ramené à cette camarade de classe, encore une fois. Depuis, une idée n’avait cessé de trotter dans sa tête comme un cheval remis en liberté, un cheval qu'il était devenu incapable de dompter. Diana lui manquait.
Mais Diana était mariée. Il y a des années, elle avait creusé un trou béan dans sa poitrine et il n'avait réussi à le combler qu'avec des rêves obsessionnels. Mariée à un certain Mizenov. Qui pouvait bien être ce type ? Un heureux chanceux, en tout cas. Mettre un visage sur ce nom d'Europe de l'est était hors de sa portée. Pour sûr, il ne s'agissait pas d'un ancien camarade d'école. Avec un nom pareil, il s'en serait souvenu. Elle avait dû le rencontrer durant sa deuxième vie, loin de lui.
Les mains serrées sur son guidon, à zigzaguer dans les rues perpendiculaires du quartier Sud-Est de Toredit, Nick avait passé la journée à chercher un stratagème. L'envie de savoir qui était cet homme avait viré à l'obsession. Ne serait-ce que pour casser l'image de mari idéal qui fusait dans son esprit chaque fois qu'il imaginait monsieur Mizenov. Un chic type, barbe bien taillée, costume ajusté, et voiture de luxe...
Il dévalait la pente de Road Avenue, dans le quartier neuf. Le cliquetis infernal que faisait le clapet du coffre avant, il ne l'entendait plus. Bientôt, il pourrait retourner au centre de distribution pour pointer la fin de son service. Les derniers journeaux seraient rapidement livrés. Il s'engagea dans une rue pavillonaire adjacente. La dizaine de maisons restantes annonçait la fin de sa tournée. Mais en lançant l'un des deux cents exemplaires du Daily Toredit sur le pas d’une porte en PVC blanc, il crut lire ces sept lettres : M-I-Z-E-N-O-V. Il enfonça les freins et pila sur le trottoir dans un crissement de pneu aiguë. Un duo de pigeons fuit dans le même temps l'arbre nu qu'il avait faillit percuter. Les deux pieds au sol, il déplia l'un des journaux empilés dans son coffre ouvert pour en lire la Une. Ses yeux parcoururent le papier plus vite que ne l’aurait fait ceux d’un chroniqueur. Mais le nom de Mizenov avait dû émerger tout droit de son cerveau obsédé. Dans un soupir tourmenté, il réenfourcha son fidèle destrier.
Le trajet du retour s'annonçait ennuyeux. Il lui restait une ou deux rues à servir, de longues rues aux maisons identiques. Chaque jardin présentait une pelouse parfaitement homogène, une haie sans bosse et un portail sans bavure de peinture fermement clos. Comme la vitrine d'une boutique de luxe, le jardin n'existait que pour donner envie d'entrer dans la demeurre. Une parrure pour pousser les voisins à les apprécier ou à les jalouser. L'apparence jouait le rôle d'interface entre humains trop civilisés.
Lorsque Nick tourna au carrefour de Chester Street, son esprit prit un temps congé de ses pensées stratégiques. Cette rue là était tout aussi semblables aux autres, ci ce n'était que la maison numéro 749 restait indescriptiblement inhospitalière. Et Ryan continuait de hurler dans sa tête. « Dans le quartier des bourges, tu te tiens droit sur ton vélo et t'arrête de siffler ou de te gratter les couilles. » Le stock de journaux diminua encore, allégeant son deux-roues, jusqu'à ce qu'il arrive devant la bâtisse aux volets rouges. Le silence de l'après-midi n'était jamais aussi intense que dans cette rue totalement déserte. A croire qu'elle n'était pas habitée. Mais qui voudrait d'un logement secondaire dans un endroit aussi morne et gris. « Pas question que tu laisses le journal sur le trottoir à un kilomètre de la porte, Johnson, t'entends ? Tu le lances si tu veux, mais les clients doivent avoir qu'à se baisser sur leur foutu paillasson, point barre ! » L'allée en méandres qui menait à l'immense porte de la maison était de loin la plus longue qu'il ait vu. Même dans les Hamptons, les blindés de pognons ne s'embarrassaient pas de tant de pavés lavés pour atteindre l'entrée de leur chateau avec vue sur mer.
Nick posa les pieds à terre et monta sur le trottoir. Il déposa son vélo contre le tronc d'un jeune arbre qui bordait la route et réajusta son blouson. Le long de la façade en pierre et du toit pointu ornant la petite tour de briques rouges, l'arrivée imminente d'un concentré de nuages gris n'aurait pas été réfuté par le présentateur météo lui-même. S'il ne voulait pas rentrer sous des cordes de pluie, il valait mieux ne pas trainer. Il attrapa un journal, l'enroula dans sa main et s'arrêta à la limite de la propriété bourgeoise qui disait « Attention, Doberman agressif. » Aucun chien ne l'attendait derrière les tuyas, mais pouvait-il s'avancer à croire que le bon toutou bien dressé ne lui sauterait pas à la gorge quand il aurait passé le portail ? Pas sûr que plaider la malvoyance suffirait pour se défendre. Encore fallait-il entrer... « Bon, si le portail est verrouillé, t'entre pas. Mais tu sonnes au moins avant de déposer le papelar dans la boite-aux-lettres. » Rien à foutre de Ryan. Risquer sa peau pour des gens qui se foutaient royalement de lire l'actualité de Toredit, c'était pas son genre, même s'il s'appliquait toujours à remplir ses tâches.
Mais à bien y regarder, il n'y avait pas de boites-aux-lettres.
Les menaces en l'air sur des pancartes factices, ça courait les rues. Il osa tourner la poignée du portail haut de deux mètres, malgré le gargouilli qui trahissait son envie de détaler. Il y avait peu de chance qu'il soit ouvert de toute façon, mais ainsi il aurait la consicence tranquille pour le reste de la tournée. Sauf que le pêne sortit de la gâche sans qu'il n'ait besoin de forcer. Les rois de la propriété privée sous clé n'avait même pas verrouillé leur temple sacré. Plus d'excuse pour ne pas livrer le Daily Torredit.
Le pas pressant, il fonça tout droit vers la porte blanche mastoque. Aussi droit que le rendaient possible les méandres de l'allée pavée. Et à chaque pas de plus, il surveillait les deux rectangles de verdure qui encadraient le passage et guettait le moindre grognement. Le parcours du terrain lui parut durer une éternité. Une traînée de sueur froide coula sur sa paupière droite lorsque un bruit retentit derrière lui. Il fit volte face. Le portail venait de claquer et son coeur battait à tout dévaster dans sa poitrine. Le vent se levait, les nuages noircissaient à vue d'oeil. Quand il arriva suffisament près pour lancer le journal sur le pas de la porte, il étira son bras et s'exécuta. Une rafale s'engouffra au même moment dans les pages et dévia la trajectoire de l'objet. Dans un bruit à peine audible, le journal tomba à cheval sur la pierre taillée et l'herbe traitée. Et puis merde, Ryan n'en saura rien. Ils n'auront qu'à faire un pas de plus avec leurs pantouffles en cachemire. Il haussa les épaules et reprit le chemin en sens inverse. Il n'aurait su dire si ce fut au moment où il effleura la pelouse de son pied ou au moment où il quitta la propriété que les gouttes d'eau se mirent à pleuvoir. Il recouvrit rapidement les derniers journaux qu'il restait à distribuer avec le couvercle de son coffre au verrou cassé puis enfonça sa capuche sur sa tête.
A 16h00 passées, Nick était trempé. Mais son idée fixe ne l'avait pas lâché. L'épisode du chien fantôme n'avait fait que la mettre de côté et elle persistait. Au lieu de rentrer directement chez lui, comme l'aurait fait n'importe quelle personne coincée dans un pantalon inondé, il fit un crochet par la Newton Street.
La médiathèque, sanctuaire de l’information, musée de la connaissance. Le bâtiment le dominait d’une bonne dizaine de mètres avec son toit pointu qui s’allongeait en une ombre opaque au-dessus de lui. C’était bien la première fois qu’il mettait les pieds dans un tel endroit.
Un passant baissa la branche de ses lunettes pour l'observer comme un étranger qui débarquait dans sa tenue indienne traditionnelle. Il n’y avait qu’à voir sa dégaine. Il était loin du thésard et plus proche du clochard qui traîne devant les super-marchés en espérant glaner quelques pièces. Des baskettes mouillées, un pantalon taché de boue - la faute aux projectiles de ses pneus - un long manteau dégoulinant, une capuche cachant ses cheveux à moitié collés à son visage poisseux. Un ours sorti de sa grotte au mois de mars.
Il poussa maladroitement la porte. Au couinement, quelques têtes curieuses se tournèrent dans sa direction. Des regards désolés, un peu honteux, s’en retournèrent à leurs livres. Le responsable de l’accueil n’avait pas daigné lever la tête. Assis sur sa chaise roulante, il était caché par un bureau pourvu d’un comptoir. En approchant, Nick aperçut son visage baissé sur une pile de paperasse. Ses lunettes rondes tombées sur son nez pointu n'amélioraient pas la réception. Il se racla la gorge. Réflexe de vieil animal à peine sociabilisé. L'hôte leva la tête. Il avait l’air un peu agacé, à moins que cette peau plissée au-dessus du nez ne soit due à sa perpétuelle mauvaise humeur.
— Est-ce que je peux utiliser un ordinateur ?
— Bonjour…
Il le dévisagea sans gêne. Le mépris dans sa voix couronnait le tout.
— Vous êtes inscrit ?
— Non, c'est la première fois que je...
Il avait déjà plongé ses mains dans un tiroir grand ouvert et en sortit une feuille imprimée. Un formulaire à en voir le texte à trou et les cases à cocher.
— Remplissez-ça pour commencer, ensuite je vous donnerai un code d’accès.
Nick acquiesça sans réussir à cacher sa confusion. Le bout de son pied droit frappait le sol à intervalle régulier. De manière robotique, il attrapa le stylo noir en accès libre sur le comptoir et se mit à lire. Nom, Prénom, Date de naissance, Adresse postale, Adresse mail… Il releva la tête en faisant les gros yeux. Le secrétaire avait déjà remi son nez dans ses affaires. Alors, non sans soupirer, il s’efforça de répondre aux questions indiscrètes.
— Bien, merci. Vous avez les cinq dollars de l’inscription ? Elle sera valable un an et vous permetra d’emprunter des livres, des CD, des DVD, d’avoir accès aux ordinateurs et aux archives.
Ce n’était pas cher payer pour accéder au savoir.
L'hôte ne gaspillait pas une seconde en passant par quatre chemin et parlait à la vitesse d'un coureur professionnel. Nick sortit de sa poche des billets de banque froissés et les lui tendit, les doigts crochus en avant. En échange, comme convenu, il lui donna un petit morceau de papier ; un identifiant et un mot de passe y figuraient.
— Les ordinateurs sont au premier étage, à gauche dans le fond. Vous en allumez un, vous entrer ça dedans, et c’est tout.
Il attendit deux secondes comme pour le laisser digérer ses mots puis le congédia tout aussi rapidement d'un « Au revoir monsieur » quand bien même il venait d'arriver.
Nick avait dû parcourir une grande salle remplie de hautes étagères bondées de livres pour atteindre la fameuse salle informatique, en haut de l'escalier. La moitié des sièges étaient réservés. Quand aux petites salles de groupes, elles étaient remplies d'étudiants. Il trouva néanmoins une place dans la dernière rangée de zombies. Face à la machine rectangulaire, il resta de marbre. Il pencha la tête pour entrevoir l’écran de la rangée devant lui. Un garçon aux cheveux bouclés faisait danser ses doigts sur le clavier avec une telle aisance qu'il en eu le tournis. Ça n'avait pourtant pas l'air bien sorcier. D'un clic hasardeux, il ouvrit une session en complètant les champs vides : identifiant et mot de passe. Le morceau de papier trouvait son utilité. Un bureau vierge apparut l'instant d'après. Nick reconnu le logo du navigateur de recherche et l'ouvrit.
« Diana Mizenov », furent les premiers mots qu'il tapa. S’en suivit un défilé de titre bleus et gras sur un fond blanc. Les profils Facebook de Diana Mizenov, les œuvres photographiques de Diana Mizenov, l’agence immobilière Diana Mizenov, etc. Des tas d'homonymes. Google avait peut-être le monopole des connaissances, ça n'en était pas moins un sac de nœuds.
« Diana Mizenov Cleveland »
« Diana Frane Mizenov »
« Diana Mizenov avocate »
Cette fois, quelque chose attira son attention. Une image dans les suggestions de la colone de droite. Il précipita le curseur de la souris et afficha l'image en plein écran. Ca ne pouvait être qu'elle : Diana Mizenov en robe d’avocate aux côtés d’un client heureux. La légende de la photographie disait : « James Baker vainqueur de cette affaire de vol à main armée dont il a été victime le 15 janvier 2015 à Toredit. Sur les conseils de la jeune avocate, Diana Mizenov, il a plaidé la légitime défense pour justifier la mort du cambrioleur. »
Mais son regard était hypnotisé par la mine satisfaite de Diana. Ses cheveux blonds, qu’il avait connus longs, mesuraient bien vingt centimètres de moins. Ses yeux marrons brillaient de satisfaction polie. Elle avait vieilli sans perdre de sa candeur. S’il ne connaissait pas la date de sa naissance sur le bout des doigts il n’aurait pas su lui donner un âge. Elle avait l’air intemporelle. Une très belle femme, comme il l’avait toujours imaginé. Plus belle encore que ce qu'il avait imaginé.
Avant de perdre totalement son objectif de vue, Nick cliqua sur le lien de la photographie et fut redirigé vers un post publié sur Twitter. Sous l'image, un peu moins de deux-cents commentaires fusèrent. Il avait beau ne jamais utiliser ces réseaux sociaux sordides, il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour comprendre comment les afficher.
« Encore un taré de commerçant armé ! A quand la fois où il tirera sur un de nos gosses pour se dépatouiller d’un voleur de caisse ? »
« Et une autre affaire rondement menée pour Diana Mizenov. »
« Les avocates sont-elles toutes aussi canon que celle-ci ? »
« Pas touche à celle-là, je l’ai déjà dans mon collimateur, ahah. »
« Laissez tomber les gars, Diana est l’heureuse héritière des Mizenov. »
« Les propriétaires de H-Tech ? »
« Oui ! C'est la femme de Stanislas Mizenov. »
Ça y est, le nom à maudire était complet. Stanislas Mizenov était donc le fameux gredin qui avait passé la bague autour du doigt qu’avait réservé Nick avant tout le monde. Et il semblait être le seul inculte à ne jamais avoir entendu parlé de cette famille russe.
— Ah ! mugit-il après s'être inconsciemment raclé l'intérieur de la joue. Merde...
Mary Frane avait précisé que Mizenov avait été le mentor de Diana, son professeur. Il avait tout ce qu'il fallait pour obtenir des informations.
« Stanislas Mizenov enseignant »
Nouvelle recherche. Les résultats furent tout de suite plus probants. Un article entier était dédié à la famille Mizenov sur Wikipédia. Elle était donc à la tête d’une entreprise de fabrication d’outils de haute technologie. Rien que ça. Elle manipulait des tonnes d’argent et ne cessait d’en récolter pour soutenir des associations caritatives. Un sourire méprisant pris possession de son visage alors qu'il engloutissait ces lignes affligeantes. Un chiffre d’affaire d’un million et demi de dollars pour 2015, et il ne cessait de croître année après année. Un fils prêt à reprendre le flambeaux, Peter Mizenov, marié à Julian Hill Mizenov depuis 2013. Un autre fils enseignant en droit, Stanislas Mizenov, marié à Diana Frane Mizenov depuis 2010.
Au-fur-et-à-mesure des mots, son corps se vidait de son eau salée et odorante. Sa main moite ripa sur la souris. De retour sur la page des résultats de recherche, un autre titre l'interpela. « Stanislas Mizenov sur le banc des accusés ». Nick se précipita sur le site du journal en ligne. Dans ses yeux on pouvait voir défiler les lignes à la vitesse d’une fusée. Sans cesser de transpirer, son coeur avait repris un rythme à peu près normal. Un enseignant de droit accusé d’abus d’autorité et d’attouchements sur l'une de ses étudiantes. Bingo. L'affaire avait fait grand bruit dans le milieu judiciaire, et davantage encore à l'université de droit de Cleveland. Un coureur de jupon. Diana avait fait sa vie avec un vulgaire coureur de jupon accros au cul des minettes qui fondent devant son charisme comme... Comme Diana avant elles.
End Notes:
Laisse-moi ton avis, ton ressenti, sans tabou !
Le problème Mizenov by MelHp7
Author's Notes:
J'ai tardé à poster ce court chapitre, mais le voilà. Il aura le mérite de vous faire réfléchir, j'imagine...
Loin d'avoir soulagé son esprit torturé, cette escapade informatique avait au contraire enclenché un engrenage de réflexions interminables. La question principale, tout en haut de la liste : « Comment l'arracher à Stanislas Mizenov ? ». Ce vieux pervers... Il n'arrivait pas à se sortir ça de la tête. Le signal à saisir : Diana n'était pas heureuse avec ce type, alors il avait encore une chance. Peut-être une toute petite chance.
Le silence pesait dans son appartement vide et terne. Les voisins, aussi muets qu'invisibles lui donnaient l'impression de vivre dans un immeuble abandonné, comme un squatteur. Quand est-ce que les flics allaient débarquer pour le virer de force et débarrasser tout ce désordre ?
Après une douche quasiment froide, il s'assit sur son lit aux draps froissés et plongea sa tête dans ses mains. Fatigué.
— Bon Dieu Diana, qu’est ce que tu fous avec ce vieux pervers, maugréa-t-il en élançant son pied gauche qui heurta la paire de John Foster.
Il jeta un oeil en direction du tapis devant la porte d'entrée. Bizarre, il aurait juré avoir laissé les chaussures à cet endroit après être rentré. Au lieu de ça, un journal chiffoné traînait par terre, comme s'il était tombé de son manteau. Les sourcils froncés, Nick s'en approcha. L'exemplaire du Daily Toredit était légèrement effacé par endroit, la faute aux gouttes de pluies. Alors, il avait oublié un client. Ou, plus probable, cet abruti de Ryan avait mal fait les comptes au moment de charger les caisses de son secteur... En s'accroupissant sur le sol poussiéreux, il ramassa les pages froissées et alla se rasseoir. Puisque la télévision lui avait été coupée faute de paiement, il l'avait vendue au rabais à une famille mono-parentale dont la mère ne savait plus comment occuper ses trois gosses. Le journal, son seul lien avec le monde extérieur. Et le téléphone, quand il sonnait.
Le papier datait du 27 novembre, tiens donc. Déchiré par endroit, il n'en restait pas moins lisible. La couverture faisait état des travaux avancés de la rue grise et un rédacteur revenait sur les événements de Thanksgiving qui avaient eu lieu la veille à l'hotel de ville. Nick soupira en imaginant le rassemblement de bobos avec leur sourire hypocrite. Même pour un repas sensationnel il n'aurait jamais mis les pieds dans ce nid à hypocrites. Quelle aurait été sa place ? Certainement dans la cuisine à faire la plonge.
Il s'en remit plutôt à la page deux dédiée aux petites annonces. Il y en avait toujours au moins une un peu farfelue dans le lot. En parcourant les petites lignes, un titre lui sauta aux yeux.
Une fille pour un soir
L'agence de call-girl Hot-Dating, toujours en service depuis 2002, rappelle aux célibataires que la solitude et le manque de chaleur humaine n'est pas une fatalité. Plus de vingt femmes vous offrent leurs services, et il y en a pour tous les goûts.
Coup de fil coquin : 0.80 $ la minute
Call-girl à domicile : 30 $ l'heure
Coordonnées : +1(313) 666 1234
www.hotdating.us
Plus que farfelue, cette annonce était pleine de culot. A commencer par faire des femmes des objets de plaisir accessibles pour une poignée de dollars. Combien y avait-il de célibataires prêts à se jeter sur leur téléphone pour sortir du désert qui faisait office de vie sexuelle ? Les boules de flippers qui lui servaient de neurones se mirent à cogner tous les coins de son cerveau en ébullution.
Il glissa sa main dans la poche du jean posé en vrac sur la chaise en face de lui et en tira le bout de papier au verso duquel il avait griffoné quelques notes. Mizenov était accro à l'adultère. Et en bon accro, il allait recommencer... Un lien habile se tissa progressivement entre le procès de Stanislas Mizenov, qui avait eu lieu en 2001 et duquel il avait été acquité, et l'agence de call-girls. Le plan se montait plus facilement qu'un meuble Ikéa. Une idée de génie, peut-être pas, mais un coup de pouce, ça il en était persuadé. Hot-Dating.
Il prit une bonne inspiration pour réoxygéner son cerveau. Il y avait un moment qu’il n’avait pas eu à faire à Chantal, la grande patronne de l’agence. Ce n’était pas l’envie qui lui avait manqué, mais plutôt les moyens. Ce soir, il n'avait envie de personne. La dispute avec Juliette était encore trop fraiche et sans doute l'image de Diana trop présente. Mais le moment était venu d’appeler pour une toute autre raison. Qui aurait pu croire que ce soit dans de telles circonstance. Ce serait un jeu d'enfant.
Il approcha le morceau de papier de ses yeux pour y déchiffrer la mini carte d'identité de sa cible, celle qu'il avait écrite lui-même grâce à internet. Date de naissance, coordonnées, lieu de travail, et autres données qu’il avait jugé utiles pour le retrouver.
La météo s'était apaisée en soirée. Ce que la rue pouvait être calme quand la nuit s'épaississait. A trois-cent mètres de chez lui, Nick força la porte abîmée d'une vielle cabine téléphonique encore en usage. L'idée d'appeler depuis le seul endroit intraçable qui existait encore dans la ville lui était venue et après avoir enfilé ses John Foster pour sortir elle était devenue la seule option possible. Quelques SDF s'offraient parfois des conversations avec un proche oublié en espérant qu'il veuille bien lui filer un peu de fric ou qu'il lui trouve un toit, même temporaire. C'était l'utilité majoritaire de cette antiquité. Il y avait aussi quelques jeunes cons qui venaient s'amuser à faire des canulars téléphoniques idiots. Et des types comme Nick qui contournaient le tracing des téléphones portables en utilisant un combiné public. Méthode connue et reconnue. Mais ce soir, il n'y avait pas âme qui vive dehors.
La musique de fond intimiste et érotique se joua pendant deux longues minutes. Visiblement Hot-Dating n’avait pas perdu la main. Le sexe demeurait un business fleurissant.
— Bonsoir, Hot-Dating et ses filles à ton service, que puis-je faire pour toi ?
Cette voix cassée, aggravée par les méfaits de la cigarette. C'était bien Chantal. Sans se présenter, il lui raconta vouloir une jolie fille pour un ami de longue date. Un cadeau bien emballé à livrer un peu loin d'ici, certes.
— Comment doit-être la fille ? Dis-moi tout.
De son côté, Chantal n'avait pas reconnu la voix. Fallait dire que des clients comme lui, elle devait s'en coltiner des dizaines. Et peut-être que la boule dans sa gorge y était pour quelque chose
— Euh... Peau mate, brune, cheveux longs, si y a. Un peu potelée. Ronde en fait, avec des formes quoi.
— Ah, j’ai ce qu’il faut, tu as de la chance.
— Elle peut y aller sur l’accoutrement vulgaire. Les jeux de rôle, c'est son truc.
— Grand Rapids, c’est bien ça mon lapin ? Et pour quelle heure doit-elle être au 1788 Lee Road ?
Nick réfléchit à la vitesse de la lumière. L'horaire avait toute son importance, mais il n'y avait pas songé une seule fois.
— 19 H 00. A peu près...
— On a déjà tes coordonnées bancaires ?
— C’est lui qui réglera la note. Sur place, je veux dire. Lui et moi n'avons pas exactement le même parcours...
Manquerait plus qu'il ait à payer pour cet ordure.
— J'ai besoin de garanties, je n'envoie pas une fille comme ça, sans être sûre d'être payée. Le temps c'est de l'argent.
Elle ne croyait pas si bien dire...
— Faites-moi confiance, Mizenov paiera même le double en cash, il est plein aux as.
— Mizenov ? De LA famille Mizenov ?
Nick crut l'entendre murmurer. « Les blancs attirent l'argent, c'est bien connu. Que cet argent soit bien utilisé. »
— Qu'est-ce qui me prouve que c'est pas une arnaque ?
— Vous devez savoir que Stanislas est marié, n'est-ce pas ?
Elle acquiesca sans dire un mot.
— Après ce qu'il s'est passé autour de lui, il ne veut pas que sa femme soit au courant de ce qu'il traficote dans son dos alors il passe par des intermédiaires, il change régulièrement d'adresse...
Sa main devenue moite glissa sur le combiné de téléphone provoquant un bruit aigu de l'autre côté quand il le rattrapa de justesse. Une chaleur intense lui était montée aux joues. Mais au bout du fil, c'était plus facile d'inventer des histoires...
Et moins d'une minute plus tard, il avait convaincu la cheffe, aussi stupéfiant cela soit-il. Il avait commandé une call-girl comme on commanderait une pizza quatre fromages. Hot-Dating enverrait son employée se faire fourrer par un fils de riche. Si la prestation était à la hauteur, le client friqué ferait sûrement partie des nouveaux abonnés de la boite. Ses talents de négociateur n'avaient jamais été aussi efficaces, s'il en avait déjà fait usage auparavant... Et sur un au revoir mielleux et un remerciement hypocrite, il raccrocha.
S’il y avait eu un miroir quelque part, il aurait pu contempler un de ses rares sourires. Ce genre de sourire qui étire les muscles des joues au point d'en souffrir. Cette nuit, Nick ferait de beaux rêves.
End Notes:
Résolution du problème Mizenov en cours... Vous avez envie de savoir ce que ça va produire ?
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