Le jour allait se lever sur le corps sans vie de Rimush.
Le roi avait été assassiné, égorgé dans son sommeil, un peu avant l’aube. Kaku, chef des rebelles déguisé en serviteur, n’arrivait pas à détourner les yeux de la dépouille encore fraîche du roi. Dans ses doigts crispés, il tenait une dague sanguinolente.
Kaku l’avait fait, c’était son devoir, la mission qu’il s’était fixée. Rimush était un tyran et Manishtusu serait un meilleur roi pour l’empire d’Akkad, Kaku en était certain. Pourquoi Sargon avait préféré donner le trône à son cadet ? Manishtusu et lui était certes jumeaux mais les haruspices étaient catégoriques : le roi légitime aurait dû être Manishtusu qui était le véritable aîné. En tuant le tyran, Kaku allait permettre au souverain reconnu par les dieux de monter sur le trône pour le bien de l’empire.
Soudain, Kaku fut tiré de sa torpeur par des bruits de pas dans le couloir menant à la chambre du roi. Il lâcha son arme, rien ne pouvait la relier à lui, il l’avait dérobé à un garde quelques jours plus tôt.
— Fuis ! s’intima-t-il. Si un garde te prend ici…
Kaku avait pourtant tout préparé avec minutie, mais, choqué par ce qu’il avait réussi à faire, il avait oublié momentanément la suite de son plan. Maintenant il était trop tard pour ressortir de la chambre comme si de rien n’était. Il dut choisir une voie plus périlleuse en passant par la fenêtre. Il était hors de vue lorsque les gardes pénétrèrent dans la chambre royale. Kaku retint son souffle, il devait faire vite, et le plus silencieusement possible. Il devait se déplacer le long d’une corniche étroite en s’accrochant comme il le pouvait sur la balustrade. Il put sauter sur la terrasse mais il n’était pas encore sorti d’affaire, peu à peu le palais s’éveillait, des « rumeurs » venaient jusqu’à lui, l’annonce de la mort de Rimush se propageait. Mais les gardes avaient vu monter un serviteur chargé d’un plateau de fruits. Ils chercheraient un serviteur et un serviteur couvert de sang comme lui serait passé au fil des glaives sans autre forme de procès. Les gardes n’étaient pas aussi bêtes qu’on le pensait. Kaku en savait quelque chose, il avait déjà eu affaire à eux par le passé.
Heureusement qu’il connaissait le palais, il avait encore une chance de s’en sortir. Mais pour cela il devait troquer sa tenue de serviteur, couverte de sang, contre un autre vêtement. Mais, la tunique qu’il avait caché à cet effet était de l’autre côté du palais. Faire demi-tour serait imprudent. Subtiliser une tunique ne serait pas aisé vu l’agitation qui régnait dans le palais. Peut-être… s’il arrivait à rejoindre la chambre du souverain légitime...
Kaku dut se résoudre à rejoindre les jardins en sautant depuis la terrasse. Il pourrait se faufiler sous le couvert des arbres, et rejoindre Manishtusu, qui l’aiderait sans nul doute. Après tout, il avait fait ça pour lui, pour l’empire. Il n’allait pas le rejeter.
— Il est là ! entendit-il derrière lui.
Kaku regarda derrière lui, il y avait trois gardes à ses trousses. La blancheur de la tenue de serviteur avait dû attirer l’attention. Il accéléra alors l’allure, la chambre de Manishtusu n’était plus si loin maintenant. Il pouvait encore y arriver, mais il devait semer les gardes avant. Il arrivait au coin de l’aile ouest du palais, les gardes se rapprochaient de lui et ils appelaient des renforts.
— Psst, par ici, chuchota une ombre, enveloppée dans une cape sombre.
Kaku n’avait plus rien à perdre, il suivit l’ombre qui entra par une porte dérobée, puis dans les couloirs secrets avant d’arrivée dans une chambre luxueuse.
— Tiens, change-toi ! Intima l’ombre en lui lançant une tunique de courtisan et une cape.
— Merci, répondit Kaku en reprenant son souffle.
— Non, c’est moi qui te remercie, reprit l’ombre, en retirant sa cape.
Face à lui Kaku vit le double parfait Rimush, d’instinct il s’inclina devant son souverain en signe de respect.
— Redresse-toi, c’est moi qui te dois tout.
Les yeux de Kaku se dirigèrent vers la fenêtre, le premier rayon du soleil était sur le point de faire son apparition. Kaku était à l’origine d’un renouveau, un nouveau départ pour l’empire d’Akkad.
Le jour allait se lever sur le corps sans vie de Rimush.