INT - hall de la bibliothèque - jour
Mona est derrière le comptoir. Elle tend une pile de livres à un usager qui la remercie et s’éloigne. Safia s’approche d’elle, l’air nerveux.
Safia
Mona…
Mona la voit et tourne la tête dans la direction opposée, faisant mine de l’ignorer. Safia l’interpelle d’une voix plus forte.
Safia
Mona !
Plusieurs personnes se tournent vers elle, certaines font chut et la collègue installée à côté de Mona lui fait de gros yeux. Mona tourne son regard vers Safia.
Safia (gênée)
Désolée… Mona, il faut vraiment que je te parle. Est-ce que tu prends une pause bientôt ? Je peux attendre.
Mona
Si tu as quelque chose à me dire, tu peux le faire maintenant.
Safia (de plus en plus gênée)
Ici ?
Mona lève un sourcil avec un air de défi.
Safia
Oh, d’accord… J’ai écrit un mémo.
Safia se met à fouiller dans son sac. Ses cheveux lui tombent sur le visage. La collègue de Mona scanne livre après livre sans quitter la scène des yeux. Safia finit par sortir une feuille froissée. Elle s’éclaircit la gorge.
Safia
Chère Mona. (Bon, c’est un peu formel…) Cette nuit, je n’ai pas arrêté de me retourner dans ce lit, où tu n’étais plus, en me disant que c’était trop bête de se quitter pour une ridicule dispute. Et puis, j’ai réfléchi. J’ai pensé beaucoup à moi (et aussi à toi). Je me suis dit que ce n’était pas si ridicule finalement. C’était peut-être même inéluctable.
Mona fronce les sourcils.
Mona
Attends, tu es venue jusqu’ici pour faire un beau discours de rupture ?
Safia
Quoi ? Non, attends. Où j’en étais ? Inéluctable… Je n’aurais pas pu trouver quelqu’un de plus différent de moi. Ma vie, avant toi, était une petite bulle confortable, faite d’un ensemble de règles qu’il suffisait de suivre : traverser sur le passage piéton, arriver à 8h au boulot, ne pas parler trop fort à la bibliothèque… Tout était carré, bien rangé. Ensuite, tu es arrivée.
Safia lève les yeux de sa feuille pour regarder Mona. Son bras retombe le long de son corps et elle continue sans lire.
Safia
Tu aimes prendre des détours pour suivre des papillons. Tu danses en pleine rue, sur une musique imaginaire. Tu es convaincue que traverser un croisement en diagonal est ce qu’il y a de plus logique. Tu mets un beau bazar dans mon quotidien bien banal. Et ça me fait peur.
Safia prend une grande inspiration. Mona fronce toujours les sourcils, elle semble perplexe. Safia reprend sa feuille et se remet à lire d’une voix tremblante.
Safia
Alors quand tu m’as demandé si je t’aimais, j’ai complètement paniquée. Je sais que ça n’excuse pas ma réaction. Je sais que la liste des dix choses que je déteste chez toi n’était pas la réponse que tu attendais. Mais le dictionnaire, à l’entrée “amour”, parle d’affinités et nous avons autant de points communs qu’une hirondelle et un sanglier. (C’est moi le sanglier.) Le dictionnaire parle aussi d’attirance sexuelle et… Euh, oui.
Safia lance un regard gêné autour d’elle et retourne sa feuille. La collègue de Mona l’observe tranquillement, la tête appuyée sur sa main. Le visage de Mona s’est détendu et un sourire commence à poindre sur ses lèvres.
Safia
Tout ça pour dire que je ne sais pas vraiment ce qu’est l’amour, que je n’aime pas ne pas savoir et que c’est pour ça, je crois, que je t’ai repoussée ce jour-là. Mais…
Mona
Mais ?
Safia
Mais, quand je me réveille près de toi, j’ai le sentiment que je vais passer une bonne journée. Et quand je suis avec toi, c’est comme si le monde s’ouvrait. Je sais que j’ai envie de passer plus de temps à tes côtés. Alors, si tu nous laisses une seconde chance, je ferai tout mon possible pour lui donner du sens. Quitte à y mettre un peu de fantaisie.
Safia soulève son pantalon, laissant apparaître une paire de chaussettes dépareillées. Mona se lève de sa chaise pour les apercevoir. Elle laisse échapper un petit rire.
Mona
Eh, c’est la chaussette que je n’arrivais pas à retrouver. J’espère que tu l’as lavée avant de l’enfiler.
Safia hausse les épaules avec un air mutin. Elle reprend, de manière moins sûre.
Safia
Alors, tu me pardonnes ?
Mona contourne la borne d’accueil pour la rejoindre. Elle pose son front contre le sien.
Mona
C’était l’excuse la plus maladroite que j’ai entendue. Mais ma question l’était tout autant et je suis désolée de l’avoir posée. J’aime l’idée de te bousculer un peu, mais je ne veux pas que tu te sentes acculée. Alors, si tu me pardonnes, tu es pardonnée.
Safia sourit. Ses doigts jouent avec une tresse de Mona.
Mona (hésitante)
J’ai parfois besoin d’être rassurée. Je réclame des grands discours et des petites attentions. Je sais que c’est risible de faire ce genre de caprice à mon âge.
Safia secoue doucement la tête.
Mona
De temps à autre, une paire de chaussettes dépareillées devrait faire parfaitement l’affaire.
Safia
J’en ai préparé tout un tiroir !
Mona
Je ne m’arrêterai pas de courir après les papillons, par contre. Mais, je peux essayer de traverser sur le passage piéton.
Safia (joueuse)
Vraiment ? Que dis-tu d’être mise à l’épreuve ce soir, entre ton boulot et mon appartement ?
Leurs visages se rapprochent. Puis, les deux femmes réalisent qu’elles sont encore au milieu du hall. Mona prend la main de Safia et elles vont se perdre entre les étagères de la bibliothèque.