Scène dernière
MARIANNE, JULIETTE ET LILITH
Juliette se tourne vers Marianne, Lilith la retient par le bras.
MARIANNE
Vous ne pouvez plus rebrousser chemin, ma douce aimée
Il est temps de choisir désormais.
LILITH
Bien que je ne puisse souffrir les mots de cette harpie
Il est un fond de vérité dans ces phrases énoncées :
En me tournant ainsi le dos, vous me mettez à l’agonie.
Juliette, cessez-donc de vous appesantir
Sur les complaintes d’une princesse capricieuse
Et sans attendre, continuons de fuir
Vers la contrée des libertés délicieuses.
Juliette et Lilith font un pas dans la même direction. Marianne les contourne et leur bloque la route.
MARIANNE
Fuir – où donc… ? quelle contrée – qu’entends-je ?
LILITH
Uttalia n’oppresse point celles et ceux qui dérangent
Les pensées de la couronne et sa tête bien-pensante.
Paradis des artistes, peintres et poétesses offensantes,
Les jours y sont solaires et les nuits dansantes.
JULIETTE
Nous partons pour ne point revenir
Suivre nos rêves et nos âmes – nos muses
Avec pour seul désir de parvenir
À ce que se diffusent les vers qui nous amusent.
Adieu, Marianne, adieu, Flamar, pays de mon enfance,
Mes espérances me mènent vers une toute autre engeance.
MARIANNE
Vous n’y comptez point !
LILITH
Rien ne pourra nous en retenir, ni vos verbes ni vos poings.
MARIANNE
Juliette, la laisserez-vous vous emporter
Si loin de moi sans même écouter
Les dernières paroles que j’ai à vous adresser ?
Marianne prend l’autre bras de Juliette. Elle est tiraillée entre les deux.
JULIETTE
Parlez, Marianne.
LILITH
Crachez votre venin !
JULIETTE
Mais prestement, il est bientôt demain
Et nous ne pouvons nous permettre de patienter davantage.
J’ai soif d’aventure, loin du carcan qui me tient en otage.
MARIANNE
Les révélations que je souhaite vous faire
Risquent de mettre à jour une bien sombre affaire.
Avant toute chose, cependant,
Jurez-vous de ne point juger
La justesse de mes mots jaloux ?
Il se peut que mon sentiment
Ne m’enfièvre et me désavoue.
JULIETTE
Je vous en conjure, Marianne, soyez brève
Et ne me parlez plus de votre amour mièvre
Auquel je ne saurais répondre.
LILITH
Elle ne vous aime point – cela a été assez répété.
MARIANNE
Je ferai fi de mon cœur blessé
Et croyez que si je m’apprête à exposer la vérité
Ce n’est pas seulement pour me venger
De celle qui m’a volé le soleil de mes nuits.
LILITH
Allez-vous donc vous en prendre à moi ? – quel ennui.
Votre esprit est à l’image de votre poésie :
Prévisible et sans un soupçon de vie.
MARIANNE
Silence, vipère ! Tu as eu bien assez le temps
De distiller ta perfidie. À moi, maintenant,
De montrer le vrai jour de mes opposants.
JULIETTE
Il me peine toujours de vous voir vous déchirer,
Cesserez-vous un jour vos rivalités ?
MARIANNE
Ne l’avez-vous pas choisie au-dessus de moi
Pour lui donner l’amour que je n’aurais pas ?
JULIETTE
Il n’est point question d’amour.
MARIANNE
Mais de quitter votre terre d’adoption
La femme, l’amie qui vous a donné toute sa dévotion
Pour suivre une inconnue en souliers de velours ?
JULIETTE
Lilith n’est pas une inconnue.
MARIANNE
Pourtant, je pense qu’une fois mise à nue
Vous verrez que vous ne savez rien d’elle.
Votre amie poétesse, qui se vante bohème
N’est en réalité ni fille du peuple ni rebelle.
LILITH
Que dites-vous ? Quel est donc ce blasphème ?
JULIETTE
Expliquez vos élucubrations, Marianne.
MARIANNE
Lilith n’est ni artiste ni courtisane
Comme elle l’a prétendu – plutôt mythomane.
Si son nom vous paraît étrange et familier,
C’est qu’il lui a été donné
Par nulle autre que la reine et le roi
Du fameux trône d’Uttalia.
Cette escapade – votre utopie tant désirée,
N’est en réalité qu’une mascarade
Pour vous attirer par-delà ses frontières
Dans le domaine dont elle est l’héritière
Et y faire de vous sa femme.
Juliette se dégage de l’étreinte de Lilith.
JULIETTE
Lilith, parlez !
LILITH
Je ne le puis.
JULIETTE
M’auriez-vous donc menti, ma tendre amie ?
Je ne sais plus que croire.
Ces promesses et ces territoires,
Ne serait-ce donc que des histoires ?
Des fables destinées à tromper mes espoirs
D’un exutoire où trouver enfin un oratoire.
MARIANNE
En vous enlevant à nous – à moi,
La famille d’Uttalia compte déclencher ma folie
Me briser, empoisonner mon cœur déjà meurtri
Et quand Flamar sera perdu par mes émois
Conquérir le pays qui me revient de droit.
Juliette se réfugie dans les bras de Marianne et pleure.
JULIETTE
Se pourrait-il qu’une fois de plus,
Je me sois fourvoyée ?
Moi qui croyais tenir enfin les clefs
Pour ouvrir les portes qui m’enferment trop loin de la liberté.
LILITH
Rendez-moi la parole, je vous en conjure,
Que je puisse donner sens à ces stupides conjectures.
MARIANNE
M’accusez-vous de parjure ?
Je ne saurais mentir de la sorte.
JULIETTE
Rentrons, Marianne, je ne puis souffrir
Une révélation de plus sans m’évanouir.
LILITH
J’avoue ! Je me confesse.
Il est vrai qu’Uttalia, dans sa bassesse,
M’a chargée de vous enlever à son ennemie princesse.
Mais en vous découvrant toutes deux, mes sentiments,
Sont devenus tout autres. Le Destin,
Ou les dieux, ont émis un cruel châtiment
À mon égard : m’imposant un béguin
Pour nulle autre que ma Némésis.
JULIETTE
Marianne ?
MARIANNE
Moi ?
LILITH
Une femme qui ne partage
Ni mon amour des lettres ni du langage.
Une future régente bien trop cartésienne
Doté du verbiage d’une vraie politicienne
Mais dont le cœur fougueux et flamboyant
A su désarmer toute l’opprobre jeté par mes parents.
MARIANNE
Est-ce là une autre de vos ruses ?
Je ne puis croire un instant la véracité de cette excuse.
Pourquoi vous enfuir tout de même, alors,
Me volant au passage mon plus grand trésor ?
LILITH
Séparée de Juliette je souhaitais qu’enfin
Vous puissiez ouvrir les yeux
Et que la croyant perdue si loin
De vous, vous ne l’oubliiez, pardieu.
MARIANNE
Jamais !
Juliette a toujours été ma tendre destinée
Et si je ne puis vivre à ses côtés,
Je préfère encore mourir.
Marianne sort la fiole de poison de sa chemise. Juliette s’écarte d’elle.
JULIETTE
Vous n’y songez pas ! Voyons – périr !
Quelle ineptie de s’en remettre à de telles extrêmes.
Pour tous ces bouleversements, je vous demande pardon,
Oublions ces intrigues et ces dilemmes.
Vos amours à toutes deux sont fâchés,
Il n’est point besoin pour autant d’en trépasser.
MARIANNE
Comment pouvez-vous donc proférer,
Avec tant de calme, tant de cruauté ?
Êtes-vous donc étrangère aux mystères
De l’amour ?
JULIETTE
Je suis une solitaire,
Marianne, et je compte le rester jusqu’au cimetière.
LILITH
Il n’y a pas là-dedans de quoi être fière !
JULIETTE
Je constate à travers vos personnes
Comme la flèche de Cupidon vous consomme.
Très peu pour moi, je préfère que l’on m’emprisonne
Que de céder à tant de déraison.
LILITH
Vous ne serez jamais poétesse,
Si vous vous refuser à connaître la passion.
JULIETTE
Ne disiez-vous pas encore hier,
Que mes vers étaient vos favoris sur Terre ?
LILITH
Balivernes ! Que de beaux artifices
Il m’a fallu user – un sacrifice
De mon bon goût. Vous resterez toujours novice !
Seules les torturées atteignent la catharsis.
JULIETTE
Votre imposture ne connaît donc pas de limite !
LILITH
Ni votre suffisance, ni votre cœur de granit !
JULIETTE
Menteuse, tricheuse !
LILITH
Médiocre, pathétique !
Furieuse, Juliette arrache la fiole des mains de Marianne.
JULIETTE
C’en est assez, vous m’avez tout pris.
Je ne serais jamais ni une romantique
Ni une écrivaine aux milles merveilles.
Je vois bien aujourd’hui, que je n’ai point de vraie amie.
Il ne me reste rien, tout est fini.
MARIANNE
Ne l’écoutez pas, ma tendre aimée,
Vos mots sont les plus tendres à mon oreille !
Juliette boit le poison. Marianne tente de l’en empêcher, trébuche et fait tomber la fiole qui se brise en mille morceaux.
MARIANNE
Non, je ne puis le permettre !
LILITH
Quel gâchis.
Juliette tombe raide morte, foudroyée.
MARIANNE
Cruelle, abomination, tenez votre langue de serpent !
Cette désolation est de votre fait : s’agit-il encore
D’une de votre manœuvre pour me causer du tort ?
LILITH
Douce Marianne, en vous révélant
Le plus intime de mes secrets
Je ne vous donne que tendresse et honnêteté.
MARIANNE
Il ne vous en restera que des regrets.
Malheur ! La boisson est dissipée.
Je ne puis même point suivre les pas de ma trépassée.
LILITH
Abandonnons nos passés cahoteux ensemble !
Partons à la recherche d’une nouvelle lande,
Loin de Flamar, d’Uttalia, du monde connu,
Où nous pourrons connaître de nouveaux débuts.
MARIANNE
Êtes-vous si sotte pour croire que je puisse vous pardonner ?
Ou pis, encore, un jour vous aimer ?
Votre méchanceté n’a d’égale que votre stupidité.
Vous avez voulu la guerre, vous l’aurez,
Mais elle ne se soldera point par mon décès !
Marianne ramasse un long morceau de verre brisé et le plante dans le cœur de Lilith.
LILITH
Ô Marianne ! Marianne ! Pourquoi es-tu Marianne ?
En d’autres mondes, sous d’autres lunes,
Ma flamme n’aurait pas été profane.
Mais il s’en est fallu de mauvaise fortune,
Je vous quitte, à jamais, dans un écran de brume.
Elle meure.
MARIANNE
Quelle est donc la morale
De ces aventures théâtrales ?
Veuve d’un amour à sens unique
Et dans mon chagrin, meurtrière cynique.
La destinée des princesses d’ici et de Navarre
Ne connaît-elle donc point de hasard ?
La résultante toujours est assassine,
Dans le désamour et la mort, elle se dessine.