Le génie du diable by Sifoell
Summary:

Niccolo Paganini était un génie, et il le savait.

 

Ceci est sa biographie, ou un hommage qu'il s'écrit à lui-même.

 

Peut-être est-ce aussi sa propre oraison funèbre.

 

 

 

 

Photo de Niekverlaan sur Pixabay.

 

 


Categories: Historique, Témoignages, Biographies Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Aucun
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 3217 Read: 377 Published: 17/07/2021 Updated: 17/07/2021
Story Notes:

Hello,

Sifoell poursuit sa spéléo ! Voici un texte de 2003, de mémoire, il a du participer à un concours de nouvelles à l'époque.

J'ai juste effectué des corrections mineurs (orthographe, coquilles), ce texte ne sera pas retravaillé. Mais Niccolo Paganini mérite qu'on le loue, alors pour satisfaire sa personnalité XXL, nous avons pris la décision, lui et moi, de publier cette lettre afin que vous puissiez, vous aussi, l'admirer. Parce qu'il aime ça, être admiré.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Ah, et sinon, merci de ne pas laisser de review négative, vous devez aimer ce texte, sinon l'ego de Paganini n'y survivrait pas.

1. Le génie du diable by Sifoell

Le génie du diable by Sifoell

 

Je suis génial, c'est indéniable. Tout petit déjà, mon père, en grand amateur de musique, m'a fait apprendre la mandoline, puis le violon auprès du maître de chapelle, seigneur Costa. Il voulait que je l'appelle ainsi parce qu'il m'enseignait tout ce qu'il savait, et aussi pour m'apprendre la discipline. Je déteste la discipline. Je déteste être rabaissé par quelqu'un qui croit tout savoir, et mieux que moi, parce qu'il est évident que ce vieillard tremblottant, j'en savais bien plus que lui. Le maître dépassé par son élève, c'est gratifiant, et à la fois rageant pour le maître : cela prouve qu'il sait enseigner, mais que son élève est plus doué que lui... Et, manifestement, c'était le cas.

Il m'apprenait pendant des heures les gammes sur la mandoline... Un instrument d'une simplicité déconcertante, et d'un son d'une pauvreté ! C'est pour cela que je lui ai demandé de m'enseigner le violon. Il sort d'un violon un son d'une folie nostalgique, et il faut être habile pour se prétendre violoniste, et certainement plus que seigneur Costa...

Je me souviens de l'atmosphère feutrée des heures où je déchiffrais les partitions, sous l'oeil sévère du maître, assis à la place des grenouilles de bénitier, au premier rang de la petite chapelle poussiéreuse... Je savais à peine lire, je n'avais que huit ans après tout, et déjà la musique s'envolait dans ma tête. J'étais surpris de pouvoir aussi bien imaginer la mélodie, le violon s'échappant soudain de la monotonie de l'orchestre et attaquant un solo brillantissime, avec, tenant l'archet, un enfant aux boucles brunes et au menton haut levé : moi.

J'ai commencé très tôt à jouer du violon en public, dans des concerts donnés à l'église devant mon père et ma mère, émus, et mon maître, mi-figue, mi-raisin. Je leur volais tous les regards. Je ne suivais pas la partition. Un jour même, j'ai cassé une corde en plein concert, Costa a fait une drôle de tête, j'ai haussé les épaules et continué sans la corde du sol. Quelle importance, je maîtrisais ce vieil instrument ; et le maître était furieux : je me livrais à une improvisation phénoménale, éclipsant tous les autres petits joueurs. Il faut dire qu'ils étaient plutôt médiocres. J'avais dix ans, il y avait une centaine de personnes subjuguées par la beauté de mon jeu dans cette infâme petite chapelle, et j'étais un génie. J'ai même cru voir une jeune fille s'évanouir, quelque part dans ma salle.

 

Le vieux maître vint à mourir alors que j'avais quatorze ans. Je passai les quatre dernières années à l'exaspérer de mes remarques. Je l'avais quand même assez supporté, ce vieux barbon qui voulait apprendre à jouer du violon et de la mandoline à des gens enlisés dans la médiocrité de leur existence, et la pauvreté de leur jeu.

Heureusement, j'échappais de temps en temps à la surveillance du vieux, pour aller voir des jeunes filles qui chantaient autour d'un piano dans un appartement. Elles y habitaient et pour les voir, je devais accomplir toutes sortes d'acrobaties pour atteindre leur balcon, situé au premier étage. Là, je me cachais derrière un énorme pot de fleurs et je les écoutais. C'était la chambre de l'aînée des trois filles, celle qui jouait du piano et qui chantait, une très belle jeune femme d'une quinzaine d'années. Parfois, à la faveur de la nuit, je la voyais sortir de son bain pour aller au lit, les cheveux lui coulant sur les reins, le corps brillant d'eau. Elle se brossait longtemps les cheveux, devant son miroir, éclairée par une seule bougie. C'était un bonheur indescriptible que de l'observer ainsi, longtemps, à loisir...

Ce n'était pas du goût de mon père, que je quitte le commerce de nuit, surtout lorsque je suis censé le garder quand il visite sa soeur dans un quartier éloigné. Mais les ustensiles de cuisine et les vieux livres moisis ne m'intéressaient pas, et ils se gardaient tous seuls. Alors, je pouvais sortir, et de temps en temps, je jouais du violon sous la fenêtre de la jeune fille, qui se montra bien pudique quand je m'annonçai, et que son père ouvrit. Elle prétendit ne pas me connaître, rougit quand je lui parlai de son bain, quand je lui décrivai précisément sa journée de la veille et la façon dont ses cheveux coulaient dans son dos. Ce ne fut pas non plus du goût de son père qui d'un coup la gifla, ce qui la fit rouler par terre. Les pères sont ce que l'on fait de pire au monde, après les maîtres.

 

C'est pour cette raison principalement que j'ai quitté Gênes pour Lucques, partant à l'aventure, la besace au côté où reposait mon violon, mon bien le plus précieux. J'avais pour cela emprunté quelque argent à mon père, de façon à ne pas être obligé de travailler pour manger, du moins pour quelques semaines. J'avais seize ans et le monde nous attendait, mon génie, mon violon et ma petite personne. Là, j'ameutais des gens, disant être merveilleux au violon, ce qui était la vérité, au fond.

Mais Lucques ne fût qu'une escale dans mon périple. J'avais gagné de l'argent, beaucoup d'argent pour mon jeune âge, mais une autre fièvre m'habitait, pas celle du violon, quelque chose d'indéfinissable. Je me sentais génial avec le violon entre mes mains, mais l'argent dans mes poches me donnait du poids, de l'importance. Les gens autour de moi, déjà petits par leur oreille musicale exécrable, devenaient insignifiants, parce que j'avais le Don et le pouvoir. J'étais magnifique et ce sentiment m'enchantait.

C'est alors que je suis arrivé à Livourne. Il ne me restait plus que quelques milliers de lires, mon violon était orphelin de deux cordes, mais je n'avais aucune envie de rentrer chez mon père. J'avais dix-sept ans, et j'avais besoin de gagner de l'argent, je m'y étais fait une raison. Aucun théâtre ne m'accepta pour donner un concert, ni aucune église. Je dus me résoudre à me rendre dans une noble maison, peuplée de fort belles filles peu habillées, où des hommes importants fumaient des pipes autour de tables de jeu. Le défilé des cartes à jouer me fascinaient presque autant qu'une portée. Je risquai mes dernières lires, je me sentis fort et... Je perdis tout. Furieux, je jouai une seconde fois, ce que j'avais de plus cher : mon violon. Le fait de le perdre me mit dans une rage folle, de telle manière que l'on m'invita à regagner la sortie. Je me maudis de n'avoir pas su être plus méfiant. Je lorgnai la porte fermée et bien gardée d'un oeil rouge quand un homme enfariné la franchit. Il portait un étui à violon en cuir marron. Il s'arrêta à ma hauteur, essouflé, me demanda si j'étais le petit violoniste de Lucques qui venait de perdre un violon. Devant mon hochement de tête, il ouvrit l'étui : il contenait un Guarnerius, magnifique dans son écrin de velours rouge. Un petit dédommagement, me dit-il, pour un grand talent. Cette nuit-là, j'avais certes perdu un peu de ma fierté et un bon violon, mais j'en gagnais un magnifique et un ami fidèle.

 

L'année de mes vingt-deux ans, lassé de ma vie de bohème et sans le sou, je rentrai enfin chez moi, à Gênes, auprès de mes parents. Je les avais tenu au courant de mes pérégrinations, mais ils furent néanmoins très heureux de me retrouver, même si le climat s'avérait assez tendu. Je me décidai à reprendre mes études de musique, maîtrisant parfaitement le violon, même si cette perfection ne devait que s'améliorer. Je me tournai vers la composition, en autodidacte et avec le sentiment que mon génie devait s'exprimer aussi sur des portées, moins périssables que les souvenirs que je laisserai à ma mort.

L'année suivante, le duc de Lucques eut l'immense privilège de me demander de devenir son premier violon solo, chose que j'acceptai avec enthousiasme : je voulais revoir cette ville, berceau de mon premier concert non surveillé par mes parents ou l'ombre recroquevillée de seigneur Costa. Le prince Bacciochi, un jeune prétentieux qui voulait apprendre le violon, fit appel à moi, pour que je devienne son maître. Il me regardait avec une telle admiration niaise pendant que je tentais de lui en apprendre les rudiments que cela me donnait la nausée. Malheureusement, le duc vint à mourir tôt, le prince se trouva un autre maître et je dus me résoudre à perdre cette place qui m'était chère, en particulier sur le plan pécunier. Le duc avait des goûts musicaux sûrs et m'était précieux pour promouvoir mon humble génie dans toute la Toscane. Je ne perdis pas qu'un emploi que j'aimais, je perdis aussi une cour qui m'admirait.

Ce ne furent que vingt ans plus tard que je devins virtuose, j'avais conquis les foules de toute l'Europe et l'empereur d'Autriche me recevait comme un génie, c'était un homme éclairé qui voyait juste. Mais le virtuose de la chambre de l'empereur ne jouait pas tant que ça du violon, ils se faisaient même plutôt rares les jours où il voulait écouter de la bonne musique. Mais cette liberté me laissait assez de temps pour composer quelques caprices, sonates et autres quartets. Je jouais quelque peu de la guitare aussi, ainsi que de la mandoline, mais mon instrument préféré entre tous restait le violon. J'étais le meilleur, en toute modestie.

 

Le violon n'était pas mon seul péché mignon. J'excellais également dans l'art de jouer et celui de séduire, et je ne sais toujours pas lequel de ces jeux est le plus dangereux. Quand j'avais une trentaine d'années, je croisais souvent une jeune femme, l'air farouche et mariée de surcroît, ce qui ne faisait qu'accroître mon attention ; parce que j'aime le danger, ce qui brûle, ce qu'il ne faut pas toucher. Elle avait un visage d'une telle douceur et un air si hautain, semblant dire à tous les habitants de Gênes, je suis bien au-dessus de vous, que je m'en serais voulu de ne pas avoir cueilli cette belle fleur avant qu'elle ne se fane entre les doigts de son apothicaire de mari. Bianca, ma plus belle conquête, celle qui ne devait appartenir qu'à moi. Vous savez, quand on tient une femme éperduemment amoureuse dans ses bras, on peut tout lui faire promettre...

J'ai un petit défaut : quand je veux quelque chose, je le prends, et je ne m'en débarrasse que si j'ai assez joué. Mais elle, elle était à part, ma blanche. Nous nous sommes enfuis, tous les deux, de Gênes car l'apothicaire était un franc tireur, et nous avons vécu une charmante petite semaine dans une maisonnette. Mais Bianca avait le défaut d'être trop honnête et fidèle. Un matin, un coup de feu nous réveilla, c'était son mari, rouge de rage, qui nous sommait de sortir. Elle lui avait laissé une lettre lui expliquant où nous étions... Stupide créature...

Son mari entra dans la maison après avoir massacré cette charmante porte sculptée par un ami et pointa son arme sur moi. Mais je savais me défendre : cet avorton finit ses jours avec un pic à cheminée planté dans son ventre comme un drapeau en terre conquise. Bianca était derrière moi, tremblante de peur et plus blanche que jamais, mais s'il y avait une chose que je n'appréciais guère, c'est que l'on me trahisse, moi. Je l'approchai avec l'air mauvais que je prends quand on me demande de régler une dette de jeu, une sourde protestation franchit ses lèvres... Elles étaient si belles, ces lèvres que ma main frappa avec violence. Je n'aimais pas la trahison quand elle s'appliquait à moi. Ce coup la fit danser un moment sur ses jambes fines, elle fit une sorte de pirouette et chuta gracieusement sur le sol. Sa tête avait touché la petite marche montrant où s'arrêtait le sol et où commençait la cheminée, la plus belle rose d'entre les belles s'était fanée. Il y avait du sang partout dans la salle, une véritable boucherie, quand claquèrent des sabots dehors... Fantastique, les gens d'arme...

Ils m'amenèrent à la prison toute proche, sans pour autant oser me lier les mains, ils savaient à qui ils avaient affaire et ne voulaient pas altérer la qualité de mon instrument premier, c'est-à-dire mon propre corps. Je moisis quinze interminables mois dans cette prison exigüe, envahie par les rats. Mais je m'appliquai pour qu'ils se souviennent de moi, ces fichus gardiens : toutes les nuits, ils avaient droit à un concerto pour leurs oreilles indignes. Une nuit, un gardien passablement éméché rit en entendant une de mes cordes casser. Mais quand bien plus tard, elles avaient toutes cassé sauf la corde du sol, et que je continuais à jouer, il riait moins, l'ignare.

 

Mais ce sont des souvenirs ingrats, et le jeu m'amusait bien plus que les femmes. Les années 1831 à 1834 furent les plus instructives de mon existence. Je voyageais dans toute l'Europe, découvrant après l'Autriche, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Ecosse et l'Irlande. Je passais pendant ces années-là de femmes en femmes, de tapis de jeu en tapis de jeu, avec toujours mon violon fétiche, celui que j'avais reçu des mains de Livron le généreux, mon Guarnerius. Il joua à Paris, il chanta à Londres, à Vienne, à Hambourg. Tous pouvaient voir que mon génie n'était pas une légende, ni des ragots colportés par des musiciens jaloux, non, ils pouvaient entendre l'étendue de mon habileté quand je faisais courir mes doigts sur le corps lisse du violon et que l'archet semblait pris de folie. Ils me vénéraient, et j'adorais cela. Il faut dire que dans toute cette Europe que je découvrais, j'aurais pensé trouver un violoniste approchant mon génie, mais non, ils avaient tous un jeu d'une platitude extrême et ceux qui les appréciaient étaient des imbéciles. Il y avait bien Lafont et Lipinski qui sortaient à peine du lot d'abrutis, mais c'était pour retomber plus bas encore avec des compositions d'un goût totalement dépassé et fort douteux.

1834... Parme puis Paris, la ville des lumières... C'était merveilleux. Paris où j'ai rencontré mon épouse, une belle femme qui chantait comme une oie mais qui était si jolie qu'on ne pouvait pas lui en vouloir... Antonia Bianchi, une autre blanche, mais je m'étais assuré sa fidélité en l'épousant, on ne sait jamais avec les femmes... Trop esseulée pour rester fidèle à son mari, mais trop honnête pour ne pas le lui cacher ! Cette femme-là eut le mérite de ne pas me tromper, ou tout du moins, de ne pas me le dire et d'être assez discrète pour que je ne le découvre pas. Et puis j'avais dépassé le demi-siècle, je ne pouvais pas lui en vouloir si elle préférait des gens plus frais que moi qui faisais figure d'antiquité romaine à côté d'elle ! Et puis, elle me donna un fils : Achille Paganini, une de mes plus grandes fiertés, même si je ne savais pas que faire avec un enfant.

 

On me disait atteint de cupidité et d'avarice aiguës. Je croyais être entouré de mauvaises langues ! Il est vrai que je ne donne pas d'argent à la quête, lorque je joue à l'église. Pourquoi irais-je donner mon argent aux curés ? Pour qu'ils le boivent, ou pour qu'ils le distribuent à des gens dont je ne connais même pas l'existence, et qui peuvent tout aussi bien avoir un travail, s'ils se donnaient la peine d'en chercher un ? Et puis, je n'étais pas si radin que cela... Quand le jeune Berlioz, un compositeur qui pourrait peut-être donner quelque chose, dans quelques années, cherchait des fonds pour pouvoir vivre et composer, je m'étais porté garant ! Mais après cela, j'étais parti jouer aux cartes avec un vieillard dont la folie se situait entre la sénilité et l'ivresse. Je me disais que j'allais gagner, mais le vieux filou jouait la comédie. Je m'en étais sorti honorablement, le battant au bout d'une bouteille et demi de bourbon, un vin très agréable au palais. Et c'est le vieux filou qui a finalement payé les 20 000 francs que m'avait demandé Berlioz, en pleurnichant. Ah, ces compositeurs, ils n'ont vraiment aucune fierté !

 

Cinq ans après la naissance de mon fils, je commençai à avoir des petits problèmes de santé. Je toussais, la minute après je ne pouvais plus inspirer et cette perpétuelle sensation d'étouffement m'empêchait de composer. Un docteur réputé qui avait tué des dizaines de ses patients me conseilla de partir me reposer au soleil. Mais j'y étais déjà, sous le soleil de l'Italie, le plus beau et le plus sain ! Docteur inculte ! Mais bon, il n'est pas prudent de contredire un docteur qui essaie de vous soigner, alors je partis à Marseille, avec ma petite famille. Le soleil m'apaisait mais je toussais toujours autant. Je sortais de moins en moins pour ne pas être essouflé, et je dormais comme un vieillard, toute la journée.

 

Maintenant, me voilà à Nice, on est en hiver et je crache du sang et du pus. Je vais mourir. La fin de la vie de Niccolo Paganini le Merveilleux s'écrit, et j'aimerai déjà faire appel à un prêtre, parce que j'en ai des choses à confesser... Je n'ai jamais été un ange, ni un diable. Je ne sais même pas si j'ai été humain. Mais le grand marionnettiste responsable de notre vie à tous, et dont on situe les coulisses de ce grand cirque quelque part entre deux nuages, je dois le remercier, parce que ma vie a été belle et honnête. Mais oui, honnête, je sais reconnaître un talent quand il y en a. Et en moi, il y avait bien plus que cela... Demandez-le donc à toutes les femmes qui se pâmaient en écoutant mon violon fou. J'étais génial.

Ma plus grande peur, c'est qu'on m'oublie. Qu'on ne me remarque pas. Quand j'étais enfant, je faisais des pieds et des mains pour être au centre de tous les regards. Pour qu'on se souvienne de moi, de mes frasques, de mes délires musicaux, je rappelle ma vie à ceux qui voudront bien lire ceci. C'est une biographie, une confession, un testament aussi.

 

Moi, Niccolo Paganini, parfaitement sain de corps et d'esprit, quoique que quasiment mourant, - ce dernier détail étant la cause de cette lettre - , n'étant sous l'influence d'aucun alcool, aucune drogue, ni aucune personne, déclare léguer ma fortune de 2 000 000 francs or à mon fils unique, - à ma connaissance - , Achille Paganini. Qu'il en use à sa guise, quand il aura atteint un âge raisonnable. Je compte sur mon épouse et future veuve Antonia Bianchi Paganini pour gérer cette fortune et élever mon fils de façon à ce qu'il jouisse d'une entière liberté, pour que notamment il ne s'enfuit pas.

Concernant mon Guarnerius, je ne veux pas qu'il soit enterré avec moi, cela serait l'assassiner. Je veux qu'il aille dans un musée comme ayant appartenu à une personne hors du commun : moi, Niccolo Paganini.

Je ne veux pas que l'on me pleure, je veux seulement que l'on se souvienne de moi, du plus grand violoniste qui ait jamais existé. Que mes compositions soient jouées, c'est la seule façon de me rendre hommage. Que l'on joue, et je partirai en paix.

 

 

Fait le 19 décembre 1840, à Nice.

 

 

Niccolo Paganini.

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