Rachel, 38 ans, caresse sa robe du plat de la main. Elle est belle. Elle est glamour. Elle est stressée. Sa témoin réajuste une broche de fleurs blanches dans ses cheveux et glousse : « Prête à rencontrer la femme de ta vie ? ». Elle soupire et repousse les élans de panique. Oui. Une compatibilité à 89 % — la plus haute de l’émission — ça ne se refuse pas !
Enrico Rona, psychologue
« Rachel est vraiment une personne pétillante qui exhale la joie de vivre. Et la générosité, c’est vraiment une belle qualité en amour. Elle veut donner de son temps, de son attention, à une femme. Le défi pour elle, avec ce mariage, va être de goûter ces mêmes attentions de la part d’une parfaite inconnue, et d’accepter d’être vulnérable alors qu’elles ne se sont jamais vues. »
Leurs deux familles sont déjà installées dans le jardin, où l’ambiance se coupe au couteau. On s’examine sans discrétion, on chuchote à travers les masques « Tu crois qu’elle ressemble à ses sœurs ? » Et puis, la porte s’ouvre.
Le père, d’abord, écoute le silence, se rengorge, et lance : « Alors, vous étiez pour l’Angleterre ou l’Italie ? ». Il serre les mains tandis que l’assemblée explose. Grâce, 35 ans, s’agrippe à son bouquet comme s’il pouvait repousser le virus. Elle entend des récriminations sur les tirs au but, des blagues, des rires, tandis qu’elle se place devant l’autel. Elle ne sait pas ce qui la stresse le plus : les regards braqués sur elle, qui attend plantée dans l’herbe, ou le débat qui glisse vers l’Eurovision. Elle triture la barrette de perles qui orne ses cheveux courts, frisés.
Grâce, 35 ans
« Dans mes relations… Je finis toujours blessée, ou trompée. Aujourd’hui, je ne veux plus verser de larmes, je cherche juste une femme loyale, avec qui passer de bons moments. Pour s’inscrire à une aventure comme celle-là, il faut vraiment vouloir s’engager, s’investir dans une relation… J’espère vraiment trouver une personne sérieuse, à qui m’ouvrir. Peut-être que la science choisira mieux que moi ! »
Et puis, un bruit de pas résonne sur les graviers. Rachel s’avance, tenant sa surjupe dans une main.
Son cœur palpite, accélère, jusqu’à ce que leurs regards s’accrochent : elle savoure l’instant. Ouf… Elle me plaît. Sa fiancée est même magnifique, dans sa robe de satin et de dentelle. Une actrice Hollywoodienne, rayonnante, et un si joli sourire…
Elle s’arrête enfin, et retire son masque, à deux pas de Grâce qui écarquille les yeux. Le tulle lui va à merveille, elle brille plus que les paillettes, le visage illuminé de couleurs chaudes. Prise d’un accès de timidité, elle murmure son prénom. Ça y est. Quitte ou double.
Tout le monde applaudit lorsqu’elles se disent oui.
Elsa, mère de Rachel
« Je pensais qu’elle dirait non… Mais bon, maintenant qu’on sait qu’elles sont compatibles, on va devoir découvrir leurs incompatibilités. »
« Oh mon dieu, lâche Rachel une fois dans la voiture. C’était l’expérience la plus stressante de ma vie !
— Tu parles… acquiesce Grâce. Juste pour qu’on soit claires, je regrette pas du tout, et je ne suis pas du tout déçue du résultat !
— Flatteuse. Moi non plus je suis pas déçue, tu es sublime.
— Et en plus j’ai entendu que tu étais pour l’Ukraine cette année ?
— Je m’y connais pas tellement en Eurovision, c’était la première fois que je regardais, mais franchement, je voyais qui de mieux...
— Non, mais déjà tu aimes les bons groupes musicaux, c’est un vrai avantage.
— Alors, attends que je te parle de ma passion pour les comédies musicales, ensuite on verra.
— Oh Merlin, est-ce que tu connais Mozart…
— L’opéra rock ? Carrément ! Bordel, quand une femme me dit ça, je…
— Tu l’épouses ? rit Grâce. »
Eva Ksyné, psychiatre et coach
« Après le grand bain qu’est le mariage, il est important que les jeunes épouses se créent des moments d’intimité. Avec l’épidémie, on doit limiter les espaces clos, donc le trajet en voiture est une vraie opportunité pour se découvrir davantage, et ainsi être à l’aise pour la séance photo qui peut s’avérer tactile. Grâce et Rachel font preuve d’un beau début de complicité, à elles maintenant de le renforcer, de se créer des souvenirs positifs à deux. Même les petits gestes comptent. Bien sûr, elles sont libres de s’arrêter à tout moment si la situation devient inconfortable, leur bien-être est vraiment nécessaire pour vivre pleinement l’expérience. »
Rachel, 38 ans
« Jusque-là, je trouve vraiment que les experts s’en sont très bien sortis, même si je connais Grâce que depuis deux heures. Elle est vraiment parfaite. Je savais pas comment gérer le bisou après l’échange des vœux, mais même ce moment était naturel. C’est juste facile d’être avec elle, je me sens bien. J’aimerais bien… ce serait bien que, dans les jours qui viennent, des petits débuts de sentiments apparaissent. Ce serait vraiment parfait. »
« Est-ce que ça te va si on y va doucement avec les contacts ? » commence Grâce, quand elles sortent de la voiture pour retrouver le photographe. « Je ne suis pas la plus à l’aise, physiquement…
— Bien sûr, pas de soucis ne t’en fais pas. Ça te va si je te prends la taille ? »
Elles enchaînent les pauses, mains tendues au-dessus de l’herbe, tantôt marchant, tantôt se regardant dans les yeux. Grâce peut sentir le parfum fleuri de sa femme – comme c’est étrange, à penser ! – et sourit, heureuse et surprise de l’être autant avec une inconnue. Rachel fourmille d’idées, elle saute, court, l’entraîne avec elle dans ses pitreries, et Grâce la suit avec moins d’aisance peut-être, mais la coquille s’affine peu à peu.
« Vous possédez une belle alchimie » fait le photographe. « Les photos sont belles, naturelles, elles vont bien rendre. Vous pouvez me donner un petit bisou si vous voulez... »
Rachel pose déjà une main sur l’épaule de Grâce, qui la tient à la taille. Elle lève les yeux et quelques doigts, hésitante. Ce n’est pas la même symbolique qu’à la mairie, ici. Grâce expire, voit la douceur, et ferme les paupières. C’est léger, à peine une caresse, qu’elle se retrouve à déguster. Ses joues chauffent et le clic du flash retentit. « Paaaaaarfait » fait le photographe. « Un vrai conte de fées ! »
Aminata, mère de Grâce
« C’est assez surréel de se dire que ma fille est mariée. Rachel est sympathique pour ce que j’en ai vu, ça me donne de l’espoir. J’espère qu’elles vont donner quelque chose de beau. Les discussions avec la belle-famille ne sont que superficielles pour le moment, mais ils me semblent assez sympathiques. Le père s’est tout de suite lancé dans des blagues en arrivant, pour mettre tout le monde de bonne humeur. C’est étrange de me dire que je suis belle-mère... »
« Tu es quel type de danseuse ? » demande Rachel, alors qu’elles sont remontées en voiture, direction la salle de fêtes.
« C’est-à-dire, quel type ? Je ne danse pas tellement.
— Je prends des cours de lindy et de rock. Dans mes rêves, la première danse est répétée avec des profs des semaines avant, c’est presque plus important que la robe…
— Alors, ne te fais pas trop d’espoirs avec moi, hein…
— T’inquiète, on peut rester sur un slow aussi, c’est très bien.
— Je voudrais te poser mille questions. » avoue Grâce, après un court silence, confortable. Elles sont confortables l’une avec l’autre. « Comment ta famille a réagi à ton annonce du casting ? Tu as des frères et sœurs ? Chiens ou chats ? Tu penses quoi de l’ananas sur la pizza ?
— On peut faire un action ou vérité, si tu veux avoir tes réponses » sourit Rachel, espiègle.
« Alors, pardon, mais mon mariage n’est pas une soirée pour ados, quand même !
— Et moi qui rêvais de te forcer à commander une pizza à l’ananas, mes plans diaboliques tombent à l’eau.
— Une question chacune son tour, si tu préfères. »
La voiture se gare bientôt devant une petite grange, toute de pierres rouges et de poutres apparentes. Les traînes blanches crissent contre les graviers comme elles avancent, main dans la main. Rachel dépose sa surjupe pailletée au vestiaire. Ses mouvements libérés, elle ne tient plus en place, et tape dans les mains de ses cousines et parents en entrant. « Bien joué ! » lui lance l’une d’elle. Les conversations vont bon train, le buffet est installé.
Enrico Rona, pyschologue
« Il est très important que les mariées soient soutenues par leur famille dans cette expérience spéciale. Les deux femmes sont déjà hors de leur zone de confort, des tensions entre les deux clans mettraient trop de pression sur leurs épaules. A l’inverse, une bonne entente peut réellement leur montrer qu’elles pourront construire un avenir ensemble et leur donner espoir. Le soutien de leur famille est donc primordial. »
Eva Ksyné, psychiatre et coach
« Nos experts se sont vraiment appuyés sur des schémas de valeur similaires pour en conclure sur 89 % de compatibilité — ce qui est le plus haut taux de la saison, rappelons-le ! Les partenaires montrent ainsi chacune une grande volonté d’indépendance vis-à-vis de leurs parents, bien que les liens restent importants. Nous pouvons ainsi parier que les parents aussi partagent des histoires complémentaires. »
Dominique Ovide, sexologue
« C’est intéressant ce que dit la cousine de Rachel : « bien joué ». En effet, Rachel est une candidate sélectionnée pour Grâce parmi quatre milles, elle joue donc comme qui dirait un jeu, et elle est sur la partie gagnante à 89 %. Le risque, cependant, est que nos jeunes partenaires se sentent poussées à être heureuses par cet enthousiasme collectif, quitte à se mentir à elles-mêmes. La situation est en effet véritablement unique, ce qui peut demander du temps d’adaptation – nous rappelons que les candidates sont libres de s’arrêter à tout moment, personne n’est forcée à quoi que ce soit.
Mais les conversations vont bon train et l’étrangeté de la situation lance des blagues faciles. Les mariées sourient en humant leur champagne, larmoient un peu devant les discours.
Grâce, 35 ans
« Cette soirée de mariage est vraiment belle. J’observe la foule et tout le monde parle, rie ensemble, ça fait chaud au cœur. Je ne pensais pas dire ça, mais j’attends la nuit de noce maintenant. (rires). Je pense qu’on va juste se poser et discuter, mais ce sera déjà intriguant de se réveiller à côté d’elle demain matin. »
« Il va falloir que tu m’aides pour la robe ! » lance Rachel, une fois qu’elles sont assises dans la chambre d’hôtel. « Je ne sais pas la retirer toute seule.
— Et moi qui pensais que tu étais une femme forte et indépendante !
— Hélas, il me faut encore ma preuse chevalière.
— Tu veux que je t’emmène en voyage de noces sur mon beau cheval blanc ?
— Où tu penses qu’on va aller, d’ailleurs ? » glisse Rachel, s’allongeant sur le lit, corsage à moitié défait.
« Je ne sais pas, mais l’enveloppe de la production m’intrigue tellement…
— J’espère juste que ce sera dans un pays pas trop strict, ou mieux, en France. Pas envie de faire le vaccin juste pour ça.
— Attends, se coupe Grâce. Tu n’es pas vaccinée ? Pour une question de santé ?
— Je trouve qu’on manque de recul dessus. »
Rachel et Grâce semblaient déjà vivre la vie en rose quelques heures seulement après leur rencontre. Mais une terrible révélation vient de griser leur ciel bleu, comme la situation jamais expérimentée dans l’émission ajoute un poids sur leurs épaules. Les nouvelles mariées vont-elles trouver un compromis ? Leur 89 % de compatibilité vont-ils résister à cette épreuve ?