À la réconciliation by Pruls
Summary:



13 juillet 1906, palais Bourbon, salle des Quatre-Colonnes

Après des mois de débats houleux, la Chambre des députés vient de voter le transfert des cendres d’Émile Zola au Panthéon.




Koh-Lanta, l'île des HPFiens (2ème épreuve d'immunité)


Crédits : Photographie d'Émile Zola, par Étienne Carjat (1880) / Domaine public
Categories: Historique, Concours, XXe siècle Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Koh-Lanta, l'île des HPFiens
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 1031 Read: 2161 Published: 06/05/2021 Updated: 06/05/2021
Story Notes:
Bonjour à tous et à toutes ! Ceci est un texte écrit pour la deuxième épreuve d'immunité (textes originaux) du concours de Koh-Lant'HPF, organisé par Catie et Omicronn sur le forum.

1. Chapitre unique by Pruls

Chapitre unique by Pruls
Author's Notes:

Épreuve 2 - Immunité - Travail d'équipe

Contraintes exclusives suite à la négociation collective :
- Couple de mots : Cendre/Entente
- Genre : Historique
- Entre 500 et 2000 mots (937 selon ce compteur)

Contraintes personnelles :
- Langage (3) : Un personnage doit s’exprimer dans une langue étrangère
- Sensibilité (3) : Insérer (au moins) trois verbes de chaque sens (cf. notes de fin)

Par ailleurs, je dispose d'une liste avec :
- 1 mot obligatoire : organisation
- 8 mots interdits : (commandement), endurance, improvisation, soins, travail en équipe, feu, lance, camion



C’est un moment historique. Entre Lycurgue, Solon, Caton d’Utique et Brutus, l’espace est comble. Le monde entier semble s’être donné rendez-vous entre les quatre colonnes. Depuis une semaine, la presse internationale, nationale, régionale… est aux aguets. Chacun guette, chacun scrute. Chacun aimerait savourer les moindres miettes d’information et d’exclusivité. La séance a commencé juste après le déjeuner. Les journalistes serrent leurs stylos, piaillent, tentent d’anticiper la décision de la Chambre. Ils fument et débattent sans vraiment s’opposer d’arguments. Voilà déjà quatre ans que la question déchire l’opinion publique ; voilà plus de dix ans que la République est divisée. Voici maintenant venue l’heure de l’entente et de la réconciliation. Plus tôt dans la journée, Dreyfus a été acquitté par la Cour de cassation. Ce qui va suivre ne fait que peu de doutes ; tous sont unanimes. Beaucoup pensent que la séance ne devrait pas trop durer : l’ancien Bloc des gauches a encore du poids. Les Radicaux-socialistes ont la majorité, ils devraient rapidement imposer la tendance. L’optimisme parfume l’air.



Il est neuf heures passées. Le débat a finalement duré toute la nuit. L’enthousiasme a laissé place à la lassitude. Certains ont dormi sur place. Les visages sont défaits. Quelques-uns qui ne se sont pas écœurés portent encore la pipe à leurs lèvres ; il paraît que le temps passe plus vite quand on est enivré. L’odeur de tabac froid embaume désormais le vestibule du palais Bourbon. Ce matin de treize juillet a un goût de cendres. Et c’est plutôt fort à propos.

Sous le regard de Montesquieu, l’hémicycle s’entrouvre soudain. On entraperçoit alors quelques têtes connues ; un gigantesque brouhaha se fait entendre. Paris reprend son souffle. C’est comme si la salle des Quatre-Colonnes reprenait vie.

« Avez-vous trouvé une entente ?
— Quelle est l’issue du vote ?
— Wird Émile Zola in das Panthéon aufgenommen ?
— Sarranno le ceneri trasferite? »

Plusieurs députés s’échappent de la salle des séances, têtes baissées, fuyant le vestibule en même temps que la confrontation avec les journalistes. D’autres paradent fièrement et se répandent en confessions auprès des oreilles attentives. Certains députés attirent plus l’attention que d’autres. Maurice Barrès a conscience d’être l’un d’entre eux. Il ignore les journalistes de l’Action française, mais s’arrête toutefois devant ceux de La Croix et de La Libre Parole pour asséner :

« Zola au Panthéon : voilà la vraie débâcle. »

Immédiatement, il se retire. La foule s’agite. On imagine déjà les gros titres de la presse nationaliste : « La débâcle, la vraie », « La défaite des patriotes », « Aux petits hommes les pourris reconnaissants »… D’autres députés évacuent la salle : Millerand, Jaurès, Guesde, Deschanel… Ils ne disent mot mais leurs sourires parlent pour eux. Ils ne retiennent que peu de temps l’attention, puisque tous se pressent soudain autour du président de la Chambre, Henri Brisson. Ses cheveux n’ont jamais autant blanchi qu’en un mois de présidence. Il a l’air fatigué – ses yeux coulent sous ses sourcils broussailleux – mais il semble aussi et surtout soulagé. Il s’arrête devant le premier journaliste qui l’a interpellé, et lui intime de lui poser la question qui brûle toutes les lèvres.

« Geoffrey Dawson for The Times. What decision did you finally make at the end of these years of debate?
— Parce qu’il est peut-être l’un des plus grands auteurs de la réconciliation nationale, Émile Zola entrera au Panthéon, au côté des cinquante-deux autres grands hommes auxquels la patrie est infiniment reconnaissante. »

Les appareils photo crépitent. Dès le lendemain, la nouvelle fera le tour de France et du monde. Le journaliste continue sur sa lancée, grattant sans un regard le bloc-notes sous ses doigts :

« When will the law come into effect? When do we meet for the ceremony? »

L’un des hommes derrière Henri Brisson saisit son épaule et chuchote à son oreille.

« De la date ou de l’organisation, déclare-t-il finalement, nous n’avons pas encore tout à fait convenu. La bataille n’est pas finie.
— Quelle est la suite des événements ? demande un journaliste du Figaro.
Écoutez, il reste désormais à voter les crédits qui seront alloués pour l’inhumation, le transfert des cendres, ainsi que pour l’entretien du caveau. Ce vote-là sera sans doute beaucoup plus difficile. La décision d’aujourd’hui allait dans le sens de l’histoire. Accordons-nous à célébrer pour l’instant le triomphe de la vérité, et la réconciliation des Français. »

Les mains de la majorité des personnes présentes s’écrasent les unes contre les autres, et bientôt ils applaudissent à tout rompre.

« Il y a des échauffourées au niveau de la place de la Concorde et sur le parvis de l’église Saint-Étienne-du-Mont ! » hurle quelqu’un depuis la cour d’honneur.

On entend en effet un coup de feu de l’autre côté de la Seine. Le palais Bourbon tremble un instant. Place de la Concorde… l’ironie est mordante. Les journalistes poseront encore quelques questions, mais beaucoup déserteront rapidement les lieux, désireux de goûter au plus vite à cette autre actualité brûlante.



Dans le palais, les costumes sont rarement froissés, les aspérités bien vite oubliées. Les voix discordantes noyées dans l’harmonie – toujours unanime d’apparence – mais dehors, c’est une tout autre histoire. Les heurts se multiplient. La rue exhale l’odeur du désordre. Paris brûle, à feu et à cendres ; les braises ne se sont jamais vraiment éteintes. De toute manière, l’entente n’est toujours que de façade.



End Notes:
Verbes :
- ouïe : crépiter, entendre, écouter
- vue : entrapercevoir, guetter, scruter
- goût : savourer, s’écœurer, goûter
- odorat : embaumer, parfumer, exhaler
- toucher : serrer, saisir, s’écraser
Merci à Aleyna pour sa relecture attentive. Merci à Fleur pour ses conseils avisés, toujours, et pour son soutien indéfectible dans les moments de doute. Merci à MG pour notre brainstorming et ces recherches sur la crypte du Panthéon qui n'auront finalement pas servi. Dédicace à Painlevé qui n'aura pas trouvé de place dans ce texte. Merci à Seonne pour ce mystère qu'est l'allemand. Merci aux jaunes pour cette aventure qui ne serait décidément pas la même sans vous !

Merci à Zola, aussi, pour l'auteur et pour l'homme.

Merci à toi, lecteur !
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