Entité by Sifoell
Summary:

Une histoire à raconter.

 

Une maison qui enferme.

 

Deux hommes qui explorent.

 

Image de dre2uomaha0, de Pixabay.


Categories: Fantastique, Concours Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Les nouvelles de Sifoell, Koh-Lanta, l'île des HPFiens, Artefact
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 1678 Read: 909 Published: 14/04/2021 Updated: 14/04/2021
Story Notes:

Cette nouvelle participe à la première épreuve d'immunité de Koh-Lanta HPF, organisé par OmiBrogniart et CatieBrogniart.

Voici mes contraintes :

 

Écrire plus de 1700 mots (plus ou pile 1700): 1736

Insérer (au moins) quatre sentiments différents (en gras)

 

Votre personnage doit surmonter un obstacle, celui de votre choix, qu’il soit physique ou psychique, en faisant preuve de volonté. Le petit twist en plus : il est formellement INTERDIT d’utiliser la lettre V !

 

1. Entité by Sifoell

Entité by Sifoell
Author's Notes:

Hello tout le monde,

J'ai choisi comme "métier-loisir" dans le cas de Koh-Lanta-HPF le métier d'urbex, et bien que je ne fasse pas du tout d'exploration urbaine, c'est quelque chose qui me parle, que je trouve inspirante, poétique...

J'ai fait un petit mix entre une envie d'écrire sur cette activité et les contraintes du concours. En espérant que cela vous plaise.

Les reviews ne causent pas de dommages à la couche d'ozone.

 

Tout ce qui est autour d'elle ne change pas, et elle non plus, sans doute. Toujours les mêmes murs gris, la même poussière parsemant les meubles, les rideaux, les quelques draps tendus sur des canapés oubliés. Toujours le même air corrompu. Les quelques carreaux brisés ne font pas entrer suffisamment l'air du dehors pour qu'il régénère l'air du dedans.

Elle se promène de pièce en pièce, l'entité, prisonnière de ces murs, de ce sol, de cette maison qui se délabre de jour en jour, de mois en mois, de décennie en décennie. Et pourtant, elle se remémore sa splendeur passée, les tentures tendues aux fenêtres, les consoles précieuses, le buffet imposant et son argenterie délicate, les lustres aux cristaux s'entrechoquant au moindre courant d'air, et les rires des enfants.

C'est ce qui lui manque le plus.

Elle aimerait raconter son histoire mais plus personne ne passe depuis bien longtemps, elle ne sait plus depuis combien de siècles peut-être, elle est seule. Parfois, par la fenêtre, elle discerne les quelques pierres tombales du petit cimetière, celles de ses proches, elle pense, qui sont sagement enterrés sous l'arbre tout aussi mort. Et le chien, où repose-t-il déjà ? Sous la terrasse de bois qui est à l'arrière de la maison, là où nichent des rats et des souris, et peut-être bien le terrier d'un blaireau.

Sa maison entourée de bois retourne à l'état de nature. Les bois autrefois entretenus se changent en une forêt sombre et lugubre. Elle a parfois l'impression de s'effacer, de se transformer en transparence, les rais de lumière la pénètrent, lui montrant son inconsistance. Elle n'est plus que peu de chose, et ne se remémore pas ce qu'elle a été, pourtant, elle a une histoire à raconter, mais personne pour l'écouter.

Ses pleurs sont emportés par la brise qui passe de part en part dans la maison, glissant entre les pièces délabrées, ses cris sont étouffés par l'ombrage des arbres, chape de plomb qui les comprime, les annihile. Tous les sons restent en elle, tout comme son histoire qui tourne, tourne, tourne, sans rencontrer sa fin, sans toucher une oreille à l'écoute. Ses réminiscences s'oublient comme s'effiloche entre ses doigts sa réalité.

Elle n'est que sentiments et émotions bruts, qui s'entrechoquent sans fin. Peur. Douleur. Colère. Ressentiment. Et rien que l'écho de la maison abandonnée pour répondre à ses prières. Amour. Désarroi. Affection. Découragement. Rien que la brise qui hulule sous la charpente, le bruissement des feuilles, l'occasionnel cri d'un animal des bois. Personne. Personne. Personne.

 

Mais un jour, quelque chose brise cette monotonie, ce silence minéral. Un bruit inconnu, quelque chose qui gronde et pétarade, et deux hommes qui parlent, et des pas dans les feuilles mortes du chemin.

« Oh, mais il est super, ce spot, Franck ! »

« Et ouais. Il est sur l'insta d'urbex france, je l'ai repéré depuis un moment. On a tout ce qu'il faut ? »

« Appareil photo, caméra, éclairage, les batteries sont pleines. J'ai un sac sans rien dedans, si jamais il y a des trucs à ramasser. »

« Tssss. En urbex, on ne ramasse rien, on n'est pas là pour prendre, mais pour contempler et témoigner. »

Et la porte s'entrebâille, et la présence se fait plus présente, plus consistante, presque palpable. Presque seulement. Elle tire toute son énergie à se concentrer. Elle hurle qu'elle est là, mais sans un son. Elle souhaiterait tant les toucher, ces deux hommes étranges, portant des chaussures qui font du bruit comme des sabots de paysans, tout de noir affublé, ceinture et sac sur le dos, outils étranges dans les mains.

« On rentre comment ? C'est fermé à clé. »

« On fait le tour et on réfléchit. On n'est pas censé casser quelque chose. C'est la beauté de l'urbex, entrer comme des fantômes, ne pas laisser de traces. Ne pas être là. On fera de supers clichés, j'en suis sûr, Thomas. »

Des bruits de pas qui entourent la maison, des paroles, encore, portées par la brise, s'engouffrant dans les interstices, frôlant l'entité qui flotte dans son espace inhabituellement habité par quelqu'un d'autre qu'elle-même. Et l'espoir, l'espoir fou naissant dans son être, gonflant sa présence, s'insinuant dans les limbes, repoussant le désespoir et la solitude. Quelqu'un, enfin. Quelqu'un qui écoutera son histoire si seulement ils l'entendent. L'entité s'illumine, se bombe d'aise, prend tellement de consistance qu'elle pense ne plus passer dans les murs. Quelqu'un, enfin. Quelqu'un. Une oreille, une écoute, et son histoire tourneboulant sera portée hors des murs qui l'enferment.

Quelque chose crisse sous les chaussures, et une exclamation.

« Ah merde, je me suis coupé ! »

« Je te l'ai dit, Thomas, mets tes gants. Ces maisons anciennes ne tiennent parfois qu'à peine debout. Tout tombe en lambeaux. »

Le suçotement, comme un bruit de tétée, ce bruit rassurant qui lui rappelle ses enfants enterrés sous l'arbre depuis si longtemps, alors qu'elle, elle demeure, loin d'eux, attendant. Attendant quoi ? L'espoir est futile et inutile. Elle est là alors qu'elle pourrait être ailleurs. Elle est une anomalie et elle est seule, mais elle cherche un chemin incertain, cherche et cherche encore, cherche toujours, mais ne fait que chercher. Sensation d'échec. Elle a échoué, s'est échouée dans la maison qui a entendu ses premiers cris et entendu ses derniers râles. Elle est là où elle n'a aucun sens d'être. Aucun sens. Rien. La mort n'a aucun sens. Et elle le sait, qu'elle est morte. Elle le sait, qu'elle pourrait être ailleurs, mais le chemin s'est fait confus, la lumière a décliné, et dans les ombres elle demeure, engloutie, effacée.

Un craquement, le bois qui se fend.

« Hé, mais tu fais quoi, Thomas ? »

« On n'est pas là pour rester dehors, on a des clichés à prendre. J'ai le souhait de l'intérieur. L'extérieur m'a mis en appétit. »

Les gonds cèdent, la porte se fracasse, et l'air, l'air du dehors pousse l'air du dedans, s'entremêle, comme deux langues de chaud et de froid, deux courants d'air ou deux courants d'eau qui se marient, dansent et emportent ailleurs. Emporte l'ailleurs.

Cela crisse sous leurs chaussures, encore. Et elle a l'impression que c'est elle-même qui se fend, elle qui fait partie de cette maison, elle qui est bois et carreau, rideau et ardoise, feuillage et humus.

Ils sont là, ils emplissent son espace en conquérants, ignorant sa présence, ignorant qu'ils piétinent son histoire, son existence, et cela la met en colère, en fureur. Cela lui donne des idées de rage et de sang, d'écrasement et d'étouffement. Elle aimerait serrer leur gorge dans ses mains de brume et en extirper leur dernier souffle pour l'absorber. Mais elle a son histoire à raconter. Et ils sont là, et ils le feront. Elle les fera écouter.

« Oh mais regarde ! Des toiles d'araignée partout, et des crottes de rat et de souris. C'est dégueulasse et ça sent la mort. Il y a sûrement une charogne quelque part. »

« Je t'ai dit, Thomas, des fois il y a des trucs moins agréables dans l'explo... »

L'insulte sur sa maison.

Ils entrent, encore plus, conquérants des ruines, fiers, et armés de choses étranges et noires qui pendent au bout de cordes noires. L'un d'eux assemble quelque chose, l'autre sort quelque chose d'une sacoche, ils ne regardent plus rien, tout occupés à ajuster leur attirail, ignorant, ignorant, ignorant ce qui se trame autour d'eux. Ignorants de tout sauf d'eux.

Clic. Flash. La sensation de la braise sur son inconsistance. Clic. Flash. L'éclair dans les recoins les plus sombres de sa maison. Clic. Flash. Pire que des rideaux tirés à la hâte un matin qui se languit.

Leurs yeux sont partout, leur bouche est béante comme celle des morts par surprise, leurs mains touchent à tout, palpent les rideaux mités, soupèsent la chaise tombée, s'insinuent dans la dépouille de son existence qui a pris fin depuis un temps immémorial. Toute son histoire est autour d'elle, toute son histoire est en elle. Ces lieux qu'elle hante depuis si longtemps sont un témoignage de son histoire, comme les tombes solitaires sous l'arbre mort, entourées de grilles rouillées en fer forgé qui tombent en lambeaux. Tout tombe, tout tremble.

Et ils piétinent son histoire qu'elle aimerait tant raconter, mais elle ne sait comment. Comme dire quand de bouche on est démuni ? Comme faire entendre quand on ne sait plus dire ? Comment ? Comment ? Comment ? La peur encore, insidieuse, s'infiltre dans l'espace, et ils tournent la tête autour d'eux, se demandant ce qu'il se passe.

« Il fait froid d'un coup, non ? »

« Un courant d'air. »

« Il n'y a pas un truc qui bouge, là, dans le coin ? »

« Ton imagination. »

Clic. Flash. Elle ne s'imprime pas sur leur rétine, elle n'a plus d'existence. Clic. Flash. La lumière passe et la dissout, l'annule, l'oblitère. Clic. Flash. Leurs yeux sont partout. Leurs mains sont partout. Leur langue est partout. Clic. Flash. Ils existent bien plus fort qu'elle qui n'est qu'à peine conscience.

« Hé, regarde. Des papiers. »

La tête se penche, et les yeux lisent. Une lettre. Un contrat. Une dédicace dans un roman. Un dessin d'enfant au fusain. Un jouet cassé. Lambeaux d'existence, fantômes du passé.

« Marguerite Rochefort. »

L'élocution est hésitante comme celle d'un enfant qui déchiffre ses lettres. L'encre a passé comme tout a passé. Comme tout n'est que passé.

« Elle est morte en 1819. Influenza... Je ne sais pas ce que cela signifie. »

« Une grippe. Elle est morte de la grippe. »

Leurs deux têtes penchées au-dessus de sa dépouille. Marguerite Rochefort. Décédée d'influenza en 1819. Cela pourrait être elle. Cela pourrait être son histoire, mais ce n'est pas là l'histoire qu'elle souhaite raconter.

Une image de Marguerite sur son lit de mort. La seule d'elle. Aucune quand elle était debout et en pleine santé. Ce n'est pas là l'histoire qu'elle souhaite raconter.

« Elle était jolie. »

« Elle est morte, là. »

« Oui, ça se faisait, dans le temps, de les prendre en photo sur leur lit de mort. »

L'insulte à son existence. L'insulte, l'insulte qui fait mal.

Clic. Flash. Et le silence. Et elle s'imprime non pas sur leur rétine, mais quand elle se sent disparaître, elle sait qu'elle a réussi à la raconter, son histoire.

Sa silhouette imprimée sur une autre image. Elle morte. Elle entité.

End Notes:

Alors, quel est cet obstacle, vous me direz ? Le fait que personne ne soit là pour écouter son histoire. Et son image s'imprime sur une photo qu'ils prennent à la fin du texte, donc son histoire est racontée.

J'espère que cette courte nouvelle vous aura plu, j'ai vraiment apprécié de l'écrire, en tout cas.

A bientôt pour de nouvelles aventures de Koh Lanta si je ne me fais pas bouler ;) (Il n'en restera qu'un !!!)

Et merci à Omicronn et Catie pour l'organisation de ce concours qui sort vraiment de l'ordinaire.

Cette histoire est archivée sur http://www.le-heron.com/fr/viewstory.php?sid=2112