Le cahier d'Alice by Aleyna
Summary:

 


Elle la hait, cette porte, autant qu’elle désire la franchir. Elle la hait pour ce qu’elle représente. Un jour, elle l'espère, elle aura le courage d’en passer le seuil.

 

Participation à l'épreuve n°2 (immunité) de Koh-Lanta HPFien

 

Image libre de droit, montage fait par moi-même.


Categories: Société, Textes engagés, Projets/Activités HPF Characters: Aucun
Avertissement: Violence psychologique
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Koh-Lanta, l'île des HPFiens
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 1581 Read: 3406 Published: 11/04/2021 Updated: 11/04/2021
Story Notes:

Participation à l'épreuve n°2 (immunité) de Koh-Lanta HPFien

 

Thème : le personnage doit surmonter un obstacle, celui de votre choix, qu'il soit physique ou psychique, en faisant preuve de volonté. 

 

Contraintes :

- Ne pas utiliser la lettre V.

- Sentimentalisme : insérer au moins quatre sentiments différents.

- Langage : un personnage doit s'exprimer dans une langue étrangère (à chaque fois qu'il parle, deux prises de parole minimum).

- Rendre le texte avant jeudi 15 avril, 23h.

- Placer un mot du métier/passion design, éviter les autres.

- Le texte doit comporter entre 500 et 2 000 mots.

 

(Le debrief des contraintes se trouve dans les notes de fin pour ne pas donner trop d'indices sur le contenu du texte avant la lecture.)

1. Le cahier d'Alice by Aleyna

Le cahier d'Alice by Aleyna
Author's Notes:

Bonjour,


Je vous présente ma participation à la seconde épreuve du concours Koh-Lanta HPFien, organisé par les merveilleuses Catie Brogniart et Omi Brogniart. Pour celle-ci, un certain nombre de contraintes nous sont imposées, avec pour thème commun : le personnage doit surmonter un obstacle, celui de votre choix, qu'il soit physique ou psychique, en faisant preuve de volonté. Le débrief des contraintes se trouve en note de fin.


La traduction des passages en anglais est également en note de fin, mais ce n'est pas particulièrement nécessaire à la compréhension du texte.


Un grand merci à la team jaune, en particulier MadameGuipure, Juliette54 et CacheCœur.


Je vous souhaite une bonne lecture !

Alice se tient face à la porte, cette grande et intimidante porte. Elle a eu le temps de la regarder, cette porte, de détailler son panneau de bois sous toutes les coutures, ses nombreuses fissures causées par le temps, sa poignée dorée, décolorée et griffée. Elle la hait, cette porte, autant qu’elle désire la franchir. Elle la hait pour ce qu’elle représente. Un jour, elle l'espère, elle aura le courage d’en passer le seuil.

Chaque jour après la classe, elle s’y rend. Chaque jour, elle cherche le courage de la franchir, un cahier entre ses mains. La première fois, c’était il y a quelques mois. Une dame était passée à l’école pour leur expliquer comment se comporter en société, comment demander de l’aide. Ses conseils bien intégrés, Alice s’était arrêtée ici. Hésitant quelques instants, elle réalisa que c’était impossible. On n’allait pas la prendre au sérieux. Alors, elle réclama un cahier. Elle n’expliqua pas pourquoi, ni pour quel usage, elle se contenta de le prendre et d’écrire. Depuis, chaque jour, elle écrit.

Elle quitte cet endroit. Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’elle en franchira le seuil.

°OoO°0°OoO°


—  Alice darling, you look so pale! Pierre, don’t you see she is sick?

Régulièrement, elle entend sa belle-mère s’inquiéter. Elle ne comprend pas tout, mais elle sait que sick, ça se traduit par malade. Papa lui jette un regard puis secoue la tête de droite à gauche. Non. Alice se détend. Il est hors de question de leur causer du tracas. Sa belle-mère est si gentille, un peu trop pour son propre bien. Papa l’a rencontrée dans un pays lointain, elle ne sait plus trop où, après le départ de Maman pour un monde meilleur. Elle ne sait pas trop ce que ça signifie, mais c’est ce que lui a raconté Papa. Comment ce monde pourrait-il réellement être meilleur si les gens sont tristes quand quelqu’un y est appelé ?  

 —  Pierre, I really think she needs…
 —  Rosie, I already told you she is fine! She has to be. 

Alice a huit ans, mais elle est déjà seule, entre une belle-mère qui ne comprend pas ce qu’elle dit et un père qui ne comprend pas ce qu’elle est.

°OoO°0°OoO°


 —  Alice, tu pues.
 —  Alice, tu gênes.

Chaque jour, la même rengaine. 

 —  Alice la moche, cache-toi.
 —  Alice la pisse, qu’est-ce que tu fais encore là ?

Les mots. Les mots sont des armes, plus tranchants que des lames fraîchement affûtées, plus destructifs que les balles d’un fusil. Les blessures qu’ils occasionnent sont indétectables à l’oeil nu, et pourtant elles sont bien réelles. Personne ne se fait conduire aux urgences à cause d’une phrase assassine, et pourtant, cela aurait dû être possible. Quand Mathieu est tombé du toboggan, les pompiers l’ont emmené. Quelques jours plus tard, il claudiquait sur des béquilles bien réelles, et tout le monde a fait attention.

Alice, elle, on ne lui donne pas de béquille. Parce qu’on ne sait pas qu’elle en a besoin. Le sang ne coule pas, pas encore.

Elle souffre.

Les adultes ne se rendent compte de rien, les enfants sont rusés. Ils attendent le bon moment pour l’assassiner un peu plus chaque jour, à l’abri des regards.

Mais si les mots sont des armes mortelles utilisées sur elle, les mots sont aussi son bouclier. Alors, quand elle a un instant, Alice écrit. Ses peurs, ses espoirs, ses peines. Ses peines, surtout et puis ses douleurs aussi. Elle leur donne corps et les exorcise. Ce cahier, c’est son seul ami, elle se le dit parfois.

°OoO°0°OoO°


La porte se dresse face à elle. Infranchissable rempart. Elle est menaçante, elle la force à penser, peser le pour et le contre, et elle finit par laisser tomber. A chaque fois. 

Quand la dame est passée, elle leur a montré des films, elle leur a expliqué le sens du mot harcèlement et ses conséquences. Alice a eu peur, Alice s’est reconnue. Elle n’a rien dit, comme toujours, elle a baissé la tête, empêchant les larmes de lui monter aux yeux. Si elle pleurait, elle en paierait le prix. Alice ne pleure plus depuis longtemps. La classe s’est tue, dans un silence assourdissant. Et puis la dame a dit que si ça se produisait, il fallait en parler.

Quand la dame est partie, trois garçons se sont postés face à Alice, dans la cour de récréation. La colère a transpiré par tous leurs pores, jusque dans leurs gestes et leurs phrases.

—  Alice la puante, si tu rapportes, c’est fini pour toi. Crois-moi.
—  Oui, et personne ne t’aimera jamais. Personne n’aime les balances.
—  La dame dit n'importe quoi. C’est comme ça que ça marche ici. Allez maintenant, casse-toi.

De toute façon, Alice est muette depuis que Maman est partie. Longtemps, les émotions ont tempêté en elle, sans issue. Le cahier a été une première émancipation, un pas sur le chemin du mieux. Les émotions ont désormais la possibilité de s’écouler par ses doigts, par sa plume. Car sur le papier, Alice est loin d’être muette. Au contraire. Elle maîtrise les mots, bâtit des cathédrales sur chaque page.

Il lui a fallu dix jours pour repérer cette porte. Dix de plus pour se tenir plus d’une seconde en face d’elle. A présent, elle la connaît par cœur. Entre ses yeux et cette porte, il y a un combat permanent, un combat qu’elle ne gagne jamais.

°OoO°0°OoO°


Elle rentre à la maison, la tête basse, le cœur en miettes. Pour la première fois, quelqu’un l’a bousculée. Ils ont compris que les mots ne suffisent plus, ce n’est pas assez rapide. Alice ne comprend pas. Qu’a-t-elle fait pour mériter ça ? Elle ne demande pas grand-chose, juste qu’on l’apprécie. Mais non, sa classe comporte deux catégories, ceux qui la harcèlent et ceux qui se taisent. Elle ne sait pas lesquels elle déteste le plus. 

Et cette porte fermée, elle la hait aussi de tout son cœur. Comment faire pour passer de l’autre côté ? Et si quelqu’un la repérait ? Et si la personne derrière ne réagissait pas, s’en fichait ? Comment faire pour être protégée ? A quoi bon essayer ?

Dans le salon, Papa est assis sur le canapé, la tête entre les mains. Ses épaules tressautent, c’est étrange. Alice ne comprend pas ce qu’il se passe. Ça ne ressemble pas à Papa. Papa est fort, courageux, stoïque aussi. Il est son modèle. Elle aimerait être comme lui, mais c’est difficile. Sans un mot, Alice se met à côté de lui et pose une main sur son bras. Fascinée, elle regarde ses épaules qui sursautent comme animées par une personnalité propre.

Papa s’essuie les yeux et la regarde, comme s’ils se rencontraient pour la première fois. Les prunelles grises de Papa débordent de tristesse, de tendresse et d’amour. Comment peut-on ressentir tout cela à la fois ?, elle se le demande. Surtout de la part de Papa. Il la serre dans ses bras,  et ça lui semble durer une éternité et une seconde à la fois. 

 —  Ma chérie, tu es tout pour moi. S’il te plaît, ne disparais jamais. J’ai besoin de toi. 

Et il quitte la pièce, de peur que Rosie le surprenne aussi. Alice tourne la tête et croise le regard de Maman. Dans son cadre doré, qui trône sur la cheminée, elle est toujours là. Elle s’approche.

Je suis à tes côtés ma chérie, pour toujours. Là, disait-elle en montrant sa poitrine d’un doigt frêle. Si tu as besoin de moi, je serai là, tu n’auras qu’à fermer les yeux et tu m’entendras. Prends soin de Papa.

Les derniers mots de Maman emplissent sa mémoire, se dilatent jusqu’à prendre toute la place. Maman a raison. Alice émerge enfin du brouillard qui obscurcit son esprit depuis deux ans.

°OoO°0°OoO°


Alice est déterminée, ses yeux fixent la poignée dont les traces argentées n’ont plus de secret pour elle. Elle doit le faire. Pour Maman, pour Papa, pour elle-même, pour Rosie aussi, pour sa famille et pour l’Alice épanouie de trente ans qu’elle désirait être un jour. Ils l’encouragent dans sa tête, dans son cœur. La poignée est froide entre ses doigts et elle lutte pour ne pas reculer. Elle tire. La porte résiste encore un peu. 

Non, elle ne peut pas se laisser guider par la peur, par la tristesse, par le fatalisme qui la hantaient jusqu’ici. La peur, que ses camarades l’apprennent et s’en prennent à elle. La tristesse, qui la cloue sur place et l’empêche d’agir. Le fatalisme, qui lui susurre insidieusement que rien ne changera jamais. 

Et puis la porte finit par céder. La peur, la tristesse, le fatalisme éclatent et retombent en lambeaux imaginaires autour d’elle. Alice les perçoit pourtant très clairement, elle les regarde, fascinée.

Le panneau s’entrebâille dans un grincement sinistre. Alice pousse. Puis, elle prend une grande inspiration. Un pas après l’autre, elle y est. Enfin.

La fierté l’emplit toute entière. Elle a chaud dans son petit cœur, une chaleur confortable et réconfortante. Elle a franchi cet obstacle, cette terrible porte qui hantait ses cauchemars. Il ne lui en reste plus qu’un, psychologique, dont elle s’apprête à s’émanciper.

Un son sort de sa gorge. Ça lui fait un peu mal, ça fait si longtemps que ça ne s’était pas produit. Rauques et brisés, les mots qu’elle articule disent l’essentiel. La digue se brise, les larmes roulent pour la première fois depuis le départ de Maman. Elle tend son cahier et le pose sur le bureau. 

 — Aidez-moi.

End Notes:

J'espère que ce texte traitant principalement du harcèlement scolaire vous a plu, n'hésitez pas à me faire part de votre ressenti :) 


 


Et n'oubliez pas d'aller lire les autres participations, toutes plus belles les unes que les autres ! 


 


 


Traduction des passages en anglais :


—  Alice darling, you look so pale! Pierre, don’t you see she is sick? : Alice ma chérie, tu as l'air si pâle! Pierre, ne vois-tu pas qu'elle est malade ? 


 —  Pierre, I really think she needs… : Pierre, je pense vraiment qu'elle a besoin de...


 —  Rosie, I already told you she is fine! She has to be. : Rosie, je t'ai déjà dit qu'elle va bien ! Il le faut. 


 


Contraintes :


 


- Présence d'un obstacle : la porte (du point de vue d'Alice), la peur/ la tristesse/le fatalisme (en réalité)


 


- Ne pas utiliser la lettre V : OK 


 


- Sentimentalisme : insérer au moins quatre sentiments différents :


La haine d'Alice, pour la porte notamment : "elle la hait"


L'inquiétude de Rosie pour Alice : "elle entend sa belle-mère s'inquiéter"


La souffrance d'Alice : "elle souffre"


La colère des camarades d'Alice : "la colère a transpiré par tous leurs pores"


La tristesse d'Alice : "le cœur en miettes"


La tristesse de Pierre : "débordent de tristesse"


La détermination d'Alice : "Alice est déterminée"


La fierté d'Alice : "la fierté l'emplit"


 


- Langage : un personnage doit s'exprimer dans une langue étrangère (à chaque fois qu'il parle, deux prises de parole minimum) : Rosie, la belle-mère parle anglais à deux reprises.


 


- Rendre le texte avant jeudi 15 avril, 23h : OK.


 


- Placer un mot du métier/passion design : détail (sous la forme du verbe "détailler"), éviter les autres : conception, créativité, dessin, futuriste, réflexion, beauté, design, esthétique.


 


- Le texte doit comporter entre 500 et 2 000 mots : 1 673 selon le compteur de mots utilisé par les Brogniart. 

Cette histoire est archivée sur http://www.le-heron.com/fr/viewstory.php?sid=2101