Derrière le tableau by Sifoell
Summary:

Une jeune femme fascinée par la mer.
Un accident.
La réclusion dans un appartement inaccessible et ses pinceaux.
Puis une disparition.


Image de Lee Seonghak de Pixabay.


Categories: Fantastique Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Les nouvelles de Sifoell
Chapters: 1 Completed: Oui Word count: 6905 Read: 304 Published: 02/02/2021 Updated: 02/02/2021
Story Notes:

Cette nouvelle étrange provient de ma campagne de spéléologie dans les abîmes de la mémoire de mon ordinateur.

Bien qu'elle date du temps où j'étais lycéenne (je devais avoir 16 ans), j'y retrouve des thématiques qui continuent de me hanter.

Je vous la livre telle quelle, avec juste quelques mineures corrections orthographiques.

1. Derrière le tableau by Sifoell

Derrière le tableau by Sifoell
Author's Notes:

Je vous souhaite une bonne lecture !

On se retrouve en bas ;)

J'ai pour la mer la fascination effrayée de ceux qui restent à terre. Apprivoisée, elle s'est livrée à moi, à mes coups de pinceaux nets, précis, amants de l'étendue maritime. Bleue, verte, grise, noire. Elle s'est offerte à moi comme un don, comme une réponse. Jamais je n'ai pu mettre le pied dans la mer tant je la craignais, et pourtant, je ne saurais expliquer ce qui me poussait à m'assoir tous les soirs sur la plage, grelottant de froid et d'émotion devant cette beauté sauvage qui, certaines nuits, n'appartenait qu'à moi. Toute petite, la mer m'a appris à la respecter en enlevant un de mes oncles. Il était jeune et vénérait cette tendre et horrible amante, qui l'a pris sans jamais le rendre.

Je ne connais pas le goût de l'eau, ni même ce que ressent le baigneur quand il se retrouve enlacé entre deux vagues, mais je sais la regarder avec tout l'amour qu'elle mérite. Je sais que chacun de ses élans vers moi qui l'observe, assise sur la plage, est un élan de tendresse. Qui pourrait mieux que moi l'aimer, moi qui la crains et la respecte à la fois ? Qui pourrait mieux que moi la connaître, moi qui la peins sans relâche depuis... Depuis... Je ne me souviens plus depuis quand, il me semble que c'est depuis toujours.


Je sais quand elle devient cette mégère effroyable, hurlant, tempêtant, et tapant contre les digues, essayant de briser ces ridicules barrières ; qu'elle a été cruellement déçue par un marin, un homme qui a osé la souiller en lui jetant des déchets à la crête des vagues, ou qu'un énième pétrolier qui coule en se brisant et en répandant son poison mortel, assassine tous ces enfants qu'elle porte en son ventre : poissons, coraux, algues, cétacés, et toutes ces offrandes laissées par les hommes : épaves et autres trésors engloutis.

Je sais quand elle se fait douce et berce de son chant les amants endormis sur la plage, une nuit calme et tiède propice aux étreintes romantiques à la lueur complice de la lune. Là, elle se fait discrète, observant les couples enlacés, venant lécher le sable sur la pointe des pieds.

Je sais sa souffrance quand elle pleure, impuissante, les marins morts sur la terre, sa vieille ennemie, qu'elle affronte et vainc, puis se retire pour laisser un peu de fierté à celle qui héberge, ou emprisonne tous ces hommes qui la désirent.

Je sais sa volonté de vivre, par ses vagues enjouées, dansant au rythme du chant de ses enfants, cliquetis des dauphins, longues phrases langoureuses des baleines, bruissement inaudible du plancton.

Je la sais pour la moindre de ses gouttes d'eau, elle que j'admire toutes les nuits, elle dont je rêve la journée, elle qui occupe chacune de mes pensées. Elle est partout dans ma vie, sur mes cahiers d'écolier, dans ma tête, dans mon corps qui se balance en marchant, dans mon regard qui a sa couleur. Elle fait partie de moi, elle s'est donnée à moi en m'accordant la permission de la peindre, afin de mieux se rappeler à mon souvenir quand, bien malgré moi, je suis obligée de m'éloigner d'elle.

Peindre, j'ai voulu en faire mon métier, lui rendre hommage chaque jour de mon existence en montrant à ceux qui ne la connaissaient pas, l'étendue de sa beauté et de sa puissance. Cela m'est apparu comme une évidence une nuit que je rentrais chez moi, harassée, enivrée par son chant, son haleine fraîche et salée qui me chatouillait les narines. Cette nuit-là, je me suis dit que pour toujours je serai pour elle une servante dévouée, rappelant aux hommes de la respecter, plus encore que la terre, agonisante sous le goudron, souffrant d'avoir enfouis en son sein les déchets humains non naturels, et tous ces hommes morts qu'elle accueille en elle depuis des millénaires.


" Maman, je veux devenir peintre. Je vendrai des toiles représentant la mer dès demain. J'abandonne les études, elles ne m'apportent rien. C'est décidé. "

Mes parents me regardèrent comme s'ils avaient une folle devant eux, mais cela n'avait aucune importance. J'avais vingt ans et je me sentais prête à vivre la vie que j'avais choisie. Ils essayèrent bien d'argumenter, mais je voyais qu'ils accusaient le coup. Et non, leur fille chérie ne serait pas la grande avocate qu'aurait dû être sa mère puisque sa grand-mère ne l'avait pu. Isa leur tourna le dos et passa sa journée sur la plage. Il commençait à faire froid, en ce mois d'octobre, et même les surfeurs les plus téméraires ne se risquaient plus à goûter l'eau sans combinaison. Comme celui-là, encore blond de l'été passé, debout sur sa planche qui glissait sur l'eau. Une vague plus forte le fit tomber. Je riais quand il sortit de la mer, s'ébrouant dans un grand frisson. Il s'approcha de moi, portant sa planche et m'éclaboussa de goutelettes d'eau plus froides que tièdes. "Salut, on s'amuse bien ? Je m'appelle Eric." Moi, c'est Isa, ravie de te rencontrer, beau surfeur... Non, je ne suis pas une contemplative, je prends seulement une photo mentale de la mer pour pouvoir la reproduire ce soir, à la lueur d'une lampe halogène... Je sais, ça grille les yeux, mais je pourrai quand même l'imaginer. Ce que j'aime à part la mer ? Entendre le vent et la mer livrer des assauts contre la terre, agitant les arbres comme de vulgaires brindilles et les voiles comme des mouchoirs d'adieu.


Eric fut pour moi la seule relation sérieuse que j'eus, sans compter la mer ni la peinture. Je découvrais une facette amusante de la belle salée : ses vagues étaient des toboggans pour Eric et ses amis. De belle, la mer devenait super fun et trop cool. Je ne comprenais pas exactement ce que voulaient dire tous les mots qu'employaient les surfeurs, mais ils respectaient la mer, je devais le reconnaître, même s'ils ne voyaient en elle qu'une grande aire de jeu où ils pouvaient s'ébattre et s'affronter. Je prenais plaisir à le voir évoluer sur les vagues avec une telle aisance, toujours en tant qu'observatrice, je prenais des clichés mentaux de leurs mouvements, de leurs expressions. Mais ces photos prises à la va-vite ne me servirent jamais. Eric était un grand enfant, déjà adulte. Je ne peux pas lui en vouloir de m'avoir laissée tomber quand j'ai eu mon accident. Une infirme en fauteuil roulant à vie, c'est pas super cool. Il était beau, mon surfeur, mais trompeur et il n'avait pas le sérieux des princes charmants dont je rêvais parfois.


Ce qui est amusant, c'est de voir à quel point, déjà enfant, j'étais différente des autres petites filles. Elles rêvaient toutes qu'une star ou qu'un jeune prince viendrait les enlever pour les épouser, et qu'elles vivraient une longue vie, heureuse et avec beaucoup d'enfants et de richesses... Mais moi, je ne rêvais que de la mer, et les seuls hommes dignes d'intérêt pour moi, étaient ceux qui l'aimaient et se mesuraient à elle. Ces hommes-là, le regard lointain, posé sur l'horizon, qui ne vous écoutent pas parler, mais qui ont à l'oreille la rumeur de l'océan. Ces loups de mer ont une telle envie de liberté, un tel besoin d'espaces infinis qu'ils étouffent sur terre, et éprouvent ce que j'appelle le mal de l'ancre. On ne peut pas laisser un marin trop longtemps loin de l'eau, tout comme on ne peut pas le laisser trop longtemps sur l'eau, dans les deux cas, il deviendrait fou. Parce qu'un homme ne peut faire le choix de vivre toute sa vie sur l'océan que si absolument rien ne le retient sur les rivages. Ni femme, ni enfant, ni famille, ni amis. Pas même une vieille chapelle ou un petit carré de terrain vert avec un pommier au milieu. Cet homme-là renonce à sa vie d'homme pour devenir une sorte d'être amphibie, qui ne peut vivre sans eau ni air. Il sait ce qu'il risque et c'est pour cela qu'il est fascinant et inspire le respect.


Jamais je ne me suis habituée à la ville, à ses autoroutes, à son empressement. Jamais je n'ai pu comprendre à quoi cela servait de se dépêcher d'aller au travail, ou à un rendez-vous... Le temps n'existe pas dans l'océan. Malheureusement pour moi, ma courte vie sur terre ne m'a pas non plus appris à faire attention aux petites routes côtières, mal éclairées, où les voitures passent en trombe. Encore sous le charme des flots, je rentrais tranquillement chez moi, dans un état second. Je me suis juste réveillée à cause d'un coup de klaxon, d'un horrible crissement de pneu. Les bruits assourdissants de la ville m'insupportent, et j'ai aujourd'hui une raison de plus de les détester : ils m'ont volé mes jambes.


Je sentis un grand impact au niveau des cuisses, je poussai un cri, me sentant balayée comme une brindille... Je volais... Mais pas assez haut ni assez loin. Je retombai lourdement sur le trottoir, un autre choc au niveau du dos, plus violent cette fois : le rebord, aiguisé à souhait. Je me réveillai quelques heures, ou quelques jours plus tard, je ne sais, dans une chambre totalement impersonnelle, et empestant le chlore. Les murs étaient désespérants de blancheur et un médecin souriant m'annonçait qu'il avait pu sauver mes bras, mais quant aux jambes, elles étaient là, inutiles...

Ma famille en pleurs se tenait à mon chevet, même la grand-mère de Paris était là. Tous se désolaient. Mon Dieu, la pauvre petite, elle ne peut plus marcher... Mais tant que je pouvais peindre et me déplacer à peu près seule, j'étais heureuse. J'étais soulagée de ne pas être morte ou totalement paralysée. Je pouvais donc encore profiter de la mer, de mes pots de peinture et de mes toiles à bleuir. Quelqu'un se tenait dans l'embrasure de la porte, avec dans les bras un bouquet de fleurs maladroit. C'était Eric. Quand le tumulte familial s'éloigna vers la cafétéria, il me donna ce gros bouquet, vingt roses, me parla sans rien dire et partit après m'avoir déposé un baiser sur le front. Jamais plus je n'eus de ses nouvelles, mais je ne peux pas lui en vouloir, et cela importait peu. En revanche, ce qui importait, c'était de savoir quand j'allais pouvoir partir de cet hôpital. Plus encore que le fauteuil roulant rutilant, les odeurs me rendaient malade. J'avais l'impression d'être un cadavre que l'on conservait tellement cela empestait le chlore...


Mais je n'étais pas morte, j'étais plus vivante que jamais, et cet accident me fit seulement comprendre la réalité qui nous est à tous imposée, et elle est dure... Entre les parents qui nous forcent à devenir quelqu'un, comme si chaque personne n'était pas déjà quelqu'un. Vous, moi, cet ivrogne qui vit dans la rue et ce politicien souriant et saluant les caméras de télévision... Nous sommes tous quelqu'un.

A vingt ans, on se croit irréductible, c'est ce qui nous pousse, enfin les plus fous d'entre nous, à n'en faire qu'à notre tête et à outrepasser les conseils familiaux, amicaux, censés nous éclairer dans notre voie mystérieuse vers la vie d'adulte. A vingt ans, on croit qu'en expliquant à des soldats ennemis qu'ils sont tous des hommes, faits pareillement, et que celui d'en face qui ne pense pas comme lui, qui ne prie pas de la même façon, n'est pas un danger, que les ordres de fous qui les gouvernent sont dangereux ; on croit qu'en leur disant tout cela, ils déposeront les armes et termineront leur guerre par une franche poignée de main, tous victorieux sur l'imbécilité. A vingt ans, on croit qu'on peut sauver le monde, et soi-même par la même occasion ; qu'un seul geste, un seul mot peut faire que tout sera différent, et en mieux si possible. A vingt ans, on est des enfants dans des corps d'adulte.

Je me retrouvai là, allongée dans ce lit froid d'hôpital, la famille au complet venue gémir sur mon sort. Qu'a-t-elle fait pour mériter cela, mon Dieu ? Pourquoi elle ? Et pourquoi pas moi ? Pourquoi serait-ce une autre victime, tout aussi innocente que moi ? Je les écoutai, mais de très loin, je n'avais aucune envie qu'ils s'en aillent et me laissent dans ce fichu hôpital, froid, impersonnel, entourée de toutes ces blouses blanches. Je ne peux pas les blâmer, elles faisaient tout pour que je me sente bien, mais cela ne marchait pas, je manquais cruellement d'embruns, de bourrasques faisant une torche de mes cheveux, la berceuse des vagues restait à mon oreille, mais j'avais besoin de plus qu'un coquillage pour me la remémorer. J'avais besoin de la mer.


Qu'est-ce qu'ils ont dû supporter, tous les docteurs et infirmières ! J'étais odieuse avec eux ! L'hôpital manquait en immensité, en air, et j'étais bornée à ma chambre. Cinq semaines... Ils disaient que ce n'était pas prudent de me laisser partir avant, si un os se déplaçait, j'étais bonne à revenir, et pour une durée indéterminée... Je devais prendre mon mal en patience, et eux aussi. Je supportais vaillamment, chaque jour, le matin ou le soir les jours de chance, les allées et venues des proches qui n'avaient pas pu me visiter avant, ou qui étaient de passage et qui avaient pensé que... Ou ceux qui étaient en ville et n'avaient rien de précis à faire... Bon, il n'y a rien à la télé, et si on allait voir cette pauvre Isa, histoire de lui remonter le moral ? - et de l'énerver encore plus -. Parce que le temps a beau ne pas passer quand on est cloué au lit, mais quand en plus on doit supporter les questions plates et mille fois répétées : comment ça s'est passé ? Est-ce que tu souffres ? Tu ne remarcheras plus ? Comment tu vas faire plus tard ? Ne t'inquiète surtout pas, on s'occupe de toi. On sera là pour t'aider... C'est justement cela qui me faisait le plus peur. Mais il fallait faire contre mauvais fortune bon coeur et faire bonne figure, comme on dit. Et c'est d'un air ravi qu'ils accueillaient mes sourires enjoués pendant qu'à l'intérieur je bouillonnais depuis des jours.

C'est avec un plaisir non dissimulé que le jour de ma sortie, le médecin vint me faire sa dernière visite. Voyons, bonne température, tension normale... Mais vous allez bien, mademoiselle Ambelly. Vous sortirez cet après-midi.

Bon, récapitulons : je sortai, certes, je regagnai un peu de liberté et je sentirai autre chose que le chlore, mais je retournai chez mes parents, et en fauteuil roulant, ce n'était pas évident de rouler sur le sable. Le fait de rentrer chez moi, de passer d'une prison à une autre et d'une dépendance à une autre provoqua un déclic étrange en moi. Je me refermai plus que jamais sur moi-même, je ne leur cachais pas le déplaisir qu'ils me causaient quand ils pénétraient sur mon territoire, certes restreint à ma chambre, mais mon territoire à moi. Je n'en pouvais plus d'exaspération. J'oscillais entre l'euphorie d'une toile, puis la sérénité quand je l'observais, achevée ; et la fureur pure et dure quand je voyais qu'on me couvait comme un oisillon. Je n'avais plus de jambes, mais je pouvais encore me faire un bol de chocolat chaud toute seule ! Je ne pouvais leur dire que leur aide ne m'était pas nécessaire et qu'elle me tapait sur les nerfs. Alors, je gardais toutes ces fureurs en moi et elles grandissaient...

Deux mois après ma sortie d'hôpital, je contactai un agent immobilier dans le but de louer un appartement, et par là-même, d'acquérir un peu de liberté. Il me dénicha pour trois francs six sous un studio sordide, au dernier étage d'un immeuble délabré dans un quartier même déserté par les rats. Pour la vue sur la mer, il fallait s'imaginer les quelques pâtés de maison en ruine, à terre, et essayer de raser aussi par la force de l'imagination la station d'épuration et de désalinisation. Mais, derrière la rumeur des voitures, il y avait celle, constante, rassurante, de la mer.

Comme une folle, dès que je m'installai dans cet appartement, je me mis à peindre. Mes parents venaient me rendre visite tous les jours, ma mère me faisait à manger parce que je ne vivais que de conserves. Elle nettoyait tous les jours le studio de fond en comble pendant que mon père surveillait d'un oeil inquiet sa voiture flambant neuf garée sur le parking. Elle se désolait de l'insalubrité du studio, de mon infirmité désormais irréversible, le médecin m'ayant affirmé la semaine auparavant que toute rémission était impossible. Elle me demandait sans cesse pourquoi je les avais quittés, pourquoi ne pas habiter dans un appartement en meilleur état, et avec ascenseur pour que je puisse sortir une fois de temps en temps, quand j'en avais envie. A toutes ces questions pourtant fondée, je ne répondais que par le silence, pensant très fort : Mais sortez donc de ma vie ! Je sombrais dans une sombre folie.


Ils se mirent à me visiter de moins en moins souvent et avec eux, mes toiles diminuaient. Je ne savais plus que faire entre ces quatre murs puisque je n'avais pas la possibilité de sortir avec le char d'assaut sur lequel j'étais assise. Mes parents ne me manquaient pas tellement, mais plutôt les toiles et la peinture qu'ils m'offraient, parce que les pinceaux, j'en avais toute une panoplie. Leur dernière visite remontait à environ une semaine, et j'ai commencé à pousser les meubles. J'ai téléphoné à un professionnel du bricolage-maison, lui racontant je ne sais quelle histoire, que j'avais besoin d'équipements spéciaux pour me faciliter la vie dans le studio, qu'il me fallait un jeu de poulies et de cordes pour que je puisse déplacer les meubles pendant que je faisais mon ménage, et que de toute façon, l'immeuble allait être démoli dans un an ou deux, et qu'ils pouvaient bien me faire quelques trous et me mettre quelques chevilles dans les murs. Ils débarrassèrent le studio, m'installèrent un système de poulie auquel je pouvais accrocher une sorte de fauteuil avec une tablette sur laquelle je pouvais poser une palette. Je vendis quelques meubles qui ne m'étaient pas des plus utiles et je mis en œuvre la plus pure expression de ma folie.


Je me réveillai un matin, j'avais mal dormi sur le matelas posé au sol. Il me restait quelques céréales que je mangeai dans le paquet en réfléchissant. Voyons, j'avais passé une bonne partie de la nuit à peindre le mur nord, le mur de la fenêtre où je devinai là-bas, cachée, la mer. Les céréales étaient immangeables, je les laissai sur le sol. Un peu d'eau pour humidifier la peinture séchée, un peu de blanc d'oeuf, secret de peintre, et je me remis au travail : la réalisation de la fresque la plus fantastique : la mer dans un appartement. Il me fallut quelques efforts pour grimper sur le fauteuil suspendu, drôlement pratique pour m'éviter quelques acrobaties approximatives, et je réfléchis... Voyons, si je vivais en plein milieu de la mer, il me faudrait une île pour me reposer... Je me tournai vers le mur ouest, celui sans porte ni fenêtre qui ferait une très bonne terre. Oui, une excellente terre.


J'avais maintenant la mer, une île avec des arbres fruitiers, juste de quoi se nourrir, une source coulant d'une petite montagne, mais vraiment toute petite : dans ce monde, tout n'était que rondeur et douceur. Mais ce monde bien vivant semblait un peu trop minéral et végétal, j'y ajoutai donc quelques oiseaux, des lapins, des poissons bien sûr, de placides baleines... La chaleur qui manquait, je la fis naître d'un soleil, qui tournait peut-être un peu trop vite. Le soir, il croisait la lune en lui faisant une révérence, toujours très galant, il lui souriait d'un dernier éclat avant de se coucher. J'avais mis dans le ciel quelques étoiles lumineuses et lointaines, pour éclairer la nuit pendant que la lune rejoignait le soleil dans des contrées que je n'avais pas peintes. En plein milieu de la nuit, il arrivait à la lune de se parer de voiles de toutes les couleurs, faisant écho à l'élégance naturelle du soleil. Si le soleil se vêtait de rouges, d'oranges, de violets de toutes sortes, la lune, toujours aussi romantique, leur préférait le bleu et le vert, avec parfois une pointe de pourpre. Le ciel n'était jamais plus beau et plus vivant que ces nuits-là.

Quand je revenais de ce monde, j'étais en général sur mon matelas miteux, épuisée et triste de ce retour. J'avais la sensation réelle d'avoir laissé quelque chose de plus important que tout derrière moi, que je pouvais simplement approcher quand je peignais. Mais puisque tout était possible dans ce monde, un soir, j'envoyai une lettre à mes parents, leur disant que s'ils m'exaspéraient tant, c'était parce que je les aimais profondément ; et je me mis à peindre le plus fou, le plus incroyable et qui me devenait nécessaire : des jambes qui pouvaient soutenir mon corps, qui pouvaient se mouvoir, et qui pouvaient me faire marcher, courir, sauter, nager...


Paru dans l'Etrange Magazine et dans des journaux quotidiens régionaux et nationaux : Une jeune femme d'une vingtaine d'années, Mlle Isadora Ambelly, paralysée des jambes, a disparu de son appartement situé au dernier étage d'un immeuble sans ascenseur, la semaine du 20 au 27 février 1999. La thèse de l'enlèvement est retenue, compte tenu du fait que le fauteuil roulant de la victime a été retrouvé, renversé, dans son appartement. Le plus étrange dans cette affaire n'est pas qu'une jeune handicapée ait disparu, mais que toute la surface de son studio, sans exception, ait été recouverte de peinture représentant un paysage maritime, une île et une aurore boréale. La thèse de la secte n'a pas été écartée. Un appel à témoin est donc lancé, si vous avez des informations au sujet de la disparition de cette jeune femme, n'hésitez pas à contacter la police ou le magazine au numéro figurant en bas de page. Rapport de Rodrigue Myste.


" J'ai l'impression d'être au plein cœur de la nature primordiale, de retrouver un pays qui n'a jamais connu d'humain, neuf, à découvrir. C'est effrayant de beauté et de vérité, parce que c'est une peinture, et je n'en ai jamais vu de si réelle. Je suis entourée d'eau, la mer est présente partout sauf sur le mur ouest qui accueille une île. Doit-on y voir une signification ? Le plus étrange, ce sont les sensations que l'on éprouve à être ainsi submergé par une nature florissante, foisonnante, envahissante, tout en sachant que nous sommes dans un appartement.

" Il n'y a absolument rien dans ce studio. Aucun meuble, aucun linge, rien qui pourrait laisser penser que quelqu'un a vécu ici, si ce n'est toute cette peinture, et le fauteuil roulant de la victime que l'on a retrouvé, renversé, juste à côté du mur ouest, le mur à l'île.

" La femme qui vivait dans ce studio s'appelait Isadora Ambelly, et nous avons toutes les raisons de penser que c'est un meurtre maquillé en je ne sais quoi, en enlèvement par une secte adorant la mer ? Il est fort peu probable qu'une jeune femme handicapée moteur ait pu s'enfuir, sans fauteuil, et sans élever le moindre soupçon de ses voisins. Elle menait une existence de recluse dans ce studio, étant totalement renfermée sur elle-même, d'après le rapport de son médecin traitant, ce serait la conséquence d'un traumatisme post-accidentel, traumatisme qui n'a pas été pris en charge du fait de la très grande discrétion de la patiente.

" Nous avons également de fortes raisons de penser que cette jeune femme, à cause de son traumatisme manifestement, mais aussi des relations quasi inexistantes qu'elle entretenait avec ses parents, souffrait d'une dépression et avait des tendances suicidaires. Elle se nourrissait à peine, ne s'occupait pas vraiment de son corps ni de son environnement, et sa fragilité psychologique en aurait fait une proie facile pour les racoleurs de toute secte.

" Toutes suppositions peuvent être prises en compte, étant donné le peu d'éléments pouvant éclairer l'affaire. La voisine de l'étage en dessous s'est inquiétée de la victime environ un mois après sa disparition, date de la dernière lettre adressée à ses parents, qui ne l'ont pas reçue aussitôt, étant à l'étranger. La vieille voisine a donc prévenu les pompiers qui sont intervenus le 27 février 1999, à 13h47. Ils ont tout d'abord frappé à la porte. N'obtenant pas de réponse, ils l'ont enfoncé à coups de bélier pour constater que l'appartement était vide. La police a par la suite été avertie de la disparition de Mlle Ambelly. "


Je reposai le dictaphone, perplexe. Il est vrai que l'on peut tout croire dans cette affaire, aucun témoin, aucune piste. Mon attention fut attirée par les murs, et toute cette peinture. J'étais loin de penser être dans un studio. Cette fille avait un talent indéniable pour la fresque. Je m'approchai du mur ouest et touchai du doigt une feuille de palmier. C'était humide, j'avais l'impression que si je continuais à marcher, le mur m'engloutirait. Mais je balayai cette idée saugrenue en pensant à toutes les fois dans ma carrière où je m'étais retrouvé confronté à l'étrange. Et il y avait toujours un canular ou quelque chose de précis et d'explicable derrière un mystère. Je soupirai. J'avais le cerveau en bouillie, j'étais incapable de réfléchir et il faisait vraiment froid. Il me faudrait encore du temps et de la patience pour résoudre cette affaire. Et je trouverais sûrement une mauvaise blague, ou un coup monté, sordide et désespérant de banalité. Les affaires inexpliquées finissent toujours par décevoir le détective. Et celle-là comme les autres.

Pourquoi à chaque fois j'espérais encore trouver quelque chose de merveilleux ? Comme cette bâtisse prétendument hantée par une dame blanche ? Des bruits de pas, des cris à minuit, le bazar habituel ! Un grand duc marchait tous les soirs sur le plancher du grenier, on a mis des semaines à le débusquer. Quant aux cris de minuit, c'était ce même hibou qui se réveillait fort bruyamment. La dame blanche était éventée, ce n'était qu'une vieille chouette.

J'ai toujours été déçu par le paranormal, et à chaque nouvelle affaire, je me persuadais que cette fois-ci, il y aurait un vrai fantôme, une fée ou un ogre que je découvrirai. En souvenir de ce lutin, Siphoel, qui me visitait tous les mardis soirs chez moi, quand j'étais enfant. Tout ça, c'était du vent, des rêves de gamins qui refuse de grandir !

Mais... Si c'était vrai ?


Je suis passée ! Oh, mon Dieu, je suis passée ! J'ai réussi ! Je marche. Ces belles jambes, longues et fuselées que j'ai peint sur mes propres membres inutiles, muscles peints renforçant les muscles sans force, elles bougent et me supportent. Ce monde est tellement réel, c'est le mien, mon monde. Je suis vivante et la mer m'entoure, tous mes rêves se réalisent, je peins la mer, je lui donne vie et elle me donne une raison d'exister. Ce monde que je crée chaque jour un peu plus, qui le gouverne ? Moi ? Je le gouvernerai bien, mais il me faut une présence humaine à mes côtés, je ne peux vivre entourée seulement de la mer, de cocotiers et de dauphins. Il me faut quelqu'un...

Non. Je n'ai besoin de personne. Seule j'ai bâti ce monde et seule j'y vivrai ! Mais, ne me suis-je pas enfermée en moi-même jusqu'à perdre tout contact avec ma famille, avec le monde extérieur ? Je n'allais même plus visiter la mer, de toute façon, ce n'était pas des plus faciles en fauteuil roulant. Mais c'est du passé, à gommer, de mauvais souvenirs qui m'ont fait grandir. Je continuerai donc de construire ce monde, avec la peinture qui suinte de chaque objet que j'ai créé, et mon prochain exploit, c'est de conquérir la mer, de me jeter à l'eau et de nager, puisque tout est possible dans ce monde, mon monde.


Il y a quelque chose qui cloche. Ce n'est pas possible de disparaître ainsi. Cette fille n'avait aucune relation familiale ou amicale. Il y a forcément quelque chose qui m'échappe... Peut-être n'était-elle pas si handicapée que cela... Une simulatrice ? Une fille un peu folle qui ne voulait qu'être tranquille et qui s'est éloignée comme ça, jour après jour ? Mais comment aurait-elle fait pour sortir d'un appartement sans franchir la porte ou la fenêtre, d'ailleurs condamnée depuis son installation ? La clef du studio a été retrouvée sur la serrure de la porte d'entrée, à l'intérieur. La porte était fermée à double tour et le verrou de dessus également. Il y a forcément une explication logique à cet embrouillamini...

Voilà que je cherche la logique. Décidément, je suis blasé, il est temps que je tombe sur une affaire vraiment incompréhensible, pour me remémorer ce qui m'a poussé à faire ce métier ingrat : l'inexplicable. Voilà que je cherche ce que j'ai toujours refusé : le scientifique. Ce qu'ils ont pu m'énerver avec toutes leurs théories sur ce qui était avant le merveilleux. Ils brisaient sans relâche toute magie, ne laissant quelques miettes de contes et légendes aux enfants. Mais arrivé adulte, il ne faut surtout plus croire à toutes ces sornettes. En un sens, ils ont raison, mais ils sont également en train d'assassiner le passé et toutes ses croyances. A la fin, ils tueront Dieu.

Mais je m'égare. Cette disparition me préoccupe. Je suis tellement habitué à trouver une explication logique aux affaires que j'en oublie le point d'interrogation, l'inconnue, la donnée inhabituelle, l'attirant. Et cette affaire m'attire, la disparue m'attire, cette fresque m'attire comme un aimant... Je ressens l'euphorie des premiers mystères, l'attente de découvrir une chose, un être, un monde insoupçonnés. Ce métier c'est ma vie, et si je m'ennuie, ce n'est pas bon, mais alors, pas bon du tout. Et là, je sens que c'est reparti comme avant, comme au tout début, avant toutes les désillusions. Mon esprit en attente...


" Cet appartement semble être un autre monde. Je me suis renseigné sur la jeune femme qui a disparu. Elle était fascinée par la mer et la craignait. Sa famille possède de nombreux tableaux qu'elle a réalisé sur la mer. Habitant près des côtes, tous les soirs, elle partait s'assoir sur la plage jusqu'à minuit et plus tard encore. Elle a d'ailleurs eu un petit flirt, semble-t-il, avec un surfeur. Mais cette amourette n'a pas paru marquer la jeune femme. Que dire d'autre si ce n'est qu'elle était très discrète, très introvertie et ne parlait pratiquement pas ? Cette discrétion extrême ne pourrait expliquer la thèse de la secte, puisque la jeune femme aurait été ainsi toute sa vie.

" Peut-on dire que ce studio est en quelque sorte l'expression de son désir et de son amour pour la mer, une projection psychique de ses fantasmes marins ? J'ai l'impression d'être dans son rêve. Je nage en plein mystère, c'est le cas de le dire... Où as-tu été, jeune femme ? Où t'es-tu enfuie ?

" Oh... Mais j'ai l'impression que quelque chose a changé dans la fresque. Elle est toujours humide, comme si elle venait d'être peinte. Mais c'est impossible, la porte est scellée, seules les forces de police et les profileurs peuvent y entrer... Mais il me semble que ceci n'était pas là hier... "


Je reposai mon dictaphone et effleurai la fresque sans trop oser le faire. Cette humidité n'était pas normale. Un détail retint mon attention. Un dessin qui ne m'avait pas frappé, avant. Et pourtant, je l'avais regardée, cette fresque, essayant de lui faire dire où était la peintre. Mais ceci, j'en étais sûr, n'y était pas, la veille. Je farfouillai dans mon sac et en extirpai des photos de la fresque. Voyons... Mur ouest, mur de l'île. Quelques cocotiers sur la droite. OK, du vert, du bleu. Mais cette tache de blanc, ce drap. Non, ce n'est pas un drap, c'est... Oui, c'est ça, une cabane. Ce n'est pas blanc, c'est crème. Et ce n'est pas sur le cliché. Il vient d'être peint !

Réflexion profonde et rapide. Porte fermée, accès réglementé, et pas un seul homme sur l'affaire capable de dessiner une maison, alors, tout ce paysage... Un raisonnement des plus tordus me vint à l'esprit, ce qui pourrait expliquer certaines choses. Cette peinture toujours fraîche, cette touche de crème qui vient d'apparaître... Soit il y a un passe-muraille, soit la jeune fille a disparu, certes, mais sans sortir du studio. Elle serait dans la fresque ! Dans le mur ? Je crois que tous ces mystères d'enfance dont je raffolais sont en train de remonter à la surface et il faut que je me sorte de ce labyrinthe. C'est impossible, mais il n'y a que cela de plausible ; enfin, plausible pour moi...

Je risquai un doigt sur la fresque. Il ne se passait rien de précis. Alors je fis comme lorsque j'étais enfant, je parlai tout haut, à la jeune disparue...


" Isadora ? Je préfère t'appeler Isa, c'est plus court. Je crois savoir ce qui s'est passé, autant dans ta tête que dans la réalité... Tu étais seule, tu as toujours été seule. Dans ta famille, toujours seule avec tout le monde.

" Mais avec la mer, tu te sentais existante, pour la première fois. Et c'est cette sensation que tu recherchais chaque fois que tu t'asseyais sur la plage. La mer était en quelque sorte ta famille... Mais quelque chose t'a empêché de la voir encore, la mer... Ton accident. Voilà pourquoi tu t'es recluse dans ce studio, tu ne supportais plus la présence démesurée de tes parents, l'invasion de ta famille. Tu avais l'impression que c'était faux, ce débordement de sollicitude. La mer était une sorte de don qu'elle te faisait à chaque fois que tu allais la voir, elle se donnait à toi et tu t'es donnée à elle.

" Après ton accident, il n'était plus possible d'aller sur la plage, sans la mer, plutôt mourir. Mais tu as choisi à la mort une meilleure solution : recréer un univers qui ne serait que tien, où la mer aurait une place primordiale, centre de ton monde... Mais d'abord, s'éloigner du faux, de ta famille... S'enterrer dans cet appartement sordide, dans ce quartier dangereux et excentré, disparaître de la circulation n'en a été que plus facile... Tu t'es mise alors à peindre la mer comme jamais tu ne l'avais fait. Tu lui as tout donné : ton espoir, ta foi, ton talent, ta vie. C'était ma mer ou rien, et rien, ce n'était pas possible parce que tu aimais trop la vie. Alors, tu as ouvert une porte, quelque chose a changé grâce à la pureté de tes sentiments. Tu as disparu de ce monde que tu n'as jamais compris, où tu ne t'es jamais intégrée, tu es morte pour renaître dans ton monde, un monde de mer, un monde au cœur de ton refuge, au cœur de ton appartement...

" Mais cette porte n'est sûrement pas fermée... Oh, dis-moi que tu ne l'as pas fermée... Ce monde m'a trop déçu, toutes mes espérances renaissent avec cette affaire, avec ta disparition, avec toi... Tu m'as montré cette cabane, tâche de couleur au milieu d'un océan de couleur... Si tu m'as montré cette porte, ce n'est pas pour la garder fermée, dis-le moi. Non, ne le dis pas. Montre le... "


Je cessai alors de parler, c'était devenu inutile. Tout était clair. Moi aussi j'en avais assez de chercher des réponses qui m'échappaient et finissaient toujours par me décevoir. Et puis cette fresque me hantait depuis des semaines, et la disparue aussi. Cette jeune fille à l'air lointain, prise en photo par son ami le surfeur, assise ou plutôt roulée en boule sur une plage, l’œil posé sur l'horizon. Les cheveux au vent, le visage dans son col roulé d'où dépassaient seulement ses yeux qui n'étaient pas là. Déjà ailleurs...

Je voulais la connaître, je voulais la voir, la sentir, la toucher... La comprendre... Lui dire qu'elle n'était plus seule, que j'allais vers elle. Il me semblait que tout le studio devenait poisseux de peinture, comme si elle était encore en train de créer son monde. J'observai la petite tâche crème, la cabane, et il me semblait que les palmiers autour étaient agités par une petite brise. La cabane m'attendait et paraissait grandir. Je m'avançai vers le mur et déjà ce n'était plus un mur mais un lieu qui m'attendait. Cette affaire-là serait la mienne et personne ne m'en arracherait le rêve avec des explications scientifiques au nom de la très sainte logique. Je me perdais dans le mystère.


Paru dans l'Etrange Magazine. Rebondissement dans l'affaire de la disparue de février. Notre détective dépéché sur l'affaire, Rodrigue Myste, a également disparu. Le dernier lieu où il semble s'être tenu est le studio de la jeune disparue. On y a retrouvé toutes ses affaires personnelles : dictaphone, notes, photos ; mais il n'y avait aucun indice ni témoin qui puisse orienter l'affaire. De plus, la police s'avoue sceptique... L'appartement serait-il une fenêtre ouverte sur quelque chose d'autre, un courant d'air emportant humains et laissant objets ? Affaire à suivre...


Je suis chez moi. Elle m'a fait de la place dans son monde, et elle crée aussi des gens maintenant. Elle est charmante, souriante, amusante, mon amante. Chaque matin, quand le soleil se lève et que la lune lui cède la place, elle m'entraîne vers la plage et on regarde la mer se réveiller. Parfois, elle a des pinceaux avec elle et rajoute une couleur au soleil, à un reflet un peu pâle de la mer... Je l'aime tant...

Moi aussi, j'ai eu droit à mon bain de couleurs. Elle disait que j'avais le teint terne, parce que je vivais dans un bureau et que j'évitais le soleil. Mes vêtements gris sont maintenant aux couleurs de la nature, et rester terne serait lui faire insulte, alors je vis, je souris, je chante...

Son monde s'agrandit jour après jour, elle a même assisté à la naissance de lapereaux, et elle n'y était pour rien... Son monde vit sans son intervention maintenant, elle peut se reposer, la vie fait son chemin. Je lui ai construit un bateau, parce que parfois encore, elle a peur de la mer, mais elle a ri en disant que c'était inutile, si elle ne voulait pas nager, il suffisait de marcher sur l'eau, et elle l'a fait...

Ce monde est extraordinaire, et je n'ai qu'un souhait : qu'un peu de sa magie aille dans le monde que j'ai quitté.

End Notes:

C'est sans doute une des premières nouvelles que j'ai écrites quand j'étais adolescente, collégienne ou lycéenne, je ne sais plus, cela remonte à plus de vingt ans.

Je trouve ça mignon de retrouver les thématiques très oniriques qui nourrissent mon imaginaire. Je crois que je n'ai pas vraiment changé, en fait ;)

J'espère que ce voyage chez Bébé Sifoell vous a plu :) Je me mettrai bientôt à écrire des originaux, mais je vais continuer à exhumer quelques textes, parce que c'est comme le jeu qui prend la poussière : un texte est fait pour être lu et un jeu joué. Donc, voilà, cadeau :)

N'hésitez pas à laisser un commentaire, j'y répondrai avec plaisir !

A bientôt et prenez soin de vous !

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