Cannelle ou chocolat by Wapa
Summary:
Libre de droits


Participation au concours d'hazalhia, Cupidon sous la neige


Claire n'a qu'une hâte : retrouver ses chères montagnes pour fêter tranquillement les fêtes à Chamonix. Lorsque ses projets sont contrecarrés par le destin capricieux, elle y voit finalement l'opportunité de ne plus être l'éternelle célibataire de la famille. Cette année, elle a un plan pour venir accompagnée au réveillon de Noël !

Avertissement : de la guimauve et des clichés se baladent en toute impunité dans cette histoire.
Categories: Romance, Contemporain Characters: Aucun
Avertissement: Aucun
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Cupidon sous la neige
Chapters: 8 Completed: Oui Word count: 25629 Read: 71235 Published: 03/01/2020 Updated: 30/12/2020
Story Notes:
Un grand merci à hazalhia qui nous propose ce super concours sans craindre l'overdose de guimauve !

Vous trouverez toutes les modalités ici

1. Il y a des jours commes ça by Wapa

2. Les voyages forment la jeunesse by Wapa

3. Dans la fosse aux lions by Wapa

4. Aphrodisiaque et coquillettes by Wapa

5. La glace et le feu by Wapa

6. Telle mère, telle fille ? by Wapa

7. L'amertume du chocolat by Wapa

8. All I want for Christmas... by Wapa

Il y a des jours commes ça by Wapa

Une pile de dossiers s’abattit brutalement sur le bureau, faisant trembler son thé des Rois Mages.

— Gervais, je vous laisse les vérifier avant votre départ, annonça le despote dans un sourire factice.

Au lieu de ruiner son chemisier immaculé en lui lançant sa tasse, Claire assura d’un ton mesuré :

— Bien sûr, Madame De Torcy.

Appeler "madame" cette mijaurée qui sortait à peine des études lui écorchait la bouche sauf qu'elle n'avait pas vraiment le choix. La tyrannique blonde décolorée, sa responsable directe, était intouchable. Des bruits de couloir murmuraient même que son père était un gros investisseur de cette entreprise spécialisée dans l'import-export. Apparemment, elle avait obtenu ce poste grâce à un passe-droit. Alors Claire mettait le poing dans sa poche. Elle fixa d'un air morne le seul obstacle entre elle et ses vacances. Aujourd'hui, elle avait prévu de partir un peu plus tôt mais sa patronne despotique avait déjoué ses plans. A croire qu'elle la surveillait en douce pour surgir avec une nouvelle pile dès que la précédente était achevée.

— Salut beauté ! C'est fou comme le dépit te va bien.

Son séduisant collègue du service informatique venait de s'asseoir nonchalamment sur le bureau. Elle se perdit un instant dans ses prunelles sombres en se retenant de susurrer son prénom... Donovan. Trois syllabes qu'elle trouvait délicieusement irrésistibles, presque aussi irrésistibles que ce grand brun au teint basané qui se tenait juste en face d'elle. Ce charmeur d'origine réunionnaise, un brin réac', adepte des calembours et disciple inconditionnel de Proust, flirtait honteusement avec elle depuis des mois sans passer à la vitesse supérieure. Une distance qui la rendait folle.

— Je viens d'aller acheter des papillotes à Monoprix, reprit-il. J'ai fait une blague à la caissière qui n'a pas supermarché.

— Ha. Ha. Hilarant, répondit-elle pince-sans-rire.

A vrai dire, elle avait failli ne pas remarquer le jeu de mots tellement il était étonnant d'entendre Donovan parler spontanément de papillotes. Habituellement, il évitait toute référence à cette fête honnie entre toutes : Noël. A demi-mots, il avait blâmé le consumérisme écœurant et l'avalanche de bons sentiments mais elle n'avait pas réussi à en savoir plus. Elle, au contraire, trouvait cette période magique, pleine d'espoir et de paix. Chaque jour, elle prenait plaisir à ouvrir une case de son Calendrier de l'Avent pour déguster un chocolat fondant. Elle passait des heures à la recherche du cadeau parfait pour chacun. En boucle, elle écoutait All I Want for Christmas Is You de Mariah Carey. Enfin, elle se faisait une joie de retrouver sa famille pour festoyer lorsqu'elle aurait réussi à s'échapper des locaux de l'entreprise.

— Que vas-tu faire pour Noël ? demanda-t-elle à Donovan en entortillant machinalement une boucle brune autour de son doigt.

— Rien de spécial. Voir des amis. Peut-être partir quelques jours. Et toi ?

— Dans une heure, je suis censée être en route pour Chamonix. Autant dire que je n'y arriverai jamais avec tous ces dossiers, se lamenta-t-elle.

— Aïe ! souffla-t-il avec une moue compatissante. Tu as besoin d'aide ?

— Merci mais je préfère éviter que le dragon pique la crise du siècle.

— Je pourrais l'amadouer... aucune ne me résiste.

— Ça va les chevilles ? répliqua-t-elle en levant les yeux au ciel.

— Bon, dans ce cas, abandonna-t-il en rigolant. Passe de bonnes vacances !

— Toi aussi Casanova.

Il s'éloigna en sifflotant pendant qu'elle comptait rapidement le nombre de dossiers. Elle avait 60 minutes pour en vérifier 33. Soit 1,8 dossier par minute ! Elle n'y arriverait jamais. Découragée, elle ferma les paupières en se massant les tempes. Bien sûr qu'elle pouvait le faire. Elle allait être rapide et efficace. Ce mantra fut répété jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment remobilisée. Elle se plongea alors toute entière dans la paperasse. Ses collègues partaient un à un mais, concentrée sur sa tâche, elle leur accordait à peine un regard. Après deux heures de vérification intense, la pile diabolique était finalement terminée et le service était quasiment désert. Sa patronne était déjà partie, néanmoins elle déposa le travail effectué au pied de son ordinateur. Malgré la fermeture de l'entreprise durant les fêtes, celle-ci était parfaitement capable de repasser en plein congé pour vérifier que tout était en ordre.

Elle salua les dernières personnes encore présentes, enfila son manteau et sortit dans la grisaille lyonnaise. D'un pas vif, elle longea les vitrines décorées de bonshommes de neige malicieux ou de pères Noël bedonnants. Les passants déambulaient avec leurs achats en babillant joyeusement. Parvenant à sa voiture légèrement essoufflée, elle se glissa avec soulagement dans l'habitacle. Elle avait seulement une heure de retard sur son programme. Le trafic risquait d'être un peu plus chargé que prévu mais elle était ravie de pouvoir enfin regagner ses montagnes. Après avoir enclenché son GPS, elle mit la clef dans le contact et la tourna. Sans résultat. Étonnée, elle fixa sa clef au bout de laquelle pendaient trois pompons colorés. Tout semblait en ordre. Pas de panique. Dans la précipitation, elle avait sûrement oublié une étape. Elle ressortit la clef, la chauffa contre son pantalon dans le cas improbable où le froid serait en cause et l'inséra délicatement. En concentrant toute sa volonté sur ce simple geste, elle essaya à nouveau de démarrer. Toujours rien. Là, elle pouvait paniquer. Comment allait-elle rejoindre la Haute-Savoie ? Fébrilement, elle farfouilla dans la boîte à gants pour trouver le numéro de son assurance et l'appela sans délai.

— Groupamaaaaaaa, toujours, toujours, là pour moi... Restez en ligne, un correspondant va prendre votre appel.

Essayant d'ignorer l'entêtante musique d'ambiance, elle réfléchit à ses options. En cette période de grève, le train ne serait probablement d'aucun secours.

— Toutes nos lignes sont actuellement occupées, veuillez patienter...

Les secondes puis les minutes s'écoulaient, interminables.

— Groupamaaaaaaa, toujours, toujours là pour moi...

Un slogan mensonger de toute évidence, elle était en ligne depuis déjà un quart d'heure.

— Toutes nos lignes sont actuellement occupées. Nous vous prions de rappeler ultérieurement. Bip, bip, bip.

La communication avait été coupée. De rage, Claire donna un coup brutal sur son volant ce qui déclencha inopinément un klaxon sonore et prolongé. Un malheureux vieillard qui passait à proximité en fit les frais et frôla probablement la crise cardiaque. Alors qu'il la regardait consterné, elle agita les doigts en guise d'excuse. S'efforçant de refouler les larmes qui montaient, elle enfouit sa tête entre ses mains. L'univers lui mettait des bâtons dans les roues pour rejoindre sa famille. Soit. Mais d'une façon ou d'une autre, elle finirait bien par y parvenir. Sa sérénité regagnée, elle appela le garage le plus proche. Le répondeur s'enclencha avec un message annonçant leur fermeture durant les fêtes. Elle vérifia ensuite le site de la SNCF. Évidemment, il n'y avait aucune disponibilité. Il lui restait donc le covoiturage. Au moins, ça lui rappellerait ses années étudiantes lorsqu'elle était jeune et fauchée.

Sur la plateforme en ligne, un certain Solal proposait un départ pour Chamonix dans 30 minutes, à un prix défiant toute concurrence. Il n'y avait pas de photo du conducteur et peu d'avis sur ses précédents voyages mais elle n'avait pas vraiment le choix. Elle envoya sa demande et attendit nerveusement la réponse. Heureusement, celle-ci fut quasiment immédiate. Il avait accepté. Claire avait juste le temps de se rendre au point de rendez-vous. Elle se précipita sur le coffre. Plein. Sa valise n'était pas la seule à envahir l'espace. Il y avait aussi une multitude de cadeaux dont un volumineux garage en bois à trois niveaux. Elle avait hâte de l'offrir à son neveu, néanmoins prendre le métro aussi chargée était exclu. Avec un culot indéniable et juste un soupçon de honte, elle envoya un message au conducteur en lui demandant s'il était possible de faire un détour pour la récupérer. Nécessité faisait loi. A nouveau, sa réponse ne tarda pas mais la laissa quelque peu perplexe. Il l'encourageait à prendre contact avec un certain Jean-Louis en lui indiquant ses coordonnées. C'était donc une de ces journées où rien ne se déroulait comme prévu. Quelques secondes hésitante à l'idée de contacter un étranger sans savoir pourquoi, elle se décida finalement. Après tout, ce n'était qu'un simple appel.

— Allo ? Je suis Claire, c'est Solal qui m'envoie.

— Eh ! Super ! On est à l'Aloha, si tu arrives à nous rejoindre.

La brune haussa les sourcils en cherchant à mettre du sens sur ce qu'elle venait d'entendre. Ce Jean-Louis la tutoyait comme s'ils étaient des amis d'enfance, ce qui n'était évidemment pas le cas, et il voulait qu'elle les rejoigne dans un bar à tapas.

— Heu... c'est-à-dire... en fait, j'espérais que Solal pourrait plutôt me récupérer.

— Il vient juste de partir.

Évidemment. Son trajet à un prix imbattable devait être une arnaque. Sa mère lui avait pourtant assez répété : il ne fallait jamais faire confiance aux inconnus. Mais elle avait vraiment besoin de ce covoiturage alors elle insista malgré tout :

— Comment ça, il est déjà parti ? J'ai réservé un covoiturage avec lui pour Chamonix !

— Ah c'est pour le covoit' ? Je pensais que tu voulais les tracts.

— Écoutez, laissez tomber, s'agaça-t-elle. Je vais essayer de le contacter directement. Merci.

Et elle lui raccrocha au nez. Les pires scénarios l'assaillaient. Elle allait devoir passer Noël ici. Seule. Dans un appartement sens dessus dessous, avec un paquet de pâtes en guise de repas du réveillon puisque ses placards étaient vides. C'était un cauchemar. Un appel la tira de ses sombres pensées. Le numéro du conducteur louche s'affichait.

— Allo ?

— Bonjour, c'est Solal, pour le covoiturage. Je suis désolé, il y a eu un malentendu.

— Vous allez bien à Chamonix ?

— Oui, tout à fait.

Ignorant tous les voyants rouges que son esprit paniqué lui envoyait - c'était manifestement un détraqué ou un psychopathe - elle décida de persévérer.

— Serait-il possible de faire un détour pour venir me chercher ? Je suis assez chargée.

— Pas de problème. Donnez-moi l'adresse.

Elle termina cette conversation relativement soulagée. Même s'il était encore trop tôt pour crier victoire, le covoiturage était confirmé et elle avait trouvé une solution pour ses bagages. Restait le comportement douteux de cet énigmatique Solal. Une fois face à elle, il lui serait plus facile de déterminer s'il était digne de confiance ou non. S'il se révélait peu fiable, elle pourrait toujours prétexter une urgence et s'enfuir à toutes jambes.

Une bonne demi-heure plus tard, une vieille Clio grise s'arrêta devant elle. Un grand blond à la peau dorée en sortit, probablement le fameux Solal. Une mèche rebelle taquinait son regard caramel et il avait un piercing à l'arcade. Malgré cela, il présentait plutôt bien avec son joli minois et cette assurance tranquille. Elle s'avança :

— Je suis Claire.

— Solal, répondit-il en lui serrant la main. Vraiment désolé pour tout à l'heure.

Ce salut cérémonieux la vexa un peu. Il avait dû estimer qu'elle était trop âgée pour recevoir une bise légère et amicale. Pourtant, elle se considérait encore suffisamment jeune. Après tout, elle n'avait que 29 ans. Cette attitude eut au moins le mérite de la rassurer sur son sérieux.

— Pas de souci, déclara-t-elle dans un sourire. J'ai eu une petite frayeur mais je suis contente que le covoiturage ait bien lieu. D'ailleurs, je n'ai pas compris, pourquoi ce Jean-Louis voulait que je récupère des tracts ?

Gêné, Solal passa une main dans ses cheveux avant d'avouer :

— J'ai lu ton message un peu vite. On organise une manif' étudiante à la rentrée et j'ai cru que tu voulais rejoindre le mouvement. On avait un meeting à l'Aloha.

— Une manif', rien que ça ! Et qu'est-ce que tu étudies au juste ?

— La philo. Je suis en dernière année. Et toi, que fais-tu ?

— Je travaille dans l'import-export.

Il ouvrit le coffre déjà bien rempli où elle réussit à charger sa valise et la plupart de ses cadeaux. Tous sauf un. L'énorme garage en bois ne rentrait pas. Désemparée, elle fixa son chauffeur avec une grimace contrite.

— Il y a de la place à l'arrière. On ne sera que trois à priori.

Elle se glissa dans la voiture en installant son précieux paquet à ses côtés alors que Solal prenait le volant.

— Voici Moussa, annonça-t-il simplement en désignant le passager à sa droite, camouflé par une large capuche.

— Salut Moussa.

— Salut, concéda-t-il, manifestement taciturne.

La Clio s'engagea dans la circulation chargée du périphérique. Se relâchant contre son siège, Claire remercia le ciel d'être enfin en route pour Chamonix. Dans trois heures, si le destin arrêtait ses caprices, elle verrait le Mont Blanc. Mais avait-il vraiment dit son dernier mot ?

Les voyages forment la jeunesse by Wapa
Tandis que la Clio filait sur l’autoroute, Claire bavardait avec le conducteur, légèrement avancée pour couvrir les bruits du moteur. Des livres qui les avaient marqués en passant par les derniers films vus, sans oublier les adresses lyonnaises incontournables, les sujets ne manquaient pas. Lorsqu’elle ne croisait pas son regard dans le rétroviseur, la jeune femme en profitait pour admirer en douce son joli profil, un nez droit et un menton volontaire. Moussa, quant à lui, était aussi muet qu’une tombe. Malgré leurs relances successives, il ne semblait pas d’humeur à participer et ils avaient fini par le laisser tranquille.

— Que vas-tu faire après la philo’ ?

— Je ne sais pas trop. Quelque chose qui n’existe pas encore, j’imagine. Le monde professionnel est si formaté. Tellement rigide. Alors que moi, j’ai besoin de créer, d’élaborer. Je n’ai pas envie d’entrer dans une case, tu vois ? Peut-être que je ferai une année sabbatique. Ça me dirait bien d’aider une association.

— J’aurais adoré faire de l’humanitaire après mes études.

— Pourquoi tu ne l’as pas fait ?

— A vrai dire, tout s’est enchaîné. Mon dernier stage a débouché sur une offre de CDD renouvelable. J’aimais bien l’entreprise. L’équipe était sympa. Du coup, j’ai accepté. Trouver un premier poste aussi rapidement n’était pas gagné d'avance. Je ne voulais pas laisser passer une telle occasion.

— Je comprends. Et qu'est-ce que tu fais exactement dans l’import-export ?

— Je suis chargée de communication.

Au sein de son service, elle veillait à l'image de l'entreprise, organisait des événements, assurait le suivi des relations avec les partenaires, élaborait les brochures ou rédigeait les communiqués. Un métier qu'elle trouvait extrêmement riche et vivant, loin de la routine ou de l'ennui. Enfin ça, c'était avant. Lorsqu'elle était la préférée du responsable et qu'il lui laissait carte blanche. Malheureusement, ce cher Henri avait pris sa retraite et une fille à papa aux dents longues l'avait remplacé. Maintenant sous le joug de cette mijaurée, la créativité et la polyvalence de son poste n'étaient plus d'actualité. La blonde l'avait transformé en un vulgaire emploi administratif. Simple sous-fifre, Claire n'avait plus voix au chapitre pour définir la stratégie de communication.

Quelques gouttes éparses s’écrasèrent contre le pare-brise. Solal s’éclaircit la gorge, visiblement mal à l’aise.

— Je ne vous ai pas prévenus. Ma voiture s’est faite vandaliser hier soir et l'essuie-glace gauche a été cassé. J'en ai acheté un nouveau sauf que je n’ai pas réussi à l’enfiler. Ça doit venir de l’attache. Mais ne vous inquiétez pas ! S’il pleut, je suis sûr que la vitesse sera suffisante pour permettre à l’eau de s'évacuer sans difficulté.

Claire était septique mais pas forcément alarmée. Aux dernières nouvelles, la météo n’annonçait aucunes précipitations. D'ailleurs, les gouttelettes s'étaient déjà arrêtées. Elle reprit donc tranquillement la discussion :

— Tu fais les fêtes en famille ?

— Avec mon père et ma nouvelle belle-mère, soupira-t-il. Je n'ai rien contre elle, hein ! Elle est charmante et tout. Sauf qu’ils viennent de se marier et être dans la même pièce qu'eux est légèrement écœurant. Elle l'appelle à longueur de journée « mon poussin » comme s'il était encore un gamin. Insupportable. Si au moins j'avais l'excuse d'une belle-famille pour éviter ça mais même pas. Je vais devoir tenir la chandelle, râla-t-il.

De cette tirade, la brune enregistra surtout que le craquant philosophe était célibataire. Avant de se sermonner vertement. Il était toujours étudiant et de surcroît bien trop jeune pour elle. Malgré tout, elle devait reconnaître qu’elle n’était pas insensible à son charme tranquille et à son ouverture d'esprit. Depuis le début du voyage, la conversation entre eux avait coulé avec naturel, sans effort. Comme s’ils se connaissaient déjà. Une pluie fine stoppa le fil de ses pensées. Cette fois, l'orage ne semblait pas passager. Le silence se fit dans l'habitacle pour ne pas troubler la concentration du chauffeur. Étonnamment, les premières minutes semblèrent confirmer son improbable théorie.

— Je vous l'avais bien dit ! constata-t-il avec fierté. Grâce à la vitesse, on arrive à voir correctement.

Probablement pour le punir d'avoir crié victoire aussi rapidement, sitôt avait-il prononcé ces mots qu'un déluge s'abattit sur la Clio. Des torrents comme Claire en avait rarement vus. Tapant violemment sur la carrosserie, les trombes d'eau envahissaient le bitume. Le pare-brise n'offrait évidemment plus aucune visibilité. Solal ralentit brusquement et une voiture les dépassa en klaxonnant furieusement. Par miracle, il n’y avait maintenant plus personne derrière eux.

— Je vous promets que je fais tout mon possible pour vous garder en vie, assura-t-il solennellement le nez collé au pare-brise.

Il conduisait manifestement à l’aveugle. Claire réprima un rire nerveux. C'était tellement surréaliste. Elle ne pouvait pas mourir dans ce covoiturage juste avant Noël. C’était un temps béni où rien de grave ne pouvait arriver. Sa famille ne s’en remettrait jamais.

— Il faut s’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence, lui conseilla-t-elle.

Heureusement, quelques mètres plus loin, il parvint à se mettre en sécurité alors que l'orage redoublait d’intensité. S’appuyant contre son appui-tête, le blond était livide et étonnamment amorphe. Comme si l’épisode l’avait vidé de toute son énergie. Au contraire, toutes les ressources de Claire semblaient mobilisées pour les sortir de là.

— Tu as acheté un nouvel essuie-glace, non ?

— Il est dans le coffre, annonça-t-il impassible.

— Peut-être que tu pourrais échanger le mécanisme de gauche avec celui de droite, suggéra-t-elle.

— J'ai essayé. Le mécanisme est bloqué, répondit-il automatiquement.

— Tu as déjà tenté d’inverser les deux mécanismes ? reformula-t-elle en ajoutant des gestes. L'essuie-glace de droite fonctionne. Je suis sûre qu'il doit y avoir un moyen pour l'utiliser et te garantir une vue dégagée.

— Non. Non. Ce n'est pas possible, s’entêta-t-il.

Claire voyait bien qu’il était sous le choc. Ses arguments avaient été balayés sans qu'il n'y réfléchisse vraiment. Et Moussa, toujours mutique, ne lui était évidemment d’aucune aide. Avec une fébrilité grandissante, elle voyait le jour baisser. Bientôt, il ferait nuit et leur piètre visibilité deviendrait quasi nulle. Ils devaient se dépêcher. Profitant d’une légère accalmie, elle proposa une fois de plus :

— Je crois que le temps se calme. On pourrait rejoindre l'aire de repos la plus proche pour bricoler quelque chose. Solal ?

Entendre son prénom sembla agir comme un électrochoc sur lui. Reprenant ses esprits, il s'ébroua et approuva enfin sa proposition. Alors que la pluie se clairsemait, la Clio repartit prudemment sur la chaussée mouillée jusqu'à l'aire en question. Solal se gara près de la station-service puis tâtonna sous son volant en cherchant à ouvrir le capot.

— Il n’y a pas un manuel explicatif quelque part ? l’interrogea-t-elle agacée par son manque d'efficacité.

— T'inquiète pas, ça doit être ici, la rassura-t-il nonchalamment.

Les minutes s'écoulaient et il ne semblait pas beaucoup plus avancé. Manifestement, ce philosophe n’avait pas un sens pratique très développé. Impatiente, elle encouragea Moussa à fouiller dans la boîte à gants. Rapidement, il mit la main sur le manuel et les renseigna sur la localisation de la manette. Deux hommes dans cette voiture et c'était encore à elle de résoudre un problème mécanique. Le monde tournait à l'envers ! Une fois le capot ouvert, Solal examina attentivement l’embranchement des essuie-glaces et déclara qu’une inversion semblait effectivement envisageable. Elle se mordit la langue pour éviter de rappeler en fanfaronnant qu’il s’agissait de son idée. En quête d'un tournevis, le blond s’engagea alors dans la supérette décorée de guirlandes lumineuses bon marché pour ressortir bredouille quelques minutes plus tard.

— Il n'y a pas d'outils et le garage le plus proche est fermé. Par contre, la caissière m’a conseillé d'aller sur le parking des camionneurs pour trouver de l’aide.

— Tu veux que je vienne avec toi ? proposa-t-elle.

— Si tu en as envie.

— Non... mais tu sais... bredouilla-t-elle gênée. Des camionneurs. Une femme. Ça peut les encourager.

Claire sentit ses joues rougir sous l'intensité de son regard. Il n'avait quand même pas besoin d'un dessin, si ?

— Ne le fais pas pour ça ! se récria-t-il en fronçant les sourcils. Je peux très bien y aller tout seul.

Sa réaction lui donna vaguement mauvaise conscience même si elle appréciait son côté gentleman. Certes, ce sous-entendu était rétrograde. Les féministes se seraient probablement étouffées dans leur mépris en entendant une telle suggestion. Mais pour sa défense, elle avait déjà expérimenté à quel point les hommes pouvaient se montrer empressés auprès d'une demoiselle en détresse. Finalement, il s'avéra que Solal n'avait pas besoin d'une présence féminine pour obtenir de l'aide. Un camionneur fort sympathique s'était proposé et la Clio fut déplacée jusqu'à son camion alors que le jour déclinait. Tout fier, Solal ouvrit son capot - maintenant qu'il avait appris à le faire - et éclaira avec son téléphone le cinquantenaire dégarni en action. A grands renforts d'huile et de jurons, celui-ci réussit à inverser les deux embranchements et le nouvel essuie-glace fut fixé dans le soulagement général. Après avoir chaleureusement remercié leur sauveur, ils remontèrent dans la Clio, grisés par la résolution inattendue de ces mésaventures.

Quittant le parking faiblement éclairé, Solal fit soudainement une embardée et freina dans un crissement de pneus. Il avait failli percuter un passant. Celui-ci s'était quasiment jeté sous ses roues et dans l'obscurité grandissante, il s'en était fallu d'un cheveu. Une main sur son cœur tambourinant, Claire se promit d'allumer un cierge si elle sortait vivante de ce covoiturage de l'extrême. Solal baissa sa vitre et une vieille dame avec un fichu sur la tête s'approcha. D’une voix chevrotante, elle lui demanda s'il pouvait la conduire jusqu'à chez elle. Le philosophe accepta généreusement en imaginant probablement qu’il s’agissait d’un bref détour. Celle-ci le détrompa toutefois en indiquant qu’elle se rendait à Chamonix. Comme eux. La coïncidence était tout de même troublante. Ni une, ni deux, elle fut invitée à monter dans la voiture. S’ensuivit un joyeux remue-ménage où Claire réussit à décaler le volumineux garage en bois pour libérer une place à l'arrière. Une âcre odeur de renfermé la prit à la gorge lorsque la grand-mère s’installa à ses côtés. De sa chaussure trouée dépassait un gros orteil fripé et elle avait pour seul bagage une demi-baguette enveloppée dans un sachet plastique.

— Comment êtes-vous arrivée sur cette aire d'autoroute ? s’inquiéta Claire en remarquant son aspect négligé.

— J'ai oublié mes clefs et la supérette m'a contactée pour que je vienne les chercher.

Ces propos nébuleux ne la rassurèrent pas vraiment. Cette vieille dame incohérente s'était peut-être échappée de sa maison de retraite. Claire allait partager son inquiétude à voix haute lorsque la grand-mère lui glissa une carte de visite avec une adresse à Chamonix. Soulagée, la jeune femme renonça à l'interroger plus en détails pendant que celle-ci murmurait encore :

— Méfiez-vous du chocolat.

Définitivement confuse. Solal manqua de s'étrangler et Claire pouffa discrètement en simulant une quinte de toux. Ce n'était pas si drôle mais le contrecoup ne les aidait certainement pas à conserver leur sérieux. La voiture redémarra donc joyeusement en direction des montagnes. Claire s’appuya contre la vitre en se laissant bercer par le roulis lorsque son téléphone vibra. Un message de sa mère.

[Ma chérie, nous t’attendons pour le repas. Si tu veux venir accompagnée, n'hésite pas.]

Il avait beau débuter par un mot doux, cela n’atténuait pas son amertume. Toujours célibataire à presque 30 ans, Claire était considérée comme le cas désespéré de sa famille. Mignonne mais trop exigeante. En ce moment, elle était déjà suffisamment à fleur de peau concernant son célibat et elle n’était pas sûre d'avoir les nerfs assez solides pour supporter les remarques maternelles. Ça allait lui gâcher Noël. Sa fête adorée. Sauf si... Elle avait bien une idée. Une idée complètement folle. Oserait-elle ?

— Solal ?

— Mmmh.

— Tu as failli nous tuer, tu en as conscience ?

— Je suis désolé. Sincèrement.

— Tu as une dette envers moi, certifia-t-elle dans une assurance factice.

— Je suppose, accorda-t-il prudent.

— J'ai besoin... vraiment besoin...

Mince. Elle ne savait pas comment le formuler.

— J'ai besoin d'un compagnon pour Noël, se lança-t-elle finalement. Il faut que ma mère soit persuadée qu'on est ensemble tous les deux. Je t'invite chez moi, tu joues la comédie quelques jours et ensuite je considérerai que nous sommes quittes.

Elle avait osé. Elle le regrettait déjà. Solal semblait légèrement choqué. La joue contractée, il restait muet et prenait grand soin d’éviter son regard dans le rétroviseur. Il était bien plus prude qu’elle ne l’avait imaginé. Pour elle, tous les étudiants en philosophie étaient avides de nouvelles expériences et n’avaient pas froid aux yeux. Apparemment, ce cliché ne s’appliquait pas à Solal. Perdue pour perdue, elle persista tout de même en lui adressant son sourire le plus charmeur.

— Après tout, il te fallait une excuse pour échapper à Noël avec ton père, non ?

Seul le silence lui répondit. Elle était définitivement allée trop loin. Un faux-couple. Quelle idée absurde ! Cela n'arrivait que dans les comédies romantiques à l’eau de rose. Cela n'existait pas en vrai. Ce râteau monumental resterait évidemment son secret. Ce qu'il s'était passé dans cette voiture resterait dans cette voiture. Chacun repartirait de son côté et elle ne raconterait ce malencontreux refus à personne. PERSONNE. Enfin, peut-être à sa sœur jumelle, mais cela ne comptait pas vraiment. Alors qu’elle se préparait à vivre la fin de ce voyage dans une discrétion exemplaire, Solal s’éclaircit la gorge pour annoncer sérieusement :

— D'accord.

— D'accord ? répéta-t-elle surprise.

Elle n'en revenait pas. Ça avait marché.

— C'est vrai, j'ai risqué ta vie ce soir. Tu as raison. C'était dangereux et inconscient. Trois jours et ma dette sera effacée. Et ne t'attends pas aux mêmes faveurs Moussa, ok ? clarifia-t-il avec son passager de droite qui opina brièvement.

Claire résista à son envie d’exécuter une chorégraphie de la victoire. Solal devait déjà douter de sa santé mentale, ce n'était pas la peine d'en rajouter.

— Génial ! s’exclama-t-elle ravie. Il nous reste une heure pour mettre au point les détails techniques.
End Notes:
Voici donc un vrai cliché bien assumé (ou pas) xD N'hésitez pas à me donner votre avis et à bientôt (j'espère) pour le chapitre 3 !
Dans la fosse aux lions by Wapa
Claire avait le trac. Elle se tenait hésitante devant la couronne lumineuse de la porte d'entrée, hantée par les failles de son plan. Cette idée de faux couple allait devenir le fiasco du siècle. Sa famille - sa mère surtout - risquait de découvrir le pot aux roses en moins de temps qu'il n'en fallait pour dire "Joyeux Noël". Sa réputation serait irrécupérable et elle serait la risée de tous jusqu'à sa mort .

— Sympa le cadre, dit Solal avec un air serein comme si elle ne s'apprêtait pas à le jeter dans la fosse aux lions.

Enseveli sous la neige, le grand chalet avait effectivement belle allure avec ses façades en bois clair et ses baies vitrées. Dans l'obscurité de la nuit étoilée se devinaient aussi les massifs environnants : le Mont Blanc, les Aiguilles de Chamonix, l’Aiguille Verte et les Drus. Claire aurait bien commenté le paysage pour repousser le moment fatidique mais le froid s'insinuait sournoisement dans le moindre interstice de ses vêtements. Si elle ne voulait pas se transformer prochainement en glaçon, elle allait devoir courageusement affronter la situation. Elle se résolut donc à sonner. Sa mère apparut dans un brushing impeccable et la salua avec effusion. Discrètement, Claire en profita pour aplatir ses propres boucles brunes qui semblaient animées d'une vie propre. Peine perdue. Solal se tenait dans l'ombre, légèrement en retrait, et sa mère ne l'avait pas encore remarqué.

— Seigneur ! s'écria-t-elle en sursautant lorsqu’il s’avança finalement.

— Surprise ! annonça Claire dans un sourire crispé sans savoir quoi ajouter.

Décontenancée, sa mère dévisagea l’inconnu un peu plus longtemps que ne l’autorisait la bienséance avant de se reprendre.

— Viviane, se présenta-t-elle chaleureusement.

— Bonjour Madame, je suis Solal, répondit-il cérémonieusement.

— Ne m'appelle pas Madame voyons ! minauda-t-elle en ignorant sa main tendue pour lui faire directement deux bises sonores. Tu peux m’appeler Viviane ou... belle-maman peut-être ?

— Très bien belle-maman, acquiesça-t-il en confirmant ainsi son statut de petit ami.

Vivifiée par cette annonce aussi soudaine qu’inattendue, Viviane Gervais saisit fermement son nouveau gendre pour l'entraîner à l’intérieur. Abandonnée telle une indésirable, Claire suivit bon gré mal gré, bien décidée à ne pas les lâcher. Seulement sa surveillance rapprochée fut contrariée dès le hall d'entrée par une tornade qui la percuta de plein fouet.

— Tata, tata ! Le Père Noël va passer demain soir ! Mais il faut dormir sinon il ne viendra pas, annonça Hugo sérieusement du haut de ses trois ans et demi.

— Pè’ Noë’, Pè’ Noë’ ! surenchérit Timothée en sautillant dans sa grenouillère.

Ravie, Claire se pencha pour les embrasser. Dans son pyjama orange, Hugo lui tendit docilement une joue rebondie avant de s'échapper en criant d'excitation. Heureusement, Timothée était prêt à lui fournir une dose de tendresse plus satisfaisante. Celui-ci tendait d'ailleurs ses bras potelés et elle l'attrapa pour échanger un long bisou esquimau. Passant dans le salon avec le bambin, elle admira avec lui l’immense sapin qui embaumait la pièce, parsemé de bâtons de cannelle et de rondelles d'orange. A ses pieds, elle reconnut la crèche de son enfance fabriquée par son grand-père, un chalet miniature avec de jolis santons. Il y avait aussi une énorme couronne de l'Avent où quatre bougies brûlaient sur des branches de houx. Avec une nouvelle thématique chaque année, sa mère avait un talent indéniable pour la décoration.

— Regarde tata comme je saute haut ! s'époumona Hugo depuis le canapé.

— Descends de là ! Tu vas te faire mal ou casser quelque chose. Mamie sera très fâchée, le sermonna-t-elle.

Sa légendaire autorité n'eut strictement aucun impact. Pire, son neveu redoubla d'ardeur. Posant Timothée au sol, Claire se prépara à intervenir lorsque sa sœur apparut, accompagnée par Solal.

— Hugo, ça suffit ! gronda Anna. Tu descends tout de suite.

L'ordre maternel eut plus d'efficacité. Avec un air de chien battu, le chenapan échevelé s’arrêta brusquement pour se laisser glisser au sol tel un pantin désarticulé. A peine quinze secondes plus tard, il tournoyait bruyamment dans la pièce en imitant la fusée. Cet enfant avait décidément bien trop d'énergie. Sa sœur soupira, découragée.

— Je m'en occupe, proposa généreusement Solal. J'ai le coup avec les enfants.

— Mon sauveur, répondit la jeune mère avec soulagement. Je vais en profiter pour montrer à Claire ma tenue de Noël. Il me faut absolument son avis, ajouta-t-elle avec un clin d'œil complice à sa sœur.

Evidemment, ce n'était qu'un prétexte pour lui extorquer ses plus sombres secrets. Sans cérémonie, elle fut donc entraînée à l’étage en abandonnant Solal aux deux fauves. Le pauvre. Il n'allait jamais tenir les trois jours requis à ce rythme-là. Dans quelques heures, il lui annoncerait qu'il regrettait ce stupide engagement et qu'il n'avait aucune envie d'être accaparé constamment comme le fils prodigue qu'il n'était pas.

— Pitié, donnez-moi de l'arsenic, lança théâtralement Anna en s'effondrant sur son lit.

— Tu exagères. Hugo est vraiment adorable lorsqu'il se prend pour une fusée, la taquina Claire ce qui lui valut de recevoir un coussin en pleine face.

Contempler sa jumelle revenait à jouer au jeu des sept erreurs. Petites, elles se ressemblaient tant qu'elles pouvaient échanger leur identité sans se faire démasquer. En grandissant, les différences s'étaient toutefois accentuées. Certes, elles avaient quasiment la même taille et cette silhouette gracile avec les épaules légèrement voûtées. Néanmoins, les boucles d'Anna attachées à la va-vite étaient plus foncées. Des cernes violacés attestaient aussi de sa fatigue et ils atténuaient le vert de ses yeux. Son nez était plus court et elle avait un grain de beauté sur la pommette droite. Enfin, personne ne pouvait ignorer le ventre rebondi qui tirait sur sa tunique. Bébé numéro 3.

— Alooooors...reprit Anna avec convoitise en se redressant sur les coudes. C’est qui ce mec ? Il est à tom-ber ! En plus, il s’occupe de mes enfants. Le rêve. Si je n’étais pas déjà mariée, je l’épouserais sur-le-champ !

Anna ou l’enthousiasme personnifié. Heureuse en ménage, celle-ci avait rencontré Paul au lycée et depuis, ils filaient le parfait amour. La veinarde. Habitant à cinq minutes du chalet familial, sa sœur passait souvent, surtout lorsque son mari, pompier volontaire, était de garde.

— Quelle petite cachottière quand même, râla-t-elle pour la forme en lui lançant un deuxième oreiller qui fut cette fois esquivé habilement. Je croyais que tu me disais tout ! Ça fait longtemps que vous êtes ensemble ?

— Heu... deux heures ? avoua Claire du bout des lèvres.

Bien sûr, rien ne l’obligeait à révéler la vérité même s’il était presque impossible de cacher quoi que ce soit à sa jumelle. Toutefois, elle avait un besoin quasi vital de soulager sa conscience. Tout son corps irradiait la tension et la culpabilité. Cet avis extérieur, même s’il n’était pas forcément objectif, la renseignerait aussi sur son degré de folie.

— Comment ça, deux heures ? s'exclama Anna perplexe.

— Ma voiture est tombée en panne, j'ai réservé un covoiturage avec Solal. Il avait un problème d’essuie-glace et il a failli tous nous tuer à cause de la pluie. Du coup, pour se faire pardonner, il a accepté d’être mon faux petit ami, débita-t-elle dans un souffle.

— Attends, tu veux bien reprendre calmement depuis le début ? réclama sa jumelle en lui faisant signe de la rejoindre sur le lit.

Elle ne se fit pas prier deux fois. Arrivant à la fin de son récit, elle attendit nerveusement la réaction de sa confidente. Habituellement pétillante, celle-ci semblait étrangement réservée.

— Dis quelque chose. N’importe quoi !

Les commissures de ses lèvres tressaillirent et Anna fut bientôt secouée de rires irrépressibles. Une hilarité qui ne tarda pas à gagner sa jumelle. La boule dans son ventre s’atténua et elle se sentit beaucoup plus détendue après ce fou rire.

— Tu es tarée ! conclut finalement Anna en essuyant ses larmes. Tu vas me faire accoucher prématurément avec tes histoires. Il n'y a vraiment que toi pour te mettre dans de telles situations.

— A situation désespérée, solution désespérée, affirma-t-elle d’un ton docte.

— N’importe quoi ! Tu n’es pas désespérée, c’est juste que tu t’intéresses aux mauvaises personnes, voilà tout.

— Motus et bouche cousue alors ?

— Je serais une tombe, l'assura-t-elle. Et puis, pour un prétendant de dernière minute, je trouve Solal particulièrement bien choisi.

— Sauf qu’il est super jeune !

— Ah oui ?

— Il a 22 ans.

— C'est ridicule d'avoir des scrupules pour si peu ! Qu’est-ce que tu es vieux jeu Claire ! osa sermonner cette femme au foyer mariée à son amour de jeunesse. Il n'y a plus personne pour remarquer ce genre de différence maintenant.

Après avoir frappé discrètement à la porte, un cinquantenaire grisonnant aux yeux d’un bleu intense passa la tête dans l’entrebâillement.

— Alors comme ça, on ne vient même plus saluer son père ?

Claire se leva d’un bond pour se précipiter sur lui.

— Votre mère était dans tous ses états. Elle avait prévu un repas tout simple mais cela ne suffisait pas pour un invité . Je lui ai proposé de faire une fondue. Est-ce que Solal aime le fromage ?

— Il adore, s’avança Claire alors qu’elle n’en avait aucune idée.

En redescendant dans le salon, elle fut surprise par le calme qui y régnait. Solal n'avait pas menti sur son aptitude avec les enfants. Confortablement installé sur le canapé avec un garçon de chaque côté, il lisait de façon expressive une histoire de renne qui n'aimait pas Noël. Suçant son pouce, Timothée serrait contre lui son doudou. Quant à son frère, il paraissait captivé par le récit.

— Il est bon à marier celui-ci, la taquina Anna en chuchotant. Tu crois qu'il serait d'accord pour prolonger ton bail ?

Claire lui donna un coup de coude qui la fit pouffer. La situation était déjà suffisamment compliquée sans que sa sœur ne se mette à jouer les entremetteuses. Celle-ci annonça d'une voix claironnante qu'il était temps d'aller se coucher et les enfants se levèrent de mauvaise grâce. Elle s'éclipsa pour les border tandis que les adultes restants s'installaient autour du caquelon à fromage. Claire juste à côté de Solal.

— Alors ma chérie, raconte nous tout. Comment vous êtes-vous rencontrés ? interrogea sa mère en plongeant un morceau de pain dans l'onctueuse fondue.

L'inévitable enquête maternelle. Pour éviter les faux pas, ils avaient élaboré une version au plus proche de la réalité. C'était maintenant l'instant de vérité.

— On s'est croisés dans un bar à tapas, la renseigna-t-elle en gardant un visage impassible même si ses doigts jouaient nerveusement avec la serviette en papier. Solal participait à un meeting. Il a cru que je voulais me joindre à eux alors que j'allais seulement lui emprunter une chaise. Sur ce malentendu, on a commencé à discuter et...

—... on ne s'est plus quittés, termina-t-il en posant affectueusement sa main sur la sienne.

Touchée par son intervention, elle se tourna vers lui. Tout y était. Le sourire de connivence. Le regard caressant. Ses doigts qui s'entrelaçaient aux siens. Même si elle savait pertinemment qu'il ne s'agissait que d'une façade, elle avait presque envie d'y croire elle-même. Bluffant. Elle n'aurait pas pensé qu'il se prête au jeu avec tant de sérieux. Sa prestation la rassurait toutefois. Elle n'était pas seule dans cette galère. Un raclement de gorge la fit revenir à la réalité. Sa mère les fixait, attendrie mais bien déterminée à aller au bout de sa liste de questions.

— Un meeting ? relança-t-elle.

— Pour organiser une manifestation, l'informa Solal. Je suis étudiant en philosophie.

A cette nouvelle, son père haussa les sourcils et sa mère pinça les lèvres. Ses parents avaient toujours accordé une importance démesurée à la sécurité matérielle et ils devaient considérer avec inquiétude ses perspectives d'avenir. Eux-mêmes n'auraient jamais encouragé leur progéniture à suivre des études offrant aussi peu de débouchés. L'atmosphère policée se fissurait et une certaine tension commençait à sourdre. Heureusement, sa sœur les rejoignit à cet instant ce qui eut le mérite de faire diversion.

— Aux amoureux, trinqua celle-ci avec sa tisane alors qu'ils l'accompagnaient en levant leur verre de vin blanc.

Comme un signal, l'interrogatoire repartit de plus belle. Avait-il des pistes pour trouver un travail à la fin de son Master ? Évidemment. Était-il de la région ? Oui, tout à fait. Qui étaient ses parents ? Sa mère était morte et son père était un adjoint assez connu sur la commune. Avait-il des frères et sœurs ? Non. Skiait-il ? Ça lui arrivait. Et ainsi de suite. Sa mère passait en revue tous ses critères du gendre idéal. Un examen en bonne et due forme qui ne semblait pas le moins du monde émouvoir Solal. Au-dessus du caquelon, il répondait volontiers et relançait même la conversation, tout en maîtrisant l'art de la fondue. Malgré sa jeunesse, son manque de solvabilité évident et son piercing à l'arcade qui attirait quelques regards maternels désapprobateurs, il était en définitive un prétendant tout à fait honorable. Après tout, il était originaire de Chamonix, d'une famille respectable et connue, plutôt charmant, intéressant, doué avec les enfants et il avait en plus le mérite de mettre fin à son célibat prolongé. C'était probablement plus que sa mère n'aurait osé l'espérer pour Noël et son air satisfait le lui confirma à la fin du repas.

La vaisselle terminée, Solal récupéra leurs bagages et Claire le conduisit jusqu'à sa chambre. Même s'il était quasiment un inconnu, elle ne pouvait décemment pas le laisser dormir sur le canapé. Une option qu’elle aurait de loin préférée mais cela aurait paru suspect. Refermant la porte, elle se retrouva pour la première fois seule avec lui depuis le début de la soirée. Gênée, elle chercha à se donner une contenance en s’occupant de sa valise. Dans son univers d'adolescente, elle se sentait étrangement exposée. Comme si une part de son intimité était révélée. Ces photos collées au mur. Ce poster de Muse. Ces quelques dessins au fusain représentant des scènes apocalyptiques. Solal s'approcha d'ailleurs pour mieux les observer.

— C'est de toi ?

Elle acquiesça en relevant la tête de ses affaires.

— Tu es douée.

— J'étais douée, rectifia-t-elle.

— Tu ne dessines plus ? demanda-t-il surpris en se tournant vers elle. Pourquoi ?

— Je ne sais pas, répondit-elle en haussant les épaules. Avec les études sup' puis le travail, j'ai laissé tomber. Sans vraiment réaliser. J'ai juste arrêté.

— C'est dommage.

Il avait raison évidemment. Surtout qu'elle avait du potentiel avec son style sombre et torturé. A l'époque du lycée, ses camarades étaient souvent impressionnés par son trait de crayon et elle s'amusait à croquer tout ce qui lui passait sous les yeux. Depuis combien de temps n'avait-elle pas dessiné ? Une éternité.

— Ta sœur a l'air cool, reprit-il en désignant une photo de famille.

— Anna est géniale. On est très proches. J'ai aussi un petit frère, Thomas, lui montra-t-elle en se rapprochant. Il vit à Londres avec sa copine. Ma mère va les récupérer demain matin à l'aéroport.

Il opina sans rien ajouter.

— Heu... j'ai un tapis de sol normalement.

Elle fouilla un moment dans son placard avant de finalement le retrouver.

— Du coup, je te laisse mon lit.

— Hors de question, répliqua-t-il en lui prenant par surprise le tapis des mains.

— J'insiste, s’entêta-t-elle en essayant sans succès de récupérer l'objet.

— Moi vivant, je ne laisserai pas une fille dormir au sol pendant que je profite d'un matelas confortable. C'est non négociable. Sinon le pari est caduc.

— Tu oses me menacer ? protesta-t-elle en roulant les yeux.

— Exactement, confirma-t-il dans un sourire ravi.

A peine avait-il prononcé ces mots qu'elle se jeta sur lui pour le chatouiller. Cette technique s'était toujours révélée infaillible dans sa fratrie et elle comptait bien mettre à profit son expérience pour prendre l'avantage. Poussant un cri étouffé, il essaya de l'esquiver.

— Vengeance ! s'écria-t-elle en redoublant d'efforts.

S'ensuivit une bataille confuse où ils finirent par tomber sur le lit alors que le tapis gisait, abandonné sur le sol. Solal commençait à dominer l’affrontement. Claire essaya de s'échapper mais il parvint in extremis à lui attraper la cheville. Sans scrupule, il chatouilla son pied avec dextérité. C'était insupportable.

— Pitié ! Pitié ! Je déclare forfait ! supplia-t-elle entre deux rires.

— Tu dormiras dans le lit ? s'assura-t-il en tenant sa cheville d'une poigne ferme.

— Oui, oui ! Je dormirai dans le lit ! Tout ce que tu veux !

Il y eut un instant de flottement où il la regarda d’un drôle d’air. Il ne l’avait toujours pas lâchée. A travers la fine épaisseur de sa chaussette, elle sentait la chaleur de sa paume. Son pouce glissa furtivement. Ce fut si bref qu’elle se demanda même si elle ne l’avait pas imaginé. Déjà, il était debout et quittait la pièce pour rejoindre la salle de bains.

Confuse, elle récupéra par automatisme son téléphone et mit plusieurs secondes avant de réaliser qu’elle avait des messages. Donovan, son collègue, lui avait écrit. Flirtant sans vergogne sans jamais concrétiser, il avait pour habitude de se manifester le soir. Un échange léger qu’elle attendait généralement avec impatience. Après cette journée irréelle qu'elle avait vécue, ce rituel lui paraissait toutefois incongru.

[J'espère que tu es bien arrivée à Chamonix et que tu es venue à bout de tous tes dossiers !]

[Prépare-toi à une surprise demain.]

Sa curiosité était indubitablement piquée. Donovan s’était-il enfin décidé à passer à la vitesse supérieure ?
End Notes:
Les chatouilles ce n'est pas tout à fait la bataille de boules de neige mais presque xD Merci pour votre lecture et n'hésitez pas à me donner votre avis !
Aphrodisiaque et coquillettes by Wapa
Huit heures treize. Filtrant à travers les volets, une faible luminosité baignait la silhouette étendue sur le tapis de sol. La respiration régulière, Solal dormait encore. Une sérénité que Claire lui enviait incontestablement. La veille, il s'était endormi la tête à peine posée sur l'oreiller alors qu'elle se tournait et se retournait sans parvenir à trouver le sommeil. Entre le quasi-inconnu qu'elle avait fait passer pour son petit ami et la surprise prévue par Donovan, son esprit agité avait tout bonnement refusé de rejoindre les bras de Morphée. Ses pensées avaient revécu en boucle cette journée improbable. Des hypothèses de plus en plus farfelues l'avaient assaillie quant à la suite des événements. Avec Donovan. Avec Solal. Finalement, l'insomnie avait cédé vers quatre heures. Une courte nuit qui n'avait effacé ni sa fatigue, ni sa nervosité. Résignée, elle se leva en grognant pour accéder à sa dose journalière de caféine.

Malgré l'heure matinale, la cuisine était déjà bien investie. Sa sœur chantonnait en préparant le petit-déjeuner pendant que ses enfants jouaient, allongés sur le carrelage.

— Où sont les parents ?

— Maman est partie à l'aéroport récupérer Juliette et Thomas. Papa donne des cours, la renseigna Anna en secouant énergiquement un biberon.

Moniteur à l'Ecole de Ski de Chamonix, leur père pourrait certainement profiter de la bonne couche de poudreuse tombée durant la nuit. Sauf s’il était cantonné au Club Piou-Piou. Certes les 3-4 ans étaient plutôt mignons abstraction faite de leurs jérémiades sur les chaussures trop serrées. Malheureusement, il était impossible de dévaler une piste digne de ce nom avec eux. Ainsi, la plupart des moniteurs évitaient ce pensum comme la peste.

— Solal a dormi dans ton lit ?

— Non ! se récria Claire en sentant ses joues chauffer.

— Dommage. Vous formez un joli couple.

— Un faux couple, je te rappelle.

— Il y a un début à tout.

La sonnerie de son téléphone coupa la réplique mordante qu'elle s'apprêtait à lui renvoyer. Donovan se manifestait. Enfin. Le fourbe restait cependant mystérieux en ne donnant aucune information sur la prétendue surprise.

[Que fait un crocodile lorsqu'il voit une copine ?]

[Il la dévore ?]

[Il Lacoste]

En pouffant, elle lui répondit par un smiley.

[Rdv à la patinoire R. Bozon à 14h]

[Tu es à Chamonix ?!?]

[Oui, avec un pote. L’occasion rêvée pour profiter un peu de ma collègue préférée, non ?]

Elle prit conscience du sourire niais qu'elle affichait quand sa sœur l'interpella brusquement en faisant de grands signes :

— Hé, ho ! Allo la terre ? Que se passe-t-il ?

— C'est Donovan, annonça-t-elle avec l’enthousiasme d’une collégienne. Il m'invite à la patinoire !

— Ah. Donovan, marmonna sa jumelle sans partager son euphorie. Le gars à ton boulot qui t'inonde de messages mais qui n'est pas foutu de te proposer un rencard ?

— La preuve qu’il en est capable, se renfrogna-t-elle.

— Mouais. C'est louche.

— Comment ça, louche ?

— C’est bizarre qu’il se manifeste maintenant. Il faudrait que je vienne vous observer en catimini pour te donner mon ressenti.

— Jamais ! protesta-t-elle horrifiée.

— Allez, supplia Anna. Je mettrais des lunettes de soleil. Je me cacherais derrière un journal. Ça serait tellement cool, ajouta-t-elle avec un air d'extase.

— Hors de question ! Si tu fais ça, je te renie ! Tu n'es plus ma sœur, tu n'es plus ma meilleure amie, tu n'es plus RIEN !

—Bon, bon, d'accord, ronchonna sa sœur. Tu pourrais avoir pitié de moi franchement. Je suis obligée de vivre mes aventures sentimentales par procuration depuis qu'un alien loge dans mon corps.

— Aucune pitié.

— Et que vas-tu faire de ton étudiant ?

Solal. Oups. Comment avait-elle pu l'oublier ? Effectivement, aller conter fleurette pendant que le charmant philosophe patientait sagement chez eux n’était pas envisageable.

— Il pourrait rendre visite à son père, suggéra sa sœur, compatissante. Je crois qu'il habite dans le coin.

Claire réfléchit à la meilleure manière de lui présenter la situation. Elle ne pouvait tout de même pas lui annoncer de but en blanc. Il fallait agir avec douceur et stratégie. En lui apportant un café au lit, par exemple, et aussi... un muffin. Il y en avait justement sur la table et elle ne résista pas longtemps avant d'en croquer un. Le cœur fondant au chocolat était tiède. Exquis.

— Sinon maman nous a demandé de préparer des biscuits ce matin. C'est notre seule obligation du jour.

— Youpi ! s'exclama-t-elle la bouche pleine.

Noël ne serait pas vraiment Noël sans cette tradition. Enfant, elle adorait déguster en douce la pâte préparée par leur mère ou utiliser les emporte-pièces avec application. Anna voulait toujours prendre l’ange alors qu'elle-même préférait varier. A cette époque déjà, la routine lui était insupportable. Après avoir utilisé tous les emporte-pièces, elle laissait souvent libre cours à sa créativité, avec plus ou moins de succès. A dix ans, leur mère avait estimé qu'elles étaient suffisamment grandes et la confection des biscuits était devenue le territoire exclusif des jumelles. C'était leur moment. Un instant privilégié entre sœurs. Sauf qu’il y aurait cette année un intrus dans leurs rangs. Snober Solal lui semblait incorrect sachant qu’elle était déjà absente l’après-midi. Et puis, il avait beau s’être engagé trois jours auprès d’elle, il pouvait revenir sur sa parole en apprenant qu’elle était invitée par un autre. Elle serait alors bien en peine d’expliquer sa disparition inopinée. Surtout à sa mère. Saisissant le plateau où étaient disposés un cappuccino et un délicieux muffin, elle s’en alla plaider sa cause.

Était-ce le sapin qu’elle avait tracé dans la mousse crémeuse, l’atelier pâtisserie ou seulement le caractère facile de Solal ? Toujours est-il qu'il accepta de bonne grâce le programme en ne contestant pas leur arrangement. Elle était restée plutôt vague sur son rendez-vous à la patinoire sans cacher toutefois qu’elle rejoignait un homme. Malgré un léger froncement de sourcils, Solal ne s’était permis aucun commentaire. Lorsqu’ils redescendirent, Anna était manifestement sur le départ. Sous son châle en laine, elle avait enfilé un long manteau qu’elle ne parvenait plus à fermer avec son ventre proéminent. Timothée était également paré pour affronter le froid. Seul Hugo n’en faisait qu’à sa tête. Cherchant à se libérer de l’étreinte maternelle, il se tortillait comme un ver.

— Hugo, je vais me fâcher si tu continues à faire le zouave, le menaça-t-elle, visiblement à bout de patience.

— Alors ça, un explorateur qui ne veut pas sortir, on aura tout vu !

Le garçon se figea en entendant Solal l'interpeller.

— Les vrais aventuriers ne restent pas tranquillement à l’intérieur. Ils sont les premiers dehors pour découvrir et explorer le monde, continua-t-il doctement tandis qu’Anna profitait de l’immobilité de son ainé pour lui enfiler veste, écharpe et bonnet.

— Désolée, ma belle-mère vient d'appeler, s’excusa-t-elle en grimaçant. Comme c’est la veille de Noël, elle tient absolument à voir les enfants aujourd’hui. Et quand elle dit aujourd’hui, c’est sur-le-champ.

Autant son mari, Paul, était une crème, autant sa génitrice était exaspérante. Mme Bourgeois avait désapprouvé l'arrivée si précoce d’une petite-amie dans la vie de son unique enfant, jalousement couvé. Anna restait la rivale qui lui avait ravi l'exclusivité de son fils adoré.

— Ça ira pour vous occuper des biscuits tous les deux ?

— Oui, ne t'en fais pas, file !

Claire était néanmoins plus intimidée qu’elle ne voulait bien l’admettre. Après tout, le grand blond qui lui faisait face était encore un étranger vingt-quatre heures auparavant.

— Si tu as des talents cachés en cuisine, c'est le moment de l’annoncer, dit-elle pour rompre le silence qui menaçait de s’installer.

— A vrai dire, je me débrouille pas si mal. J’aime cuisiner le weekend. Ça me détend. Le samedi, il y a un marché en bas de chez moi où je fais ma réserve auprès des producteurs locaux.

— Waouh ! Je croyais que les étudiants se nourrissaient essentiellement de fast-foods et de pizzas ? le taquina-t-elle en cherchant à masquer son incrédulité.

— Pas tous, corrigea-t-il avec un sourire narquois.

Elle l’avait sous-estimé et il n’était pas dupe.

— Hum… J’ai besoin de mon cahier de recette, balbutia-t-elle pour se soustraire à la lueur amusée de son regard.

Et sans plus de cérémonie, elle le planta là. Solal maîtrisait l’art de la décontenancer. Comme un pied de nez à ses préjugés, il n’était jamais là où elle l’attendait. Insaisissable. Avec son joli minois et ses études de philosophie, elle l’avait injustement catalogué libertin en lui proposant ce faux couple. Elle l’avait aussi pensé désinvolte mais il avait tenu son rôle sérieusement. Voilà à présent qu’il cuisinait alors qu’elle-même le faisait si rarement. Certes, elle pouvait passer des heures aux fourneaux pour recevoir des amis mais actuellement ses placards rivalisaient plutôt avec le désert de Gobi. Malgré sa jeunesse, Solal se révélait plus complexe qu’elle ne l’avait songé au départ. Loin des étiquettes qu’elle aurait voulu lui coller. Un peu honteuse, elle se promit de canaliser sa condescendance en s’efforçant de l’accueillir tel qu’il était et non tel qu’elle l'imaginait.

Forte de cette résolution, elle regagna la cuisine avec sérénité, son vieux cahier à la main. Divers aliments étaient déjà entreposés sur la table en bois, prêts à l’emploi. Solal ne semblait suivre aucune logique dans sa sélection. Naturellement, il y avait les basiques tels que les œufs ou le sucre roux. D’autres étaient franchement étonnants comme les tomates séchées ou ce paquet de Miel Pop’s. Avisant son air intrigué, il lui expliqua :

— Je pensais partir sur une de tes recettes puis en inventer une avec des ingrédients étranges.

— Super ! On pourrait même les sélectionner à l’aveugle, renchérit-elle pour ne pas être en reste.

— Parfait. On commence par la recette connue en guise d’échauffement ?

— Choisis celle que tu veux, offrit-elle en lui tendant son carnet.

— Les dessins sont superbes, s’extasia-t-il en poussant un sifflement admiratif.

Au fil des années, elle avait illustré chaque page au crayon. Ici des arabesques d’ingrédients ou des guirlandes de cadeaux. Là des lutins gloutons ou un Père Noël dévorant une bûche chocolatée.

— Arrête de me flatter, répliqua-t-elle gênée.

— J’aime beaucoup, assura-t-il en relevant la tête.

Une sincérité qui ne pouvait que la convaincre. Parcourant longuement les pages, il valida finalement les sablés aux amandes et à la cannelle. Une proposition loin de la contenter même si elle n’en laissa rien paraître. Évidemment, il avait choisi l’unique recette qu’elle évitait en général. La préférée de sa mère. Mais ayant laissé quartier libre à Solal, elle n’allait pas négocier maintenant un droit de veto.

— Allons-y ! accepta-t-elle en retroussant ses manches.

Accordant leurs gestes sans effort, ils retrouvèrent ce dialogue fluide et naturel qu’ils avaient partagé lors du covoiturage, avant que le destin ne s’en mêle.

— Passons à la suite du programme, proposa Solal une fois les sablés enfournés. Tu es d’accord de bander tes yeux ?

De bonne grâce, elle se prêta au jeu. Solal noua délicatement un foulard en se plaçant juste derrière elle. Les poils de sa nuque se hérissèrent quand un souffle chaud chatouilla ses boucles. L’instant ne dura pas et déjà il éparpillait les ingrédients dans la cuisine. Privée de la vue, elle écouta attentivement ses déplacements. Une madeleine de Proust qui lui évoquait Colin-maillard.

— Il faut que ça reste accessible, hein ? vérifia-t-elle en l’entendant refermer un placard.

— T’inquiète, c’est facile. Et voilà !

Se servant de la table comme point de repère, Claire tâtonna un instant sur la surface plane sans succès. Tous les ingrédients avaient disparu. Elle avança donc vers le plan de travail. Enfin, ce qu’elle imaginait être le plan de travail mais elle ne rencontra que de l’air. Se retournant, elle fit un pas hésitant, puis un autre. Ses bras s’agitèrent dans toutes les directions. Toujours rien. Consciente du spectacle comique qu’elle devait offrir, elle implora :

— Au secours, je suis perdue !

— Je vais t’aider, annonça le jeune homme à sa droite, bien plus proche qu’elle ne l’avait imaginé de prime abord.

Il effleura son épaule avant de saisir sa main dans une poigne douce et ferme qui encourageait l’abandon.

— Voilà, murmura-t-il ensuite à son oreille.

Troublée par son timbre caressant, elle ne réagit pas immédiatement.

— Devant toi, l’encouragea-t-il en percevant son hésitation.

Il s'éloigna ce qui lui permit de reprendre ses esprits. Le philosophe avait décidément un drôle d’effet sur elle. Pourtant, elle n’avait aucun faible connu pour les étudiants décontractés à la mèche rebelle. Allongeant finalement les bras à la recherche d’une cible, elle réussit à attraper un pot en verre indéterminé.

— Gingembre moulu, la renseigna Solal.

Merveilleux. De tous les épices présents dans ce chalet, il avait fallu qu’elle choisisse celui aux propriétés supposées aphrodisiaques. Une réputation dont elle se serait amplement passée. Ils voulaient réaliser des biscuits de Noël pas un philtre d’amour !

— Chocolat en poudre.

Heureusement pour elle, cette deuxième pioche était totalement inoffensive. Quoique. En y réfléchissant, elle était quasiment sûre que le cacao avait un pouvoir semblable. C’était une conspiration ! Pleine d’appréhension, elle saisit un nouvel ingrédient.

— Attention !

Un cri inattendu qui arrivait malheureusement trop tard. Avec horreur, elle sentit l’objet se déliter puis se déverser sur elle. Arrachant son foulard, elle découvrit ses pieds ensevelis sous une montagne de... coquillettes. Plusieurs dévalèrent la pente allègrement lorsque ses orteils remuèrent.

— Désolé, bredouilla Solal en passant une main dans ses cheveux. J’ignorais que le paquet n’était pas scellé.

Son bel aplomb s’était envolé. Face à sa mine déconfite, le fou-rire la gagnait. Elle se mordit la langue pour ne pas céder.

— C’est pas grave, le rassura-t-elle avec une voix étouffée. Je crois qu’on a notre dernier ingrédient.

— Il faut juste le... ramasser, hésita-t-il mi-figue, mi-raisin en désignant vaguement le sol.

N'y tenant plus, elle s’esclaffa sans retenue. Ses soubresauts écrasèrent quelques pâtes au passage en produisant une série de craquements secs. Malgré elle, son hilarité redoubla. La situation était tellement incongrue. D’abord indécis, Solal finit par rire à gorge déployée. Une étonnante légèreté s’empara de ses traits habituellement empreints de gravité. C’était la première fois qu’elle le voyait rire aussi librement et cela lui allait bien.

— On va tous les intoxiquer, prédit-elle en se tenant les côtes.

Leur calme retrouvé, ils décidèrent de transformer les coquillettes en éclats caramélisés pour les insérer dans une pâte chocolat/gingembre. Assez satisfaits du résultat, ils se glorifièrent mutuellement comme s’ils avaient accompli un exploit.

— Tu dessines et je m’occupe de la vaisselle.

— Heu... comment ça je dessine ?

— Pour garder une trace de notre incroyable invention dans ton cahier.

— Incroyable c’est vite dit, on n’a encore pas goûté, temporisa-t-elle.

— J’ai confiance.

Sans insister, Solal lui tourna le dos et s’attaqua à la pile monstrueuse dans l’évier. Une délicatesse dont elle lui était reconnaissante. Renouer avec le dessin en se sentant observée aurait été affreux. Elle n’aurait jamais osé. Déjà, la créativité vibrait sous ses doigts. Cette compagne perdue de vue depuis une éternité. Mais elle avait le tract. Cela faisait si longtemps. Pour repousser l'instant fatidique, elle nota avec une application scolaire les ingrédients et les différentes étapes. Une échappatoire qui s’acheva trop tôt à son goût. Elle ne pouvait plus reculer.

Saisissant un crayon, elle esquissa des coquillettes sur le rebord. Rapidement, son incertitude disparut. Comme si ses anciens réflexes avaient toujours été là. Enfouis en elle. A attendre patiemment l’heure de son retour. Sa main grattait frénétiquement le papier alors qu’apparaissait peu à peu un calice ouvragé. Son philtre d’amour. Suspendant son geste, elle observa d’un œil critique l’ébauche manifestement trop terne. Sans perdre une minute, elle fila à l’étage récupérer sa vieille boîte de pastels puis elle se remit au travail. Des volutes hypnotisantes rouge rubis. Une touche de noir. L’attraction du poison. Toute entière à sa tâche, le monde s’était évaporé. Elle avait l’impression de se retrouver. Fillette rêveuse. Adolescente fantasque. Elle se reconnectait à son essence. Ce qu’elle était profondément. Pourquoi avait-elle un jour arrêté de dessiner ? Elle adorait ça. Finalement, elle n’eut plus rien à ajouter. Avec le sentiment du devoir accompli, elle prit un peu de recul et contempla son œuvre.

Elle aimait bien.

Elle aimait même beaucoup.


Semblant percevoir le changement d’atmosphère, Solal se retourna et s’adossa nonchalamment.

— J'ai fini.

— Bravo, la félicita-t-il sobrement.

Il était mignon lorsqu’il respectait son jardin secret comme ça.

Et cela n’avait aucun rapport avec un certain regard caramel complètement envoûtant.

— Tu veux voir ?

— Volontiers.

Un peu nerveuse, elle tapota sur la table en attendant son verdict. Plus jeune, son talent était une évidence mais son assurance s’était égarée quelque part sur le chemin vers l’âge adulte.

— Superbe. Je suis conquis. Tu as gagné en profondeur depuis tes dernières illustrations.

Soulagée et ravie, elle le remercia avec effusion. Grâce à lui, elle avait renoué avec une ancienne passion. Un plaisir qui n’avait pas de prix. Débordante de gratitude, elle le fixait rêveusement.

Il était indiscutablement craquant.

Ce fut la sonnerie de son téléphone qui rompit le charme.

[Prête à patiner, championne ?]

— C'est qui ce gars que tu vois cette après-midi ? interrogea Solal mine de rien.

— Un collègue de boulot.

— Vous êtes proches ?

— Pas vraiment.

— Pourtant il te propose une sortie le 24 décembre. Passer Noël avec quelqu'un ce n'est pas si anodin.

— Oh, il déteste cette fête. Je pense que ça ne représente rien de spécial pour lui. Peut-être qu’il n’a même pas fait le lien. Il était dans les parages et il en aura profité...

— Vous faites souvent des trucs en dehors du travail ?

— Jamais. On flirte juste un peu par message, avoua-t-elle embarrassée.

Elle se sentait étrangement coupable. Mais ce n’était pas comme s'ils étaient réellement ensemble.

— Il manque d’assurance ? chercha à comprendre Solal.

— Ça serait plutôt l’inverse !

— Ça ne veut rien dire j'imagine, déclara-t-il pensif. Des fois, c'est juste une carapace. Une apparence.

— Solal, rappelle-moi ton âge ? plaisanta-t-elle.

En dans telles occasions, sa maturité était plus frappante que celle de Donovan, pourtant de dix ans son aîné.

— Allez, il faut que tu te prépares pour ton rendez-vous galant, conclut-il brusquement. Je vais avertir mon père de ma visite.

Et il quitta la pièce à la vitesse de l’éclair sans lui laisser l’opportunité de répondre.
End Notes:
Bon l'histoire avance lentement (mais sûrement grâce au CAM). Promis Donovan arrive au prochain chapitre ! Merci d'avoir lu :)
La glace et le feu by Wapa
— Sois prudente.

— Je patine depuis que j'ai l'âge de marcher, je devrais m’en sortir, plaisanta Claire pour le dérider.

Face au regard sérieux de Solal, elle acquiesça toutefois. Naturellement, il ne s’inquiétait pas de ses compétences et elle avait saisit l'allusion.

— Passe une bonne après-midi, déclara-t-il finalement.

Ne sachant quoi ajouter, elle s’extirpa gauchement de la Clio et la regarda s’éloigner à vitesse réduite sous de gros flocons. La matinée avait été radieuse mais le temps s’était dégradé, rendant la patinoire extérieure impraticable. Les amateurs de glisse avaient renoncé à son charme authentique, au pied du glacier d’Argentière, en lui préférant la version olympique couverte. Claire était souvent mélancolique lorsqu'elle se rendait au centre sportif. Cela lui rappelait son ancien béguin pour un hockeyeur de l’équipe des Pionniers.

Amour à sens unique. Le premier d’une longue série.

Mais ce n'était pas le moment de ressasser le passé. Quelqu'un l'attendait. En prenant garde à ne pas glisser sur le bitume gelé, elle se dirigea vers l’entrée. Donovan se tenait devant les portes en verre. Le menton enfoui dans le col de sa veste, il piétinait pour se réchauffer. Arrivant à sa hauteur, elle hésita sur la conduite à adopter. Après tout, ils n'avaient pas l'habitude de se retrouver en dehors du travail. Son collègue balaya ses scrupules en lui faisant spontanément deux bises sonores.

— Mmh. Tu sens bon.

— Flatteur.

C’était Donovan dans toute sa splendeur, sûr de lui et charmeur.

— Tu es venue à pied ?

— On m’a déposée, renseigna-t-elle vaguement.

— J’ai cru voir un type.

— C’est possible.

— Est-ce un rival dont je vais devoir me débarrasser discrètement ?

Elle pouffa sans répondre. Il était décidément en grande forme et ce rendez-vous démarrait sous les meilleurs auspices.

— Entrons avant que tu ne te transformes en bonhomme de neige, ajouta-t-il en dispersant les flocons dans ses boucles.

Distraite par son geste tendre, elle ne remarqua pas immédiatement la passante à ses côtés qui trébucha, se raccrochant brutalement à sa doudoune. Déséquilibrée, Claire ne dut son salut qu’aux réflexes romanesques de son partenaire. Il lui avait évité in extremis une chute mémorable. Et la honte implacable qui l’accompagnait. Refoulant son agacement, Claire se tourna vers la malheureuse et la reconnut avec surprise. Il s’agissait de son ancienne compagne de covoiturage. La vieille dame récupérée sur l’aire d’autoroute. Toujours avec son fichu, elle avait cependant troqué ses chaussures trouées pour des bottes fourrées.

— Rien ne vaut la cannelle, la réprimanda-t-elle sans avoir l’air de la resituer.

Interloquée, la brune attendit des éclaircissements. En vain. Le message n’avait pas de suite. Pourtant, ces paroles confuses résonnaient étrangement en elle. Comme un pressentiment. Une intuition. Son inconscient semblait percevoir leur sens caché sans réussir à lever le voile. La grand-mère repartit dans une démarche incertaine en la laissant inexplicablement chamboulée.

— Tout va bien Claire ?

— Heu... oui. C'est juste que... Non, rien, laisse tomber, renonça-t-elle. Allons-y !

Son imagination lui jouait des tours. Mais elle ne ruinerait pas ce rencard tant espéré tel un oiseau de mauvais augure. Elle comptait bien savourer la présence de Donovan. Un point c’est tout ! Après avoir loué leurs patins au comptoir, ils s’assirent sur un banc en bois pour les enfiler.

— Je ne savais pas que tu comptais passer les fêtes à Chamonix…

— On s’est décidé hier soir.

— Pourquoi ici ?

— Pour le Mont-Blanc, expliqua-t-il pince-sans-rire.

— Ah oui ? s'étonna-t-elle en haussant les sourcils.

— J’avais peut-être envie de te voir, avoua-t-il.

Ce n’était donc pas un hasard.

Sa curiosité temporairement assouvie, elle ne chercha pas à fouiller davantage. Pour le moment. A petits pas, ils descendirent les escaliers en moquette grise jusqu’au rebord de la patinoire. En ce début d’après-midi, la clientèle était plutôt familiale. Des enfants s'amusaient à slalomer entre les cônes ou profitaient des chaises colorées. L’atmosphère conviviale était accentuée par les lumières multicolores dansant sur la glace, telle une boule à facette.

— Je te préviens, je ne suis pas un expert.

— Bizarre que tu aies proposé le patinage alors...

— C'est pour que tu puisses m'aider évidemment.

— Ta stratégie perd toute subtilité si tu l'annonces directement.

— Qui a dit que je cherchais à être subtile ?

Elle lui lança une œillade amusée. Indiscutablement, cette approche directe la flattait. Leur flirt anodin prenait une nouvelle tournure prometteuse. Ses espoirs allaient-ils enfin se réaliser ?

— Tu y vois un inconvénient ? s’assura-t-il.

— Pas le moins du monde.

Satisfait, il descendit la dernière marche pour rejoindre la glace et s’agrippa fermement à la balustrade. Elle lui prodigua les conseils élémentaires : rester souple, fléchir les genoux, essayer de glisser en lâchant progressivement le bord. Étant un athlète accompli, Donovan trouva rapidement ses marques. Pour l’aider à s’aventurer plus loin, elle lui offrit ses mains. Un rapprochement qui lui plaisait même si elle déplorait l’épaisseur des gants entre leurs paumes. L’agilité de son élève était telle qu’elle décida de le lâcher complètement. Sans l’avertir. Une méthode radicale testée et approuvée par des générations de patineurs en herbe. Celle-ci ne lui posa d’ailleurs aucun problème puisqu’il réussit à se stabiliser. Il resta toutefois immobile avec une adorable moue dépitée. Pour l’inciter à bouger, Claire s’amusa à tourbillonner autour de lui. Mutine, elle le frôlait puis reculait dès qu’il essayait de la retenir. Elle réitéra sa parade une fois. Deux fois. Trois fois. Suivant attentivement son manège, il ne bronchait toujours pas. Pourtant, le changement était perceptible. Au fil de ses pirouettes, il se transformait dangereusement. Tel un prédateur guettant sa proie.

— Si tu restes aussi crispé sur tes patins, tu auras des courbatures ! le provoqua-t-elle à quelques mètres de lui.

Et soudain, sans qu’elle ne l’ait anticipé, il se lança à ses trousses avec une dextérité invraisemblable pour un novice. En deux grandes enjambées, il fut sur elle. De justesse, Claire l’esquiva et s’élança en riant sur la glace. Une course-poursuite s’engagea. De visu, elle put constater qu’il n’avait absolument rien d’un débutant. Quel comédien. Il l’avait bien eue avec sa soi-disant maladresse. Celui-ci gagnait du terrain et elle redoubla de concentration pour le distancer. Malheureusement pour elle, une blondinette coupa brusquement sa trajectoire et elle dût freiner pour l’éviter. Avant qu’elle n’ait pu redémarrer, Donovan l’avait rattrapée, la plaquant contre son torse.

— Je te tiens, murmura-t-il à son oreille.

— Tu m’as dit que tu ne savais pas patiner ! l’accusa-t-elle en se débattant mollement.

— Naïve. Croyais-tu sincèrement que j’étais du genre à proposer une activité que je ne maîtrise pas ?

— Tout à fait, répondit-elle vexée.

Néanmoins, il n’avait pas tort. Elle aurait dû détecter l'entourloupe dès le départ. Donovan aimait briller. Parader. Il ne partageait pas sa faiblesse ou ses doutes. Jamais.

— Pour la peine, je me rattraperai avec un chocolat chaud demain, promit-il en la retournant face à lui.

— Je ne suis pas de celles qu’on achète.

— Dommage, susurra-t-il en l'attirant un peu plus, sa main toujours sur sa taille.

Il était tellement prêt qu’elle percevait maintenant les fines ridules sur son visage basané. Celles encadrant ses prunelles sombres. Celles autour de sa bouche. Pulpeuse. Attirante. Hypnotisée, elle se força à relever les yeux en s’humectant machinalement les lèvres.

— Oh une princesse aux lèvres gercées, chuchota-t-il en se rapprochant encore. C’est peut-être Labello bois dormant.

— Tu en as beaucoup des blagues comme ça ? souffla-t-elle quasiment contre lui.

— Un stock illimité, affirma-t-il avant de l’embrasser.

Un baiser aussi léger qu'une plume. Déjà il s’éloignait. Comme s’il regrettait son élan. Refusant de se contenter d’aussi peu, elle passa les bras autour de son cou pour l’attirer à elle. Ainsi encouragé, Donovan fit preuve cette fois d'une passion qui la laissa toute étourdie. Elle sentit ses jambes flageoler et son patin déraper mais l’étreinte solide l’empêcha de basculer.

Ce fut bref. Long. Tendre. Intense. A vrai dire, elle ne savait plus très bien où elle en était lorsqu’il la relâcha.

— Ça faisait longtemps que j’en avais envie, confessa-t-il enfin.

Pouvait-on mourir de bonheur ? Elle avait l’impression que tant de félicité allait l’achever. C’était un rêve éveillé. Donovan dépassait ses plus folles espérances. Où était donc passé ce collègue informaticien qui se dérobait dès qu’elle cherchait à concrétiser ? Un revirement inattendu et incompréhensible. Elle voulait l'interroger lorsqu'il se pencha de nouveau vers elle. Ses questions s’envolèrent.

Sur un petit nuage, elle rentra chez elle grâce à la navette gratuite du centre-ville. Au chalet familial, l’ambiance était aux retrouvailles. A cause de leur vol retardé sur une compagnie low cost, Thomas et Juliette venaient juste d'arriver. Ravie, Claire se précipita sur son frère. Six mois qu’elle ne l’avait pas étreint. Elle devait rattraper ça !

— Pitié de l'air ! supplia-t-il rieur en se dégageant. Alors frangine, il paraît que tu es venue accompagnée. Où est l’heureux élu ?

Un peu gênée, elle acquiesça en expliquant que Solal n’allait pas tarder. Mentir sur cette relation la mettait mal à l’aise. Néanmoins, la discrétion était sa meilleure arme. Chaque personne supplémentaire dans la confidence augmentait le risque d’être découverte et elle ne pouvait pas se le permettre.

Afin d'éviter les impairs, elle détourna habilement la conversation sur leur vie londonienne. Le jeune couple était intarissable sur le sujet. Cette fois encore, ce fut le cas. Juliette vanta la dernière comédie musicale qu’ils avaient vue et Thomas renchérit en parlant d'un nouveau pub en bas de chez eux. Finalement, Claire réussit à s’éclipser en prétextant devoir se faire belle pour le réveillon. Même si elle n'avait pas besoin de tout ce temps pour se préparer, la solitude lui permettrait de savourer les instants magiques de l’après-midi. Ensuite, il ne faudrait plus y songer. Elle devrait jouer avec conviction l’amoureuse transie. Cela lui semblait maintenant absurde. Un joug étouffant. Elle aurait voulu profiter de ces premiers émois sans avoir à simuler auprès d’un autre. Or, elle était la seule à blâmer. À l'origine, c'était son idée. En quête de réconfort, elle se fit couler un bain et ajouta des huiles essentielles de lavande et d’orange. Plongeant dans l’eau chaude parfumée, elle laissa dériver ses pensées jusqu’au bras de Donovan. Quelques rêveries plus tard, la brune se maquillait dans le miroir embué lorsqu’on frappa à la porte.

— Waouh ! s’extasia Anna en admirant sa robe émeraude cintrée et son chignon tressé.

Claire lui retourna sincèrement le compliment. Sa sœur resplendissait dans une tunique sombre au tissu plumetis. La future maternité l’auréolait d’une touchante douceur et Claire ne put s’empêcher de caresser son ventre rebondi.

— Alors ce rencard ?

— C’était parfait.

— Parfait comme les petits oiseaux qui gazouillent, le prince charmant sur son cheval blanc et le générique de fin ?

— Presque. Il faisait trop froid pour que les oiseaux chantent.

— J’hallucine ! Ne me dis pas qu’il est venu à cheval ?

— Ha ! ha ! T’es bête.

— Mais allez ! Donne-moi des détails sinon je vais m'étouffer dans ma curiosité.

— D’accord, d’accord. Je m’en voudrais d’avoir deux morts sur la conscience : toi et bébé numéro 3. Que veux-tu savoir ?

— Vous vous êtes embrassés ?

— Eh ! Tu n’y vas pas par quatre chemins...

— C’est un bon indicateur de réussite selon moi. Pas de bisou, échec garanti.

— Dixit la fille qui n’a jamais eu de premier rendez-vous.

— Je me cultive grâce à Closer figure-toi.

— Ciel ! Ne me dis pas que tu lis sérieusement ce torchon ?

— Si seulement. En réalité, j'ai un régime drastique en ce moment. J’alterne entre Tchoupi, Pat' Patrouille et l’encyclopédie des requins. Alors que j'aimerais simplement remplir un quiz qui m'apprendrait quel type de séductrice je suis. Avec une Margarita. Sur une plage aux Bahamas.

— Ah oui ? Je vois. De vraies préoccupations existentielles. Je comprends ton désespoir, se moqua-t-elle. En parlant de lecture, je ne savais pas quel cadeau acheter à maman. Je lui ai pris des pralines et le dernier bouquin de Françoise Bourdin. Tu crois que ça ira ?

— Super ! Elle a tous ses livres excepté celui-là.

— Et toi, tu lui offres quoi ?

— Minute papillon. Ta tentative de diversion est minable ! Revenons à nos moutons, exigea sa jumelle diabolique.

— Argh ! Tu es plus maligne que Thomas sur ce coup-là, regretta Claire.

— Évidemment ! Osez me comparer à notre candide petit frère, s’offusqua-t-elle. Vous vous êtes embrassés, oui ou non ?

— C’est possible.

Il aurait fallu rester impassible et ne rien avouer sous le regard noir. Mais elle était faible.

— Oui. Nous nous sommes embrassés. Plusieurs fois. Voilà, tu es contente ?

— Roooh, ronronna Anna. Très contente. J’avais tort de m’inquiéter alors ?

— Apparemment.

— Pourquoi est-ce qu’il a mis si longtemps à se décider ?

Quelle tête de linotte ! Claire se rappelait avoir eu la ferme intention de l’interroger sur ce point précis. Avant un certain baiser.

— Je lui demanderai demain, se résigna-t-elle en haussant les épaules.

— Vous vous revoyez déjà ? Le jour de Noël ?

— Uniquement en fin de journée. Le salon de thé est ouvert, on ira boire un chocolat chaud.

— Prometteur...

— J'espère.

— En attendant, es-tu prête à rejoindre Solal ? jubila Anna.

— Il est ici ? Le pauvre, tu aurais pu m’avertir !

— Ton petit ami se débrouille très bien, annonça-t-elle énigmatiquement. Il a sorti le grand jeu.

Malgré ses tentatives pour lui tirer les vers du nez, Claire ne récolta que la fuite de sa source d'information dans un tourbillon de gloussements étouffés. Après avoir appliqué une touche de gloss, elle s'empressa à son tour dans les escaliers. S'arrêtant au seuil du salon, elle tendit l'oreille. Parmi les notes cristallines de Douce Nuit et les exclamations de ses neveux, elle reconnut le timbre chaud de Solal. Cela déclencha de drôles de chatouillis dans son ventre. Ce qui était idiot. Au fond, il s’agissait simplement d’une illusion. Le jeune homme jouait un rôle. Un rôle qu'elle lui avait attribué de manière irréfléchie. Rien de plus.

Elle lissa le jupon de sa robe puis s'avança discrètement. À présent, elle comprenait mieux l’enthousiasme débordant de sa sœur. L’étudiant en philosophie s’était mis sur son 31 avec un pantalon noir ajusté et une chemise blanche qui faisait ressortir sa peau dorée. Ses manches retroussées laissaient apparaître des bras fins et musclés. Tenant nonchalamment une coupe de champagne, il discutait avec Thomas.

Classe et négligé. Il était à tomber.

Claire déglutit. Un mouvement infinitésimal qui sembla toutefois trahir sa présence au principal concerné. Il vrilla ses yeux caramel dans les siens et elle en oublia de respirer.

— Tu es très belle chérie, souligna-t-il en lui tendant une coupe.

Reprenant son souffle, elle la saisit d'une main fébrile sans remarquer directement l'utilisation du mot doux. Son incongruité s'imposa peu à peu à son esprit confus. Le faux couple. Sa couverture. Pendant un court instant, elle avait complètement oublié les enjeux de cette soirée. Ce qui n’était naturellement pas le cas de sa famille. Elle sentait peser sur eux l’attention de toute la pièce.

— Merci, mon amour, se reprit-elle en lui caressant furtivement l'épaule. Tu es si élégant. C'est une nouvelle chemise ?

L'assemblée fut rassasiée par le spectacle offert puisque chacun retourna à ses occupations sans plus se préoccuper d’eux. Pour se donner une contenance, Claire avala cul-sec son verre au mépris des bulles qui picotaient sa gorge. Rapidement, une chaleur bienfaitrice se propagea dans ses membres. Un léger vertige aussi. Mais était-il lié à l’alcool ou plutôt à l’intensité qui se dégageait de Solal ? Elle n’arrivait pas à le déterminer. Celui-ci affichait une mimique amusée. Il restait cependant muet. Cela ne la surprenait pas vraiment. Le philosophe parlait uniquement lorsqu'il avait quelque chose de pertinent à dire. Il ne cherchait jamais à combler par de vaines paroles. Si ça ne tenait qu’à lui, il pourrait certainement continuer à la fixer indéfiniment sans qu'un seul mot ne franchisse ses lèvres. Calme et serein. Dans une communication inaudible et mystérieuse. Et plus ce silence s’étirait, plus elle s'embrasait. Une sensation qui menaçait de la consumer toute entière. Il fallait y mettre un terme avant d’être totalement dépassée.

— Prêt pour un marathon culinaire ? demanda-t-elle en se raccrochant à ce premier prétexte.

— Carrément ? la relança-t-il malgré la futilité de ses propos.

— Il y a trois sortes de petits fours, deux entrées, la dinde avec différents accompagnements sans parler des desserts, débita-t-elle. Mais le sucré, c’est après la messe !

— La messe ?

— Ah oui, désolée, je ne t'en ai pas parlé, marmonna-t-elle embarrassée. En général, on va à celle de minuit. C’est une tradition. Tu n’es pas obligé de venir si tu...

— Pas de souci, la coupa-t-il. J’ai de vagues souvenirs d’enfance que je serais curieux de confronter à la réalité.
End Notes:
Merci pour votre lecture. J'espère que vous avez trouvé Donovan à la hauteur (depuis le temps qu'on l'attendait celui-là xD). N'hésitez pas à me laisser votre avis et à bientôt !
Telle mère, telle fille ? by Wapa
La mèche s’embrasa en éclairant son visage avant qu’elle ne l’éloigne. Ce n’était qu’un cierge parmi d’autres. Humble prière de gratitude noyée dans la multitude. Au pied de la Vierge, Claire déposa sa bougie. Non seulement elle était sortie indemne du covoiturage mais elle se retrouvait maintenant avec un faux compagnon très séduisant et un vrai prétendant tout aussi charmant. À vrai dire, le ciel avait peut-être été un peu trop généreux finalement !


Avec son après-midi à la patinoire, Donovan l’avait complètement conquise. Enfin, il répondait à ses sentiments et elle se sentait pousser des ailes. Et puis, Solal était arrivé pour le réveillon, si beau dans sa chemise blanche et son attitude grave teintée de nonchalance avait tout effacé. Elle était si versatile. C’en était exaspérant. Son inconstance la scandalisait. Loin d’être un coeur d’artichaut, elle était pourtant incapable de se raisonner. Dès qu’elle était face à l’un d’eux, ses pauvres arguments partaient en fumée. L’attraction et la culpabilité se livraient une lutte acharnée en elle. Heureusement, ce dilemme s’éteindrait de lui-même très prochainement. Des trois jours accordés par Solal, la moitié s’était déjà écoulée. Selon toute probabilité, le philosophe s'évanouirait dans la nature une fois son engagement accompli et elle ne le reverrait plus. Autant profiter de sa présence tant qu’il était encore là.


Carpe Diem et compagnie...


Se hissant sur la pointe des pieds, elle le chercha dans l'assemblée. Comme souvent à Noël, les bancs se remplissaient vite et il s'était engagé à lui réserver une place. Malgré les fidèles qui affluaient de tous côtés, elle repéra facilement son blond vénitien qui dépassait de la foule et se faufila jusqu’à lui. Il y avait bien une place même s’il était probablement surfait de désigner ainsi le mince interstice entre lui et une soixantenaire en fourrure. Ignorant la moue pincée de cette mégère, elle s'assit à demi sur Solal. Sa gêne sembla durer une éternité avant qu'il ne parvienne à grappiller quelques précieux centimètres en jouant des coudes. Elle était installée. Collée à lui. A son corps défendant cela va sans dire. Prenant conscience de la rigidité de sa posture contre l'épaule détendue de son voisin, elle tenta de se relaxer en inspirant profondément. Les effluves d'encens entêtantes ne parvenaient pas totalement à masquer une note subtilement boisée. Son parfum. Elle huma discrètement et réalisa que son odeur lui plaisait. Beaucoup. Puis, elle se rabroua vertement. Ce n’était pas le moment ! Elle était dans une église après tout. Durant un millième de secondes, elle réussit à se réfréner, seulement il se pencha vers elle et aussitôt elle replongea.

— J'espère que tu as prié pour le mécréant que je suis, murmura-t-il près de sa nuque tandis que son coeur avait un loupé.

— Évidemment, annonça-t-elle en se reprenant. J'ai demandé une conversion à la Saint Paul pour toi.

— A la Saint Paul ?

— Quelque chose de foudroyant.

— Carrément ?

— Avec les nuages qui s'ouvrent sur une grande lumière et les anges qui chantent. Je pense qu'il faut au moins ça pour convaincre un philosophe. Votre truc c'est de tout remettre en question, non ?

— Touché.

— Du coup, il n’y a que le miracle pour toi.

— Je suis ému que tu te soucies du salut de mon âme.

— C'est uniquement par charité chrétienne, assura-t-elle en lui offrant son plus beau sourire.

Son visage se figea toutefois lorsqu'elle constata qu'ils étaient observés. Avec un air attendri, sa mère se délectait de leur couple photogénique en ignorant qu'il s'agissait d'une illusion. Claire sentit monter l’agacement. C’était vif et épidermique. Ces excès de guimauve l'écoeuraient.

— Qu'est-ce qu'il y a ? interrogea le jeune homme en percevant sa soudaine froideur.

— Ma mère. Elle est insupportable, râla-t-elle à mi-voix.

— Ah oui ? Pourquoi ?

— Elle décortique tous mes faits et gestes. J'ai l'impression d'être sans cesse sous le feu des projecteurs. Analysée. Scrutée. Disséquée. Je n'ai aucune intimité. C'est fatigant. Son attention constante m'étouffe, tu vois ?

— Tu lui en as déjà parlé ?

— Non.

— Tu devrais essayer.

Elle était tellement habituée à cette mécanique bien huilée entre elles que ça ne lui avait pas effleuré l’esprit. Crever l'abcès. Finalement, en avait-elle vraiment envie ? Ce train-train était certes inconfortable mais connu. Fouiller pour découvrir ce que cachait leur mésentente l’effrayait un peu. Pourtant, cette proposition était tentante. A la longue, leur incompréhension mutuelle devenait pesante et elle ne pourrait pas esquiver éternellement. Et puis, c'était Noël. Si les armées allemandes, britanniques, belges et françaises avaient réussi à faire une trêve lors de cette nuit si particulière, elle pouvait tenter de renouer le dialogue avec celle qui lui avait donné la vie. L'assemblée se leva pour entonner le premier chant et le baryton mélodieux de Solal emporta ses réflexions.


La célébration terminée, Anna et Paul rentrèrent chez eux avec leurs enfants endormis. Le reste de la troupe retourna au chalet pour apprécier les multiples desserts. Après les festivités de la soirée, Claire n'avait absolument pas faim cependant sa gourmandise en avait décidé autrement. Bûche pâtissière. Rissoles dorées. Sablés aux amandes et à la cannelle. Sans oublier leur magnifique invention de la matinée : les biscuits chocolatés aux coquillettes caramélisées. Son frère adora et en avala sept d’affilée. Sa compagne, Juliette, se récria sur leur imagination ce qui lui permettait d’exprimer sa désapprobation poliment. Son père s’engagea à les goûter mais n’en fit rien en espérant passer inaperçu. Finalement, sa mère en grignota du bout des lèvres à grand renfort de camomille. Beaucoup d'attentes pour un succès mitigé, il fallait bien l’avouer. En croisant le regard amusé de Solal, Claire pouffa. Au moins, les confectionner avait été un plaisir.


Peu à peu, leur babillage ralentit et elle s’abîma dans la contemplation de l’immense sapin au milieu du salon. Ses branches verdoyantes abritaient les chaussons de ses neveux et elle se revoyait petite, déposant dans un respect quasi-religieux de mignonnes pantoufles à côté de celles de sa sœur et de ses parents. Avec leur pompon soyeux, les mules sophistiquées à talons de sa mère avaient sa préférence. Lorsqu’elle glissait ses petons à l’intérieur, elle s’imaginait grande et belle comme l’était Viviane. À cette époque, sa mère était son tout. Une alliée et une icône intouchable. Son refuge et sa confidente. Maintenant, il y avait ce mur dressé entre elles et elle ne comprenait pas ce qu’il s’était passé.

— Merci ma chérie d'avoir préparé mes biscuits préférés, dit sa mère en dissipant sa rêverie.

Elle réalisa à ce moment-là qu'elles étaient seules. Les autres s'étaient apparemment éclipsés sans qu'elle ne s'en aperçoive.

— Je n’y suis pour rien, c’est Solal qui a choisi la recette.

— Il a l’air très bien…

— Dis plutôt que tu es soulagée que je sois enfin avec quelqu’un ! accusa-t-elle agacée.

— Mais non voyons ! Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

Claire n'avait plus le choix. Après avoir jeté le pavé dans la mare, il fallait à présent l'assumer.

— On dirait… je... ça m'arrive de penser que... hésita-t-elle. J'ai l'impression que... que tu es… déçue.

Voilà, le mot était lâché. Sa mère blêmit mais l'encouragea d'un signe de tête. Elle lui en était reconnaissante, une fois lancée, elle préférait aller au bout sans interruption.

— C’est comme si je n’étais pas à la hauteur de ce que tu espérais pour moi. Anna est mariée et mère de deux enfants avec le troisième en route. Thomas a Juliette et une vie trépidante à Londres. Et puis, il y a moi. L'éternelle célibataire. Avec un boulot qui n’a rien d’exaltant. Ma supérieure est infernale et elle me mène la vie dure. J'ai presque 30 ans et je suis un échec ambulant.


La gorge nouée, elle ne put continuer. Blâmait-elle vraiment sa mère ? Celle-ci n'était peut-être que le miroir de ses propres doutes. A 30 ans, Mozart avait composé l’essentiel de ses symphonies, Magritte achevait un de ses plus célèbres tableaux avec la légende « Ceci n’est pas une pipe », Elisabeth II était déjà reine, sans compter Kurt Cobain et Amy Winehouse qui n'atteindraient jamais cet âge. À 30 ans, sa mère avait trois enfants depuis plusieurs années. Et elle, qu'avait-elle réalisé finalement ? Sa vie était un néant. Délaissant ses rêves, elle vivotait sans passion, ni élan. Portant une main à son visage, elle étouffa un sanglot. En débutant cette conversation, elle ne s'attendait pas à ce déferlement d'émotions. Elle espérait maîtriser la situation et réussir à cacher sa peine sous le vernis brillant de l'indépendance. Mais ses sentiments refoulés étaient une bombe à retardement. Elle ne voulait pas craquer. Surtout pas devant sa mère.


— Tu te trompes Claire, contredit-elle doucement.

Comme elle ne réagissait pas, celle-ci répéta fermement :

— C’est faux, je ne suis pas déçue.

— Je me déçois moi-même, bafouilla-t-elle d’une voix étranglée.

— Lorsque je te regarde, je vois une jeune femme libre et créative. En fait, tu me rappelles de manière troublante quelqu'un que j'aurais préféré oublié...

— Qui ?

— Moi.

Elle la dévisagea sans comprendre. Avec son brushing tiré à quatre épingles et son pull en cachemire, Viviane Gervais était l'exemple même d'une existence calme et rangée. Mariée à 19 ans, elle avait eu des enfants dans la foulée en abandonnant toute velléité de carrière. Elle sortait toujours apprêtée. Les mardis et jeudis matin, elle se rendait à son cours de Pilâtes. Même si elle se passionnait pour la décoration, il était difficile de la qualifier d’artiste. Elles n'avaient rien en commun. Avait-elle abusé du champagne pour prononcer un discours aussi farfelu ?

— Moi dans ma jeunesse, précisa Viviane.

— Vraiment ? souffla-t-elle incrédule.

— J'étais comme toi, j'avais soif d'indépendance et de liberté. Ma majorité en poche, je rêvais de voyager. Seulement avant mes 18 ans, j'ai rencontré ton père.

— Sur une piste noire, anticipa sa fille en connaissant déjà sur le bout des doigts cette histoire mainte fois racontée.

— Exactement. Il était déjà moniteur. J'avais fait une chute spectaculaire dans la poudreuse et déchaussé. Il est venu à mon secours. Avec son côté chevaleresque et son uniforme, j’ai immédiatement été sous le charme. Quelle jouvencelle impressionnable j’étais… Nous nous sommes revus...

— Jusqu'au mariage, oui je sais.

— Tu ne connais que la version officielle.

— Parce qu'il y a une autre version ? s’étonna-t-elle médusée.

— Oui.

— Anna et Thomas sont au courant ?

— Bien sûr que non !

— Et tu vas me raconter ? Juste à moi ? s'ébahit-elle.

— C'est ce qui est prévu si tu cesses de m'interrompre.

— Je me tais, promit-elle en ravalant la série de questions qui lui brûlait les lèvres.

— Nous sommes donc sortis ensemble. J'aimais beaucoup ton père. Sauf que je n'étais pas prête pour une relation stable avec tout ce que cela impliquait. J’aspirais aux grands espaces pas à un amoureux. Je l'ai quitté.

— Tu l'as quitté ? répéta-t-elle bouche bée.

Elle s'était toujours représenté leur amour sans nuage. Un cliché lisse et naïf hérité de son enfance. A sa décharge, ses parents se disputaient rarement et ils présentaient généralement un front uni. Certes, Viviane s'agaçait vite pour un rien mais son mari avait l'art de l'apaiser. Au dire de tous, c'était un couple harmonieux et Claire ne l'avait jamais remis en cause. Pourtant, elle était bien placée pour savoir que l’apparence peut être trompeuse. Il lui semblait maintenant évident qu’ils n'avaient pas pu traverser trente années d’idylle sans heurts.

— Je l'ai quitté et je suis partie en Argentine.

Les traits maternels si familiers lui révélaient une inconnue. Elle était persuadée que sa mère n'avait jamais voyagé au-delà de l’Europe… Qui était cette femme en face d’elle ?

— Mais... tu parlais espagnol ?

— Absolument pas, s’amusa Viviane avec un rire en cascade qu’elle ne lui connaissait pas.

Intriguée, Claire discerna brièvement la jeune fille qu’elle avait été, plus légère et aventurière. Sa mère retrouva son sérieux alors que l’éclat particulier dans ses yeux perdurait.

— Évidemment, c’était de la folie. J’étais naïve et inconsciente des risques. Ce pays m’attirait et c’était suffisant. Je voulais aussi faire mes preuves. Montrer que je pouvais m’en sortir. Seule.

— Ça me rappelle étrangement quelqu’un, marmonna Claire.

— Que veux-tu, les chiens ne font pas des chats ! Heureusement, une bonne étoile veillait sur moi. Dans le vol depuis Paris, j’ai rencontré un groupe d’amis à peine plus âgé que moi. Deux garçons et une fille. Ils avaient pris six mois pour faire le tour de l’Amérique du Sud. On a sympathisé et ils m’ont proposé de les accompagner. L’un d’eux était madrilène. Camilo.

A son accent chantant, on pouvait entrevoir à quel point il avait compté.

— Il était un peu sauvage, continua-t-elle, mais paradoxalement très doux. Les premières semaines ont été merveilleuses. C’était dépaysant pour une petite savoyarde dont le voyage le plus exotique était la Bretagne ! Si différent de ce que je connaissais. On vivait au jour le jour, sans savoir toujours où dormir. J’adorais cette vie d’aventure et je progressais en espagnol. Les Argentins étaient adorables. Les paysages grandioses. Et puis, j’ai commencé à me sentir moins bien. J’étais constamment fatiguée avec un appétit d’oiseau. Au début, j’ai mis ça sur le dos de l’hygiène alimentaire précaire. Je pensais à une tourista. Pourtant, ça ne passait pas. Je perdais du poids. Camilo était de plus en plus inquiet et il a insisté pour que j’aille consulter.

— Et alors ?

— J’étais enceinte.

— De... de nous ? bégaya sa fille.

— De ta soeur et toi, oui.

Pour elle, sa mère était tombée enceinte après ses noces et elle réalisa, déconcertée, qu’elle ne connaissait même pas la date de la cérémonie.

— Du coup, tu étais enceinte lorsque tu t’es mariée ? reformula-t-elle.

— De cinq mois.

Claire accusa le coup. Partagée entre son envie de connaître la suite et la nécessité de mettre de la distance avec cette nouvelle, elle se leva. Elle avait besoin de bouger. Comment avait-elle pu louper une telle information ? Il y avait des photos du jour J ! Petite, elle les avait souvent parcourues en rêvant à son propre mariage. Avait-elle nié l’évidence ? Voulant en avoir le coeur net, elle retrouva sans peine l’album concerné sur une étagère, grâce à son étiquette calligraphiée. Il y avait là plusieurs portraits de ses parents aux couleurs fanées. Devant la mairie, à l’église ou vers un lac. Seuls ou avec leurs invités. Solennels ou souriants. Ils se tenaient la main, s’enlaçaient ou s’embrassaient. L’image même du bonheur. Elle détailla longuement la silhouette de la mariée. Aucun indice ne révélait sa grossesse déjà avancée.

— Il y avait uniquement un cercle restreint de personnes informées, expliqua sa mère. Je n’étais pas prête à en parler et mon ventre est resté discret durant toute cette période. Comme si la nature m’avait donné l’opportunité de le vivre à mon rythme. C’est seulement après notre lune de miel que je l’ai annoncé et j’ai directement pris de l’ampleur. Les gens ont eu des soupçons à votre naissance, quatre mois plus tard, mais personne n’a osé nous interroger.

— C’est dingue ! s’exclama Claire en reprenant son souffle.

Sa mère acquiesça avec une grimace contrite.

— Tu étais à l’autre bout du monde et célibataire quand tu as appris la nouvelle. Et papa dans tout ça ?

— Au départ, il était hors de question de l’avertir. C’était un choc, je ne m’attendais pas à ça. J’étais sonnée. Étrangement déconnectée de la réalité. Pour moi, la maternité était un projet lointain. Très lointain.

— Tu as voulu avorter, chuchota Claire consternée.

— Oui, je l’ai envisagé, avoua-t-elle tendue.

C'était étrange d'imaginer que son existence ne tenait qu’à un fil. Elle aurait pu ne jamais naître. Ne pas être ici, dans ce salon. Ignorer les joies et les peines. Si sa mère avait fait un autre choix, elle n'aurait simplement pas existé. Ça lui donnait le vertige. A l’origine de toute sa vie, il y avait le « oui » de cette jeune fille. Claire qui pensait être une enfant désirée se sentait flouée. La pilule était amère. Et en même temps, une part d'elle comprenait le désarroi qu'avait pu éprouver sa mère. A bientôt 30 ans, elle n’avait aucune certitude quant à sa réaction face à une grossesse surprise, alors avec dix ans de moins…

— Je comprends, l'apaisa Claire en lui caressant le bras.

— J’étais perdue, pleurant continuellement. J'aurais aimé une boussole pour m'indiquer la direction. J'étais en Argentine, loin des miens et surtout dans un pays où l'avortement est, encore aujourd'hui, illégal. Il aurait fallu revenir en France mais je ne voulais pas. Je n'étais qu'au début de mon itinéraire et je m’accrochais à mon rêve de toutes mes forces. Il y avait tant à découvrir là-bas. Danser un Tango endiablé. Voir les chutes d'Iguazú et sa jungle tropicale, les lacs et sommets de l'Altiplano. Finalement, c'est Camilo qui m'a convaincue de contacter ton père. Il a argumenté pendant des jours en disant qu'il avait le droit de savoir. C'était si généreux de s'effacer après ces semaines où nous avions été si proches.

— Tu as prévenu papa ?

— Je l'ai appelé. Je m'en souviens comme si c'était hier. Avec un vieux combiné qui grésillait et la ligne coupait fréquemment. Il y avait un décalage de plusieurs secondes entre mes propos et sa réponse. Des conditions terribles pour ce genre d’annonce. Malgré cela, ton père a été exemplaire en réservant son billet pour me rejoindre afin d’en discuter de vive voix.

— Il a traversé un océan juste pour te parler ? C'est complètement fou !

— Ça m'a beaucoup touchée et en attendant sa venue, je me suis mise à envisager l’avenir. J’apprivoisais l’idée d’être mère. Épouse éventuellement. Ce qui m'horrifiait auparavant devenait possible. Ton père est arrivé. Il m'a avoué qu'il m'aimait toujours et qu'il était prêt à élever cet enfant. Notre enfant. Toutefois, il m'a aussi assuré qu'il respecterait ma décision quelle qu'elle soit. Ce jour-là, j’ai réalisé quel homme il était. Loyal. Fidèle. Courageux. Un homme sur lequel s’appuyer. Avec quelques jours de réflexion, ma conviction a grandi. Avorter n’était plus d’actualité, je voulais le garder. Nous avons continué notre périple en Argentine. Ton père a demandé ma main aux chutes d’Iguazú et j'ai dit oui.

— Tu n'as jamais regretté ? s'inquiéta néanmoins Claire.

— Jamais. Moi voulais l’aventure avec un grand A, j'ai été comblée en apprenant que j’attendais non pas un enfant mais deux !


Et c'était comme si tout était renouvelé. Disparus ce brouillard d'incompréhension qui les aveuglait ou cette fumée épaisse qui les oppressait. La lumière avait peu à peu percé l’obscurité au fil de leur dialogue. Elle avait jailli. Intense. Elles s'étaient comprises. Retrouvées. Et miraculeusement, sa crispation s'était envolée. Adieu tristesse et découragement. Elle se sentait sereine. Aimée. Pleine d'espoir pour le futur. La magie de Noël avait encore opéré. Pour la première fois, elle avait parlé à la femme derrière sa mère. Elle avait touché du doigt ses rêves brisés et ses résurrections. Ses projets et ses élans. Ses choix et ses amours.


— Je suis très fière de toi ma chérie. De la femme que tu es. J'aurais aimé être comme toi au même âge.

— Tu n’étais pas mal non plus, plaisanta-t-elle en l’enlaçant.


Elles se quittèrent réconciliées. En montant les escaliers jusqu'à sa chambre, Claire fredonnait un air de Noël, rêveuse. Poussant délicatement la porte, elle se glissa dans la pénombre.

— Ça va ? lança une voix ensommeillée.

— Très bien. J'ai suivi ton conseil et parlé à ma mère, chuchota-t-elle.

Une vive lumière l’éblouit soudain.

— Raconte.

— Tu dormais !

— Pas du tout, je suis parfaitement réveillé, répliqua Solal en baillant exagérément.

— C’est ça, gloussa-t-elle.

— Allez ! Tu ne peux pas me dire ça et t’arrêter ! C'est cruel, bougonna-t-il.

— D'accord, d'accord, concéda-t-elle en s'allongeant sur son lit. Approche-toi pour ne pas qu’on réveille toute la maison.


En le voyant émerger de son sac de couchage, elle haussa imperceptiblement les sourcils. Il était torse nu. Pourtant, elle aurait juré qu’il avait un tee-shirt la nuit dernière. Qu’en avait-il fait par contre, mystère. Sans y prendre garde, elle fut happée par son ventre plat et suivit la fine ligne de poils dorés qui se perdait sous l’élastique plutôt lâche de son pantalon. Elle déglutit en relevant les yeux. Il la fixait d’un air amusé bien conscient de son trouble.


– Estime-toi heureuse que j’ai un pantalon, la taquina-t-il avec un sourire en coin suffisant.

– Ce n’est pas le cas d’ordinaire ? s’enhardit-elle alors que ses joues s’embrasaient.

– Non. En général, je ne porte rien.

Elle essaya de rester impassible face à une telle révélation sauf que l’intensité de son regard ne l’aidait pas vraiment. Il faisait très chaud dans la pièce soudainement. Cet étudiant menait la danse et il n’était pas question de le laisser faire.

– Ça t’intéresse mon histoire ou pas ?

Ce n’était pas brillant pour changer de sujet. Clairement pas son heure de gloire. Sa diversion pathétique entraîna un rire silencieux qui agita les épaules du jeune homme mais il ne renchérit pas. Il avança et se laissa tomber lourdement sur le matelas ce qui la fit rebondir. Puis, il s’allongea en croisant les bras derrière la tête, pas le moins du monde intimidé. C’était déconcertant de le voir dans son lit, étonnamment à sa place. Familier et serein.

– Je suis tout ouïe.

Pour s’éviter la tentation de le reluquer, elle éteignit. Ce qui n’était pas l’idée du siècle. La tension entre eux redoubla. Privée de la vue, ses autres sens se déployaient. Il y avait ce souffle régulier. La chaleur qui émanait de sa cuisse. Cette présence à ses côtés, c’était… intime. Elle n’avait plus l’habitude. Ce qui expliquait certainement son coeur battant la chamade. Il fallait qu’elle se reprenne. Elle était une grande fille. Elle ne pouvait pas être transportée pour si peu. La voix légèrement rauque, elle commença son récit en se focalisant sur les mots. Et peu à peu, la sérénité la gagna.
End Notes:
Merci à tous ceux qui suivent cette histoire même en plein coeur de l'été ;) Ce chapitre répondait à la contrainte d'Haza "un secret de famille est révélé", qu'en avez-vous pensé ?
L'amertume du chocolat by Wapa
Author's Notes:


Finalement avec mon rythme de publication chewing-gum, on s'approche de la saison optimale pour lire cette histoire xD Il commence à faire froid, on aime se préparer un thé à la Cannelle... de quoi se plonger encore mieux dans cette ambiance de Noël, non ?
– Tata ! Tataaaaaa !

Ces sons stridents lui vrillaient les tympans et elle cligna des paupières à plusieurs reprises, désorientée, avant de croiser un doux regard caramel.

Solal. Bien trop proche.

Elle eut un mouvement de recul et réalisa à cet instant que leurs jambes étaient entremêlées. Manifestement, le sommeil leur était tombé dessus sans crier gare. En balbutiant des mots incohérents, elle chercha à se dégager tandis que ses neveux en profitaient pour grimper sur le lit et sauter impunément.

– Tata, pourquoi tu as dormi toute habillée ? demanda l’ainé entre deux rebonds.

Telle était la question effectivement.

– J’étais très fatiguée poussin, justifia-t-elle d’une voix ensommeillée. Je me suis endormie d’un coup.

Heureusement, du haut de ses trois ans et demi, le garçon se contenta de cette explication approximative. Et puis, ce n’était clairement pas la préoccupation principale de ces enfants.

– Le Père Noël est passé ! Mamie a dit qu’il fallait vous attendre…

– Ca’o ! Ca’o ! ajouta Timothée.

Voilà qui expliquait l’irruption inopinée des chenapans.

– Quelle heure est-il ? ronchonna Claire qui aurait bien somnolé encore un peu.

– Presque dix heures, l’informa Solal pas mieux réveillé.

Face à leur inertie, le matelas bougea de plus belle. Le philosophe se redressa brusquement et attrapa Hugo.

– Tremblez pauvres mortels ! Ha ! Ha ! Ha !

Sous l’attaque de chatouilles, le petit se contorsionna en hurlant et son pied manqua de peu le nez de sa tante avant qu’il ne réussisse à s’échapper.

– Fuyez si vous tenez à la vie !

Et miraculeusement, la menace fonctionna et ils déguerpirent aussitôt. Elle poussa un soupir de soulagement en refermant les yeux. Peut-être qu’elle pourrait paresser un peu… C’était sans compter sur la détermination des demi-portions. Ils revinrent cette fois avec l’artillerie lourde : une trompette pour l’un et un tambour pour l’autre.

– Pitié ! Pitié ! supplia-t-elle en se bouchant les oreilles. J’ai compris ! Tata se lève. Regardez, hop, je suis debout. Maintenant, sauvez-vous pour qu’on puisse s’habiller, exigea-t-elle en les dirigeant vers la sortie.

– Tu es déjà en robe ! souligna fort à propos Hugo.

– Elle est froissée, il faut que je me change et aussi que je me coiffe, expliqua-t-elle en visualisant ses boucles indisciplinées dignes d’un épouvantail.

Et pour se prémunir d’une nouvelle intrusion, elle ferma à clef. S’adossant à la porte, elle étouffa un rire. L’euphorie commençait à la gagner…

– Joyeux Noël Solal !

– Joyeux Noël à toi, répondit-il en lui tendant un joli paquet enrubanné.

– C’est pour moi ? s’ébahit-elle tandis qu’il acquiesçait. Mais… je n’ai rien pour toi !

Quelle gourde, elle n’y avait même pas pensé.

– Tu peux m’offrir un dessin.

– Ce n’est pas un échange très équitable…

– Je ne t’offre pas un cadeau pour en recevoir un équivalent ! la sermonna-t-il en levant les yeux au ciel. Et qui sait, peut-être que tu deviendras célèbre et que cette unique esquisse me rendra riche. Alors deal ?

– Ok, deal.

Le jeune homme agita le paquet devant elle et malgré sa mauvaise conscience, elle arrêta de résister. Déchirant avidement le papier doré, son présent la laissa sans voix. Un nécessaire à dessin… Solal lui avait offert tout un lot de crayons, de fusains et de pastels. L’émotion lui serra la gorge. Ça faisait une éternité qu’elle n’avait pas eu du matériel neuf et c’était la première personne à l’encourager dans cette voie depuis longtemps. Ça la remuait - un peu - ça la touchait - beaucoup.

– Tataaaa ! On t’attend ! interpellèrent les garçons dans le couloir.

Cet énième rappel à l’ordre les incita à se préparer rapidement et un quart d’heure plus tard, ils étaient frais et pimpants dans le salon, se tenant par la main tel l’adorable couple d’amoureux qu’ils n’étaient pas. Leur apparition lança la course aux cadeaux et les deux monstres se ruèrent sur la montagne au pied du sapin. Avec fierté, Claire nota que son garage en bois à trois niveaux remportait un franc succès.

Quelques cartons éventrés plus tard, les enfants imitaient sagement le bruit d’une dépanneuse, bientôt rejoints par leur oncle et Solal. Ça l’épatait de voir avec quel naturel l’étudiant se fondait dans le décor, comme s’il en avait toujours fait partie. Le tableau était si mignon qu’elle s’éclipsa pour récupérer son ancien cahier à dessin - décoré de paillettes - et ses nouveaux crayons. Une soudaine impulsion la poussait à saisir l’instant. S’installant ensuite sur le canapé, elle esquissa les silhouettes en s’attardant sur celle de son prétendu fiancé allongé sur le tapis. Elle voulait croquer cette mèche rebelle, ce piercing à l’arcade et son air concentré alors qu’Hugo lui parlait. Se sentant observé, il lui fit un clin d’œil et retourna à son jeu sans commentaire ni changement d’attitude. Elle appréciait qu'il soit aussi respectueux lorsqu'elle créait. Sa soeur vint se placer à côté d’elle pour couver sa progéniture avec tendresse.

Ce paisible bonheur familial se prolongea et elle croqua d’autres scènes : son père endormi sur le fauteuil, Solal épluchant une mandarine pour en faire un serpentin, Timothée avec sa tétine dans les bras de sa grand-mère, la silhouette rebondie d’Anna enlacée par son mari, les hommes s’affrontant au baby-foot, Juliette portant un plateau de thé. Le bout des doigts noirci, elle remplissait les pages comme un junkie replonge dans la drogue. Finalement, écourter cette journée pour un rendez-vous galant lui donnait presque des regrets. L’épisode de la patinoire lui semblait tellement lointain. Elle hésitait à reporter pourtant, elle savait déjà qu’elle n’oserait pas décommander. Elle espérait ce moment depuis des mois et maintenant qu’ils semblaient enfin sur la même longueur d’ondes, elle se serait damnée plutôt que de retarder encore l’échéance. En outre, les baisers échangés hier ne demandaient qu’à être réitérés, surtout avec un goût de chocolat chaud…

Elle rafraîchit donc son maquillage, glissa de quoi dessiner dans son sac - parée à toute éventualité - et embarqua avec Solal dans sa vieille Clio. Officiellement, il s’agissait d’aller présenter les voeux à sa belle-famille seulement le jeune homme s’y rendrait sans elle.

– A tout à l’heure, souffla-t-elle timidement face à son visage fermé.

Elle se sentait coupable… de l’impliquer autant dans cette histoire avec Donovan… d’être troublée en sa présence sans réussir à lui envoyer des signaux clairs. Le bon sens lui suggérait de s’en tenir à la franche camaraderie mais elle en était incapable. Elle voulait le beurre, l’argent du beurre et le crémier ! Ce qui ne l'empêchait pas de se trouver égoïste d'avoir embarqué cet innocent dans un méli-mélo amoureux.

– Hum… Tu sais… si ça te dérange, on n’est pas obligés de continuer ce faux couple.

– Tu veux qu’on arrête ? interrogea-t-il sombrement.

– Non ! se récria-t-elle, affolée qu’il se soit mépris sur son intention. Non, bien sûr que non, reprit-elle plus calmement. Ce n’est pas ça. Je me dis simplement que ce n’est pas correct pour toi toute cette situation.

– Je me suis engagé.

– Tu t’es largement acquitté de ta dette.

– Et si je veux aller au bout ? suggéra-t-il, buté, avec l’air de celui qui n’en a pas du tout envie.

– On ne dirait pas ! s’agaça-t-elle.

– Claire, soupira-t-il en se pinçant l’arête du nez. Qu’est-ce que tu aimerais que je te dise au juste ?

– Que tu regrettes notre arrangement.

– Ce n’est pas le cas. Je t’ai accordé trois jours et je m’y tiendrais. Appelle-moi quand tu as terminé, la congédia-t-il en détournant la tête.

Vexée, elle s’extirpa de la voiture et la portière claqua avec un peu trop d’énergie avant que la culpabilité ne la rattrape. Cette discussion n’avait mené à rien. Le ton était monté rapidement sans qu’elle n'en comprenne vraiment la raison et elle n’était à présent qu’une boule de nerfs, absolument pas d’humeur à badiner. Or Donovan patientait déjà dans le salon de thé. A travers la vitrine illuminée, elle pouvait l’apercevoir pianoter sur son téléphone même s’il ne l’avait pas encore repérée. Comme elle était incapable de le rejoindre, elle partit à grandes enjambées en comptant sur cette marche rapide pour éradiquer la tension qui pulsait en elle. Jusqu’à ce que sa chaussure ne dérape sur la chaussée mouillée. De justesse, elle réussit à se rattraper mais elle dut adapter sa vitesse pour ne pas réitérer l’expérience, ce qui n’avait évidemment plus aucun effet sur sa colère. Il lui fallait un plan B. Avisant l’église, elle se glissa à l’intérieur et constata avec satisfaction qu’il n’y avait personne. Tout était silencieux, baigné dans l’obscurité et les effluves d’encens la réconfortèrent quasi instantanément. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle avait toujours aimé cette atmosphère mystique un peu particulière, ce supplément d’âme dans les lieux sacrés. Comme si les prières des fidèles amassées au fil des siècles avaient imprégné peu à peu ces vieux murs. Ici, elle serait bien.

S’asseyant sur le dernier banc, elle sortit son cahier et tergiversa devant la page blanche. Finalement, l’expression dure de Solal lorsqu’il l’avait déposée s’imposa à elle. Ce malaise entre eux l’avait mise dans tous ses états. Elle s’était énervée sans réussir à lui avouer à quel point elle l’appréciait, à quel point elle s’était attachée. Elle n’avait pas osé. Et chaque trait emportait son impuissance, sa faiblesse, sa rage. Ce dessin pompait toutes ses émotions, s’emparant de sa détresse pour la sublimer. Le portrait achevé, elle se sentait détendue mais pas encore pleinement disposée à rencontrer Donovan. Dans un bruissement sec, elle tourna la page et commença à crayonner son séduisant collègue pour retrouver la flamme et chasser ses doutes. Se replongeant dans l’ambiance de la patinoire, elle le dessina juste avant leur premier baiser, quand il l’avait enlacée sur la glace. Elle essaya de retranscrire son attitude présomptueuse en prenant soin du port de tête et des épaules. Au-dessus de ses cheveux crépus, coupés à ras, elle traça une bulle avec sa blague idiote et ce souvenir l’amusa. Elle accentua l’éclat dans ses prunelles sombres, rectifia l’ovale de son visage et ce fut terminé. Elle était apaisée. Et prête. Son prétendant en chair et en os l’attendait. A nouveau, elle désirait flirter, éventuellement l’embrasser… mais aussi savoir ce qui l’avait poussé à se déclarer alors qu’elle n’avait jamais caché son intérêt auparavant. Cette fois, elle ne se contenterait pas d’une réponse fuyante. Ça serait la vérité ou rien. La midinette en elle n’avait qu’à bien se tenir !

Ragaillardie, elle marcha d’un bon pas dans le jour qui baissait. La grisaille du ciel se teintait progressivement d’une poudre rosée et les branches nues des arbres s’assombrissaient en lui donnant envie de s’enrouler dans un plaid moelleux au coin du feu. Elle poussa enfin la porte du salon de thé et le bout de son nez picota agréablement en retrouvant une température confortable. Tout ici rappelait la montagne, du parquet clair à la décoration alpine en passant par le mobilier en bois, principalement occupé par des familles réunies autour d’un aïeul. Probablement à cause de son aversion pour Noël, Donovan s’était placé aussi éloigné que possible du sapin clignotant de rouge et d’or. L’informaticien féru de technologie était rivé à son portable ce qui lui laissait le loisir de l’observer. Le dos musclé qu’elle devinait dans cette chemise noire n’était qu’un appel à faufiler ses mains refroidies sous l’étoffe. Son imagination s’emballa et elle déglutit. ll suffisait qu’il soit à proximité pour qu’elle divague complètement. Certes, elle le trouvait charmant seulement c’était bien au-delà de ça. Sa beauté ravageuse dévorait tout sur son passage. Il brillait en éclipsant le commun des mortels et elle était irrémédiablement attirée. Qu’aurait-elle pu faire d’ailleurs quand la majorité de ses collègues féminines tombaient en pâmoison ? Les respectables cinquantenaires mariées et mères d’adolescents boutonneux redevenaient aussi légères que des lycéennes avec lui. Même sa despotique patronne s’adoucissait lorsqu’il était dans les parages. Evidemment, Claire n’était pas en reste et elle comptait bien profiter de sa chance...

– Tu es là ! s’exclama le brun en se redressant d’un bond. J’ai cru que tu m’avais posé un lapin, avoua-t-il avec embarras.

Décontenancée par son manque d’assurance soudain - le Réunionnais était toujours sûr de lui - elle jeta un coup d’oeil à l’horloge murale et réalisa avec stupeur qu’elle avait quasiment trois quarts d’heure de retard.

– Oh pardon ! bredouilla-t-elle en rougissant. J’ai eu un contre-temps et j’ai oublié de te prévenir.

Ce qui était presque la vérité. Il y eut un flottement où ils se dévisagèrent gênés puis Donovan reprit le dessus. Il l’invita à s’asseoir dans une révérence surjouée qui allégea immédiatement l’atmosphère et après avoir commandé leurs chocolats chauds, il posa négligemment sa main sur la sienne.

– Je suis content de te voir.

– Moi aussi, assura-t-elle en mêlant ses doigts aux siens, soulagée de reconnaître le Donovan qu’elle connaissait, confiant et charmeur.

– Tu m’as manqué. Je n’ai pas arrêté de penser à toi. En dévalant les pistes. Sur le télésiège. Encore un peu et je poussais la chansonnette…

– Vraiment ? pouffa-t-elle, indiscutablement flattée.

Dans un coin perdu des montagnes, un tout petit Savoyard, chantait son amour dans le charme du soir, près de sa bergère au doux regard,* fredonna-t-il - plutôt faux - en souriant.

Elle rigola franchement.

– Dis-moi, tu as révisé tes classiques !

– Il fallait bien que je m’imprègne de la culture locale pour une certaine savoyarde de ma connaissance.

– J’apprécie l’effort, plaisanta-t-elle.

– Et ta journée alors ?

– Très sympa. Ma mère s’est admirablement tenue à carreau et mes neveux sont adorables, ajouta-t-elle en omettant volontairement un certain philosophe. Et toi, tu n’as pas profité des fêtes pour rendre visite à ta famille ?

– J’ai coupé les ponts avec eux, annonça-t-il laconiquement en se reculant sur sa chaise.

– Mince, j’ignorais totalement… bafouilla-t-elle confuse. Désolée pour toi.

– Ne le sois pas.

Le silence s’installa toutefois et la jeune femme se réprimanda intérieurement. Elle avait réussi à mettre les pieds dans le plat en à peine cinq minutes ! Un record dont elle se serait volontiers passé. Donovan était maintenant plongé dans ses pensées, totalement inaccessible. Même la serveuse qui apporta leur commande n’eut aucun impact sur son air absorbé. Saisissant sa tasse brûlante, Claire l’observa à la dérobée. Ses sourcils froncés n’étaient pas très engageants et elle ignorait comment relancer la conversation naturellement. Heureusement, il s’en chargea pour elle.

– A vrai dire je ne voulais pas t’embêter avec ça mais j’ai justement reçu une longue lettre pour Noël… de mon frère.

– Avec de bonnes nouvelles ?

– Plutôt oui. Il me parle un peu de lui et surtout, il m’invite à son mariage. Mon cadet qui se marie… et qui veut que je sois là… Pourtant ça fait des années que je n’ai pas donné signe de vie ! Je ne m’attendais pas à ce qu’il me recontacte comme ça et j’hésite. Y aller ? Ne pas y aller ?

– Tu aimerais le revoir ?

– Je crois que oui. On était assez proches avant.

– Qu’est-ce qui t’en empêches ?

– Mon père. C’est un homme dur, très à cheval sur ses principes et lorsque je suis parti, on n’était pas spécialement en bons termes, si tu vois ce que je veux dire… En plus, chacun va mettre son grain de sel. Mes oncles et tantes, mes cousins et cousines, sans parler des voisins. La communauté est tellement soudée là-bas que tu ne peux pas te pointer incognito en espérant passer inaperçu. Ça va être le retour du fils prodigue et je ne pourrai pas affronter ça seul…

Il n’avait pas à poursuivre pour qu’elle perçoive l’attente derrière les mots. Une supplique muette qu’elle n’était pas sûre de réellement comprendre…

– Attends une minute, s’affola-t-elle. Ne me dis pas que tu envisages sérieusement

– Que si tu en as envie aussi évidemment ! la coupa-t-il.

– Tu voudrais que je t'accompagne ? s’étrangla-t-elle.

– J’aimerais beaucoup oui, affirma-t-il en se rapprochant d’elle. C’est drôle, en voyant le faire-part j’ai directement pensé à toi. Ça a été un électrochoc en quelque sorte.

Où était donc ce collègue qui refusait systématiquement toutes ses tentatives de rapprochement ? Voilà maintenant qu’il se projetait avec elle jusqu’à vouloir officialiser leur relation. Tout allait trop vite !

– Pourquoi pas, répondit-elle prudente. On verra comment les choses évoluent…

… entre nous.

Même si elle ne l’avait pas formulé tout haut, il y avait comme une promesse qui flottait dans l’air. Le pouce de Donovan traçait des cercles sur son poignet et elle savourait cette légère caresse. Elle ne savait pas de quoi demain serait fait toutefois elle était étonnamment sereine.

– Ça va, je ne vous dérange pas ? les interrompit une voix glaciale.

Son vis-à-vis se décomposa en retirant vivement sa main tandis qu’elle découvrait au pied de leur table un homme élancé qui semblait furieux. Avec son perfecto noir et sa barbe de trois jours savamment étudiée, il dénotait étrangement dans cette atmosphère rustique. Avant qu’elle n’ait pu réagir, Donovan était déjà levé.

– Je reviens, l’informa-t-il tendu.

Et il l’abandonna sans autre forme de procès pour entraîner l’inconnu hors du café. Déboussolée, elle mit plusieurs secondes à réaliser qu’il était tout bonnement parti. Elle fixait la porte bouche bée en essayant de rassembler ses idées. Malgré l’hostilité du barbu, son compagnon l’avait suivi sans rechigner. Il devait forcément le connaître ce qui n’était pas un gage de sécurité pour autant et Claire hésitait sur la conduite à tenir. Attendre sagement son retour telle la Belle au bois dormant ou plutôt jouer l’héroïne de polar en pleine quête ? A fleur de peau, elle ne mit pas longtemps à trancher. Donovan s’attendait à ce qu’elle reste ici seulement elle voulait en avoir le cœur net. Elle déposa un billet et se faufila entre les tables. Elle les avait vus disparaître sur la droite et elle suivit donc cette piste dans la lumière blafarde des réverbères. A l’intersection, elle fit quelques pas, indécise. Des vociférations dans un renfoncement l’encouragèrent. Elle avait reconnu le timbre agité de Donovan. Elle n’avait même pas besoin de se rapprocher pour l’entendre distinctement.

– Il n’y a que toi qui compte !

Interloquée par ses propos, elle accéléra automatiquement le pas pour découvrir un spectacle irréaliste. Les traits durs, Donovan tenait fermement l’inconnu contre le mur humide alors que celui-ci se débattait. Sans le lâcher, il attrapa sa nuque et colla leurs fronts. Un geste d’une intimité troublante…

– C’est juste une couverture, déclara-t-il posément. C'est de toi que je suis fou. Tu le sais bien.

Et il l’embrassa. Juste comme ça. Sans signe annonciateur. Il l’embrassa. En y mettant une intensité douloureuse et passionnée. Il l’embrassa. Aussi sonnée que si elle avait pris un coup, Claire recula hâtivement dans l’ombre. Elle aurait voulu être ailleurs ou encore mieux, ne jamais avoir croisé la route de ce faux jeton. Seulement il était trop tard. La douceur du chocolat sur ses lèvres s’était évaporée. Ne lui restait que son amertume.
End Notes:
Tadam ! Alors vous l'aviez vu venir ? xD N'hésitez pas à me donner votre avis, ça me fait toujours super plaisir de lire vos retours. La fin commence à se préciser... Je pense qu'il y aura encore un chapitre pour clôturer cette histoire. J'y suis presque ! #Onycroit Merci pour votre lecture !

*paroles tirée de la chanson "Etoile des neiges"
All I want for Christmas... by Wapa
Author's Notes:

Et voiiiilà le dernier chapitre ! Quasiment un an après la publication du premier chapitre... j'espère qu'il vous plaira et on se retrouve à la fin :)
Une sonnerie de téléphone.

Donovan.

Avec ce qui lui restait de fierté, Claire éteignit l’appareil. Il était hors de question de discuter avec ce faux jeton. Qu’il s’inquiète donc de son absence dans le salon de thé, il l’avait bien mérité ! La vue brouillée, elle percuta un passant mais continua son chemin sans s’en préoccuper, envahie par les images qui lui revenaient par flash. L’inconnu en perfecto noir et jean troué. Son air furieux lorsqu’il avait interrompu leur rendez-vous amoureux. Sa barbe savamment travaillée. Le mur humide éclairé par un réverbère fatigué. Et contre toute attente, Donovan qui embrassait cet homme alors qu’il venait juste de l’inviter au mariage de son frère. Elle réprima un sanglot en pensant qu’il s’était servi d’elle. Encore une fois, elle s’était fourvoyée et son besoin désespéré d’amour s’était retourné contre elle. Aveuglée par ses sentiments, elle n’avait pas pris la peine de lire les signes pourtant évidents. Ses antennes lui avaient bien suggéré que la situation n’était pas ajustée, qu’elle jouait le jeu d’une autre - ou d’un autre plutôt - toutefois elle les avait sciemment ignorées. Et voilà qu’elle payait le prix d’y avoir cru. Ses espoirs gisaient dans la poussière et elle déambulait dans les rues gelées sans savoir si elle avait envie de pleurer toutes les larmes de son corps, de hurler à en perdre la voix ou de cogner violemment la carrosserie des voitures stationnées dans la rue… sûrement tout ça à la fois.

Et puis, une lumière perça le brouillard qui l’entourait. Une vitrine était allumée au loin et sur sa devanture s’étalaient en lettres calligraphiées l’enseigne qui semblait écrite pour elle. Tourner la page. Quoi de plus approprié compte tenu des circonstances ? Animés d’une volonté propre, ses pieds se dirigèrent spontanément vers la boutique et elle pénétra dans ce qui ressemblait à la caverne d’Ali Baba. Une librairie comme elle n’en avait jamais vue, avec des piles et des piles de livres entassés… Elle eut la tentation saugrenue de s’emparer de celui tout en dessous pour voir si l’amoncellement s’écroulait mais elle ne fit qu’effleurer les ouvrages hétéroclites en pensant que ce rangement incommode ne manquait pas de charme. Il y avait un côté décalé et inattendu qui lui plaisait. Des lampes marocaines baignaient les lieux encombrés de teintes chaudes. Quelques poufs satinés bleu roi trainaient sur le parquet sombre et une fragrance de vanille flottait dans l’air. Et soudain, un vieux monsieur à barbe blanche apparut à ses côtés ce qui renforça l’ambiance mystique de cet endroit.

– Que puis-je pour vous mademoiselle ? s'enquérit-il avec bonhomie alors qu’elle s’attendait plutôt à ce qu’il lui demande si elle avait été sage cette année.

D’apparence anodine, cette question la plongea pourtant dans un abîme de perplexité.

De quoi avait-elle besoin au juste ?

Claire excellait pour déceler les attentes des autres sans qu’ils n’aient à les formuler mais qu’en était-il pour elle ? La plupart du temps, elle ignorait purement et simplement son désir profond. Il était asphyxié, envahi, pollué par la fantaisie d’autrui. Inaudible. Inexistant ? C’était si difficile de se donner la priorité, de se sentir légitime à prendre soin d’elle. Comme si elle ne méritait pas vraiment toute cette attention et que le meilleur était réservé aux autres. Et pourtant, une petite voix intérieure aussi légère qu’une brise d’été susurrait…

Une quête de sens.

Sa vie n’allait nulle part. A bientôt trente ans, elle piétinait. Tel un poisson rouge dans son bocal, elle tournait en rond en allant toujours aux mêmes endroits sans renouveler ses relations. Son travail autrefois si stimulant n’était plus que l’ombre de lui-même. Et malgré son insatisfaction chronique, elle restait passive face aux événements. Elle attendait… un élément déclencheur, le prince charmant qui viendrait la délivrer, sa marraine la bonne fée, n’importe quoi ! Qu’enfin elle puisse sortir de cette léthargie dans laquelle elle s’était lovée sans même s’en rendre compte.

Et si la solution était plutôt en elle ? Il lui fallait un nouveau départ. Être au volant de sa vie pour retrouver son pouvoir créateur…

– Auriez-vous un cahier à dessin ? demanda-t-elle finalement.

Jusqu’à présent, elle avait utilisé son calepin d’adolescente, cependant le moment était venu de débuter un nouveau chapitre, celui de la femme déterminée qui assumait ses passions et leur accordait une place de choix. Le libraire disparut derrière les étagères et ressortit quelques minutes plus tard avec diverses propositions : un sobre cahier noir à spirales, un second au look psychédélique avec des oiseaux exotiques et un troisième représentant une demoiselle dans sa 2 CV aérienne. Ce dernier lui évoqua aussitôt sa métaphore d’être aux commandes de sa destinée.

– J’ai définitivement un coup de coeur pour celui-ci, désigna-t-elle.

– Très bon choix. Cette couverture pastel a un charme suranné absolument délicieux. Serait-ce pour offrir ?

– Non c’est pour moi, affirma la brune avec fierté. Je vais même l’étrenner immédiatement, ajouta-t-elle en sortant ses crayons pour lui prouver ses dires.

– Merveilleux, salua-t-il avec chaleur. Si vous voulez profiter du décor de ma modeste boutique, n’hésitez pas. J’aime être en présence d’artistes, ça fait circuler une énergie positive.

A l’entente du mot « artiste », elle tiqua un peu mais pour une fois, elle ne chercha pas à démentir et accepta le compliment avec un sourire. Après tout, même si cela lui semblait présomptueux, elle créait et elle s’était promis de l’assumer alors elle n’allait pas se défiler à la première occasion. S’installant en tailleur sur un des poufs, elle se mit donc avec plaisir à la tâche. Aussi incroyable que ça puisse paraître, son ressentiment s’envola à la seconde où son crayon toucha le papier. Comme si dessiner avait des vertus magiques. Les pages se remplissaient et elle perdit la notion du temps, à peine distraite par le vieil homme qui l’observait à la dérobée. Un instant suspendu au goût d’éternité.

– Ah, tu es là !

Elle sursauta en relevant la tête. D'abord agacée - elle détestait être interrompue en plein élan créateur - elle s’adoucit en reconnaissant son interlocuteur.

– Solal, comment m’as-tu retrouvée ?

– Figure-toi que j'ai croisé la grand-mère que nous avions prise en stop sur l’aire d’autoroute. C’est elle qui m’a dit que tu étais ici.

C’était étonnant d’imaginer cette vieille dame, de prime abord confuse, réussir à donner des informations cohérentes néanmoins Claire ne s’en formalisa pas plus que ça. Son seuil d’acceptation de l’imprévu s’était décuplé au fil des heures et le lâcher prise était presque devenu une seconde nature.

– Je croyais que tu devais m’appeler lorsque ton rendez-vous était terminé, ajouta-t-il en s’asseyant souplement à ses côtés. J’ai essayé de te joindre sauf que je tombais directement sur la messagerie et je commençais à m’inquiéter.

– C’est… compliqué, soupira-t-elle.

– Tu n’es pas obligée d’en parler.

– Merci, accepta-t-elle avec gratitude. Plus tard peut-être…

– Quand tu veux, acquiesça-t-il en fermant les yeux ce qui l’encouragea tacitement à poursuivre son activité.

Seulement ce n’était plus tout à fait pareil… Malgré le silence religieux dont il faisait preuve, Solal irradiait auprès d’elle. C’était doux, paisible et en même temps électrisant. Sa créativité se décuplait en ronronnant de plaisir. Et Claire se sentait pousser des ailes comme si elle était devenue une nouvelle version d’elle-même. Une version améliorée, puissante, géniale et sexy. Elle ignorait comment le jeune homme parvenait à déclencher cela rien qu’avec sa présence. Elle aurait bien décortiqué les tenants et les aboutissants d’un tel processus mais elle craignait que cette sensation s’évapore si elle cherchait à en percer le mystère et c’était trop agréable pour qu’elle prenne le risque d’y renoncer. Alors elle se contentait de savourer. Et de dessiner.

– Ton cadeau de Noël comme promis, annonça-t-elle finalement en arrachant une de ses pages.

Convoquant ses souvenirs, elle l’avait croqué lors de leur séance de pâtisserie riant à gorge déployée face aux coquillettes répandues sur le carrelage. Sa gravité lui plaisait beaucoup mais elle trouvait encore plus irrésistible son rire et ce dessin cherchait à représenter tout cela.

– Merci, je suis touché, murmura-t-il en plongeant ses prunelles dans les siennes.

Happée par leur nuance caramel, elle se sentit chavirer.

Une loi cosmique aurait dû interdire autant d’intensité…

Son rythme cardiaque s’emballa.

– Hum, hum, les interrompit le libraire. Navré jeunes gens, je vais devoir fermer.

– Bien sûr, désolée ! bafouilla-t-elle en se relevant maladroitement. Tenez, c’est pour vous remercier de l’accueil, ajouta-t-elle en arrachant une nouvelle page de son cahier.

– Splendide ! s’exclama-t-il en contemplant les piles de livres qu’elle avait tracées au crayon. Je vais l’encadrer et l’afficher au-dessus du comptoir… Sapristi ! Il manque votre signature !

– Oh c’est vrai, rougit-elle.

Manifestement, son sentiment de légitimité manquait encore un peu de pratique et elle s’empressa de remédier à cet acte manqué.

– Revenez quand vous voulez ! s’enthousiasma son nouvel admirateur. Mon humble boutique vous est ouverte pour dessiner.

Après avoir promis de revenir bientôt, elle se glissa dans la nuit aux côtés de son compagnon. Leurs bras se frôlaient au rythme de leurs pas et le silence se prolongeait sans que cela soit pour autant désagréable. Aucune attente ne pesait sur ses épaules, elle pouvait simplement être. Dans toute sa plénitude. Avec sa complexité et ses contradictions. Avec ses réussites et ses failles.

– Donovan, commença-t-elle hésitante, je l’ai surpris en train d’embrasser un homme.

– Je vois, répondit Solal en marquant un temps d’arrêt. Désolé pour toi.

– J'ai été idiote d’y croire, minimisa-t-elle.

– Ne sois pas déçue d'avoir fait confiance. Au contraire, c’est une belle qualité.

– Le pire dans tout ça, c’est que je sentais que quelque chose clochait ! déplora-t-elle, soudain au bord des larmes. Depuis le début, je le savais !

Solal resta muet mais s’empara de sa main. Et la chaleur de sa paume réchauffa ses doigts gelés. Elle réconforta son coeur blessé.

– En plus, je suis persuadée qu’il va chercher à noyer le poisson, continua-t-elle. Il va vouloir retourner la situation à son avantage. Donovan déteste perdre la face. Il a sûrement essayé de m’appeler et je ne suis pas prête pour ça… L’entendre se justifier. Se trouver des excuses. C’est au-dessus de mes forces.

– Rien ne t’y oblige Claire.

– Tu crois ?

– Pour quelle raison te forcerais-tu à faire quelque chose dont tu n’as pas envie ?

– Bonne question. Je ne sais pas. Pour lui. Pour qu’il comprenne mon revirement…

– Et toi dans tout ça ?

– C'est vrai que j’ai toujours eu tendance à m’oublier en pensant aux autres mais tu as raison, il faut que ça change. Tu serais d’accord d’allumer mon téléphone pour supprimer ses messages ?

– Et si tu le faisais toi

Encore une fois, le jeune homme visait juste. Redoutant d’être embobinée, elle aurait préféré ne pas s’y confronter. Pourtant, l’exercice ne pourrait que lui être profitable même si le doute subsistait. Flancherait-elle face aux belles paroles de cet hypocrite ? Ses doigts entremêlés dans ceux de Solal lui donnèrent le courage nécessaire. Elle alluma son téléphone.

– Cent-trois messages, quarante-un appels et un répondeur qui déborde, énonça-t-elle d’une voix blanche.

Face à cette abondance inattendue, elle eut la tentation de faire l’autruche. Eteindre l’appareil et ignorer ce déferlement en repoussant au lendemain… ou à jamais. Elle se sentait prisonnière des attentes qui pesaient sur elle. Comme si elle se devait de répondre immédiatement à tous, de s’ajuster au rythme effréné de la communication. Cet instrument lui semblait brusquement tyrannique alors qu’il aurait dû être à son service. Légèrement paniquée, elle se tourna vers Solal en quête de soutien.

– Par quoi est-ce que tu commences ? l’encouragea-t-il.

– Hum, les appels ?

– Parfait.

– Donc j’ai 33 appels de Donovan…

Trente-trois.

Ce chiffre était effrayant. Elle qui avait peur de retomber dans ses filets quelques minutes auparavant constatait avec plaisir que l'envoûtement n’opérait plus. Être harcelée n’avait rien de séduisant.

– Mince ! Ma patronne m’a appelée…

– Le jour de Noël ?

– Il y a dû avoir un souci au boulot.

Fébrile, elle lança sa messagerie en se demandant quelle urgence justifiait un appel durant les fêtes. La voix de Donovan l’accueillit mais elle supprima sans scrupule ce premier message. Puis le deuxième. Le troisième. Et le quatrième. Finalement, elle arriva sur celui de sa patronne.

« Mademoiselle Gervais, je suis passée récupérer votre pile de dossiers et j’ai remarqué deux erreurs. J’aimerais éclaircir ce point avec vous. Rappelez-moi au plus vite. »

Interloquée par le ton cassant, elle dût réécouter le message pour s’assurer de sa banalité. Le dragon l’avait vraiment dérangé pour des coquilles administratives sans même un « Joyeux Noël » !

Au plus vite.

– Oh qu’elle aille au diable ! s’énerva-t-elle faisant hausser les sourcils de son compagnon. Elle veut que je la rappelle parce qu’il y a des coquilles dans les dossiers que je lui ai rendus. Ça veut dire qu’elle est passée au travail aujourd’hui pour les vérifier. Cette femme est dingue !

– Des dossiers importants ?

– Absolument pas ! La routine. Rien qui ne justifie qu’elle m’appelle le jour de Noël. Je pense qu'elle veut seulement réaffirmer son autorité. Elle se glorifie de ce petit pouvoir. Argh ! Je ne supporte plus ce travail ! Sans parler de Donovan que je vais devoir croiser constamment dans nos locaux…

– Si quelqu’un doit avoir honte, c’est lui et pas toi.

– C’est vrai. Il n’empêche que j’en ai assez.

– Tu pourrais chercher un autre job…

Pourquoi pas.

Après tout, elle commençait à avoir de l’expérience et un CV attrayant en tant que chargée de communication. Rien ne l’empêchait de postuler ailleurs… juste pour voir. Ça serait même une opportunité de quitter l’import-export où elle était arrivée par hasard pour renouer avec ce qui l’avait toujours attirée : l’art. A cette idée, elle se sentit plus légère et elle décida d’ignorer l’appel de sa responsable jusqu’à la fin des vacances. Elle n’aurait qu’à prétexter le réseau médiocre en montagne en jouant la carte de la provinciale. Ragaillardie, elle supprima aussi les messages restants de Donovan et bloqua son numéro avec un soulagement intense. Elle se sentait libre.


*



Main dans la main, ils avançaient difficilement dans la neige fraîche, un peu à l’écart. Malgré le paysage digne d'une carte postale, la jolie brune était mélancolique. Dans quelques heures, son prétendu amoureux partirait. Les trois jours qu’il lui avait accordés touchaient à leur fin et elle refusait de lui dire adieu. Toutefois, elle ne voyait pas comment lui faire comprendre naturellement qu’elle aimerait bien le revoir. Elle avait peur de paraître insistante, ayant déjà exigé beaucoup de cet inconnu rencontré dans un covoiturage. Si seulement il pouvait lui donner un encouragement… n’importe quel signe pour lui indiquer qu’il en avait autant envie qu’elle. Mais Solal restait égal à lui-même, paisible et silencieux.

Et le moulin dans sa tête s’emballait… Devait-elle réellement prendre le risque de briser la magie de ce qu’ils avaient vécu en essuyant un refus ? Peut-être s’agissait-il simplement d’une parenthèse idyllique qui n’était pas destinée à durer. Un cadeau de Noël en chair et en os pour attester que le meilleur était possible et qu’il suffisait d’y croire. Et pourtant, elle s’en mordrait assurément les doigts si elle ne tentait rien.

– Tu… tu vois quelqu’un à Lyon ?

Ok.

Cette question était lamentable.


Elle aurait dû réfléchir avant de parler. Tourner sept fois la langue dans sa bouche. En plus, elle savait pertinemment qu’il était célibataire puisqu’il le lui avait déjà dit. Maintenant, il allait croire qu’elle n’avait pas prêté attention à ses propos ce qui n’était évidemment pas le cas.

– Non, je ne vois personne, dit-il en resserrant sa main car elle prenait grand soin d’éviter son regard.

– Ah oui ?

Même si elle n’imaginait pas cela possible, ses répliques étaient de plus en plus pathétiques. Il fallait qu’elle se ressaisisse ! Elle pouvait mieux faire…

Confiance. Elle était sûre d’elle et séduisante. Séduisante. Séduisante. Séduisante…

– Claire, moi aussi j’aimerais te revoir.

Infiniment soulagée qu’il prenne le relai, elle plongea enfin dans ses prunelles caramel dont elle ne se laissait pas.

– C’est vrai ? s’assura-t-elle alors que son coeur faisait des sauts périlleux.

– Oui, confirma-t-il en se rapprochant.

Quelques flocons de neige commencèrent à tomber et elle nota dans un état second que certains s’accrochaient aux cils blonds du jeune homme. Jusqu’à présent, elle n’avait jamais remarqué à quel point ils étaient longs et cela la captivait.

– Ta mère nous surveille, chuchota-t-il en se penchant vers elle pour l’embrasser.

Son baiser fut tendre et furtif. Avant qu’elle ne puisse y répondre, il s’était déjà relevé et il l’entraîna dans la suite de la balade. Le cortège était loin devant eux. Personne ne regardait dans leur direction et surtout pas sa mère…

Était-ce un goût de cannelle sur ses lèvres ?
End Notes:
Un grand merci à tous ceux qui ont lu cette histoire et qui m'ont fait d'adorables retours, Lul en particulier ♥ N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce dernier chapitre, ça me fait toujours très plaisir de vous lire. Je suis un peu triste de quitter Claire & Solal et en même temps, je suis super fière d'être parvenue au bout xD Je vous souhaite le meilleur pour 2021 ! :hug:
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