Le feu vient de passer au rouge. Je m’arrête. A la radio, l’animateur s’exalte en décrivant le retour en France de nos champions du monde.

Au dehors, c’est la canicule, l’une des plus virulentes jamais enregistrées depuis des décennies dans la région. L’air est irrespirable, la température n’est pas tombée pas en-dessous des 35° depuis des jours. Les nuits ne sont pas plus indulgentes. Et dans ce décor d’une ville poussiéreuse, poisseuse, asséchée, souffrante, je me surprends à observer les alentours.

Nbappé vient juste de débarquer de l’aéroport pour rejoindre sa ville natale, sous les acclamations des fans hystériques. Je souris. C’est à croire qu’il a remporté à lui seul la 3ème guerre mondiale, ce garçon !

C’est à cet instant que je l’aperçus. Plus exactement, que je les aperçus. Tous, comme s’ils se révélaient les uns après les autres.

Je ne parle pas des footballeurs. Je parle d’eux. Les voyez-vous ?

Il y a cet homme sur ma droite, torse nu avec un casque anti-bruit sur les oreilles, en train de couler du béton par près de 40° au soleil. Il y a ces hommes, là-bas, juste de l’autre côté du carrefour, qui ramassent les poubelles d’un geste mécanique en se fondant dans le décor. Et puis il y a cette femme, accroupie, recroquevillée sur elle-même, une pancarte dans la main, avec une inscription que nous devinons tous, sans même avoir à la lire. Ce genre de pancarte qui nous fait détourner les yeux.

Le feu refuse de passer au vert, me contraignant contre mon gré à regarder cette réalité bien éloignée de l’ivresse d’une prouesse sportive. Celle où les feux des projecteurs ne brillent pas, celle où l’or ne coule pas à flots, celle où les héros sont là, sans que personne ne les remarquent.

Des gens de l’ombre, de petites gens, des gens normaux, en somme. Des gens à qui on ne décerne pas la Légion d’Honneur.

Je suis passée des centaines de fois devant eux, faisant et refaisant le même trajet chaque jour sans les voir. Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi maintenant ?

L’animateur radio me met soudain mal à l’aise avec ses superlatifs. « L’extraordinaire exploit des joueurs qui restera à jamais gravé dans le coeur des français. »

Est-ce là l’héroïsme ?