Fleurs fanées by AgatheK
Summary:

Photo originale par Angel

Regarde donc cette petite fleur, si belle mais si fragile, que l'on cueille car qu'on la veut pour soi, mais qui, gagnée par la mélancolie de son champs natal, se fane bien vite dans son vase... Cette fleur est comme toi, toi qui reste avec un homme alors que ton coeur est ailleurs.

Recueil de nouvelles ayant pour thème commun l'homosexualité féminine.
Categories: Romance, Société, Textes engagés Characters: Aucun
Avertissement: Contrainte (chantage, viol...), Discrimination (racisme, sexisme, homophobie, xénophobie)
Langue: Français
Genre Narratif: Nouvelle
Challenges:
Series: Aucun
Chapters: 3 Completed: Non Word count: 4882 Read: 19838 Published: 08/11/2009 Updated: 15/11/2010
C'est terminé by AgatheK
Author's Notes:
Merci à Verowyn pour la correction. :)
Avertissement pour scène de viol.
J'entends la voix du juge, lointaine... Que dit-elle ? Je ne sais pas, je ne comprends que deux mots : « condamné » et « prison ». Un claquement retentit et la salle, jusqu'alors calme, est soudain prise dans un vacarme assourdissant. J'ai l'impression que les bruits résonnent dans ma tête, j'ai horriblement mal. Il est plus que temps que je m'en aille. Je me lève, le regard baissé : je ne veux pas les voir.

Suis-je soulagée ? Je crois. Mais ce n'est qu'une maigre victoire, et la blessure est toujours là. Malgré moi, alors que je les avais toujours repoussés de toutes mes forces, les souvenirs de l'agression reviennent, plus clairs que jamais.

C'était un vendredi soir, cela fait maintenant un an et demi. Comme à cette heure-ci il n'y avait plus de transport en commun, je rentrai à pied du restaurant où la fermeture s'était comme d'habitude éternisée. Il était une heure et demie du matin lorsque je suis arrivée dans ma rue, épuisée, mais satisfaite à l'idée que j'étais enfin en congés pour les deux prochaines semaines.

Ils m'attendaient devant le portail. Trois ombres hautes et puissantes, trois hommes, tous habitants de ce petit quartier bourgeois si calme d'ordinaire. En les apercevant, je ralentis le pas, sceptique : d'ordinaire, la rue est toujours déserte dès 23h. Ils me voient, ils s'approchent. À la lumière d'un réverbère, je peux reconnaitre parmi eux le vieillard que j'avais violemment envoyé balader dans un bar deux jours auparavant, exaspérée par ses propos machos et ses tentatives d'attouchements.

- Tenez, regardez qui c'est, lança-t-il. Alors, gouinasse, t'en as mis du temps à rentrer... T'es allée découcher avec une autre salope dans ton genre, hein, avoue !

Je n'ai même pas eu le temps de penser à fuir... Trop tard, ils étaient déjà sur moi, à ricaner de leurs voix rauques. Le plus gros m'a attrapée par les cheveux et m'a trainée jusqu'à un buisson dans mon propre jardin, derrière ma maison. Je me suis débattue et j'ai appelé au secours de toutes mes forces avec le fol espoir de les faire fuir en alertant tout le quartier. Impossible qu'aucun voisin ne m'ait entendu à cet instant précis. Et pourtant, rien ne se passa, aucune lumière ne s'alluma dans les maisons voisines.

Le gros m'a mis à terre et s'est couché en travers de mon corps pour m'empêcher de me débattre. Son poids m'empêchait de respirer correctement, très vite, j'ai senti la tête me tourner, tout me paraissait complètement irréel.

C'est le vieux qui l'a fait. Du coin de l'œil, je l'ai vu défaire sa ceinture et baisser son pantalon dans un ricanement satisfait pendant que le troisième arrachait le mien et me forçait à écarter les jambes.

- On va te guérir, disait le vieux. Oh oui, on va te guérir de ta putain de maladie, tu vas voir comme c'est mieux un homme. Tu vas aimer !

J'ai fermé les yeux et j'ai hurlé, hurlé de toutes mes forces, sans m'arrêter. Ils m'ont plaqué la main sur le visage, m'étouffant davantage. Une pensée folle a alors traversé mon esprit embrouillé. Je n'ai jamais cru en l'existence d'un dieu, quel qu'il soit, et pourtant, en cet instant, j'étais certaine qu'il existait, et j'ai focalisée ma pensée sur lui et sur la haine que j'éprouvais à son égard, de laisser faire une telle chose sans que je n'aie la moindre chance de me défendre. Je le haïssais et je hurlais. Je hurlais toujours lorsque le coup de feu a retenti.

Ce qu'il s'est passé exactement après, je l'ignore. Je crois que j'ai perdu connaissance. Ou alors mon esprit a fermé tout accès à ma mémoire, une manière de me protéger... Je ne sais pas. Mais j'ai appris plus tard qu'un voisin était enfin sorti et, son fusil de chasse à la main, avait tiré deux coups de feu en l'air. Mes agresseurs, après avoir tenté de lui tenir tête, ont renoncé et se sont enfuis.

La salle d'audience me parait très froide d'un coup. D'un geste machinal, je resserre ma veste autour de mes épaules tandis que je m'avance vers la sortie.

Je me souviens encore parfaitement de la douleur physique que j'ai ressentie à ce moment-là et des angoisses qui ont suivi. C'est étrange à dire, mais j'avais toujours plus ou moins cru que la principale préoccupation après ce genre de choses, c'était le risque de tomber enceinte ou d'attraper une MST. Pourtant, je n'y ai pas pensé une seconde, et si Sarah, le médecin qui m'a prise en charge dès mon arrivée aux urgences, ne m'avait pas forcée à aller faire les tests, j'aurais continué à agir comme si rien ne s'était jamais passé. En vérité, sans elle, je n'aurais même jamais eu la force d'aller porter plainte, et je me serais emmurée dans le silence jusqu'à la fin de mes jours. Je lui dois tant de choses à ma Sarah...

Brusquement, une nuée d'éclairs éblouit mes yeux. Je viens de passer la porte de la salle d'audience sans m'en être aperçue. J'avais oublié les journalistes derrière.

- Mademoiselle Hernel, vos agresseurs ont été condamnés à de la prison ferme, vous sentez-vous aujourd'hui soulagée par ce verdict ?
- Trouvez-vous que cela est une bonne chose au nom de tous les homosexuels qui ont été comme vous victimes de viols-punitifs et dont les agresseurs sont toujours en liberté ?
- Avez-vous un message à délivrer à la communauté gay et lesbienne de France ?

Quelque chose, ou plutôt quelqu'un m’attrape par les épaules et m'entraîne à travers le nuage de journalistes jusqu'au bureau de mon avocate, qui n'était pas encore revenue. La porte claque et le silence revient.

Une main vient doucement soulever mon menton, et mon regard plonge dans deux magnifiques yeux bleus. Sarah, ma douce Sarah qui m’a soutenue tout au long de ces nombreuses épreuves, celle grâce à qui j'ai pu me reconstruire une vie et sans qui je n'aurais jamais pu tenir, se tient devant moi. Soudain, je prends conscience que mes agresseurs étaient bel et bien condamnés, que c'en était fini pour eux et que j'étais arrivée au bout d'un long chemin. Et pourtant, au lieu d'un soulagement, je ne ressens encore que de l'angoisse. Que se passera-t-il quand ils sortiront de prison ? Et si tout ça recommençait avec d'autres ?

Sarah me prend dans ses bras, et je sens un barrage en moi céder. Je ne peux plus longtemps retenir mes larmes. Elle serre un peu plus fort ses bras autour de moi. Je sens la chaleur rassurante de son corps, son doux parfum, et je devine les battements de son cœur dans sa poitrine.

- Chuut... C'est fini, Eve. Il ne t'arrivera plus rien, maintenant... C'est terminé.
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